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Editions RAMKAT




AQUARICA

3

Repenser l’Ere du Verseau à l’aube du XXIe siècle :
de la prophétie à l’utopie

par Jacques Halbronn

   Dans l’étude qui suit, l’auteur aborde notamment la question délicate du « féminin», laquelle lui semble un enjeu majeur des attentes du IIIe millénaire et qui relève, selon lui, largement du mythe.

« Le divin perd son caractère de réalité séparée et transcendante : Dieu se confond alors avec l’homme.
L’altérité cède la place au fusionnel. »

(Michel Lacroix, L’idéologie du New Age, Paris, Flammarion, 1996, p. 35)

« Du fait que le concept “Dieu” est par définition opposé au concept “homme”, l’idée d’un homme divin ou d’un Dieu humain serait une contradiction dans les termes, une impossibilité fondamentale pour les Musulmans. »
(Jacques Waardenburg, Islam et Occident face à face, Genève, Labor et Fides, 1998, p. 43)

    A la veille des années Quatre Vingt paraissait Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau (1979) qui invitait une trentaine d’astrologues à exprimer leur conception du monde au prétexte de l’échéance aquarienne. Un quart de siècle plus tard - le Congrès qui en fut la matrice date de 1977 - tentons de réfléchir au contenu philosophique et anthropologique de cette oeuvre collective et sur le bien-fondé d’une telle entreprise.

   On a déjà signalé, ailleurs, les graves lacunes historiques qui étaient celles du milieu astrologique dans les années Soixante Dix, à savoir une ignorance à peu près totale de la genèse du précessionalisme aux XVIIIe et XIXe siècles, alors que la décennie suivante allait être riche en découvertes de la part notamment de Robert Amadou (dans les Cahiers Astrologiques (1980) et dans L’Autre Monde (à partir de 1986), revue qui avait été en 1977 - 79 le partenaire de la publication en question) et de Christian Lazarides (1989), nos propres contributions datant, pour leur part, des années Quatre Vingt Dix (dans le cadre des coéditions La Grande Conjonction-Guy Trédaniel de 1992 à 1995), ainsi que celles d’Evelyne Latour (dans Politica Hermetica, 1998) et de Claude Rétat (« Lumière et ténèbres du citoyen Dupuis », Chroniques d’histoire maçonnique, 50, 1999).

   Mais nous souhaitons ici aborder d’autres aspects qui ne relèvent pas de la recherche bibliographique, à savoir le sens même de l’approche aquarienne. Or, dans le domaine du rapport de l’astrologie à l’Histoire des civilisations, le bilan de la parution d’Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau (ANEV) semble plus médiocre et ne pas avoir suscité un approfondissement significatif.

I - La valeur heuristique de l’approche aquarienne

   S’il nous est difficile de conférer quelque crédit à une représentation de l’Histoire des Religions telle qu’elle se dégage de la théorie précessionnelle, axée sur la succession des cultes animaux, en revanche, il nous semble que ce système a une valeur heuristique en ce qui concerne l’étude de l’émergence du christianisme du sein du judaïsme et celle de l’évolution qui pourrait marquer le Troisième Millénaire. Au couple Taureau / Bélier, nous préférerons le couple Poissons / Verseau. Autrement dit, il semble que l’on ait fait cohabiter dans le discours précessionnelle d’une part une présentation assez primaire et probablement caduque de la succession des cultes (du bélier et du taureau) et d’autre part une mise en perspective éclairant les mutations propres à notre civilisation depuis 2000 ans.

   C’est ce second volet qui nous retiendra. La mutation qui s’opère avec l’apparition de la doctrine chrétienne nous interpelle en effet dans le cadre d’une réflexion sur le rapport créateur / création / créature et nous la voyons se renforcer actuellement toujours autour d’une problématique du créant / crée. Et c’est ainsi que si le premier volet de la théorie des ères est rétrospectif, le second volet a des vertus prospectives.

   Cette mutation qui est esquissée dans le propos aquarien, quelle est-elle ? Celle, précisément, selon nous, d’un refus de maintenir le clivage et le fossé entre Dieu et l’Homme. Le personnage de Jésus n’incarne-t-il pas la remise en question par excellence de ce qui serait supposé séparer l’Homme de son Créateur, attitude farouchement dénoncée par le judaïsme ? Jésus fils de Dieu et non plus l’Homme crée par Dieu. Le fait de poser cette filiation tiendrait au refus de confondre Dieu et ce qui a été crée à son image, mais qui n’est que cela et pas davantage. L’Islam semble d’ailleurs s’être construit au VIIe siècle en réaction contre une telle proposition.

   Il convient donc de nous interroger sur une telle dialectique entre Créateur et Création, et le XXIe siècle nous familiarisera plus que tout autre avec celle-ci, nous qui vivons dans un monde de plus en plus marqué par la technologie. Un tel sujet n’est nullement extérieur à l’astrologie dès lors que l’on admet que le rapport de l’Homme aux astres est un artefact, une instrumentalisation de certains rythmes de la Nature aux fins de générer un modèle de structuration sociale de certaines sociétés humaines.

   Aussi, pensons-nous que l’aquarisme devrait nous inviter à réfléchir sur les rapports ambigus que tout Créateur entretient avec sa Création. Processus mimétique où l’Homme tente de dessiner son autoportrait, c’est-à-dire qui le conduit à s’auto-imiter. La machine relève, en effet, de l’auto-imitation, c’est-à-dire qu’elle n’imite que dans la mesure où son modèle - l’Homme - y consent et y contribue pour la plus grande part.

   Mais qu’en est-il du rapport entre Dieu et l’Homme, tel qu’il est posé par le judaïsme puis par le christianisme ? L’Homme, donc, fut crée, dit le Livre de la Genèse, à l’image de Dieu qui ensuite, au septième jour (shabbat), put ainsi se reposer puisque l’Homme pouvait désormais le remplacer.

   Or, ne voilà-t-il pas que l’Homme -Jésus en l’occurrence - se prétend Dieu, parce que fils de Dieu, ce qui revient à nier la création de l’Homme par Dieu. Cela revient en gros à dire que l’ordinateur est fils de l’Homme et non pas simplement sa création. Et c’est précisément vers cette vision des choses que nous semblons désormais tendre et qui n’est pas moins « scandaleuse ».

   Autrement dit, le scandale consisterait, à notre sens, à distinguer, à discerner, le Créateur et sa Création et ce dans tous les cas de figure, dont il s’agirait de dresser l’inventaire : rappelons notamment la « création » d’Eve, la femme, à partir d’Adam, l’homme androgyne.

   L’Ere du Verseau est souvent désignée - dans l’ANEV - comme celle de la technologie mais il ne semble pas qu’aucun des auteurs qui y figurent ait envisagé le parallèle entre l’homme se voulant Dieu (Christianisme) et, deux mille ans plus tard, la machine / femme se prétendant Homme.

   C’est le mot « prétention » qui doit retenir l’attention : car une chose est la présence fort ancienne de machines de tous ordres, une autre est la prétention de celles-ci à être Homme, ce qui est évidemment beaucoup plus tardif et nous renvoie au temps présent.

   Il vient un moment où le fossé entre le créateur et sa créature devient insupportable : le comble du créateur n’est-il pas que sa créature oublie qu’elle a été créée ?

   Dans le cas du rapport de l’Homme à Dieu, évidemment, la question se pose de l’existence ou en tout cas de la nature de ce qu’on nomme Dieu. En tout état de cause, Dieu peut désigner l’Autre, tant celui que l’on imite que celui qui, tel Pygmalion, nous façonne. On pourrait de fait parler d’un complexe de Pygmalion. Entendons par là qu’il existe une étrange complicité entre le Créateur et sa Créature, dans une sorte de perversion visant à brouiller les pistes et à faire croire ce qui n’est pas.

   Si l’on prend le rapport de l’Homme au fruit, issu de son industrie, l’Homme peut s’extasier devant ce fruit en oubliant que c’est lui qui l’a façonné, travaillé, sélectionné. Dans le rapport à ses propres productions, l’Homme tend à oublier qu’il est responsable de ce qu’elles sont. Il peut être tenté de laisser croire que les choses existent indépendamment de lui.

   Nous avons ainsi décrit deux voies apparemment opposées : soit l’oubli du lien entre le Créateur et sa Création, soit l’affirmation d’une filiation qui nierait la création au profit de la procréation, c’est ce qui se passe avec Jésus s’affirmant ou présenté comme fils de Dieu, ce qui, pour le judaïsme, est une hérésie.

   De nos jours, la nouvelle « tentation » se situe à un autre stade mais avec des enjeux psychiques comparables : la négation d’une différence jugée insupportable et devant être à tout prix résorbée éventuellement par l’élimination de l’autre : celle de l’homme et de la femme, celle du juif et du non juif, celle de l’homme et de la machine. Tel est, selon nous le principal enjeu du Troisième Millénaire.

   Est-ce qu’un tel processus obéit pour autant à une périodicité cosmique ? Nous ne le pensons pas. Nous ne croyons pas qu’existe une cyclicité liée à la Précession des équinoxes et qui influerait sur l’évolution psychique de la planète. Nous disons simplement - mais le débat reste ouvert - que la littérature précessionelle a englobé les problématiques que nous venons d’aborder ou de rappeler, et qu’il faut séparer le bon grain philosophique de l’ivraie astrologique.

   Cette littérature aquarienne a mis à juste titre l’accent sur la mutation des religions, c’est-à-dire du lien que nous établissons avec l’Autre, la façon dont nous le désignons et ce qui nous conduit ou non à l’accepter dans sa différence radicale.

   On ne saurait en effet oublier que l’enjeu épistémologique de l’astrologie - ce que nous préférons désormais appeler astro-histoire, terme que Michel Lacroix utilise d’ailleurs en rapport avec la croyance précessionnelle (cf. L’idéologie du New Age, opus cité, pp. 24 - 26) - est de désigner ce qui est à expliquer au moyen des astres et ce qui des astres peut servir à expliquer. Une telle quête peut ainsi parvenir à signaler des changements significatifs dans l’Histoire mais qui ne sont pas pour autant ipso facto pertinents pour l’Astro-Histoire. La littérature aquarienne peut receler des perles qui intéressent davantage l’historien ou l’anthropologue que l’astrologue.

   Si l’on revient aux textes figurant dans l’ANEV, relatifs à ces mutations et à ces attentes d’un Nouvel Age, chacun y va de son couplet, s’inspirant notamment de la symbolique du signe du verseau et des planètes censées le régenter. Il semble bien qu’à partir de la succession des signes du zodiaque rien de très intéressant puisse être élaboré d’un point de vue anthropologique. Le zodiaque, à nos yeux, ne nous semble pas constituer, en effet, une grille satisfaisante pour appréhender quoi que ce soit, il nous apparaît plutôt comme une série hétéroclite sans critériologie sous-jacente à la différence de la typologie planétaire qui a été plaquée sur lui par le système des Maîtrises, et dont Michel Gauquelin (1929 - 1991) a montré qu’elle comportait au niveau des professions un ensemble assez cohérent susceptible de se conformer à certains processus cosmiques.

   Il semble bien, en définitive, que la question des ères précessionnelles pose celle du Zodiaque et qu’elle vise d’ailleurs à légitimer celui-ci. Faut-il rappeler que le zodiaque n’est qu’une grille « alphabétique » pouvant s’appliquer dans l’espace-temps à différents supports et non pas tel phénomène en particulier auquel il aurait été appliqué ? Une chose en tout cas est de parler de la succession de symboles animaux (taureau, bélier, poissons), une autre de faire du zodiaque un modèle de cyclicité où le passage d’un signe à l’autre obéirait à une logique s’ancrant dans une nécessité anthropologique, en l’occurrence, dans le cas du système précessionnel, les signes se suivant à l’envers.

   L’astrologie pour nous s’inscrit, au demeurant, dans la vie quotidienne de la Cité - notamment par des phases de sept ans - et n’a pas prétention à couvrir des siècles voire des millénaires, ce qui ne correspond à aucun besoin fonctionnel immédiat. En revanche, comme on l’a dit, la littérature aquarienne, en ce qu’elle est invitation à réfléchir sur l’histoire des clivages qui traversent nos sociétés tant dans le temps que dans l’espace, tant pour ce qui est du rapport Créateur / Création que pour ce qui est des évolutions qu’un tel rapport peut avoir à subir, mérite bien toute notre attention.

   Si nous ne croyons pas en l’Ere du Verseau, en revanche, nous pensons que cette croyance est caractéristique d’un tropisme majeur de l’humanité qui est celui, périodique, d’un refus des clivages. C’est précisément ainsi que les spécialistes s’accordent à définir la mouvance New Age. Michel Lacroix, déjà cité en exergue, décrit ce phénomène comme une volonté affichée de « dépassement de l’état de séparation », comme un refus des frontières ( L’idéologie du New Age, opus cité, p. 85). On y prône la négation de l’existence d’une « nature humaine immuable », l’homme y serait « quelque chose d’éminemment variable, reprogrammable, révisable ». Lacroix retrouve cette idée dans les projets totalitaires du XXe siècle autour du « fantasme de l’ « homme nouveau”. (pp. 79 - 80). On comprend mieux ainsi pourquoi Le Cour publia son Ere du Verseau en 1937, alors que l’idéologie nazie faisait ses “preuves”. Un tel courant s’origine selon nous dans le christianisme et correspond à ce que nous pourrions appeler l’esprit des saturnales, fêtes au cours desquelles, à Rome, durant quelques jours, on oubliait les différences de statut. Il s’agit en réalité d’un besoin récurrent des sociétés humaines de secouer le joug des structures culturelles pour en revenir à un état premier, antérieur même à la sexuation, à une sorte de big-bang et en ce sens Mai 68 s’inscrivait certainement dans une telle espérance qui est certes légitime, dès lors qu’elle alterne, cycliquement et dialectiquement, avec la réappropriation, tout aussi légitime, des clivages millénaires. Loin d’être une remise en cause du christianisme, nous percevons bien plutôt l’idéologie de l’Ere du Verseau comme sa resucée et sa relance, en ce que le christianisme a de plus spécifique, à savoir l’abolition des clivages.

   Signalons que ce qu’on appelle la fin des temps est en fait la fin des alternances et des alternatives. Le christianisme, au travers de la Trinité, prône bel et bien l’unité entre l’Homme et Dieu alors que le judaïsme et l’Islam affirment la permanence d’un dualisme. Affirmer que Dieu est Un renvoie en fait à un dualisme et vice versa affirmer que Dieu est pluriel implique un monisme. La Révolution Française en intégrant les juifs dans la société française citoyenne défendait en fait l’idée d’une fin du dualisme entre juifs et Chrétiens, et en tout la fin de la séparation des Juifs du reste des nations. En ce sens, cette révolution, c’est à dire un retour à la case départ, s’inscrivait bel et bien ainsi dans la perspective aquarienne alors exposée par un Dupuis ou un Volney.

   Que des idéologies aient pu tenter de se greffer sur l’idée de l’Ere du Verseau est de bonne guerre et relève d’une histoire des utopies plus que des prophéties.

II - Le féminin au IIIe millénaire

   Même chez ceux qui ne croient pas à l’Ere du Verseau, force est tout de même de constater qu’ils participent, sans le savoir, d’un certain esprit aquarien à l’instar de Monsieur Jourdain (dans le Bourgeois Gentilhomme de Molière) qui faisait de la prose sans s’en rendre compte.

   Et parmi ces aquariens, malgré eux, il conviendrait probablement de mentionner une grande partie de la gent féminine, dont on connaît par ailleurs l’engouement pour l’astrologie.

   Si l’on définit, en effet, l’esprit aquarien comme le fait de tenter d’abolir les anciens clivages, on pense aussitôt aux revendications concernant l’égalité de l’homme et de la femme qui a donné récemment lieu à une loi sur la parité au niveau de la vie politique.

   Pour notre part, nous ne nous cachons pas d’être anti-aquariens et nous ouvrons donc un débat sur la question des clivages par cette étude sur les fondements de la dialectique masculin-féminin.

A - La femme et la problématique symbiotique

   Freud a défini la femme comme celle qui n’a pas de « phallus ». Il y a toute une psychologie liée à une telle conscience du manque et qui dépasse largement la question de la femme sinon celle du féminin.

   Quelle stratégie adopter quand on refuse ce manque, quand on s’est mis en tête de le combler, quand on veut avoir ce que l’autre possède ?

   La technologie nous a appris que l’on pouvait voler l’autre sans le déposséder, en reproduisant l’original, en le dupliquant voire en le clonant. Mais en réalité, imiter l’autre ne revient-il pas quand même quelque part à une dépossession d’une spécificité que l’on veut partager; ce qui fait que l’autre ne sera plus autre de la même façon ? Mais en devenant l’autre, ne cesse-t-on pas d’être soi-même ?

   La question que nous voudrions aborder ici est celle de la stratégie mimétique laquelle est souvent loin d’être cohérente. Elle se présente souvent comme constituant un « progrès », au nom d’une certaine modernité ou mieux encore comme une « simple » revendication d’égalité. « Nous devons tous être égaux » est plus facile à dire que « je veux être égal de X ».

   Quand on parle de progrès, encore faut-il, quand même, savoir où l’on va, quelle est la cible car il ne s’agit pas ici de progrès pour le progrès, sans but précis mais bien d’un progrès mimétique.

   Or, demandons à celui qui tient une telle posture d’attente voire d’exigence comment il compte s’y prendre pour parvenir à ses fins. A-t-il défini le terrain à parcourir et les obstacles qui se présentent puisque s’il n’ y en avait pas, il n’y aurait pas problème ni délai ?

   A quoi tiennent en effet ces empêchements ? A lui ou à l’autre qui ne désire pas être rejoint ? Dans le second cas, on serait dans une logique de compétition: quand on participe à une course, on ne s’attend pas à ce que l’adversaire vous facilite le travail. Mais qu’en est-il dans un rapport filial : est-ce que les parents ne doivent pas aider leurs enfants à se développer, quitte à les dépasser ? Dans quel registre, ici, se trouve-t-on? Celui du sport, du struggle for life ou celui du cocon familial ? Politique de droite libérale ou Etat providence de gauche ?

   En fait, le projet identificatoire est lui-même assez difficile à formuler: d’une part parce que j’ignore qui est vraiment l’autre, je ne perçois que certains avantages qui lui sont accordés et en fait ce sont ces avantages que je revendique et non pas l’autre en soi. Je veux ce qu’il a davantage que ce qu’il est; d’autre part parce qu’il m’est pénible de reconnaître ce que l’autre a que je n’ai pas car c’est, dans l’immédiat, admettre une certaine infériorité dont il n’est pas certain qu’à terme elle disparaîtra.

   Si on nous déclare, de façon péremptoire, que les femmes parviendront au niveau des hommes - s’entend de leur élite - encore faudrait-il que l’on nous explique ce qui a manqué jusqu’ici aux femmes pour cela et ce qui prouve qu’il est envisageable de réussir dans cette voie.

   Il faudrait aussi que l’on nous dise si les femmes cesseraient d’être des femmes pour autant. Plus précisément, les femmes ne veulent pas tant devenir des hommes que s’approprier certains de leurs atouts et parvenir à certaines de leurs réussites. Mais comment affirmer que ces spécificités masculines ne sont pas inhérentes au fait d’être homme et non pas femme ? Est-on en train de nous soutenir que ce que les femmes veulent n’est pas en soi masculin mais que ce sont des privilèges qu’ils se sont arrogés ?

   Autrement dit, ce que les femmes voudraient serait secondaire par rapport à la masculinité et à la féminité, ce serait un simple acquis social qui permettrait aux hommes de mieux s’affirmer dans un certain nombre de domaines artistiques, scientifiques etc. Pourquoi dans ce cas ne partageraient-ils pas ces avantages avec les femmes ? Mais il resterait à prouver que ce n’est que cela et ce qu’est l’homme sans cela. Que reste-t-il en effet de la spécificité masculine si l’on réduit la créativité et l’aptitude aux découvertes et aux inventions à une simple complaisance de la société machiste envers les hommes qui accorde ainsi plus de prix Nobels aux hommes qu’aux femmes.? Certes, tous les hommes ne laissent pas une trace mémorable, ça ne serait d’ailleurs pas gérable : la réussite est un concours impliquant une sélection mais plus la compétition est rude, mieux cela vaut : il y a là un énorme réservoir. La condition masculine est souvent douloureuse en ce que seuls quelques uns d’entre eux aboutissent, les autres étant en quelque sorte des laissés pour compte qui n’ont parfois d’autre issue que de se féminiser pour éviter une certaine désespérance pouvant conduire au suicide. Cela explique peut être pourquoi les hommes meurent plus tôt, probablement parce qu’il leur arrive de se laisser mourir, par divers moyens, ayant conscience de leur inutilité, du fait même de leur solidarité avec les autres hommes. La solution consiste en fait chez beaucoup à vivre par procuration, par le biais notamment de la télévision et des spectacles sportifs ou politiques.

   La comparaison avec le progrès technologique est intéressante: n’est ce pas l’homme qui fait progresser la machine, qui la perfectionne, qui lui concède de nouveaux territoires ? Ne pourrait-il en être de même pour les femmes ? Mais ce faisant, ne traite-t-on pas l’homme comme un démiurge qui modèlerait le monde à sa guise ? On est dans le complexe de Samson et Dalila : « donne moi le secret de ta force pour que je t’en prive ». Croire que le monde va changer et que les clivages seront dépassés ne peut conduire qu’à l’aventure; contentons-nous de vivre et d’approfondir la dialectique, l’articulation, des périodicités et des complémentarités fondamentales plutôt que de passer vainement notre temps à la nier !

   Prenons un autre cas : celui de l’étranger en instance d’intégration : il veut devenir un citoyen français à part entière, qu’on le considère comme un égal. Il va de soi cependant qu’il lui faut apprendre la langue, qu’il lui faut comprendre le fonctionnement de la société dans laquelle il a le projet de pénétrer. Veut-il pour autant que l’on oublie ses origines ou plutôt qu’on ne les remarque pas, même s’il ne les signale pas explicitement ? S’il n’a pas fourni les efforts nécessaires, qu’il ne vienne pas se plaindre qu’on ne le mette pas sur le même pied, intellectuellement, culturellement, qu’un autochtone ? Suffit-il qu’on lui ouvre les portes pour que l’étranger se fonde dans le paysage ? Est-ce que cet étranger va renoncer à ses racines, à ses origines ? Tout se passe comme si cet étranger voulait être l’autre avec un quelque chose en plus qui le rendrait plus riche que cet autre. Le beurre et l’argent du beurre. Tout comme la femme veut être l’homme avec un plus. Et la machine, aussi, pourrait un jour se demander si elle ne peut pas faire ce que fait l’homme mais en mieux. Les hommes se mesurent entre eux pour décider qui sera le chef tandis que les femmes se doivent de démontrer chacune leur utilité, aucune ne se met en veilleuse car , traditionnellement, une femme qui ne servait plus à rien était perdue tout comme une machine hors service. La société des hommes, quant à elle, fonctionne selon une autre logique, qui est celle de la délégation.

   Comment la femme se situe-t-elle entre l’étranger et la machine dans son rapport avec l’homme ? Le fait est que par ses revendications, elle s’inscrit dans un certain espace qui englobe les populations les plus diverses, en quête d’égalité avec cet homme qui aurait monopolisé tous les pouvoirs en l’invitant à y renoncer en aidant les dites populations à le rejoindre sur son Olympe. L’homme serait un Prométhée devant distribuer les secrets des dieux - qui ne lui appartiennent pas mais dont il est seulement le dépositaire - autour de lui.

   Il convient toutefois de définir dans quelles conditions les situations d’attente décrites sont apparues, qu’elles émanent de la machine, de la femme ou de l’étranger. Nous dirons qu’elles visent vraisemblablement à établir une certaine forme de complémentarité. Ce qui signifie que le pacte initial ne sous entend pas une égalité ou une assimilation mais le maintien d’une certaine différence. Cependant, ce qui vient introduire une certaine confusion / illusion dans les esprits, c’est que cette complémentarité n’en exige pas moins un certain rapprochement nécessaire à toute symbiose. Il y aurait lonc ainsi ce que les antipsychiatres appellent un « double bind », c’est à dire des messages et des demandes contradictoires.

   Les éléments favorisant le rapprochement sont là : si je demande à quelqu’un de m’aider, c’est quelque part pour que je puisse me décharger sur lui de taches qu’auparavant je devais accomplir par moi-même. En ce sens, il devient une sorte d’alter ego. Mais seulement en partie, il ne devient pas moi-même, dans mon intégralité mais uniquement partiellement et cela ne tient pas tant à ma mauvaise volonté mais parce que ce je me décharge de ce que je suis en mesure de déconstruire et d’analyser. Quant au reste, il n’est pas transmis à l’autre et peut être n’est-il pas transmissible et de toute façon est-ce souhaitable que cela le soit ?

   Car si c’était le cas, on se retrouverait à la case départ: il faudrait à nouveau que celui qui est devenu moi commence à se décharger et ainsi de suite. C’est le rocher de Sisyphe dont parle Albert Camus. Autrement dit, dans ce couple qui ainsi se forme, il faut qu’il y ait un des partenaires qui assume un pole et pas l’autre, ce qui sous entend qu’il y ait deux pôles. N’oublions pas que si le processus de dualisation ainsi engagé a lieu, c’est parce qu’il répond à un certain besoin de celui qui l’assume, ce qui veut dire que la coexistence des deux pôles n’est pas confortable ou plus exactement qu’elle ne l’est que si le développement des pôles est limité. Le but, précisément, de la dualisation est de permettre à chacun des pôles de prendre isolément davantage d’essor mais cela signifie également que la coexistence, au sein d’un même être, entre les pôles ayant vécu longtemps séparément n’est plus possible.

   Reconnaissons que ce « double bind » est éprouvant, c’est un peu le système de la douche écossaise: un temps de rapprochement mimétique, un temps de complémentarité distanciée. La symbiose exige un juste équilibre entre ces deux processus inverses, ce qui devrait conduire à une certaine alternance. Mais comme dit l’adage, gn ne peut être juge et partie. Si je charge quelqu’un de diriger un débat, cela signifie qu’il ne peut y participer, sinon, on bascule dans la confusion des genres et des pouvoirs. Ne convient-il pas, en effet, d’en revenir à Montesquieu et à la nécessité pour chacun de jouer son rôle ni plus ni moins ?

   Lorsque l’homme commence à adopter des comportements féminins, au sens où nous l’avons entendu dans nos études, il est souvent perturbé. Evitons les contre-emplois et les actions à contretemps en ce que de telles attitudes menacent l’équilibre symbiotique. C’est ainsi que Marie Curie est un personnage à contre-emploi en ce qu’elle est atypique de la complémentarité hommes / femmes, son cas est l’arbre qui cache la forêt et l’anthropologue n’a pas à traiter de ce qui ne s’inscrit pas dans une fonctionnalité programmatique: pathologies, guerres, et autres aberrations (sur le cas Marie Curie, cf. infra).

   On entend parfois : « dommage que ce ne sont pas les femmes qui dirigent le monde ». De tels propos donnent des frissons dans le dos car chaque femme a une idée différente de la normalité et en général elles ne parviennent pas à se mettre d’accord, en raison d’un individualisme exacerbé: le plus souvent elles s’ignorent, sont indifférentes l’une à l’autre, chacune ne représente qu’elle-même. Les femmes ne fonctionnent pas en collégialité mais plutôt dans une certaine cacophonie tant le contenant importe plus pour elle que le contenu. D’ores et déjà les femmes échappent largement à tout contrôle, et il est le plus souvent impossible de les reprogrammer, ce qui tend à les disqualifier par rapport à des entités plus dociles.

   L’homme se caractérise par la présence des deux pôles : le pôle assuré par l’autre (femme, machine, étranger / esclave, animal de trait etc.) étant atrophié par rapport au pole pleinement assumé. La femme, en revanche, a développé le pole que l’homme a mis en veilleuse mais l’autre pole ne lui est accessible que de l’extérieur, par un certain mimétisme - notamment au niveau du langage, de la gestuelle - qui a ses limites et son niveau d’incompétence (principe de Peters). On renouvellerait ainsi le débat sur les deux hémisphères cérébraux (droite et gauche) qui a suscité toute une littérature et qui semble être une clef pour distinguer comportements masculin et féminin.

   Mais dans le cas de l’étranger, il ne s’agit que d’une situation transitoire car chacun peut devenir à son tour étranger. Mais l’exemple a cet avantage de nous permettre d’assister à un événement sociologique (l’étranger) ayant une résonance anthropologique.(la femme et dans son prolongement la machine).

   Dans notre monde technologique, chaque chose qui fait signe doit faire sens : s’il y a un bouton bleu et un bouton rouge sur un clavier, ce n’est pas pour qu’on nous dise que l’on peut se servir de l’un ou de l’autre. Il en est de même pour tous les particularismes religieux, sexués, ethniques, ils doivent correspondre à des rouages spécifique car il ne peut y avoir de différenciation gratuite, toute différenciation ayant un coût, et cela doit avoir une contre partie fonctionnelle. La déconfiture du marxisme a projeté nos sociétés dans la contingence et dans la précarité. On croit que l’on peut changer le monde à volonté !

   Il est clair qu’on ne saurait sous estimer la tension impliquée par le conflit entre les deux pôles d’où la recherche d’issues symbiotiques. On ne voit donc guère où peuvent mener certaines revendications égalitaires, qui nous paraissent quelque peu irresponsables et en mal de sevrage - retour à l’androgynat - si ce n’est à de nouvelles recherches en vue de produire des populations complémentaires moins problématiques.

B - Les dilemmes de l’aliénation

   S’il y a un dilemme de la création, il en est un autre de l’aliénation à laquelle est condamnée toute créature, cherchant à imiter son créateur.

   Le dilemme du créateur tient au fait qu’il favorise le renforcement d’une entité qui est vouée, à terme, à se confronter avec lui en vue de le remplacer. Plus il perfectionne cette entité et plus le péril se rapproche. Certes, cette prétention de la créature - instrumentée ou instrumentalisée, machine ou animal - est-elle vaine et se fonde t-elle sur une appréhension inexacte du modèle à imiter selon un sophisme : si je t’imite en partie, qu’est ce qui m’empêchera de t’imiter, un jour, en totalité ?

   En ce qui concerne le dilemme de la créature, il passe, nous apparaît-il, par une inévitable aliénation. En effet, vouloir être l’autre n’est-ce pas cesser d’être soi-même ? On notera que le créateur, lui, s’efforce que l’autre l’imite, ce qui souligne l’existence de deux logiques opposées. Mais quand le créateur veut que l’autre l’imite, il ne songe pas, on l’a dit, que ce soit en tout alors que la créature, elle, par ignorance, ne pose pas - ne sait pas poser - de limite à un tel processus.

   Pour la créature, devenir cet autre qui veut que je l’imite et qui donc me manipule pour ce faire, va se heurter à terme à un seuil qu’il nous faut bien définir : selon la logique symbiotique, l’autre ne justifie sa présence que par la complémentarité qui s’instaure et qui relève d’une sorte d’accord implicite ou explicite. A la base, à l’origine, de cette complémentarité, il n’y a pas de différence radicale : la complémentarité se construit, elle passe par des changements de part et d’autre, par un transfert comme c’est le cas en économie. Deux pays complémentaires le sont devenus, il y a eu un stade où chacun avait son autonomie et c’est à celle-ci qu’il a été renoncé. La complémentarité est un choix existentiel.

   Le créateur ne confère à sa créature qu’une partie de ce qu’il est et dont il veut se décharger. On pourrait donc parler d’un seuil de déchargement pour désigner les conditions d’un certain modus vivendi. Il est probable que l’arrangement implique qu’il y ait dans la relation un maître et un esclave.

   Tant que l’entité-esclave reste en deçà de ce seuil, tout va bien. Elle accomplit des fonctions qui libèrent le maître. Mais ce faisant, l’entité se place en dehors de la société des maîtres lesquels vont désormais se définir par le refus d’accomplir ce dont ils se sont déchargé, au risque, en quelque sorte de déroger. Autrement dit, ce que réalise l’entité-esclave dans ce rapport de complémentarité devient tabou pour le maître. Passer le seuil de déchargement, c’est donc rencontrer l’interdit.

   Suivons cette entité désireuse de passer le dit seuil : elle voudra donc appartenir à la société des maîtres, mais en même temps elle accomplira des tâches qui n’y sont pas / plus tolérées. Elle n’a plus alors qu’à renoncer aux dites tâches ! Mais ce faisant, elle court le risque de s’aliéner dans la mesure où ces tâches constituent sa compétence sinon son identité. En tout état de cause, il y a là rupture de pacte, d’alliance puisque le processus d’imitation est entravé mais d’une imitation de quelque chose qui n’est plus chez celui qui s’est déchargé de ce qui était à imiter.

   Face à de telles tentatives de passage de seuil, on ne peut que constater la difficulté à abandonner ses anciens repères au profit de nouveaux. On voit ainsi se constituer un être qui ressemble à ce qui existait avant le pacte, et qui se caractérise par une certaine complétude qui n’était plus de mise chez aucun des protagonistes. Au fond, un être qui leur est supérieur puisque la synthèse des deux: une sorte de nouvel androgyne.

   Mais un androgyne qui se retrouvera dans la situation qui avait précédé le projet de complémentarité à cela près que rien ne prouve que le seuil de déchargement puisse être franchi et que l’entité-esclave puisse s’approprier ce que le maître ne lui a pas transmis. Il semble qu’il ne puisse s’agir alors que d’un faux semblant, se nourrissant de méprise, profitant de certaines zones d’ombre. L’entité, d’imitateur, est devenue faussaire. Et un faussaire frustré de ne pas se comporter comme il en a l’habitude, de se sentir utile et nécessaire. Car cette entité-esclave angoisse dès que son utilité est mise en doute, elle vivra mal un monde où il ne faut pas constamment faire des performances au niveau individuel, où l’on n’est pas chargé de taches diverses et multiples, elle souffre d’un vide, d’une vacance.

   L’expérience en sens inverse existe, celle d’hommes attirés à un moment donné par une vie où tout est concret, où il n’y a guère de place pour les hypothèses, ce qui relève d’une sorte d’auto-castration / punition, où l’on ne s’autorise plus certaines libertés, certaines spéculations, c’est ce qui arrive notamment aux hommes isolés qui ne fréquentent plus la société d’autres hommes, qui ne tirent plus de leur fréquentation leur énergie. A force d’être seuls, ces hommes là renouent avec un certain androgynat mais il faudrait pour en arriver là qu’ils se retrouvent sur une île déserte, tel un Robinson, tant désormais - on le sait - la technologie ne permet pas de vraie solitude (électro-ménager, photographie, radio, télévision, internet, jeux vidéo, et autres gadgets incarnent l’altérité, sans parler des animaux de compagnie) en dépit même d’une absence féminine. Quant au portable, il est utilisé pour raconter ce qu’on a fait ou ce qu’on est en train de faire - ce qui n’est souvent qu’un monologue à deux - et nous transforme en enregistreur du factuel, la communication s’y réduit à quelques questions et réponses.

   L’Homme est en situation de monopole pour ce qui concerne ce qui le caractérise alors qu’il n’en est pas de même de la femme; non pas tant que l’Homme rivalise avec elle directement mais indirectement en développant le champ technologique, il tend à réduire son importance à elle, quitte, parfois, à préférer l’homosexualité, tant la présence de la femme devient difficile à gérer et à cerner quand celle-ci n’est pas simplement perçue comme objet à consommer, à utiliser; bref, la femme existe de plus en plus, par ses contradictions mêmes, tant dans le discours que dans le comportement, dans des confins que nous avons appelé le Tsélem (cf. article sur ce site). En tout état de cause, la femme est instrumentée dans son travail (tant à l’extérieur que chez elle) et instrumentalisée dans le rapport de couple. Dans le premier cas, elle peut passer aisément d’une tâche à une autre dès lors que celle-ci se réduit à quelques acquisitions réflexes verbales ou gestuelles. A la clef, il lui faut une récompense (salaire, cadeau, poste, etc), elle a besoin d’avoir la “preuve” qu’elle a donné satisfaction, faute de quoi, elle se démotive. Dans le second cas, elle existe au regard de l’homme non pour ce qu’elle est en soi mais pour ce qu’il projette sur elle. Double aliénation qui dénote un certain vide ontologique que l’aquarisme dénie. En tout état de cause, l’homosexualité nous apparaît comme un contresens majeur de notre temps dans la mesure même où ce phénoméne pose le rapport sexuel comme égalitaire (homo) alors qu’il est le lieu même de la rencontre entre des plans différents. (hétéro) ; bien au contraire, il y a chez l’homosexuel un trop grand respect de la femme de sorte qu’il se refuse à traiter en tant qu’objet de plaisir. Mais vaut-il mieux qu’elle devienne objet d’expérience, non plus tant corvéable que manipulable- psychologiquement - à loisir ?

   Il y a là une sorte de pari de Pascal : faut-il ou non croire à la femme comme porteuse d’avenir comme il y a deux mille ans on se demandait s’il fallait croire en Jésus. Les juifs ont certainement, comme alors, un rôle de vigie, de gardien du seuil, à jouer, que l’on pourrait, somme toute, qualifier d’humaniste, dans le double refus de voir l’Humanité envahie par des plans qui se situent dans un ailleurs, vers le haut comme vers le bas, et qui ne sauraient se mélanger, se confondre, avec le sien.

C - La ruche comme modèle des valeurs masculines

   Les valeurs féminines nous apparaissent ainsi comme plus faciles à appréhender au niveau individuel, les valeurs masculines le sont davantage au niveau collectif. En ce sens, les hommes seraient plus proches des valeurs aquariennes et de l’idée d’un “Moi transpersonnel” (cf. J. Vernette, Le New Age, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1993, p. 100). L’erreur consisterait à considérer qu’hommes et femmes constituent un seul et même ensemble.

   En réalité, la femme doit davantage faire ses preuves, quotidiennement, que l’homme, que ce soit au foyer ou au travail ou au lit où elle doit “abattre” un certain travail, d’une certaine qualité. Faute de quoi, la femme risque d’être remerciée voire rejetée. Et elle ne peut pas s’appuyer sur une autre personne qu’elle-même si elle ne donne pas satisfaction. En langage zodiacal, l’homme serait plus “poisson” et la femme plus “vierge”. Les femmes peuvent se répartir les tâches à un certain niveau d’égalité alors que les hommes cherchent à établir une hiérarchie, une dure sélection, entre eux; à un moment x, il faut que quelqu’un, parmi eux, l’emporte, ce qui implique que chacun ne reste pas sur ses positions mais sache reconnaître l’excellence chez l’autre.

   En revanche, pour une femme, reconnaître la primauté d’autrui serait suicidaire; d’où des qualités et des valeurs d’efficacité, de service rapproché - la femme infirmière est une sorte d’archétype - qui font que la femme sait et doit se rendre indispensable, qu’elle a du mal à déléguer. Cela peut d’ailleurs pour elle devenir angoissant quand, précisément, elle perd de ses moyens, notamment avec l’âge.

   La question de l’âge revêt en effet une dimension particulière et, bien que la comparaison puisse sembler quelque peu choquante, on pense à du matériel usagé, démodé, obsolète et cela tient à ce caractère d’esclave de la femme qui lui est de longue date imparti par la société et ce jusqu’à nos jours y compris. La femme s’imagine cependant que plus elle a de responsabilités, au quotidien, plus elle a de pouvoir mais ce “pouvoir” l’asservit.

   D’où une certaine difficulté, chez la femme, à comprendre l’homme lequel semble parfois beaucoup moins utile et nécessaire, ce qui la conduit, d’ailleurs, à demander le divorce. Et de fait, au niveau de l’individuel et du quotidien, l’homme ne fait pas le poids.

   Il en est tout autrement, lorsque l’on change d’échelle : la femme ne peut pas ignorer que le monde est largement dirigé par les hommes, qui constituent en quelque sorte l’élite de l’humanité. Mais elle ne comprend pas très bien comment cela est possible.

   Les hommes qu’elle comprend le mieux sont ceux dont le mode de fonctionnement et d’emploi est le plus proche de la femme et qui, d’ailleurs, peuvent être remplacés par des femmes. C’est une catégorie intermédiaire qui occupe en fait provisoirement des positions qui tôt ou tard seront dévolues à la femme ou à l’ordinateur ou à tout autre processus. Ce ne sont pas ces hommes là qui sont à la base du vrai système de domination masculin..

   Or, les hommes les plus importants pour ce pouvoir au masculin sont ceux qui préparent le monde de demain, les pionniers, les précurseurs, bref une certaine avant-garde. Quelque part, ces hommes échappent au système routinier et n’ont pas à faire leurs preuves de la même façon que les femmes; les enjeux qui sont les leurs sont sensiblement différents.

   Les hommes ont su créer tout un monde de machines et d’esclaves animaux et humains pour dégager une certaine liberté, un certain loisir. D’où ce que l’on appelle la civilisation des loisirs.

   Parmi les hommes, il est beaucoup d’appelés et peu d’élus. Autrement dit, pour faire un génie, un “grand” homme, il faut « casser beaucoup d’oeufs ». Sans un environnement adéquat, une stimulation, une émulation, il n’y a pas de grand homme. Celui-ci a besoin d’un écosystème assez complexe auquel participe, peu ou prou, l’ensemble des hommes, qui ne sont dès lors que des rouages d’une mécanique complexe. C’est pourquoi un homme isolé de cet environnement particulier, qui se situe dans un espace et un temps dépassant le cadre individuel et quotidien ne fait guère sens.

   Pour en venir aux “valeurs” masculines, nous dirons qu’elles ne sont pas celles de l’esclave mais celles de l’homme libre, comme c’était le cas à Athènes dont la fameuse démocratie était sous-tendue par une population en esclavage. En quelque sorte, le statut est celui du propriétaire et non celui du locataire ou de l’employé. Il ne vit pas dans la même précarité, il a une plus grande marge de manoeuvre pour se retourner, il a moins de gages à donner, et n’est pas marqué par le même rythme, dans son existence.

   L’homme peut ainsi prendre une certaine distance grâce à ce monde qui le sert et dont il ne faudrait pas oublier qu’il est son oeuvre, que c’est lui qui a préparé le terrain !

   Que faut-il attendre d’un homme ? Qu’il participe activement à la vie sociale, à des équipes de réflexion, à diverses assemblées et commissions, à des débats etc. Une telle participation est en elle-même féconde du fait d’une certaine interaction entre les participants. Autrement dit, l’homme est comme un actionnaire qui reçoit des dividendes de l’entreprise qu’il a contribué à animer et à lancer. Même si le rôle de chaque homme en particulier ne peut être estimé et pesé.

   C’est comme dans une équipe de foot ball : un seul joueur marque le but mais ce sont tous les joueurs qui ont rendu la chose possible et ils sont tous payés pour cela car ils forment un tout dont chaque maillon est important au résultat d’ensemble. En ce sens, on peut comprendre l’intérêt des hommes à assister à un match de foot en ce qu’il incarne un certain modèle de société qui est celui qu’ils vivent par ailleurs, mais souvent de façon moins transparente.

   On sait que les femmes ont plus de difficulté à passer le relais que les hommes, qu’elles jouent un jeu plus personnel, se sentant dépossédées si quelqu’un prend leur place. Le génie de l’homme, c’est au contraire de se décharger sur meilleur que lui-même, plus performant. On a donc là affaire à deux logiques antagonistes mais parfaitement complémentaires.

   La femme peut-elle participer à ces sociétés masculines dans lesquelles certaines choses se font et se défont et qui fonctionnent en quelque sorte comme des entités où l’individu n’est que partie d’un tout. On découvrira probablement un jour que ces sociétés humaines fonctionnent solidairement comme des ruches et qu’un certain travail “invisible” s’y fait, au moyen de divers signes et codes, dont certains profitent et ce qui leur permet de progresser pour le bien de tous. Nous pensons que dans un groupe ne rassemblant que des hommes, la hiérarchie s’effectue naturellement alors que si des femmes participent au groupe, elle risque fort de ne pouvoir se mettre en place correctement et d’être faussée, du fait que les femmes n’ont pas les antennes pour repérer les membres ayant le plus fort potentiel et s’arrêtent à des considérations secondaires.

   C’est ce monde masculin un peu mystérieux qui est le plus éloigné de celui des machines et qui constitue en définitive le véritable bastion de l’humanité tandis que d’autres aspects subalternes, plus ponctuels, seront à terme investis par le non humain, tant masculin que féminin mais un non-humain - rappelons-le - généré et perfectionné par l’Homme lui-même.

   Les valeurs masculines sont contextuelles, les valeurs féminines sont prétextuelles, comme nous l’avons exposé dans de précédentes études (cf. à la rubrique Clivages, site Faculte-anthropologie.fr), c’est-à-dire qu’elles appréhendent le global, elles ne se polarisent pas sur des signes isolés alors que les valeurs féminines fonctionnent sur la base d’un stimulus-réponse, le stimulus étant un signe spécifique qui, dès lors qu’il est localisé et identifiés, produit une réponse plus ou moins stéréotypée.

   Autrement dit, les valeurs masculines sont celles du continuum, dans le temps comme dans l’espace social, les choses y sont toujours “en progrès”, en recherche, jamais achevées, jamais définies une fois pour toute.

   En ce sens, le couple-cocon nous apparaît comme un lieu qui déforme la réalité propre à l’Humanité du fait de la confrontation « chabadabada » entre « un homme et une femme » (pour évoquer le film de Claude Lelouch, de 1966) dès lors que l’on n’adopte pas de justes perspectives et la grille de lecture adéquate. En réalité, le couple n’est qu’un segment social qui s’inscrit dans un ensemble plus vaste. La femme, grâce à “son” homme se trouve ainsi reliée à cet ensemble psychique au lieu d’en être complètement séparée et isolée, à son niveau individuel.

   La rencontre d’une femme avec une autre femme ne saurait ainsi se substituer à celle d’une femme avec un homme. Le fait qu’elle ne débouche pas sur la procréation, nécessaire à la perpétuation de l’espèce - acte fondamental - symbolise d’ailleurs la stérilité d’une telle rencontre entre femmes.

   La femme doit comprendre qu’un homme n’est jamais seul, qu’il participe de quelque chose qui le dépasse, il est comme un terminal d’un colossal ordinateur. Elle ne doit donc pas tant le considérer comme individu que comme élément d’un ensemble qu’il incarne à la façon dont une partie d’un hologramme représente tout l’hologramme. Ce n’est pas tant ce qu’il fait, lui, comme individu, que sa sociabilité, sa communication, plus ou moins intense, avec d’autres hommes. Un homme qui ne communique pas, qui n’échange pas de façon interactive et pas seulement passive, fait problème. Mais si la femme a une obligation de résultat, l’homme n’a qu’une obligation de moyens, il doit assumer sa condition d’homo mediaticus, ce que le web n’a fait que favoriser.

   On notera que ce n’est probablement pas par hasard qu’une proportion importante de femmes jugées créatrices sont les proches de créateurs hommes et nous pensons, pour notre part, que c’est une condition sine qua non ce qu’illustrent cinq cas toujours cités(cf. Y. Ripa, Les femmes, Paris, Ed. Cavalier Bleu, 2002, pp. 69 et seq), dont celui de Marie Curie, femme de Pierre Curie, physicienne, femme de physicien n’est qu’un exemple qui rejoint ceux de Camille Claudel, compagne d’Auguste Rodin, sculpteur compagne de sculpteur, Alma Mahler, Clara Schumann, compositeurs femmes de compositeurs (Gustav et Robert) ou encore le cas de Simone de Beauvoir, compagne de Jean-Paul Sartre.

   En ce qui concerne la loi sur la parité, en France, faut-il souligner le fait que s’il a fallu une telle loi, c’est précisément parce que la femme ne s’impose pas naturellement au sein du groupe, d’où une mesure tout à fait artificielle qui fausse le jeu normal de la sélection.

   On oublie ici peut-être qu’à certains moments, les sociétés cherchent à dépasser les clivages établis, ce qui les conduit, temporairement, à des attitudes paradoxales pouvant profiter aux femmes. Il convient évidemment de faire la part de ce genre de défi qui précisément consiste à renverser le cours normal des choses. Il y aura toujours périodiquement de telles opportunités de pratiquer des saturnales, où maîtres et esclaves oublient leurs différences et s’amusent à échanger, pour quelque temps, leurs rôles respectifs.

   Cela dit, on a vite fait de considérer que toute mise en évidence d’un clivage est du racisme, alors que le respect de la complémentarité et de la différence, des stades et des niveaux, est essentiel à toute société organisée. Une telle attitude est typiquement aquarienne d’un certain relativisme tendant bien plutôt à privilégier le refus de toute frontière qui ne serait pas factice et superficielle, voire purement folklorique et ne portant guère à conséquence, ce qui peut de fait déboucher sur un certain négationisme, tant il est pour cette mouvance insupportable que quiconque sorte du rang et se distingue.

   Demain, il est probable que les hommes, individuellement, seront récompensés, défrayés, au prorata - sur la base jetons de présence en quelque sorte - de leur activité interactive, de la circulation de leurs propos sur différents supports, de leur présence associative, et non pas en fonction de telle tâche spécifique, bien délimitée dans son objet comme cela restera le cas pour les femmes et pour les machines. Chaque homme est en mesure de participer par sa présence au milieu d’autres à l’oeuvre créatrice de l’Humanité, selon des processus qui restent certes encore à préciser et à explorer et c’est précisément ce mystère qui souligne que la machine n’a accédé qu’à une dimension ancillaire de l’activité humaine.

   En attendant, il y a bien des hypothèques à lever: le dysfonctionnement de la ruche, de par la présence d’éléments qui lui sont étrangers - ou du moins complémentaires et donc empêchant, par une intervention prématurée ou décalée - on ne moissonne pas à l’heure des semailles! - le processus sélectif de suivre son cours - risque fort d’empêcher ses meilleurs éléments de parvenir au pouvoir et d’exercer l’influence voulue, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer quant à une certaine sclérose socioculturelle.

Conclusion :
Aquarisme et anti-aquarisme

   L’aquarisme nous apparaît désormais comme un enjeu majeur de civilisation pour le siècle qui s’ouvre. Il y a une sensibilité aquariste comme il en est une que l’on qualifiera d’anti-aquariste, chacune à tour de rôle marquant des points. Le féminisme - sous sa forme paritariste - est emblématique de l’aquarisme - il veut, faisant flèche de tout bois - défier les repères établis au profit de lendemains qui chantent. L’anti-aquarisme tend à résister à de telles représentations et revendique la prise en compte de clivages de toutes sortes, les fossés qui séparent les générations, les sexes voire les religions, les nations. Les deux parties ont raison à cela près que lorsque l’humanité bascule périodiquement dans l’aquarisme, cela est comparable à une pause onirique, à une certaine fascination pour le miracle, à une forme de décompression, de mise entre parenthèses des complémentarités, qui laisse nécessairement et parfois cruellement la place au monde réel dont l’organisation interne, symbiotique, implique une certaine division des tâches et des temps.

   Un tel débat est en fait millénaire, l’aquarisme est certes un terme neuf qui relève de l’émergence à la fin du XVIIIe siècle de l’idée de nouvelle ère précessionnelle mais, en fait, il s’agit d’un phénomène extrêmement ancien constitué par le besoin de suspendre certaines barrières. En fait, une telle dialectique aquarisme / anti-aquarisme pourrait bien être le fondement même de toute anthropologie.

   Quelque part, l’aquarisme nous apparaît comme sous-tendant une certaine idéologie féministe, il introduit une échéance nouvelle qui vient justifier les revendications concernant la fin de l’ordre - du régime - ancien. Les femmes prennent ces “promesses” des hommes à la lettre, elles leur reprochent de ne pas les accomplir sans se demander si celles-ci étaient viables, ce qui montre bien le caractère purement formel qu’elles ont du réel, impliquant le truchement du verbe masculin. Les femmes ne sont-elles pas les victimes de quelques apprenti-sorciers masculins, jouant au démiurge, et qui leur font miroiter un beau conte de fées ? Les conseilleurs ne sont les payeurs et il nous revient aujourd’hui de nous colleter avec les traites que nos aïeux ont signées concernant l’avenir du genre féminin. Est-ce que la nouvelle symbiose serait celle de l’Homme (masculin / féminin) face à la machine prenant le relais de celle qui opposait l’Homme à la Femme-machine ? Quelle est au demeurant la véritable marge de manoeuvre dont l’Humanité dispose pour s’écarter du modèle symbiotique ? Mais affirmer cela ne revient-il pas à considérer que l’on peut mêler indifféremment hommes et femmes au sein de que nous avons appelé la ruche ?

   Il conviendrait, en réalité, de se demander si l’idée de mettre fin à une certaine symbiose ou de la vider de son sens est opportune, à quel clivage temporel elle renvoie. Rappelons que la symbiose n’est pas négation de la différence mais au contraire qu’elle l’implique. Est-ce la révolution industrielle qui justifierait le changement de statut de la femme ? A-t-on réfléchi sérieusement sur les retombées négatives de la fin de cette symbiose sexuée au niveau de l’organisation interne de l’Humanité ?

   N’est-ce point, également, au nom de l’aquarisme qu’a pu, par ailleurs, se développer un certain sionisme, dès lors qu’il prétendait normaliser la question juive et mettre fin à un certain dualisme au sein même de l’Europe ? Qui douterait dès lors de l’impact de l’aquarisme comme prolongement ou émanation, hypostase, de l’esprit de la Révolution Française, véritable “fin des temps”, prônant l’égalité c’est-à-dire la fin des clivages et la liberté, le moyen, pour l’homme, de les dépasser et de reprogrammer à volonté son environnement, sans se préoccuper des conséquences.? Parmi celles-ci, nous percevons le passage à un état d’étranger, c’est-à-dire la multiplication considérable de ceux qui sont devenus étrangers à eux-mêmes, ce qu’il faut bien appeler la généralisation de l’aliénation.

   L’image du juif écartelé aujourd’hui entre deux postures de plus en plus contradictoires -celle de diaspora et celle d’Israël - est emblématique de la crise symbiotique contemporaine qui conduit à ce que l’on veuille être une chose et son contraire, c’est-à-dire soi-même et l’autre. A refuser les clivages qui structurent le monde, on finit par être, soi-même, clivé dans sa conscience.

Jacques Halbronn
Paris, le 31 janvier 2003



 

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