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Editions RAMKAT




AQUARICA

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Le champ des études nostradamiennes & aquariennes
Bilan & perspectives

par Jacques Halbronn

    Après avoir fait le point sur le renouveau des études nostradamiennes au cours des vingt dernières années (cf. notamment notre étude sur le Site du C.U.R.A., "Réflexions sur les méthodes de travail des nostradamologues"), il nous a semblé heureux de procéder de même en ce qui concerne les études aquariennes (d’Aquarius, verseau). Sous le terme d’études, nous entendons des travaux de type historique et non point exégétique. Ces deux domaines constituent en effet, bien que d’une certaine manière ils se situent en marge de la tradition astrologique orthodoxe, les principaux apports de l’Europe Moderne et Contemporaine à l’histoire de la littérature astrologique.

   Si, pour ce qui est des études nostradamiennes, il faut citer des chercheurs comme Daniel Ruzo, Jean Dupèbe, Jean Céard, Michel Chomarat, Robert Benazra, Pierre Brind’amour, Chantal Liaroutzos, Roger Prévost, le rédacteur de ces lignes et quelques autres dont Robert Amadou, qui fit partie de l’équipe des Cahiers Nostradamus (Lyon), tandis qu’en ce qui concerne les études aquariennes, on mentionnera également Robert Amadou ainsi que Christian Lazarides, Evelyne Latour, la maçonologue Claude Rétat (CNRS, Lyon), et encore le présent rédacteur.

   Indiscutablement, une certaine émulation existe désormais entre chercheurs conscients que le domaine est loin d’avoir été exploré de façon exhaustive, cela aboutit parfois à des discussions d’antériorité difficiles à trancher, non, parfois, sans accusation de plagiats. A la question de l’antériorité entre Dupuis, Volney et Delaulnaye vient se greffer celle de l’antériorité de la découverte bibliographique de ces auteurs entre J. Halbronn, R. Amadou et C. Lazarides, entre 1986 et 1992 !

   En ce qui concerne les études aquariennes, il convient de cerner un certain nombre de points :

A - La situation sous la Révolution Française.
B - La situation dans la seconde moitié du XIXe siècle.
C - La situation dans les années 1930 - 1940.

   Pour ce qui est des études aquariennes, en ce qui concerne le point A, Robert Amadou a publié en janvier 1986 un article qui ne mentionne et cite pour cette période de la fin du XVIIIe siècle (p. 24) que L’Origine de tous les cultes de Dupuis, dans la revue L’Autre Monde, n° 102 ("La Précession des équinoxes", cf. J. Halbronn, "Recherches sur l’histoire de l’astrologie et du Tarot", postface à Etteilla, L’astrologie du Livre de Toth, Paris, La Grande Conjonction - Trédaniel, 1993, p. 76 et note 187, p. 120). Lazarides en 1989 (Vivons-nous les commencements de l’Ere des Poissons ? Recherche sur la chronologie précessionnelle, indiquée par Rudolph Steiner, E.A.R.) ajoutera à la liste Volney (p. 62). On notera qu’en 1979, lors de la parution, sous notre direction, d’Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau, Ed. Albatros - Autre Monde, aucun des contributeurs, R. Amadou compris, n’avait mentionné les apports de Charles-François Dupuis, Volney ou Delaulnaye. En 1992, nous publiâmes dans La Vie astrologique, années Trente Cinquante, Paris, Trédaniel, des pages consacrées à la question aquarienne et en 1999, sur le Site du CURA ("Histoire des Religions et Phases astronomiques"), la première étude comparée des frontispices parus chez Dupuis et chez Delaulnaye (Histoire particulière et générale des religions et du culte), le frontispice de ce dernier ayant connu une certaine fortune au XIXe siècle notamment, en 1814, dans La Franche Maçonnerie rendue à sa véritable origine ou L’Antiquité de la Franc Maçonnerie prouvée par l’explication des mystères d’Alexandre Lenoir (1762 - 1832), cote BNF, Res. H 1147, proche de Delaulnaye, auteur encore en 1821 du Thuileur du 33e degré.

   Faut-il ajouter que ces divers textes ne traitent le plus souvent qu’incidemment en quelques pages voire en quelques notes de la précession des équinoxes sans que cela n’apparaisse aucunement au titre, ce qui explique le retard et l’aléa de leur redécouverte au coup par coup, alors que pour les études nostradamiennes, la recherche se canalisa longtemps sur la référence à Nostradamus au titre, ce qui conduisit à négliger nombre de textes parfois plus significatifs.

   En ce qui concerne Volney, R. Amadou arrive trop tard lorsqu’il signale les Ruines ou Méditation sur les révolutions des empires, "Mithra est-il le seigneur de la Précession ?", L’Autre Monde, n° 126, 3e trimestre 1991, p. 47 (cf. aussi sa mention in La Recherche Astrologique, vol 5, n° 4), soit deux ans après la mention de cet auteur par Lazarides.

   En fait, il faudra attendre 1991 - 1992 pour que le nom de Delaulnaye refasse son apparition, depuis 1814, dans la bibliographie de L’Ere du Verseau. Dans L’Autre Monde, n° 127 - la revue est trimestrielle - 4e trimestre 1991, dans une brève note des Carnets de Robert Amadou, intitulée "Préhistoire de l’ère du Verseau (suite)", le nom de Delaulnaye est associé au champ aquarien : « c’est beaucoup plus précis et détaillé que Dupuis et Volney » juge R. Amadou. Dès juillet 1992, nous consacrâmes à Delaulnaye un développement important en republiant un des frontispices dans La Vie astrologique il y a cent ans, Paris, juillet 1992, Trédaniel (sur la délicate question de l’antériorité de la découverte, cf. aussi La Vie astrologique, années trente-cinquante, Paris, Trédaniel, 1995, note 171, p. 165). Mais par la même occasion, nous mentionnions La Franche Machonnerie de Lenoir, ouvrage qui avait attiré notre attention sur Delaulnaye et n’avait pas été signalé à l’époque par Amadou, ce qui montre bien que nos recherches ne dépendaient pas de celles d’Amadou dont nous ne découvrîmes l’entrefilet que par la suite, lorsque dans le numéro 131 de L’Autre Monde, 4e trimestre 1992, pp. 95 - 96, il rendit compte de notre ouvrage sous le titre "L’ère du Verseau (suite)", dans ses Carnets. On voit en tout cas le rôle de la revue L’Autre Monde de 1977 (annonce du congrès) à 1992, dans le champ des études aquariennes.

   Claude Rétat termine un travail sur Dupuis dont certains éléments sont parus (cf. « Lumière et ténèbres du citoyen Dupuis », Chroniques d’histoire maçonnique, 50, 1999). R. Amadou a publié sur le Site Univers-site.com, au cours des années 1999 - 2000 une Petite Encyclopédie de l’ère du Verseau, ouvrage déjà esquissé in « Histoire de la mythologie de l’ère du Verseau », au colloque de l’ARRC de mars 1997 (cf. aussi notre traitement de la question des frontispices précessionnels dans notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, soutenue en janvier 1999, à Paris X Nanterre).

   En ce qui concerne le point B, R. Amadou, en 1980, (cf. « L’ère du verseau au milieu du XIXe siècle », Cahiers Astrologiques), donc au lendemain de la parution de son étude parue dans Aquarius ou la nouvelle ère du verseau, signale, du fait de sa lecture des manuscrits de l’abbé Lacuria, à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu, le cas de J. N. Sepp, auteur allemand qui aurait introduit pour la première fois l’Ere du Verseau (cf. Das Leben Jesu Christi). En réalité, C. Lazarides montra, en 1989 (cf. Vivons-nous les commencements de l’Ere des Poissons ?, Op. cit.) que ce constat ne valait que pour la traduction française (cf. La vie de N. S. Jésus Christ, tome II, Paris, 1854, BNF, H 18687) de Sainte-Foy, alias Eloi Jourdain et non point pour l’original allemand. En fait, ce que ne relève pas Amadou, c’est que Sepp annonce ainsi l’ère des Poissons et non celle du Verseau. En effet, la façon dont Sepp « lit » le ciel est différente, ce qui montre que tant sur le plan astronomique qu’historique, le système reste ouvert. Marie-France James a consacré en 1985 à cette période un ouvrage intitulé Les Précurseurs de l’Ere du Verseau, Jalons du renouveau de l’esotérisme de 1850 à 1960, Ed Mediaspaul, qui n’aborde la question que de très loin. Le rôle du centre de Paray le Monial (Saône et Loire) a été étudié par P. Lecquet et E. Latour (cf. leurs travaux respectifs dans Politica Hermetica, 1998). On notera un autre personnage que R. Amadou ne signale pas dans ses différents travaux, à savoir Thomas Brunton (cf. notre étude « Astronomie et chronologie : Isaac Newton et l’école précessionnelle française » sur le Site du CURA) et qui est connu de C. Lazarides (cf. ouvrage à paraître en 2003) et d’E. Latour (cf. « L’Ere du Verseau comme projet de société », Actes du Colloque Astrologie et Pouvoir, 2002).

   En ce qui concerne le point C, Evelyne Latour consacre une thèse, non encore achevée, à Paul Le Cour, à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Ve section. En 1995, chez Trédaniel, nous avons publié, dans La Vie Astrologique, années Trente Cinquante, certaines données concernant Le Cour et son rapport avec l’Allemagne (cf.infra).

La question du Zeitgeist

   Il nous semble que la prise de conscience qui se fera, au cours des deux dernières décennies du XXe siècle concerne la prise en compte du contexte politique dans lequel les textes considérés parurent initialement. Jusqu’alors, la tendance générale avait été, consciemment ou non, de minimiser l’influence de l’époque de la publication.

   Nous avons pour notre part fortement insisté sur les influences subies, au niveau de sa formation, par le texte nostradamique, depuis la mort d’Henri II en 1559 jusqu’aux temps de la Ligue et de la Fronde, mais on pourrait en dire autant pour le corpus aquarien, sous la Révolution Française, à l’époque des révolutions de 1848 (en ce qui concerne les travaux de Sepp, dans sa Vie de Jésus) ou sous l’Occupation allemande, sur un Paul Le Cour. On peut même se demander si Le Cour n’a pas décidé de publier son ouvrage au vu de l’évolution de la situation en Allemagne nazie, alors que, par ailleurs, venait de paraître la traduction française de l’ouvrage de l’Allemand Brunhübner sur la nouvelle planète Pluton, dont la découverte était perçue à l’image d’une nova du temps de Tycho Brahé et de Kepler comme annonciatrice d’une transformation majeure des valeurs (cf. La vie astrologique années trente cinquante, Paris, Trédaniel, 1995) ? Faut-il rappeler, avec l’histoire de la précession des équinoxes, le basculement d’une théorie rétrospective balayant les millénaires vers une sorte de prophétie et dont les tenants finirent par rechercher les signes avant coureurs au riveau des contingences de l’actualité la plus brûlante (cf. notre étude sur le Site du CURA, "De l’astrologie à l’astro-histoire") ?

   A quoi sert-il, dès lors, comme le fait Evelyne Latour (L’Ere du Verseau comme projet de société, op. cit.) de nier, dans un réflexe apologétique assez mal venu, les accointances de Le Cour avec l’Allemagne et l’antisémitisme - lui qui par la suite, encore à la veille de sa mort en 1954, conseillait la lecture des Protocoles des Sages de Sion ? Est-il possible, au demeurant, qu’un homme qui fréquente le champ prophétique échappe au « Zeitgeist », aux idées qui sont dans l’air ? En tout état de cause, on a là une clef pour comprendre et (re)dater, dans tous les sens du terme, les textes dont l’historien ne saurait se priver (cf. le cas Barbault : "André Barbault et l’histoire du communisme", sur le Site de la FALAP, Hommes & faits; in Astrologie, pathologie d’une épistémé).

   Deux écoles s’opposent : l’une qui veut présenter les textes astrologiques et prophétiques comme des exposés en quelque sorte intemporels - ce qu’ils prétendent effectivement être - et l’autre qui en fait des constructions marquées par des enjeux immédiats, en tout cas à court terme - ce qu’ils sont en pratique le plus souvent (cf. notre communication "L’astrologie sous Cromwell et Mazarin", Colloque Astrologie et pouvoir).

D’un congrès à l’autre

   Si l’on peut accorder quelque importance au Colloque Nostradamus tenu à Salon de Provence, en 1985 (cf. les Actes publiés en partie par R. Amadou), en tant que catalyseur des études nostradamiennes, il conviendra de souligner le rôle tenu en 1977 par le Congrès consacré à l’Ere du Verseau pour ce qui est des études aquariennes. Dans les deux cas, ces Congrès témoignent de l’état - médiocre - des travaux à l’époque : le congrès de 1977, avec le recul, nous apparaît comme ayant été indifférent à des questions qui par la suite deviendront cruciales pour le chercheur. En 1977, quarante ans après sa parution, la connaissance de la question se limitait à ce qu’en disait L’Ere du Verseau de Paul Le Cour, révisée par Jacques d’Arès. De même, en 1985, lors de la rencontre de Salon, l’approche de la littérature nostradamique ne relevait guère d’une approche critique et la parution, en 1990, du Répertoire Chronologique Nostradamique de Robert Benazra, dont nous avions fait la connaissance à cette occasion et dont nous publiâmes l’ouvrage dans le cadre des coéditions La Grande Conjonction - Editions de la Maisnie-Guy Trédaniel, en témoigne. C’est dire que la fin du XXe siècle aura été déterminante pour les études tant nostradamiennes qu’aquariennes. Il n’est pas certain que l’on puisse en dire autant dans d’autres domaines relatifs, de près ou de loin, à l’astrologie sinon probablement dans une meilleure connaissance du XVIIe siècle en France et en Angleterre, et là encore on pourrait prendre pour référence un congrès, celui tenu à Londres, au Warburg Institute, en 1984, dont les Actes parurent en 1987, par les soins de Patrick Curry, sous le titre de Astrology, Science and Society, congrès qui fut suivi d’une série de rencontres annuelles en Histoire de l’Astrologie, toujours à Londres, animées par Anabella Kitson (cf. le collectif History and Astrology. Clio and Urania confer, Londres, 1989). Les thèses d’Hervé Drévillon, d’Alexandre Haran et de Fabrice Guérin soutenues à Paris depuis témoignent, entre autres, de l’importance accordée à ce siècle qui est à plus d’un titre un Age d’or de l’astrologie européenne, sans qu’il faille oublier la parution dès 1974 de l’ouvrage d’Elisabeth Labrousse, L’Entrée de Saturne au Lion. L’éclipse d’août 1654, paru à La Haye, chez Nijhoff, suivi de peu par notre édition des Remarques Astrologiques de Jean-Baptiste Morin (de Villefranche), dans la Bibliotheca Hermetica de René Alleau (Retz, 1976).

Paul Le Cour
ou les dérives de l’aquarisme

Paul Le Cour

   En 2004, on célébrera le cinquantième anniversaire de la mort de Paul Le Cour tout comme en 2003, toutes proportions gardées, on marquera le cinq centième anniversaire de la naissance de Michel de Nostredame (1503 - 1566).

   Paul Le Cour ( 1871 - 1954) occupe, en effet, une place particulière dans l’histoire de l’astrologie du XXe siècle. Il est à coup sûr l’auteur d’un des ouvrages les plus célèbres de la littérature astrologique contemporaine de langue française. Son Ere du Verseau, parue dans les années Trente, est un monument, elle a connu de nombreuses rééditions, à partir des années Quarante. Mais comment doit-on lire cet ouvrage que nous désignerons sous le sigle EVAG (Ere du Verseau. Avènement de Ganyméde) ?

   En vérité, un peu à la façon dont nous avons abordé les Centuries et le phénomène Nostradamus (voir sur le Site du CURA et sur Espace Nostradamus), nous risquons fort - et notre titre ne s’en cache pas - d’ébranler ou de choquer nos lecteurs, tant il est vrai que Le Cour apparaît comme une des grandes références astro-prophétiques, mais combien de Le Cour y a-t-il, quel est le « vrai » Le Cour ?

   Bien entendu, par delà le cas Le Cour, nous interpellerons ceux qui lui ont consacré des travaux ou du moins qui ont traité de l’Ere du Verseau, à commencer par ceux qui ont collaboré à la fin des années Soixante-dix au projet ANEV. (Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau, à paraître sur le Site du CURA in extenso) dont nous fûmes au demeurant le maître d’oeuvre, à l’époque assez naïf.

   Y a -t-il un après Paul Le Cour ? Le changement à observer relève, nous semble-t-il, de la différence d’implication. Dans les années trente - quarante, le discours astrologico-prophétique était directement en prise avec les enjeux de l’époque, avec la réalité socio-culturelle, socio-religieuse, bref, il comportait une dimension polémique, pouvait espérer peser sur certaines représentations.

   En revanche, à la fin des années soixante-dix, l’astrologie française a refoulé ses engagements d’avant guerre, autour de l’Ere du Verseau, autour de Pluton, autour de la Question juive. Elle a pris du recul, dans tous les sens du terme. La preuve en est que celui qui va diriger le congrès et le livre consacré à la question est un jeune juif qui n’a alors aucune conscience de l’usage qui fut fait précédemment de cette idée du Verseau, chacun, autour de lui, citant Paul Le Cour avec révérence et ne signalant pas le caractère sulfureux de son propos. Mais participent à ce collectif des personnes proches d’Atlantis, comme Jacques d’Arès, Robert Amadou, Jean Phaure ou encore Andrée Petibon, qui évoque la fondation de la revue.

   Mais qu’est ce alors que l’Ere du Verseau, au début du dernier quart du XXe siècle (cf. de Culver & Ianna, “The age of Aquarius” in The Gemini Syndrome, New York, 1984, pp. 67 et seq) ? Probablement l’annonce de la fin du christianisme, en tout cas de la papauté, ce qui expliquerait le succès du message aquarien dans des pays de culture protestante.

   Or, tel n’était nullement la position de Le Cour pour qui c’était au contraire le Second Avènement de Jésus, comme si, finalement, Le Cour avait voulu empêcher qu’il y ait rupture de la tradition chrétienne, quitte à prôner sa déjudaïsation. Après Le Cour, les astrologues qui ont récupéré l’Ere du Verseau qui était restée jusque là aux marges de l’astrologie, en raison notamment de son sidéralisme, n’ont pas le bagage théologique voulu et préfèrent, tout simplement, annoncer l’avènement d’un nouveau culte, lié aux valeurs du Verseau telles que l’astrologie moderne les a reformulées, passant d’ailleurs étrangement du dieu Poséidon, cher à Le Cour à l’astre Ouranos / Uranus, nouveau maître du signe.

   Qu’on le veuille ou non, Le Cour a été victime de sa quête de signes avant coureurs, ce qui l’a conduit à justifier l’antisémitisme à l’échelle cosmique.

Les signes avant coureurs

   Certes, Le Cour a-t-il fixé un terme encore assez lointain pour l’avènement de Ganymède - selon son expression - mais cela ne l’empêche nullement de tenir, dans sa revue Atlantis - comme le fera Barbault dans sa revue L’Astrologue fondée quarante ans plus tard - une sorte de chronique aquarienne de son temps. Son livre L’Ere du Verseau ne fait d’ailleurs en partie que reprendre des développements précédemment parus dans la dite revue et eux mêmes intitulés « L’Ere du Verseau  », et déjà pourvus du dessin de l’échanson qui se retrouvera en frontispice du livre.

   L’EVAG, ouvrage assez mal ficelé, où la préface fait suite étrangement à l’introduction, dans l’édition de 1937, est un catalogue des notations les plus diverses, censées révéler une convergence. On peut d’ailleurs inscrire l’EVAG dans la tradition des recueils prophétiques qui va du Mirabilis Liber (cf. notre étude sur le Site du CURA) aux productions du XIXe siècle, émanant souvent des milieux ecclésiastiques.

   Parmi les « signes avant coureurs », selon la formule de Le Cour, il faut compter la « Prophétie des papes » qui, rappelons-le, est une liste parue en 1595 (cf. Le Texte prophétique en France) qui avec chaque pape qui décède voit se rapprocher la « fin du monde », la venue de l’Antéchrist, dans un compte à rebours nécrologique. Le Cour, et à sa suite Jacques d’Arès, semblent accorder la plus grande importance à ce phénomène qui fait ainsi de l’Eglise et de son chef un présage vivant .Chaque nouveau pape nous rapprocherait de la nouvelle ère. Cette « prophétie des papes », faussement attribuée à Saint Malachie, nous fait songer à ces chronologies prophétiques qui contribuèrent à l’écroulement de la civilisation précolombienne.

   En 1945, Le Cour fait une analyse de la situation qui - on s’en aperçoit rétrospectivement - accordait apparemment trop d’importance au ressenti immédiat si bien que les « réussites » prévisionnelles sont parfois redoutables en ce qu’elles se fondent sur une certaine interprétation des « faits » - et l’astrologue - on le verra avec André Barbault - n’échappe pas à cet écueil, où l’on fait flèche de tout bois : il n’y a jamais de faits bruts. N’oublions pas que même une horloge arrêtée marque deux fois par jour la bonne heure ! Dans un chapitre intitulé "L’ère du Verseau", PLC écrit en 1943 - 1945, en plein bombardement des villes :

   « Ceux qui ne croient pas que notre religion chrétienne, avec ses magnifiques cathédrales, soit parvenue au terme de sa durée et qu’elle sera remplacée par une autre en rapport avec les progrès de la pensée humaine devraient songer aux sanctuaires abandonnés de l’Egypte, de la Grèce, de l’Asie, de l’Amérique (...) Seuls les touristes curieux errent au milieu de leurs ruines (...) Il y aura toujours nécessité de se grouper autour d’un symbole qui ne sera plus l’image du Christ souffrant fixé sur une croix mais quelque autre signe rempli de dynamisme (comme la double hache) correspondant au Christ-Roi). La douleur que nous éprouvons à voir s’écrouler les monuments religieux, merveilles léguées par les siècles précédents, doit donc être atténuée par (notre) vision de l’avenir.  » (Dieu et les dieux. Dieu existe-t-il ?, Bordeaux, Ed. Bière, 1945, pp. 192 et seq)

   Avec le recul de plus d’un demi siècle, alors que tout a été reconstruit depuis belle lurette, ces signes « avant coureurs » semblent un peu trop « datés », ils ont fait long feu.

   On voit donc que si le paradigme précessionnel, astronomique, est posé d’entrée de jeu, en revanche, les signes sont à rechercher partout, à tous les niveaux : tension entre la cause unique et les effets multiples.

   P. Lecquet (Le Hiéron du Val d’Or et l’ésotérisme chrétien autour de Paray le Monial) et E. Latour (L’ère du verseau) se sont intéressés (cf. Politica Hermetica, 1998) à la place des prophéties précessionnelles dans les années 1880 - 1904, et dont Paul Le Cour serait l’héritier et le vulgarisateur. Il s’agirait du milieu ésotérisant de Paray Le Monial (Saône et Loire).

   Dans son recueil de 1937, certes, Paul Le Cour cite à plusieurs reprises Paray le Monial (sur Atlantis et les recherches du Baron de Sarachaga « qui envisageait pour l’an 2000 le 4° cycle du Graal », cf. P. Lecquet, Le Hiéron du Val d’Or etc, op. cit., pp. 95 - 96 ; J. Halbronn, Le texte prophétique en France, I, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002, pp. 329 - 330 ), mais c’est pour souligner le fait que les cultes qui s’y pratiquent sont annonciateurs de l’Ere du Verseau et non pour affirmer qu’il a trouvé dans ce groupe l’exposé de la théorie des ères. C’est toute la différence entre le signifiant et le signifié. Paray le Monial annonce, de facto, le Verseau, pense Le Cour, mais cela ne signifie nullement qu’on y propose un exposé circonstancié comme le fait Brunton (cf. “Newton et le précessionalisme”, sur ce Site).

   Pour Le Cour, le culte du Christ Roi, cher à Paray le Monial, annonce un nouveau stade du christianisme, c’en est fini du Christ représenté sur la Croix. Mais s’il mentionne ces pratiques, c’est que précisément elles émanent de personnes ignorant la précession des équinoxes. Car que vaudrait leur témoignage si elles en connaissaient le mécanisme ?

   C’est donc commettre un grave contresens que de laisser entendre que Paul Le Cour aurait reconnu, en quoi que ce soit, qu’il se serait appuyé sur les computations propres aux gens de Paray Le Monial. Pour Le Cour, les spéculations qui furent développées dans ce cercle ne l’impliquent nullement, elles sont l’expression d’un processus qu’il explicite mais qu’il n’attribue pas, stricto sensu, aux protagonistes. En d’autres termes, le mode de calcul prôné par Le Cour n’est pas celui de Paray le Monial lequel vient recouper, ponctuellement, et coïncider avec la Précession des Equinoxes. A trop vouloir prouver on ne prouve rien : une chose est d’observer que telle personne a tel comportement qui vient corroborer nos thèses, une autre d’attribuer à cette même personne la connaissance précise des dites thèses car, à ce moment, là on ne peut être juge et partin: si la personne connaît le système, son comportement ne vaudra plus comme preuve.

   En réalité, Le Cour n’a aucune prétention d’innovateur en ce qui concerne la description du mécanisme précessionnel et, citant tel ou tel auteur, il note ainsi, qu’il n’apporte rien de bien intéressant, avouant ainsi reprendre un sujet dans le vent. L’apport de PLC semble devoir se situer ailleurs : peut être dans certaines corrélations qu’il propose entre l’avènement du Verseau et certains événements de son temps. Quand on sait ce qui marque les années Trente et quel « ordre nouveau » est ainsi proposé, on ne peut voir en Le Cour qu’un homme fasciné de plus en plus par ce qui vient d’Italie et d’Allemagne.

   Quel serait donc le véritable apport de PLC à la question précessionnelle ? Il faudrait pour cela parfaitement identifier toutes ses sources, celles qu’il cite et celles qu’il ne cite pas. On peut dire qu’il a su sensibiliser certains milieux français à ce système et qu’il a mis ce système au service de certaines idées de son époque. C’est d’ailleurs moins l’EVAG qui aura joué ce rôle qu’Atlantis, et ce dès les années Vingt et il ne faudrait pas oublier la personnalité de Le Cour, son enseignement oral, dans le cadre de l’association du même nom.

L’antisémitisme de Le Cour

   En 1937, Paul Le Cour n’est pas encore antisémite, il n’a pas eu cette révélation. Un de ses chapitres, qui disparaîtra par la suite, ne s’intitule-t-il pas "Juifs et Chrétiens d’accord" ?

   Mais cinq ans plus tard, Le Cour remanie sensiblement son texte : la France a été vaincue ou plutôt comme il le note mise en réserve, puisqu’elle ne participe pas aux combats.

   Désormais, logique avec un certain antisémitisme ordinaire, néo-herzlien, de Le Cour - il faut les envoyer en Palestine - Le Cour qui manie volontiers l’opposition des aryens aux sémites - trouvant que Jésus a un type aryen, japhétien (de Japhet - fils de Noé - un des frères de Sem, dont le nom servit à forger le mot sémite) - tient les propos suivants, avec quelque ingénuité : « Pour résoudre le "problème juif", il suffit (sic) de considérer les Juifs comme des étrangers  ». (Hellénisme et christianisme, pp. 106 - 107) et les persécutions les aideront à aller là où il est écrit qu’ils doivent aller. Dans cet ouvrage qui paraît en 1943 puis est réédité sans retouche, chez Dervy, en 1953, Le Cour précise certains aspects de l’Ere du Verseau, mais en en accentuant le caractère antijuif - occupation nazie oblige puisque pour Le Cour rien n’arrive par hasard - comme il le reconnaît lui-même : on peut, dit-il, être contre le judaïsme tout en n’étant pas contre les Juifs, à condition, toutefois qu’ils deviennent un peuple comme les autres, rassemblé sur un seul et même point du globe. Il est en faveur du statut des Juifs octroyé par le régime de Vichy et qui servira à ce que les Juifs ne s’attachent pas trop à la France. Pour Le Cour, l’Ere du verseau annonce une hellénisation du christianisme et sa déjudaïsation.

   En fait, Le Cour ne fait pas mystère de ce qu’il doit à Rohling, dont le nom figure dans son Ere du Verseau de 1937, réputé, au XIXe siècle, pour l’érudition de son antitalmudisme, auteur par ailleurs d’un ouvrage prônant le retour des Juifs à Sion (cf. notre ouvrage Le sionisme et ses avatars, au tournant du XXe siècle, op. cit.). Le Cour serait ainsi parvenu à relier antisémitisme et mouvement aquarien, chacun consolidant et justifiant l’autre. On ne peut nier une certaine fascination de Le Cour pour le fascisme italien et il célèbre, dans l’Ere du Verseau, la prise de l’Ethiopie, en 1931, comme l’annonce des temps nouveaux, puisque le roi d’Italie, grâce à Mussolini, devient, de ce fait, empereur et il en sera ainsi, au fil des rééditions de l’ouvrage, sans parler d’Hellénisme et Christianisme, paru à Bordeaux, en 1943 qui en est le complément anti-judéo-chr;eacute;tien.

   De fait, L’Ere du Verseau, version 1937, est jugée par trop judéophile et il va s’agir, dans les éditions suivantes, d’élaguer certains développements qui ne sont plus de mise et il n’y aura pas de retour, après guerre, aux positions antérieures, même si l’on ne réédite plus après la mort de Le Cour, en 1954, Hellénisme et Christianisme. Pour la petite histoire, le siège d’Atlantis passera sous l’Occupation de Vincennes à Paris, dans le Quartier Latin, pour revenir à la Libération à Vincennes. La raison semble en avoir été que les dits locaux parisiens auraient été la demeure de Juifs qui les auraient réintégrés, contraignant ainsi Atlantis à l’exode.

   Un chapitre incriminé sera donc supprimé : "Juifs et chrétiens d’accord" qui va disparaître, mais la BNF a conservé la version 1937 ou du moins l’une d’entre elles.

   Le Cour commençait alors imprudemment ce chapitre par la formule suivante : « Un des grands événements de l’Ere du Verseau doit être logiquement la réconciliation des juifs et des chrétiens. Les premiers chrétiens et Jésus lui-même étaient juifs (...) il y a identité entre la révélation judaïque et celle du Christ. » D’ailleurs, Le Cour annonce la conversion des juifs au christianisme à l’heure du Verseau :« Dans le temple de Salomon restauré on verra donc entrer par la même porte les fils de la synagogue et ceux des diverses églises chrétiennes. »

   Et (le premier) Le Cour de méditer sur une telle perspective : « Que peut-il résulter d’un accord entre juifs et chrétiens ? Sans doute, une grande force spirituelle qui se dressera en face du matérialisme (...) Nous voyons déjà d’esquisser un rapprochement entre l’Eglise et la Maçonnerie qui, l’une et l’autre, condamnent les deux extrémismes anti-religieux, fascisme et communisme. »

   Or, six ans plus tard - en 1943 et l’on conçoit que Le Cour n’ait pas aussitôt réédité son Ere du Verseau, reparue en 1942, vu qu’entre temps, il a opéré un certain revirement - les premières pages de son petit livre Hellénisme et Christianisme, parues chez l’imprimeur bordelais Bière, qui avait déjà imprimé l’édition de 1937 de L’Ere du Verseau. L’avènement de Ganimède (sic) sont les suivantes :

   « S’il est une opinion profondément accréditée chez les Chrétiens, c’est celle de l’origine uniquement judaïque de leur religion (...) Il est devenu d’usage courant d’appeler judéo-christianisme la religion née il y a 2000 ans sur les bords du Jourdain. En réalité, précise Le Cour - et c’est ce que je voudrais tenter de démontrer ici - le christianisme a sa source non dans le judaïsme mais dans l’hellénisme. »

   Le livre obtient l’autorisation des autorités d’occupation et signifie un certain regain d’activité pour Atlantis, ce qui se conçoit en raison des thèses collaborationnistes, anglophobes, et racistes qui y sont développées.

   Antisémitisme et astrologie faisaient d’ailleurs, depuis longtemps, bon ménage (cf J. Halbronn, "Antisémitisme et occultisme en France aux XIXe et XXe siècles", Revue des Etudes Juives, Paris, 1991) en tant que systèmes explicatifs interdits mais d’autant plus fascinants, en tant que contre-culture déstabilisants - pour des esprits marginaux et asociaux et le mouvement sioniste - remède pire que le mal - mentionné par Le Cour, dans son Ere, n’aura fait qu’apporter de l’eau au moulin de l’antisémitisme, en transformant un malaise (névrose) - les juifs parmi nous - en un délire (psychose)- les juifs ailleurs et pourquoi pas dans l’au-delà ? C’est qu’en effet, les astres et les juifs peuvent être instrumentalisés et diabolisés pour rendre compte de certains déboires, personnels ou / et collectifs, avec des effets déculpabilisants (cf. Cahiers du CERJ, "L’instrumentalisation des Juifs", voir Site CERIJ.org).

Le syncrétisme Le Courien

   Paul Le Cour semble n’avoir que des connaissances de seconde main en ce qui concerne la précession des équinoxes, à tel point qu’il ne semble même pas se rendre compte de ce qu’il se réfère au zodiaque tropique quand il évoque les événements marquants, selon lui, qui se déroulent chaque année quand le soleil séjourne dans le signe du verseau, en tropique.

   C’est ainsi, dans L’Ere du Verseau, que pour « prouver » que l’ère précessionnelle du Verseau approche, Le Cour s’arrête sur ce qui se passe en février (et notamment en février 34). Evelyne Latour ("L’Ere du verseau", Politica Hermetica, n° 12, p. 205) fera le même amalgame lorsqu’elle attribuera à tel auteur un intérêt pour l’Ere du Verseau uniquement parce qu’il traite du signe du Verseau : « L’ère du Verseau passionnait aussi les savants (comme) Pierre-Maxime Schuhl qui en traitait dans un article (que nous n’avons pas retrouvé) consacré à la IVe Eglogue de Virgile ». De même, tout ce qui se trouve dans l’ouvrage intitulé L’Ere du Verseau ne concerne pas ipso facto le processus même de l’ère du Verseau, au sens précessionnel du terme, mais peut n’être mentionné en tant que recoupement.

   En ce qui concerne la durée des ères, s’il reconnaît que l’ère du Verseau ne commencera que 2160 après J. C., Le Cour n’hésite pas pour autant à dater le début de l’ère du bélier vers - 2000. Ce nombre 2000 le fascine.

   Certes, au niveau symbolique, on peut tout comparer, mais il est regrettable que Le Cour ne s’en soit pas davantage expliqué. D’ailleurs, c’est dans la façon que Le Cour recherche des « signes » avant coureurs venant confirmer l’avènement de Ganymède, que son ouvrage est original mais fortement marqué par la vie politique de son temps. Quel décalage, en effet, entre d’une part les considérations sur des transformations s’étalant sur des siècles et des observations presque au jour le jour : exercice éminemment périlleux et qui fait songer à la façon dont un Piobb, dans les années 1920, commentait la vie parlementaire en se servant des Centuries. Ces textes là vieillissent souvent mal.

La prise de conscience de 1936

   Qu’est-ce qui pousse Le Cour à publier enfin ses travaux en 1937 ? Il s’en explique dans son Introduction, et l’idée subsiste d’une mouture à l’autre : il comprend enfin que la nouvelle Ere correspond au Second Avènement du Christ-Ganymède - à rapprocher du titre du livre L’Avènement de Ganimède (sic), personnage mythologique - ce qui était apaisant en ce que ses calculs ne débouchaient pas ainsi sur l’annonce d’une nouvelle religion. En tant que chrétien, Le Cour se trouvait ainsi apaisé. De fait, l’idée d’un retour de Jésus était un leitmotiv dans certains milieux catholiques, ce qui apparemment n’était pas le cas à Paray Le Monial, car dans ce cas pourquoi Le Cour aurait-il du attendre jusqu’en 1936 ?

   Dans la première version, Le Cour parle d’une « curieuse unité des traditions mythologiques, judaïques et chrétiennes ainsi que les données de l’astrologie religieuse », alors que dans une version plus tardive, il remplace mythologique par hellénique, terme qui désormais sera au coeur de son propos, notamment avec l’ouvrage Hellénisme et Christianisme (1943). Autant, la mythologie n’était-elle pas un concept suffisamment puissant pour asseoir le christianisme, autant ce sera, aux yeux de Le Cour, le cas en ce qui concerne l’hellénisme. Nous avons bien là affaire au parcours d’un autodidacte découvrant sur le tard certaines notions qui viennent marquer les étapes de sa pensée.

   Qu’est-ce que Le Cour a compris en 1936, qui aura provoqué peu après la publication de L’Ere du Verseau - livre et non plus rubrique dans Atlantis ? A Paray le Monial, l’idée d’un second avènement est bien connue, mais Le Cour n’avait probablement pas fait le lien entre cette attente adventiste et ère zodiacale, notion qui n’était pas usitée, stricto sensu, dans cette communauté de Bourgogne, quoi qu’ait pu laissé entendre Evelyne Latour.

   Certes, comme le note E. Latour, il y est fort question de la précession des équinoxes dans un article de la revue Politicon ("Huitième Protocole", 1<02, BNF, 4° R 1842) de Francis-André (Mme Bessonnet-Favre), mais d’une façon fort différente de celle de Paul Le Cour. En effet, pour l’auteur de Géodésie Politique. Les sept Eglises d’Asie ou révélations de la Mercaba des Chrétiens, la sixième période précessionnelle (25920 / 7 et non / 12) est celle de l’ « Ere chrétienne en laquelle nous sommes ». Reste une septième période « où se manifeste l’Esprit qui n’est pas encore venu et qui découvre l’occulte et dévoilera le caché ». Il est vrai qu’un peu plus loin, il est question de « la période de rétrocession d’un signe du zodiaque en vertu de la précession des équinoxes », à propos de la rencontre de Saturne et de l’étoile gamma de la Vierge, le Ier mars 228 avant notre ère : « il y a par conséquent 2130 ans. Si le même phénomène se produisait dans une trentaine d’années (donc vers 1932), le passage de l’astre dont le nom est synonyme de temps (Kronos) marquerait juste les 2160 ans ». L’auteur semble ne pas avoir parfaitement assimilé la notion de point vernal et ignorer que Saturne repasse tous les trente ans au même endroit du ciel (cf. notre étude sur ce Site consacrée à Brunton). En bref, nous ne souscrirons pas au jugement d’E. Latour selon laquelle Francis-André « est le véritable créateur de l’Ere du Verseau. Le Cour n’a trouvé que le titre (...) Elle devance de plus de 20 ans les Anglo-saxons dans ce domaine » (cf. « L’Ere du Verseau », Politica Hermetica, op. cit., p. 213), alors qu’elle n’emploie jamais le mot verseau, à la différence d’un Dupuis ou d’un Brunton. Francis-André ferait plutôt partie des « précurseurs de l’Ere du Verseau », pour reprendre le titre d’un ouvrage de la québécoise Marie-France James, elle greffe en effet sur la chronologie précessionnelle des spéculations religieuses, mais elle ne fait même pas référence à Dupuis et à sa théorie de la succession astrale des cultes qui reste la matrice du courant dans lequel s’inscrit Le Cour. Signalons que les thèses de Dupuis connurent une diffusion en diverses langues et notamment en anglais, comme en témoigne, dès 1799, l’ouvrage de Joseph Priestley (Remarks on Mr Dupuis’s Origin of all religions à la suite de A comparison of the Institutions of Moses with those of the Hindus etc, Northumberland, BNF, A 14154) et l’on peut raisonnablement penser que c’est à partir des thèses de Dupuis que les anglo-saxons se familiarisèrent avec le système que Le Cour, après un long détour, adoptera.

   En tout état de cause, la piste française n’est probablement pas la plus pertinente en ce qui concerne la dimension prophétique de la théorie précessionnelle du Verseau. Il reste que Le Cour a probablement pu récupérer certaines idées émises par les gens de Paray le Monial autour du précessionalisme. Si nous avons souligné (cf. notre étude sur ce Site concernant Brunton) l’existence de publications précessionnelles dans la France des années 1870, il semble bien que Le Cour puise dans une littérature anglo-saxonne (cf. l’article de David Williams, "le Verseau du XIXe siècle", dans ANEV), ce qui pourrait sembler paradoxal dans la mesure même où notre auteur développera des thèses hostiles au monde anglo-saxon. Or, il semble bien que les ouvrages - probablement dans la mouvance protestante, antipapale - dont il ait pris connaissance aient vu les choses sensiblement autrement qu’il ne le fera.

L’édition de 1942 de l’EVAG

   La Bibliothèque Nationale n’a pas l’édition parisienne de 1942 et la bibliothèque d’Atlantis est actuellement indisponible. Heureusement, nous avions eu l’occasion, antérieurement, d’en reproduire quelques pages (Cote SA 23) et notamment un paragraphe qui ne figurait pas en 1937 et qui ne sera pas conservé par la suite (pp. 30 - 31) ; il est intitulé : "La doctrine de la « Rénovation » du chanoine Chabauty", auteur bien connu de textes antisémites, de la seconde moitié du XIXe siècle. Le Cour cite dans ce même développement un autre chanoine, August Rohling, haute figure de l’antisémitisme allemand, dont Drumont avait rédigé une préface à son Juif du Talmud, et dont Le Cour cite un ouvrage paru en 1901 - Auf nach Zion oder die grosse Hoffnung Israels und aller Menschen (AIU, J 3867a) et publié l’année suivante en français sous le titre d’En route pour Sion ou la grande espérance d’Israël et de toute l’humanité, Paris, P. Lethielleux (AIU, J 4054 ) et qui, note Le Cour, fut « retiré du commerce à la demande de la Congrégation de l’Index, en 1909 ». Que lit-on dans En route pour Sion ? On y regrette la position antisioniste de l’abbé Lehmann, juif converti au catholicisme. Rohling analyse ainsi la situation et ce d’une façon que semble approuver Le Cour, quarante ans plus tard : « Beaucoup de juifs ne veulent certainement rien savoir de ce Retour, pour le moment, parce qu’ils se sont amassé de la fortune à l’étranger (sic) et qu’ils préfèrent leurs aises aux fatigues qu’il leur faudrait d’abord affronter pour cultiver leur patrie devenue stérilen » (p. IX). Rohling semble d’ailleurs reprendre une argumentation propre à L’Etat Juif (der Judenstaat) de Herzl, parue en allemand, cinq ans plus tôt : « Mais même ces Juifs aisés aimeront tout de même à y aller à leur tour, après que les éléments les plus pauvres et les plus énergiques auront de nouveau rendu habitable le sol de leurs Pères. Et ceux qui ne voudront pas y aller de leur plein gré y seront forcés plus tôt qu’ils ne pensent par la force sans cesse croissante des événements. » C’est ce prophétisme rohlingien que Le Cour prend à son compte.

   Signalons parmi d’autres auteurs mentionnés dans les bulletins d’Atlantis sous l’occupation, celui de René Irle, La Guerre de l’Apocalypse. Bientôt... ? Notre sublime délivrance, ouvrage qui paraîtra, à deux reprises, à Bordeaux, ville où était alors publié Hellénisme et Christianisme. Irle est notamment concerné par le bolchevisme juif combattu par le nazisme : « Antéchrist sera un produit (sic) JUIF, il s’agira donc d’un grand Chef juif (ou pro-juif) provenant des milieux bolchevistes. » ( Ed. 1944, p. 85).

   Enfin, que penser de cette déclaration de Le Cour en 1945 (Dieu et les Dieux, op. cit., p.111) : « Il y a lieu d’ajouter maintenant l’action du précurseur Jean ou Ioan, lequel s’efforce, comme il y a 2000 ans, de préparer les voies à Celui qui doit revenir. » Le Cour ne pensait-il pas être un nouveau Jean-Baptiste ?

Les retouches de Jacques d’Arès

   L’historien des textes est privilégié lorsqu’il parvient à se faire une idée de ce que l’auteur étudié - ou ses successeurs et disciples, tentent de dissimuler. L’exégèse a le plus souvent comme première motivation de brouiller les pistes ou en tout cas de faire dire au texte ce qu’il ne disait pas initialement voire de lui faire dire le contraire de son propos initial.

   Le cas Le Cour est un cas d’école, tant il est évident que certaines de ses déclarations ont gêné, parce qu’elles ne correspondaient plus vraiment à ce qui était bien pensant, intellectuellement correct. L’astrologue reste l’homme de son temps, avec ses mirages et ses fausses évidences. Jacques d’Arès (en fait, Jacques Anjourand (cf. Arès, Un siècle de vie culturelle, Arès, 1999, pp. 20 et seq), dont le nom de plume est issu du village d’Arès (Gironde), situé sur le bassin d’Arcachon, donnant sur l’Océan Atlantique où Paul le Cour avait créé, avant guerre, un centre de villégiature (camping), dont la mère de Jacques d’Arès, Suzanne Anjourand-Langlois était un pilier jusqu’à sa mort dans les années Soixante-dix (la "Pignada Atlantis", au 60, rue du 14 juillet, que nous avons visitée en août 2002 et qui existe toujours, occupée par des personnes qui furent proches de Le Cour, contrairement aux allégations d’E. Latour, même si elle n’a plus les activités d’antan), à partir de 1962, huit ans après la mort de Le Cour - « l’homme de l’Atlantide » - a eu l’occasion de corriger le tir, il l’a fait à sa manière. Cette présence de Le Cour, sur le bassin d’Arcachon, lieu ponctué par un jeu complexe de marées, dont la circulation en bateau dépend étroitement, pourrait avoir joué un rôle dans sa réflexion cyclique. Notons que l’organisation Atlantis repose géographiquement sur trois pôles : la région parisienne (Paris, Vincennes, avec la bibliothèque, les bureaux de la revue), la région d’Arcachon (Arès avec la Pignada Atlantis) et la région de Blois-Amboise (berceau des deux principaux animateurs qui se sont succédé, Jacques d’Arès n’ayant qu’une trentaine d’années àc la mort de PLC, la « succession » de ce dernier, pourtant de son vivant, au profit du « jeune » Jean-Marc Savary, en 1993, s’étant, elle, assez mal déroulée).

   Nous étudierons ainsi la façon dont J. d’Arès s’y prit, étant évident qu’il chercha, avec plus ou moins de réussite, à masquer les passages de Le Cour qui auraient pu choquer certains lecteurs, en donnant le change.

   Dans certains cas, d’Arès parvint à ses fins, en supprimant telle ou telle formule, dans d’autres, par négligence ou désinvolture, il laissa certaines lignes compromettantes, mais il pouvait tabler sur le manque de culture de ses lecteurs.

   Certes d’Arès, d’entrée de jeu, reconnaît-il, sans les énumérer, ses ajustements, mais est-ce que cela lui donne le droit, par exemple, de retoucher les préfaces de Le Cour ? Par ailleurs, il ne restitue pas le premier Le Cour, plutôt philosémite, ne rétablit pas certains passages favorables aux Juifs. A quoi parvient-il ? A un texte plutôt inconsistant, fait de diverses strates.

 & bsp; Quand Jacques d’Arès récapitule les ouvrages de Le Cour, à l’occasion de son centenaire, il prend quelque liberté : il indique pour 1937 : L’Ere du Verseau, le secret du zodiaque et le proche avenir de l’humanité (2e Ed 1941), etc (p. 332), alors que le titre d’origine est L’Ere du Verseau, l’avènement de Ganimède (sic). Il est vrai que seule l’édition de 1937 porta une référence à Ganymède, celle de 1942 s’appelle simplement L’Ere du Verseau, et elle ne date pas de 1941 mais de 1942. Idem pour la troisième édition, en 1949 et pour celle de 1962. C’est en fait le titre de 1971 (5e édition) lors du centenaire, que Jacques d’Arès impose cette année là dans sa bibliographie.

   En 1971, en effet, Atlantis ne pouvait pas ne pas célébrer le centenaire de son fondateur. Outre une nouvelle édition, à l’Omnium Littéraire, de L’Ere du Verseau, reprenant celle de 1962, la revue, dans son n° 263, allait s’y consacrer : "A la rencontre d’un maître Paul Le Cour".

   Un ensemble assez « lissé », mais avec tout de même deux fausses notes :

   D’une part, le rappel des incidents de 1946, avec le départ de Le Cour, au bout de 4 ans, du 40, rue des Ecoles, à proximité de cette Sorbonne où il avait mis, vingt ans plus tôt, son association sur res fonts baptismaux, « expulsé (...) à la suite d’un procès invraisemblable » (J. d’Arès, p. 333). Cette expulsion, nous en trouvons le détail dans plusieurs numéros de la revue, pour l’année 1946 : il s’agissait de restituer l’appartement dans le cadre de l’ordonnance de novembre 1944, « en faveur de la réintégration d’israélites » (n° 125). En tout état de cause, Le Cour, au lendemain de la guerre, continuait à considérer, dans sa revue Atlantis, que les principales puissances étaient « l’Amérique, la Russie et Israël », il mourra d’ailleurs en ayant assisté aux prémisses du rapprochement franco-allemand des années Cinquante (cf. en 1955, son témoignage posthume, Ma vie mystique).

   D’autre part, dans un article du même numéro du centenaire, l’abbé Jean Fonda écrit :

   « Un jour de 1954 (alors qu’) il savait que son départ était proche (...) il ne regrettait rien, car il prévoyait le déchaînement des forces sataniques qui veulent empêcher le retour du démiurge solaire. Pour la première fois, j’entendis parler des PROTOCOLES ; je les ai lus depuis, et j’ai compris ce qu’il voulait dire quand il parlait du détraquement de l’esprit humain.  » (Ma rencontre avec Paul Le Cour, p. 384).

   On aura compris que Le Cour s’était référé aux Protocoles des Sages de Sion, la bible de l’antisémitisme du XXe siècle (voir notre ouvrage Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, op. cit.), mais comment, encore en 1971, a-t-on pu laisser paraître un tel témoignage qui en dit long ?

   On peut parler d’un antisémitisme Le Courien, avec ses spécificités, son programme dont les thèmes principaux sont : que les juifs se rassemblent en Israël, que l’on cesse de relier le christianisme au judaïsme, Jésus n’étant de toute façon pas juif, pas plus d’ailleurs, affirme-t-il, que Nostradamus (cf. Atlantis, n° 125, septembre 1946), dont le nom même, n’est-ce pas, est révélateur de sa christianité et qui, à la Centurie VIII s’en prend à la synagogue (cf. notre ouvrage Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ramkat, 2002). Evelyne Latour qui reconnaît « une certaine violence dans L’Ere du Verseau, qui emprunte au Hiéron certain antisémitisme, dirait-on, mais plutôt faut-il comprendre antijudaisme, antipharisianisme (...). Dans l’Ere du Verseau, Le Cour oscille sans cesse entre Jésus écrasé sur sa croix, symbole d’une ère périmée et le Dieu vindicatif et cruel des Hébreux » (L’Ere du verseau, op. cit., p. 222). Nous ne partageons pas cet avis : Le Christ Roi de Le Cour n’est pas censé revenir au Dieu des Hébreux, appartenant à une ère de longue date révolue, celle du Bélier. Le Cour verra en 1943 / 1945 dans l’astrologie des astrologues un savoir hébraïque : « l’astrologie dite judiciaire, qui a tant de fervents, est rattachée aux doctrines des kabbalistes hébreux, comme le prouve (sic) l’importance accordée au Bélier, signe zodiacal de la religion de Moïse et le rôle secondaire donné au soleil mis au même rang que les six autres planètes » (Dieu et les dieux, Bordeaux, 1945, p. 153). Et plus loin, il précise : « Quant à l’hébraïsme, son ésotérisme se trouve renfermé dans la Kabbale qui est un mélange d’astrologie, de magie et de spéculations métaphysiques qui touchent à l’occultisme, si souvent maléfique » ( op. cit., p. 288). Par ailleurs, l’antisémitisme de Le Cour n’en est pas moins marqué par une opposition entre aryens et sémites, qui ne relève plus de l’antijudaïsme religieux. C’est ainsi que Le Cour traite d’Albert Einstein dont les travaux débouchèrent sur la bombe atomique : « Celui-ci qui appartient à la race juive, ce qu’il revendique avec fierté, se montre ainsi un des agents involontaires les plus actifs de cette puissance du mal. » (L’évangile ésotérique de Saint Jean, Paris, Dervy, p. 222 ). On notera que les éditions Dervy ont accueilli de Le Cour dans les années Cinquante des textes comme Hellénisme et Christianisme, que la présence allemande n’est plus là pour excuser, mais aussi une édition de L’Ere du Verseau comme le révèle un extrait du catalogue, figurant en quatrième de couverture des Manifestations posthumes. Mes rapports avec les invisibles etc, 1908 - 1918, de P. Le Cour, ouvrage paru chez Dervy en 1950. Nous n’avons pas eu à notre disposition cet exemplaire ; en revanche, nous possédons la copie de la troisième édition de 1949, parue aux Editions A.L.S.A., dans le IXe arrondissement, sous le nom de L’Ere du Verseau. Il semble donc que peu après l’ouvrage soit paru chez Dervy, puisqu’un ouvrage daté de 1950, on l’a vu, s’y réfère en en résumant ainsi le contenu : « L’ERE DU VERSEAU. Le secret du Zodiaque et le proche avenir de l’humanité. Comment tous les deux mille ans (sic) les religions et les civilisations changent. La seconde venue du Christ. Les signes avant coureurs de la transformation qui se prépare. La prophétie de Saint Malachie. Ceux qui seront épargnés, etc ». Cette notice montre bien que la durée des ères tend à passer, pour des raisons qui sont très vraisemblablement liées à l’approche de l’an 2000, de 2160 ans à 2000 ans.

   A la mort de Le Cour alias Pelekus (terme qui signifie en latin francisque, symbole de Vichy), en 1954, l’Ere du Verseau, revue par Jacques d’Arès, paraîtra à l’Omnium Littéraire, (1962, 1971), puis c’est à nouveau chez Dervy que sortiront les dernières éditions (1977, année du Congrès sur l’Ere du Verseau, 1995), et que sera édité Atlantis, mais aussi l’ouvrage de Jean Phaure, Le cycle de l’humanité adamique, préfacé par Jacques d’Arès (1973, 1975, 1983), qui déclare que l’ouvrage de Le Cour peut lui servir d’introduction.

   Cette fois, l’ouvrage comportera un sous titre qui n’est autre que le début du descriptif du catalogue Dervy de 1950 : L’Ere du Verseau. Le secret du zodiaque et le proche avenir de l’Humanité. En ce qui concerne les liens qui unirent, tout au long du dernier demi-siècle Dervy et Atlantis, avec une interruption d’un quart de siècle environ, il convient de préciser que la mère de Jacques d’Arès avait participé à la fondation de cette maison d’édition, après la guerre.

   Il y a là nous semble-t-il, une forme de négationisme de l’apport juif au niveau eschatologique et (néo) prophétique, ce qui revient à expulser les juifs- et ce qu’il en restera après la Shoa - de l’univers tant intellectuel que physique de l’Occident, la Palestine étant considérée géographiquement comme relevant de l’Orient. Le Cour serait ainsi celui qui met fin à cette dérive de la présence juive en des lieux où elle n’a (plus) rien à faire (cf. R. Amadou, « Paul Le Cour, précurseur de l’ère du Verseau », L’Autre Monde, n° 109, Août 1986, pour le soixantième anniversaire de la fondation de la revue Atlantis).

Le projet Aquarius

   Comment en vint-on à organiser en septembre 1977 un congrès sur l’Ere du Verseau ? Il conviendrait préalablement de faire le point sur le phénomène des congrès au milieu des années soixante-dix. Dix ans plus tôt, une telle manifestation aurait été inimaginable. On peut d’ailleurs penser que ce congrès deviendra la référence pour tous les congrès qui seront organisés par la suite, durant les vingt cinq ann&ea&ute;es qui suivront. En ce sens, le Congrès de septembre 1977, par delà le thème choisi, fut le vecteur d’une nouvelle culture pour le milieu astrologique français, qui pourrait, par certains aspects, être considérée comme aquarienne, pour recourir à une symbolique Verseau.

   Depuis trois ans - 1974 - des congrès avaient commencé à se tenir, notamment à Paris mais aussi en province (cf. Le Guide de la Vie Astrologique, Paris, Trédaniel, 1984). Le congrès de septembre 1977 bénéficia de la synergie entre le Mouvement Astrologique Unifié (MAU) ; de Jacques Halbronn (né en décembre 1947) la revue L’Autre Monde de Roger Faloci et l’association / revue Nouvelle Acropole de Fernand Schwarz (né en 1951, à Buenos Aires). Les actes du Colloque, parus, en 1979, le furent d’ailleurs dans le cadre d’un accord Editions de l’Albatros (de Bertrand Sorlot) - L’Autre Monde.

   Le congrès se tint dans la grande salle du Foyer International d’Accueil de Paris (FIAP), lieu où se tenaient également, sur une base hebdomadaire, les cours d’astrologie de la Faculté Libre d’Astrologie de Paris (FLAP), organisme généré par le MAU.

   Parmi les intervenants au Congrès, un Robert Amadou et un Jean Phaure, tous deux proches du courant Atlantis, avaient déjà participé à des activités du MAU, l’un en intervenant en mai 77 à un précédent colloque, l’autre en assurant une série de cours à la FLAP et à la Nouvelle Acropole. La présence de Jacques d’Arès, responsable d’Atlantis, au Colloque, était significative.

   L’année scolaire 1977 - 1978 allait être assez remarquable en matière de congrès. Signalons notamment le Congrès Astrologie et Science articulé autour de Michel Gauquelin et de Jean-Pierre Nicola et dont Yves Lenoble fut un des animateurs, ou encore le Congrès de Saint Maximin qui réunit en Provence tout le gratin de l’astrologie européenne. Un an après le Congrès sur L’Ere du Verseau, au tout début de septembre 1978, un congrès international sur l’enseignement de l’astrologie aurait lieu dans les locaux de la Nouvelle Acropole. Le Congrès sur l’Ere du Verseau fut en fait le premier de trois volets organisé, en moins de six mois, par la troïka MAU - Autre Monde - Nouvelle Acropole (le 2e « Pratiques de l’astrologie » et le 3e « La Grande Conjonction » (on en trouvera les échos dans la revue L’Autre Monde). La Société Française d’Astrologie (SFA, ex CIA, Centre International d’Astrologie) allait également tenir un Congrès au début de 78, à Paris et poursuivrait son effort annuellement, des années durant.

Le temps du nouvel Aquarius

ANEV

   En 1979, nous avons publié Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau, aux Editions de l’Albatros, dirigées par Bertrand Sorlot, dont le père avait édité Mein Kampf, d’un certain Adolf Hitler, aux Editions Latines, avant guerre. Mais nous n’avions pas accordé plus d’importance que cela à une telle filiation tout comme ceux qui se servent de Pluton ne pensent pas que cet astre intéressa avant tout les astrologues allemands, dans l’attente d’un « Ordre Nouveau », au cours des années Trente (cf. La vie astrologique, années trente-cinquante, Paris, 1995). L’astrologie n’a pas d’odeur !

   La lecture de notre présentation d’alors, reproduite en annexe, "Le sphinx des astrologues", révèle une certaine méconnaissance des tenants et des aboutissants de ce à quoi avait servi, quelques décennies plus tôt, la théorie des ères précessionnelles, mais trahit aussi un certain embarras à une époque où nous étions encore victime du préjugé antisidéraliste. Cependant, on trouve dans notre introduction une mise en garde, plus propre au sociologue qu’à l’historien :

   « Il est probable que dans le cas de l’Ere du Verseau, chacun est enclin à projeter ses intuitions personnelles : se sent-on en divorce par rapport au monde moderne et celui-ci est dès lors chargé de connotations apocalyptiques, catastrophalistes. Au contraire, entretient-on une image d’une génération en pleine possession de ses moyens (l’aventure spatiale par exemple et non plus Hiroshima), cela montrera, sans doute, que des temps bénis et attendus sont enfin arrivés (...) Il n’est pas toujours facile de distinguer entre une période de crise, provoquée par un changement, un enfantement d’un nouvel âge et qui n’augure pas de l’époque qui s’annonce et entre une phase particulièrement sombre et dans laquelle on s’installerait pour des siècles » (p. 17)

   En tant que juif, nous n’avions nullement conscience, alors, du lien qui avait pu exister chez Le Cour, la figure emblématique de l’aquarisme en France, avec le fascisme et en particulier avec l’antisémitisme, sous sa forme la plus radicale. Disons que, pour le moins, la naissance du précessionnalisme aquarien, en France, épousait l’antisémitisme des années Trente qui se projetait ainsi dans sa formulation. Il va de soi qu’il n’y a pas de raison pour que cette théorie des ères ne se concilie pas, tout au contraire, sous le signe d’Aquarius, avec une nouvelle mission des Juifs, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Saint Yves d’Alveydre. Cela dit, Le Cour incarne, pour le pire et le meilleur, une eschatologie chrétienne qui passe par l’avènement de l’Antéchrist et le retour du Christ, un tel bagage faisant souvent défaut aux astrologues d’aujourd’hui, ce qui les conduit à se projeter sur l’avenir plutôt qu’à assumer les promesses et les menaces d’antan.

   Est-ce que l’ANEV continue à véhiculer un certain antijudaïsme voire un certain antisémitisme ? Il semble bien que rien de tout cela n’est plus désormais avouable, car la France des années Soixante-Dix s’interdit certains propos. En outre, le passé quelque peu sulfureux de l’ouvrage de Le Cour n’est pas signalé par les diverses contributions à ce collectif. On préféra y parler du passé lointain que du passé proche.

   On notera en tout cas que ceux qui traitèrent, dans l’ANEV, de l’ère du Verseau évitèrent scrupuleusement de recourir à la question juive pour mettre en perspective leurs prévisions, ce dont Le Cour, on l’a vu, ne s’était pas privé. Il semble que le temps des polémiques antichrétiennes et antijuives ait été révolu et que les astrologues de la fin des années Soixante-dix aient cherché à jouer plutôt la carte technologique qu’idéologique. A chaque génération ses mythes.

   La référence, dans les années Soixante-dix, à Le Cour n’implique pas qu’on l’ait lu et encore moins compris : parmi ceux qui prôneront alors l’ère du verseau combien se situent dans une perspective chrétienne, combien envisagent le retour du Christ ? Pour notre part, nous ne nous serions certainement pas « mouillé » en nous associant à ce thème qui d’ailleurs à l’époque ne nous était pas familier. Or, force est de constater que la véritable contribution de Le Cour à la question des ères précessionnelles réside dans un tel rapprochement qui rend cette théorie astrologique acceptable par les Chrétiens et qui, en outre, annonce que les Juifs, enfin, quitteront les terres chrétiennes, alliant ainsi sionisme et second avènement de Jésus Christ (Christ, en grec oint, messie). Tout s’emboîte désormais à merveille : les Juifs se hâtent vers Sion comme il est dit dans les Ecritures et Jésus va revenir. Il semble qu’il aura fallu une telle exaltation des esprits catholiques et antisémites, à la fin des années Trente, exaltée par la défaite de la France, pour que l’idée du Verseau prenne tout son élan. Par la suite, une version édulcorée, où chacun projettera ce que bon lui semble s’imposera. En pratique, schéma tripartite : avant l’ère chrétienne, pendant l’ère chrétienne, après l’ère chrétienne, de là naîtra le New Age. Dire, comme le soutiendra par la suite Jacques d’Arès, que personne en 1937 n’avait entendu parler de l’Ere du Verseau constitue un contresens, car c’est la lecture chrétienne ou néo-chrétienne que fait Le Cour de la précession qui constitue un événement, l’astrologie se mettant ainsi au service de l’eschatologie chrétienne. Il est un fait que l’approche le courienne a pu familiariser et intéresser au précessionalisme un milieu social plus large, en une sorte de positivisme religieux, où science et religion semblaient pouvoir enfin se conjuguer. Signalons en 1939, la traduction française par Colombelle de The Gospel of Aquarius, de Dowling alias Lévi (1844 - 1911), sous le titre de L’Evangile du Verseau, expression que l’on retrouvera dans les éditions arésiennes de L’Ere du Verseau. Cet ouvrage, selon l’historique de C. Lazarides (Vivons-nous les commencements de l’Ere des Poissons ?, 1989, op. cit., p. 64), daterait de 1908 - 1909. On en a conservé une édition, à la BNF (8° D2 455), datant de 1920, et dont le titre complet est The Aquarian Gospel of Jesus the Christ. The philosophic and pratical basis of the religion of the Aquarian Age of the World and of the Church Universal. Les Anglo-saxons ont forgé l’adjectif aquarian et même piscean, alors qu’en France, signe d’un moindre impact, le zodiaque n’est guère adjectivé. Lazarides signale notamment de H. Künkel, Das grosse Jahr, 1922. On notera que, sur le plan prophétique, les années Vingt sont plus déterminantes que les années Trente: elles font suite au carnage de la Grande Guerre, à la Révolution d’Octobre et au mandat britannique sur la Palestine dont la vocation est de rassembler les juifs du monde entier. C’est également, dans cette décennie, que les Protocoles des Sages de Sion vont paraître en français et en anglais (cf. notre ouvrage, Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, op. cit.).

Le Cour au prisme de l’ANEV

   Deux collaborateurs proches d’Atlantis ont contribué à l’ANEV, en 1979, vingt cinq ans après la mort de Le Cour : Jacques d’Arés, né en 1925, et depuis 1953, secrétaire général de l’association (loi de 1901) Atlantis et Jean Phaure. Comment ont-ils abordé l’oeuvre de PLC, en ont-ils, pour la bonne cause, occulté certains aspects au lieu de les assumer ? Nous reproduisons leurs contributions en annexe.

Jacques d’Arès (L’ère du Verseau. L’héritage de Paul Le Cour)

   Ce qui frappe, dans ce texte, c’est que l’on a l’impression que Le Cour a tout inventé, qu’il n’y avait rien avant lui, l’auteur ne cite aucun antécédent au précessionalisme le courien.

   Désormais, on passe sur la dimension idéologique du message de Le Cour pour lui attribuer - ce qui n’est nullement son dû - un mérite au niveau de la modélisation : « Il mit en lumière le rapport existant entre la représentation des signes zodiacaux et le symbolisme religieux des périodes correspondantes. » (p. 28) Quel rapport avec l’astrologie ? Il appartiendra à Paul Le Cour (...) de découvrir, de manière magistrale, le lien extraordinaire qui demeurait invisible. » On a l’impression que Jacques d’Arès n’a jamais lu L’Origine de tous les cultes de Dupuis, pourtant maintes fois réédité, mais ouvrage auquel Atlantis - du temps de Le Cour et après - n’accorda guère d’attention.

   Insistant à juste titre sur le rôle de la revue et de son impact bien avant 1937, date à laquelle parait l’ouvrage auquel d’Arès attribue un titre qui n’était pas le sien mais celui que lui-même élabora bien plus tard, après la mort de l’auteur : L’Ere du Verseau. Le secret du zodiaque et le proche avenir de l’humanité.

Jean Phaure, Panorama de la fin des temps

   Né en 1928, son nom est mis en avant dans son article de l’ANEV par Jacques d’Arès qui rappelle que ses ouvrages ont d’abord été des articles dans Atlantis. D’entrée de jeu, Phaure se réfère à René Guénon( cf. R. Guénon, « Atlantis et Hyperborée », Formes traditionnelles et cycles cosmiques, Paris, Gallimard, 1970) qui fut fort maltraité par Le Cour, en raison de son penchant pour l’Orient. En revanche, on trouve dans le propos de Phaure des intonations le couriennes, lorsqu’il parle de la présence du mal dans le monde. Phaure est plus proche de la vérité que Jacques d’Arès quand il situe l’apport de Le Cour sur le plan christique :

   « C’est ce dont Paul Le Cour a tant parlé dans l’Ere du Verseau, c’est le Grand Avènement du Verbe sur la Terre, non plus Jésus crucifié mais le Christ triomphant, le Christ en gloire, tel que depuis mille ans nous le voyons sculpté sur le tympan de nos églises romanes.  »

   Certes, l’Ere du Verseau selon Le Cour s’inscrit dans une tradition catholique alors que l’Aquarius Age anglo-saxon et non sans rapport avec les spéculations des Témoins de Jéhovah, serait plutôt protestant.

Le dyptique le courien

   On a parfois l’impression que certains ouvrages sont complémentaires un peu comme ces produits qui ne deviennent dangereux que combinés et qui, chacun séparément, apparaissent comme inoffensifs.

   Comment faut-il lire L’Ere du Verseau de Le Cour ? Il nous semble avoir montré que la face cachée de ce texte serait du même auteur, à savoir Hellénisme et Christianisme (ouvrage cité par E. Latour, pp. 221 - 222, mais sans signaler la première édition, parue pendant l’Occupation) avec lequel il formerait un diptyque. D’ailleurs, ces deux livres paraîtront conjointement tant sous l’Occupation (en 42 et 43) qu’au lendemain de la guerre (en 49 et 51), et dans ce dernier cas sans l’excuse de la présence nazie. Mais on peut aussi se demander si on ne trouve pas chez Le Cour, lecteur de Mein Kampf, à l’arrière-plan, un autre mélange détonant, qui associe antijudaïsme chrétien traditionnel, nourri de l’Apocalypse, reliant déicide et Antéchrist, et Protocoles des Sages de Sion, ouvrage cher à un monseigneur Jouin que fréquenta, un temps, Le Cour, largement diffusé en France dans les années Trente et Quarante.

La contribution de l’ANEV

   Quelle aura été, en définitive, la contribution de ce collectif de 34 textes (à paraître sur ce site en 2003) à la question précessionnelle en général et aquarienne en particulier, le paradoxe étant que la plupart des contributeurs étaient des tropicalistes, ce qui les conduisit à privilégier le caractère virtuel du symbole Verseau sur le substrat astronomique ? Autrement dit, ne sommes-nous pas là en plein syncrétisme, les mêmes signifiants ne renvoyant pas aux mêmes signifiés, ce qui fait le jeu des partisans d’une astrologie non physiciste ? On notera que l’argument anti-astrologique de la précession des équinoxes se voit ainsi intégré - exorcisé ? - par la pensée astrologique contemporaine. L’Ere du Verseau serait un enterrement de première classe du sidéralisme, dans la mesure où personne n’est disposé à basculer vers un stellarisme du moins dans sa pratique horoscopique, ce qui vient, en quelque sorte, renforcer le clivage entre une astrologie mondiale et une astrologie individuelle, l’une qui serait peu ou prou sidéraliste ou du moins non-zodiacale, l’autre, l’horoscopique, tropicaliste.

   Robert Amadou - qui exigera de l’éditeur une édition séparée et corrigée de son texte - La précession des équinoxes. Schéma d’un thème astrosophique - et qui plus est ne faisant plus référence à l’ouvrage (ANEV), mais seulement au congrès du MAU de 1977 - est parfaitement à son aise pour faire le grand écart et concilier par l’absurde des postures doctrinales - tropicalisme et sidéralisme - apparemment incompatibles. Peut-on pour autant affirmer que la précession des équinoxes était connue bien avant Hipparque puisque les cultes auraient évolué avec celle-ci, notamment, au troisième millénaire avant l’ère chrétienne, lors du passage du Taureau vers le Bélier, dans des temps bien plus reculés (cf l’article de l’astronome Filipoff, dans la Revue Scientifique, 1931, accusé par Le Cour de s’être inspiré de lui sans le citer, d’avoir utilise un de ses textes paru dans Atlantis d’avril 1930 sur « Virgile et l’énigme de la IVe Eglogue », à propos de la précession) qui, selon nous, aurait conduit à faire attribuer l’exaltation du soleil non plus au Taureau, mais au Bélier - d’où une permutation des fiefs des luminaires - tout en laissant son domicile au Lion au lieu de passer au Cancer, le dispositif des dignités / maîtrises, et à sa suite celui des aspects, s’en trouvant ainsi tout chamboulé ? Il se trouve que nous n’avions pas, à l’époque, fait le rapprochement entre ce que nous écrivions, dès 1976, dans Clefs pour l’Astrologie et le problème de la précession.

   « O combien, en effet, il apparaîtrait, la tradition astrologique antique aurait-elle été affectée par la prise en compte, ne serait-ce qu’empirique, de la précession des équinoxes ? Mais affirmer que les hommes auraient construit leurs cultes sur l’évolution du point vernal ne va-t-il pas à l’encontre d’une astrologie qui s’imposerait inconsciemment, à son insu, à l’humanité ; est-ce que cela ne vient pas apporter de l’eau au moulin de la thèse projectionniste, chère à Bachelard, sauf à admettre que ce changement de repère zodiacal se serait imposé à la psyché humaine ? »

   On est frappé par cette oscillation constante, chez les « membres » de l’ANEV entre repère astronomique et historique : tantôt, les temps sont venus parce que c’est inscrit dans le ciel, tantôt, les événements politiques démontrent que l’on change d’ère précessionnelle. Et cela est d’autant plus patent que l’on a affaire à un référentiel astronomique assez flou, à savoir la frontière entre deux constellations, aux contours arbitraires. D’ailleurs, le passage d’un signe zodiacal à l’autre est des plus délicats en astrologie, y compris chez les tropicalistes : car si les étoiles et les planètes sont une réalité, voire même les saisons, qu’en est-il d’une division en douze, dès lors que l’on ne s’appuie pas explicitement sur le cycle soli-lunaire ? Nous avons toujours été incommodé par ce couperet qui fait que telle planète, à une minute d’arc près, est considérée comme étant dans un signe ou dans le suivant. C’est là que l’on saisit la tension entre les exigences et les contraintes du langage et la fluidité, la porosité, du réel, entre le cloisonnement des signes et la souplesse des orbes entre planètes, sans oublier le phénomène de la rétrogradation. En tout état de cause, une chose est de localiser le repère, une autre de déterminer à partir de quand l’approche du dit repère exerce des effets, par anticipation, d’où des notions comme la « rivière du Verseau », « l’aube du verseau » (cf. notamment, les textes de Brahy, « Le monde du verseau », et de A. Delalande, « Le temps urnal », ANEV).

   Réflexion faite, les astrologues sidéralistes n’ont que faire de la précession des équinoxes : ils en restent à calculer le découpage des douze signes à partir d’une étoile de la constellation du Bélier, à l’instar des astrologues de l’Inde. Or, il semble bien qu’initialement, en Inde, c’est une étoile de la constellation du Taureau qui jouait ce rôle. Dès lors, le fait est qu’en pratique, les astrologues occidentaux articulent désormais leur zodiaque sur une étoile située à la frontière entre la constellation des Poissons et celle du Verseau, étant entendu que l’étoile de repère change au fur et à mesure que le point vernal terrestre se déplace par rapport à la sphère céleste.

Les inventeurs de l’ « Ere du Verseau  »

Dupuis
Frontispice tiré des
Planches de L’Origine de tous les cultes du Citoyen DUPUIS
(Paris, Chez H. Agasse, An III de la République)

   Quel aura été, en fin de compte, l’apport de Paul Le Cour à l’ « idée de l’Ere du Verseau » qui, selon E. Latour, « remonte au début du XXe siècle et se développe dans les années 1920, grâce à Alice Bailey, Van de Kerckhove dit S. U. Zanne, Francis Rolt-Wheeler, Paul Le Cour, entre autres » (cf. « L’Ere du Verseau », Politica Hermetica, op. cit., p. 205) ? D’emblée, il est évident que les calculs consacrés à la date de la période précessionnelle du Verseau datent de la fin du XVIIIe siècle. En ce qui concerne, en revanche, ce que l’on a projeté sur cette nouvelle ère, notamment dans une perspective chrétienne voire plus spécifiquement catholique, il semble que (cf. J. Halbronn, La vie astrologique, années trente cinquante, op. cit., pp. 68 - 77), le basculement se fait lorsque l’on s’efforce de transformer une théorie qui valait surtout pour le passé et qui signalait surtout que les religions s’étaient laissé délibérément influencer par le référentiel céleste en une prophétie pour l’avenir, à caractère transcendantal et inconscient. C’est cette prophétisation de la précession des équinoxes en général et de la période du Verseau, en particulier, qui est en effet à situer au début du XXe siècle. En tout état de cause, ce sont d’abord, des deux côtés de l’Atlantique, les milieux protestants aux Etats Unis et catholiques en France, notamment, qui auront participé à une telle prophétisation, dans la première moitié du XXe siècle, avant que l’Ere du Verseau ne devienne, dans la seconde partie du XXe siècle, l’emblème de marginaux, étrangers, le plus souvent, aux institutions religieuses établies, en un mouvement répertorié sous le nom de Nouvel Age et dégagé des spéculations antéchristiques et antisémites qui avaient marqué l’émergence de la prophétie de l’Ere du Verseau. On peut donc dégager, sur deux siècles, trois étapes : la première, chronologique, rétrospective, s’inscrivant dans les études d’Histoire des Religions, autour de Charles François Dupuis à Thomas Brunton (sur ce dernier, cf. notre étude "Newton" sur le Site du CURA), la deuxième, théologique, liée aux attentes messianiques, recourant aux grands thèmes de l’eschatologie chrétienne, et dont Le Cour est, certes, une figure significative, la troisième, utopiste, appropriée, récupérée, d’une façon que l’on pourrait qualifier de syncrétique, en raison de la juxtaposition des référentiels tropicalistes et sidéralistes, par les milieux astrologiques, comme en témoigne l’ANEV, jouant sur des variations symboliques, mythologiques voire néo-paganistes. On notera que l’on tend de nos jours à associer le début de la nouvelle ère avec la fin du XVIIIe siècle - surtout chez ceux qui ont attribué Uranus, découvert en 1781, à ce signe. Or, c’est bien alors que l’on commence à aborder la dimension cultuelle et culturelle de la précession des équinoxes. Mais Dupuis, au travers de son système, adopte une posture franchement antichrétienne et en tout cas relativiste, dans la mesure où il tente de démontrer la permanence des représentations célestes et ce quel que soit le culte.

   Ainsi cet extrait de L’Origine de tous les Cultes (1794), reparu en 1904, à Papeete (Polynésie française), Christolatrie équinoxiale. Explication de la fable faite sur le soleil adoré sous le nom de Christ, qui comporte les lignes suivantes :

   « Après avoir, j’ose dire, démontré que l’incarnation du Christ est celle du soleil, que sa mort et sa résurrection ont également le soleil pour objet et qu’enfin les chrétiens ne sont dans le fait que des adorateurs du soleil comme les Péruviens (...) je viens à la grande question de savoir si Christ a existé oui ou non. Si dans cette question, on entend demander si le Christ, objet du culte des chrétiens est un être réel ou un être idéal, évidemment il est un être réel puisque nous avons fait voir qu’il est le soleil (...) Si l’on demande s’il a existé un homme, charlatan ou philosophe, qui se soit dit être Christ (...) peu importe à notre travail qu’il ait existé ou non. Néanmoins, nous croyons que non. » (BNF, D2 17609, p. 72)

   Paul Le Cour, un siècle et demi plus tard, à l’instar de Dupuis, militera en faveur d’un dieu solaire dont les avatars, les manifestations, seraient zodiacaux.

   Il nous semble donc que c’est bien à la veille de la Révolution Française que la théorie précessionnelle aura été la plus prégnante, la plus active, qu’elle aura, éventuellement, influé sur les esprits tandis que son rôle dans les années Trente du XXe siècle n’aura consisté qu’à orchestrer un processus politique probablement d’ailleurs imité peu ou prou du modèle de 1789 alors même que le christianisme a intégré les forces qui étaient censées le déstabiliser : Le Cour n’incarnerait alors qu’une sorte de « contre-réforme » face à un Dupuis qui serait une sorte de Calvin. Auguis, son biographe (cf. « Notice biographique sur la vie et les écrits de Dupuis », en tête de l’édition de 1822 de L’Origine de tous les Cultes, p. XI) rapporte :

   « L’abbé Leblond (par ailleurs collaborateur de De l’aulnaye, cf. La vie astrologique, il y a cent ans, Paris, Trédaniel, 1992 et L. Winckler, L’ère du verseau. Défis pour les temps à venir, Auxerre, Ed. Des trois monts, 1999) alla au club des Cordeliers annoncer L’Origine des cultes, comme un ouvrage dont la publication intéressait l’esprit humain (...) »

   C’est sous les auspices de la tourmente révolutionnaire que parut L’Origine des cultes en trois volumes in 4° et un atlas, mais aussi en douze volumes in 8°, la même année 1794. Un Club qui comporta notamment Danton, Marat, Desmoulin, Hébert et qui péricliterait d’ailleurs peu après la parution de l’ouvrage de Dupuis. Signalons que l’ouvrage aurait pu paraître à Berlin, à la demande de Frédéric II de Prusse, mais celui-ci mourut en 1786, ce qui montre qu’il était probablement déjà prêt à cette époque. En tout cas, Dupuis va bientôt figurer, en bonne place, comme un des pourfendeurs du christianisme, comme en témoigne, en 1858, un article paru dans la Revue de l’Anjou et du Maine, III, « Monothéisme du peuple juif, ses explications : Voltaire, Dupuis, Cousin, Renan, Littré. » (BNF, A 8468)

   On sait que l’on accuse (cf. les thèses d’un Barruel) les francs maçons d’avoir préparé la Révolution : Dupuis était lié à ces milieux. Son système a pu tout à fait contribuer à persuader les esprits qu’astronomiquement, il était temps de passer à autre chose, ce qui est le sens propre du mot « révolution », emprunté à l’astronomie et qui signifie fin de cycle et donc début d’un nouveau. Dupuis, certes, ne raisonnait pas comme un astrologue : il n’affirmait pas que le changement était inscrit dans le Ciel comme une fatalité, mais qu’il y avait comme une sorte de Loi des cultes que les hommes avaient toujours respectée, à laquelle il convenait de se conformer, et qu’il appelait Religion Universelle. Et, le tableau de Delaulnaye, qui en est contemporain, montre à l’évidence que ces temps nouveaux étaient bel et bien désignés comme étant ceux du Verseau. Que par la suite, on ait repoussé la date d’un tel changement ne saurait surprendre l’historien du prophétisme : le texte prophétique est, en effet, à la fois, voué à être antidaté et à se situer dans une logique déterminée longtemps à l’avance, ce qui est ici le cas d’une théorie qui s’appuie sur une pratique religieuse plurimillénaire, remontant à la nuit des temps et à la fois de préserver une certaine force prédictive, alimentant ainsi une tension, une attente. En ce sens, L’Ere du Verseau de 1937 ne serait qu’un avatar, une resucée, de L’Origine de tous les cultes de 1794, publiée au lendemain de l’exécution de Louis XVI, mais dont des éléments étaient parus dès les années 1777 - 1781, donc avant la Révolution. On ne peut d’ailleurs ignorer ce qui rapproche ces deux époques qui virent les frontières de la vieille Europe balayées comme si la nouvelle ère exigeait aussi la fin des cloisonnements nationaux et la résorption de la question juive, selon des procédés, il est vrai, fort différents. Et bien entendu, seront filles du révolutionisme français les révolutions russes de 1905 et de 1917 (sur la dimension prophétique de cette période charnière, voir notre ouvrage, Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, opus cité).

Jacques Halbronn
Paris, décembre 2002



 

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