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Etudes en l’honneur du 25e anniversaire
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Est-ce qu’en ce début de XXIe siècle, on parle encore beaucoup de l’Ere du Verseau ? Certains indices conduisent à penser que l’attente du Verseau était peu ou prou liée au millénarisme de l’An 2000 voire avec l’An 1999 figurant dans les Centuries ou encore, ce qui ne saurait maintenant trop tarder, avec l’avènement d’un nouveau pape, étape importante pour ceux qui s’intéressent à la prophétie attribuée à Saint Malachie. Quelle est la genèse du mythe aquarien ? Les aquarologues ne sont pas plus d’accord entre eux que les nostradamologues. Si les Centuries nous renvoient au XVIe siècle, l’Ere du Verseau nous ramène au XVIIIe siècle mais, dans un cas comme dans l’autre, le processus d’origine est bien différent de celui auquel il va donner naissance.
1 - L’Origine de tous les Cultes de Charles-François Dupuis et l’Ere du Verseau
2 - Critique de la théorie des domiciles de Dupuis
L’Origine de tous les Cultes de Charles-François Dupuis
et l’Ere du Verseau |
Charles-François Dupuis, l’auteur de l’Origine de tous les Cultes (An III, 1795) n’a pas les honneurs du petit Larousse. En 1979, quand parut le collectif Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau, son nom ne fut jamais cité. Vingt ans plus tard, il est considéré, à tort ou à raison, comme le grand ancêtre de l’Ere du Verseau. Nous examinerons si l’affirmation de cette filiation est légitime ou si elle ne constitue pas plutôt une trahison des perspectives de Dupuis.
Il y a 25 ans paraissait donc un ouvrage d’un genre assez inhabituel appartenant au genre des ouvrages collectifs. Il y avait eu quelques précédents : outre les Actes du Congrès de la SAF tenu 1937 et de celui du CIA tenu en 19531, il conviendrait de mentionner, avec une équipe réunie par André Barbault, la série Zodiaque aux éditions du Seuil, parue dans les années Cinquante ainsi que celle des couples planétaires2 sans oublier évidemment les numéros spéciaux de la revue des Cahiers Astrologiques. En 1979, les Actes du Congrès MAU de 1977 furent publiés aux Editions de l’Albatros, dirigées par Bertrand Sorlot, un des fils du directeur des Editions Latines, Fernand Sorlot, sous un titre que nous avions choisi: Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau avec sur la couverture l’image d’un sphinx. En choisissant d’appeler cet ouvrage Aquarius et en lui conférant une représentation, nous tendions quelque peu à personnifier la nouvelle ère à la façon dont Jésus incarnait, en sa personne, l’ ancienne ère des Poissons - on verra là un parallèle avec Ancien et Nouveau Testaments, à ce détail près que désormais l’ ancienne ère était celle du Nouveau Testament. Cette formule a ainsi été reprise par R. Amadou qui parle de l’arrivée d’Aquarius.3 En vérité, Paul Le Cour avait, 40 ans exactement avant le congrès de 1977 - qui célébrait donc le 40e anniversaire de sa parution - recouru au même procédé en utilisant le nom de Ganymède, l’échanson des dieux : L’Ere du Verseau ou l’Avènement de Ganyméde, surtout si l’on sait qu’Aquarius, en français, se traduit par échanson.4 Signalons un autre collectif dérivé d’Aquarius, Le Grand Livre des Prédictions. L’avenir de notre planète, Paris, Balland, 1981, réalisé à l’initiative de Krista Leuck. Et dont la deuxième partie (pp. 141 et seq) reprend certains textes d’Aquarius, et en inclut d’autres sous le titre L’Age d’or ou la fin des temps. Enquête parmi les chercheurs français dirigée par Jacques Halbronn, président du Mouvement Astrologique Unifié.
On peut considérer cet ensemble de contributions comme ayant lancé en France les études aquariennes, c’est-à-dire éveillé des vocations dans le sens d’une étude historique de l’Ere du Verseau, comme l’avenir allait le montrer. Signalons un jeu de mots dans le titre : la Nouvelle Ere du Verseau pouvant désigner aussi bien l’avènement d’une nouvelle ère qu’un nouvel ouvrage, une nouvelle approche du sujet. On ne reviendra pas5 sur le contexte de cette parution mais sur les travaux qui lui firent suite de la part de celle de Robert Amadou, de Christian Lazarides - qui devrait sortir prochainement un gros ouvrage sur ce sujet - d’Evelyne Latour, de Claude Rétat, de Patrice Guinard et de la nôtre, aux résultats si marquants que l’ouvrage de 1979 semble à 25 ans de distance singulièrement dépassé et notamment chez certains contributeurs d’Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau, qui poursuivirent leurs recherches dans la foulée, à savoir d’un côté Robert Amadou (né en 1924) et de l’autre le responsable du collectif, le signataire de ces lignes (né en 1947). On pourrait d’ailleurs faire la même observation, peu ou prou, en ce qui concerne le Colloque Nostradamus qui se tint à Salon de Provence en 1985 et dont les actes parurent sous la direction de Robert Amadou, sous le titre L’Astrologie de Nostradamus (Ed ARRC 1992), premier colloque du genre en France et qui près de 20 ans plus tard semble quelque peu décalé par rapport aux recherches actuelles, telles qu’on peut notamment les aborder sur Espace Nostradamus. Robert Amadou réalisa sa Petite Encyclopédie de l’Ere du Verseau dans le contexte très particulier des années 1999-2001 - ce qui le conduit à quelques développements sur Nostradamus et l’éclipse de l’Eté 1999.6 On observera que R. A. parle de Nostradamus comme de l’auteur de tous les quatrains des Centuries alors que c’est un point qui est devenu très discuté7 ; il ne semble envisager la possibilité d’ aucune addition, d’aucune interférence et ne percevoir aucune différence d’inspiration au sein du canon. On peut d’ailleurs se demander si le mythe d’Aquarius ne va pas se dégonfler après le passage de ce cap du changement de millénaire, lui-même fondé sur une sorte de point vernal qui serait la naissance de Jésus, à partir duquel on diviserait le temps en ères de 2000 ans.
Tout en ayant fourni une contribution significative à Aquarius, R. A. continua à explorer, au cours des années Quatre Vingt, le domaine et publia des suppléments dans L’Autre Monde, la revue qui précisément avait co-organisé le Congrès de 1977 et co-édité Aquarius mais qui, entre temps, avait changé de responsable et qui donc n’était plus animée par Roger Faloci. Son oeuvre principale allait être publiée sur Internet dans les toutes dernières années du XXe siècle, dans les Cahiers d’Univers-Site, sous le titre de Petite Encyclopédie de l’Ere du Verseau. Amadou ne cite le plus souvent que son étude dans Aquarius, dont il avait obtenu de l’éditeur une publication à part, parallèlement à sa présence au sein du collectif : La précession des équinoxes. Schéma d’un thème astrosophique. A une seule occasion, en note8, trouve-t-on mention du titre complet mais sans citer notre nom en tant que responsable tant du Congrès que du collectif). Quant à notre diptyque La vie astrologique9, il ne le cite10 que de façon allusive à propos d’une de nos notes de bas de page11 mais sans mentionner ni notre nom ni celui de l’ouvrage, mais uniquement sa date de parution. Il ne semble pas que R. Amadou, pour son Encyclopédie, ait pris connaissance des passages sur l’Ere du Verseau, se trouvant dans notre thèse d’Etat, soutenue en janvier 1999, à Paris X Nanterre, Le texte prophétique en France, formation et fortune, chapitre XII, L’attente de l’âge du Verseau (pp. 436-462) mais aussi dans Clefs pour l’Astrologie.12 Quant à nous, notre soutenance de thèse ayant eu lieu en janvier 1999, le dépôt des exemplaires ayant bien entendu eu lieu à la fin de 1998, fut antérieure à la mise en ligne, en feuilleton ou chronique, à partir du mois d’août 1999 de la dite Petite Encyclopédie de l’ère du Verseau mais nous avions cité ses articles parus à partir de 1986 dans L’Autre Monde. En revanche, notre article figurant sur le Site du CURA en 2003 ne tenait pas compte de la Petite Encyclopédie, dont l’accès est réservé - Amadou y confirme que Paul Le Cour ne saurait en aucune façon être présenté comme l’initiateur de l’Ere du Verseau en France et encore moins dans le monde anglo-saxon - ni d’ailleurs de la communication donnée par R. Amadou sous le titre Histoire du mythe de l’Ere du Verseau, Congrès dirigé en 1997 par Yves Lenoble, consacré à Uranus, planète associée au signe du Verseau par les astrologues modernes, dont les actes parurent en 1998. On ne reviendra pas ici sur l’antériorité de certaines découvertes bibliographiques par R. Amadou ou par nous-même, en ce qui concerne les frontispices et le rôle d’Alexandre Lenoir13 ou sur le rôle de Maurice Privat dans le lancement de l’idée dans les années Trente, entre autres. Ce qui nous intéressera ici, c’est le fait que ces recherches bibliographiques furent menées par des personnes qui par ailleurs étaient impliqués dans la réflexion astrologique. Or, si Amadou est resté fidèle au tropicalisme, nous sommes, pour notre part, passé au sidéralisme et plus spécifiquement au stellarisme.14 Autre différence, nous ne nous servons pas d’Uranus alors qu’on l’a vu R. Amadou accepte de relier le signe du verseau avec cet astre découvert en 1781. Il y a là deux points de divergence de la plus haute importance au sein de la doctrine astrologique, si bien que la question d’Aquarius nous apparaît comme une pomme de discorde au sein du milieu astrologique.
Comme l’a noté P. Guinard, dans son Manifeste (à lire sur Cura.free.fr) et, précédemment, dans sa thèse de 1993 (soutenue dans le cadre du département. de Philosophie, Université Paris I), il est étrange que des astrologues tropicalistes accordent une quelconque importance aux ères précessionnelles. R. Amadou cite (Cahier 21, septembre 2000) les propos de Max Duval, décédé en 2000, que nous avions fréquenté trente ans plus tôt. R. Amadou résume ainsi la pensée de Duval : L’arbitraire des essais de délimiter les constellations zodiacales rend inconcevable tel était son mot, d’y recourir pour la chronologie des ères historico-astrologiques. La seule solution est dans le choix d’une étoile-repère dont on observe le mouvement dans les signes tropiques égaux de 30°.
Avec l’intégration de la théorie des Eres, probablement sous l’influence de l’astrologie de l’Inde15 au sein du canon astrologique, on est en effet en plein syncrétisme, c’est-à-dire que tout ce qui touche de près ou de loin à une idée astrologique est accepté et assemblé ; on a d’ailleurs là, de par un tel brassage, une clef de l’histoire du texte astrologique à travers les âges.
La théorie des ères, telle qu’elle se formula à la fin du XVIIIe siècle, appartient davantage au plan de l’Histoire - de celle des religions en particulier - qu’à celui de l’astrologie. Un Charles-François Dupuis16 ne croit pas en l’astrologie mais il reconnaît que la croyance astrologique doit être étudiée et qu’elle peut notamment servir à la datation de certains monuments (Zodiaque de Dendérah). De la même façon qu’ à partir du XVIIe siècle - et notamment de Galilée qui nomma Ganymède un des satellites de Jupiter; comme le rappelle R. A. - le milieu astronomique ne fait pas, pour autant, de l’astrologie en nommant les nouvelles planètes - satellites et astéroïdes compris- en recourant à la mythologie gréco-latine. Quand la première planète transsaturnienne est découverte par Herschel en 1781 et finit, après quelque tâtonnement, par être baptisée Uranus, on n’est pas dans un discours astrologique. Cela dit, ces nouvelles extensions et applications de l’astronomie vont finir par interpeller les astrologues et conférer à l’astrologie moderne - nouvelle - une physionomie particulière qui rendra obsolètes aux yeux des nouvelles générations la littérature astrologique ancienne.17 Tout se passa, en fait, comme si, lors de l’éclipse, de la vacance, de l’astrologie, un discours de substitution s’était mis en place, comme si avec le déclin de l’astrologie, l’astronomie avait voulu occuper un espace plus vaste, comme si, au fond, les astronomes avaient joué à être, à leur façon, des astrologues, en cherchant à montrer que l’astronomie pouvait servir l’historien et qu’elle savait conférer aux astres une certaine identité. Ce sont de tels égarements de la part des astronomes qui allaient par la suite être récupérés sans scrupule notable - on le voit bien chez R. A. - par les astrologues et parvenir à un nouveau consensus entre eux, au cours du XXe siècle, dont le couple Uranus/Ere du Verseau est un des fleurons les plus remarquables en dépit de la solution de continuité que de telles additions à la Tradition provoquèrent.
En ce qui nous concerne, la théorie des ères dégage un tout autre enseignement, en mettant l’accent sur la dimension sociale du rapport des hommes au cosmos et surtout sur l’existence d’un acte délibéré, conscient, d’instrumentalisation du ciel et ce de façon tout à fait sélective, c’est-à-dire non pas dans la globalité du dit ciel mais bien selon certains angles particuliers, au regard des besoins organisationnels. Nulle question ici d’un ciel qui s’imposerait aux hommes à leur insu !
En adoptant ce système, les astrologues, à la suite d’ailleurs des adeptes des prophéties et de la fin des Temps, allaient en donner une toute autre lecture, à savoir celle d’un ciel dictant aux hommes des symboles zodiacaux voire imprimant ceux-ci dans leur psychisme et ce au fur et à mesure et en fonction du processus précessionnel. Une telle approche ne pouvait d’ailleurs qu’être renforcée par la prétendue influence de planètes invisibles à l’oeil nu et donc ne pouvant, à la différence des étoiles, avoir été encodées par les sociétés antiques. Deux conceptions antagonistes étaient ainsi en présence : celle d’une astrologie humaniste, anthropocentrique, créant un cosmos à sa mesure et celle d’une astrologie transcendantale, où l’homme se mettait au diapason du cosmos. Il semble bien que la première soit la nôtre et la seconde celle d’un Robert Amadou.
Mais non seulement nous allions défendre dès 198618 la thèse d’une astrologie élaborée au sein d’une certaine société, sur la base de certaines connaissances et de certains usages, mais encore allions-nous, par la suite, basculer vers une astrologie stellariste, abandonnant totalement, dans les dernières années du XXe siècle, le zodiaque des signes non point, comme les sidéralistes, pour un zodiaque des constellations mais pour un repérage à base de points stellaires, à savoir un nombre restreint d’étoile fixes en aspect avec Saturne, la plus lointaine des planètes connues de l’Antiquité19, c’est-à-dire un processus tout à fait à la portée des hommes d’il y a plusieurs millénaires. Quant à la théorie précessionnelle, elle disparut très vite de notre horizon sinon en tant qu’artefact n’ayant même pas la vertu à la différence de la combinatoire Saturne/étoiles de s’être progressivement imposée à l’Inconscient Collectif.
Pourquoi, nous demandera-t-on, avoir accepté le pôle planète/étoile et non pas le pôle point vernal/constellation ? Il convient de réfléchir sur la formation du zodiaque qui est la base du discours précessionnel. L’astrologie que nous reconnaissons n’est pas zodiacale ; le zodiaque nous apparaît comme une projection sur le plan stellaire d’un système saisonnier, météorologique, agricole, tel que d’ailleurs il sera défini au XVIIIe siècle par l’abbé Pluche et par d’autres, dans ce qu’on appelle alors l’origine des fables. Deux astrologies en fait étaient ainsi en présence qui allaient finir par se mélanger : l’une annuelle, axée sur les luminaires - le soleil et la lune - et s’intéressant au passage d’une saison à l’autre - ce qui est le propre du point vernal, qui détermine, comme son nom l’indique, le début du printemps et l’autre planétaire - et s’intéressant notamment à Jupiter et à Saturne dont les cycles apportaient une dimension de temps sensiblement au delà du mois et de l’année - et donc plus tardive, plus sophistiquée sur le plan de la connaissance astronomique - puisque impliquant d’avoir discerné au firmament entre planètes et étoiles.
A l’évidence, la théorie précessionnelle appartient à ce stade syncrétique où l’astrologie saisonnière a été projetée sur le parcours des planètes et où le point vernal est associé avec une certaine étoile avec laquelle le soleil se conjoint une fois par an, laquelle étoile, au bout d’un certain temps, ne fait plus l’affaire et ne correspond plus au changement saisonnier (équinoxes et solstices), et cela tient précisément à ce que l’on nomme précession des équinoxes (à savoir l’axe printemps-automne). Or, une telle théorie nous semble parfaitement inintéressante au regard des sociétés traditionnelles, sous l’angle de l’anthropologie sociale qui est le nôtre. Soulignons le fait que cette théorie implique un changement de point vernal tous les 2000 ans et plus, ce qui est une période de temps considérable de nos jours et probablement plus encore jadis. En réalité, le point vernal aurait du être changé beaucoup plus souvent, 2000 ans et plus ne correspondant qu’au passage d’un secteur au suivant, selon un découpage en douze, cela dit pour simplifier et sans entrer dans le détail. De quelle utilité aurait pu être un tel dispositif ? Rien à voir, en tout cas, avec les périodes de sept, de quinze ou de trente ans propres aux aspects entre Saturne et les étoiles fixes et qui s’inscrivent infiniment mieux dans le temps de la Cité !
Bien entendu, pour l’autre école astrologique, que nous avons appelée transcendentaliste, nos considérations sont de peu de poids puisqu’il ne s’agit pas pour les membres de cette mouvance d’un ciel à la portée des hommes mais d’un système cosmique s’imposant à eux et qu’ils auraient eu non pas à élaborer mais à découvrir au fur et à mesure des progrès scientifiques et techniques, construction de télescopes, par exemple pour Neptune (1846) et Pluton (1930). De nos jours, cette école est largement dominante et elle regroupe aussi bien un André Barbault qu’un Jean-Pierre Nicola et leurs épigones, opposés par ailleurs sur de nombreux points.
Certes, nous sommes tous à peu près d’accord sur le fait que les astres agissent sur les hommes d’aujourd’hui de façon inconsciente mais pour les uns, cette inconscience est au commencement du rapport entre l’homme et les astres alors que pour les autres, et notamment pour nous, il y a eu d’abord arrangement conscient de ce que nous devons décoder dans le ciel puis inconscientisation - ce que nous appelons hypnologisation - puis narcosisation, c’est-à-dire retour à la conscience (par une narcoanalyse), retour du refoulé, anamnèse. Dans notre représentation des choses, les hommes n’ont utilisé que certaines configurations et en ont négligé d’autres alors que dans la représentation de l’autre camp, toutes les configurations font sens, du fait même qu’elles existent astronomiquement parlant, d’où une surproduction inflationniste de signes supposés, censés, signifier, l’astrologie malade d’une indigestion d’astronomie, en raison d’un ciel surdimensionné.
Nous parlions de syncrétisme à propos de l’intégration de la théorie des Eres au sein du corpus astrologique mais nous avons montré à quel point le phénomène était général et qu’on avait ainsi regroupé au fil des siècles tous les systèmes de représentation ayant trait d’une façon ou d’une autre avec les astres, avec le ciel, au sein d’un seul et même ensemble. En réalité, on a aussi pas mal supprimé à commencer par le rôle accordé aux étoiles, tant d’ailleurs chez les tropicalistes que chez les sidéralistes. Certes, les étoiles fixes n’ont-elles pas totalement disparu de la pratique astrologique - et R. A. fait partie de ceux qui leur attachent encore quelque importance - mais elles ne jouent plus de rôle en ce qui concerne la cyclicité en astrologie mondiale, on leur préfère largement les nouvelles planètes, dont la lenteur relative leur permet de jouer le rôle des dites étoiles, comme on le voit avec le cycle Saturne-Neptune cher à André Barbault.20
En fait l’école précessionnaliste s’intéresse aux étoiles mais seulement si elles servent à découper le zodiaque et sans rapport avec les planètes alors que selon nous les étoiles doivent être activées par les planètes. Pour les sidéralistes, ce ne sont d’ailleurs pas tant les constellations qui comptent que le point à partir duquel on divisera l’écliptique en 12 secteurs égaux et qu’ils ont fixé une fois pour toutes à une certaine étoile de la constellation du Bélier, sans tenir compte de la précession des équinoxes. La position des sidéralistes n’est d’ailleurs peut-être pas aussi étrange que semblent le laisser entendre R. A. ou André Barbault cité par R. A. à ce propos; en effet, il ne faut pas systématiquement chercher à corriger ou à compléter les erreurs et les insuffisances des hommes de l’Antiquité.21 Si à une époque donnée, on a privilégié, à tort ou à raison, une certaine étoile, il se pourrait que les homme soient devenus sensibles à ce qui touche à la dite étoile, combien même n’apparaîtrait-elle plus que comme un facteur arbitraire et aléatoire. Encore faudrait-il que la dite étoile fût soumise à une certaine cyclicité, c’est-à-dire aux aspects d’un astre relativement rapide (luminaire, planète) mais il ne semble pas que les astrologues sidéralistes aillent dans ce sens et à partir de cette étoile bien réelle - encore qu’il resterait à déterminer si l’on ne s’est pas trompé d’étoile, depuis le temps - ils déterminent d’autres points dans le ciel, pour passer d’un signe à l’autre, qui ne correspondent cette fois nullement à d’autres étoiles, ou en tout cas pas toujours, et sont parfaitement fictifs.
Non seulement, les astrologues ont-ils fini par récupérer les ères précessionnelles en reprenant à leur compte les travaux d’un Paul Le Cour, par ailleurs peu enclin, comme le rappelle R. Amadou, à la pratique de l’astrologie, mais ils ont enrichi l’ère du Verseau en la reliant à Uranus, lequel ne figure pas - on s’en doute - dans le dispositif ptoléméen du Tétrabible. Pour notre part, il est tout à fait exclus de se référer à la planète découverte par William Herschel. Il y a là d’ailleurs, convenons-en, une coïncidence qui a pu marquer les esprits puisqu’au moment même où l’idée d’une nouvelle ère prend forme que les astrologues s’interrogent sur le signe à attribuer à la nouvelle planète Uranus.22 et qu’ils s’accordent pour la situer dans le signe du Verseau ! Nouvelle planète pour une nouvelle ère, annonçant en quelque sorte la nouvelle ère. Il y a là de quoi frapper les esprits, n’est-il pas vrai ?
L’attribution d’Uranus au Verseau fut-elle influencée par l’annonce de l’ère du verseau et ce d’autant que Sepp, largement cité par Amadou23, parlait, dans l’original allemand de son livre, de la nouvelle ère des Poissons et non point de celle du Verseau, comme l’a montré Christian Lazarides ? Toujours est-il que c’est le Verseau qui l’a doublement emporté en se faisant attribuer et le lien avec la nouvelle planète Uranus et la paternité de la nouvelle ère précessionnelle. R. Amadou signale24 le cas intéressant de l’astrologue britannique Alfred John Pearce, auteur de The Text-Book of Astrology : Au temps du Textbook (sic) of Astrology de A. J. Pearce, en 1879, pour qui l’ère du Verseau va de soi, toute l’astrologie britannique ou presque porte l’empreinte de la Société théosophique fondée en 1875. Or la fondatrice, Mme Blavatsky - HPB - n’écrit pas sur l’ère du Verseau avant 1887, mais elle en parlait d’abondance et l’enseignait depuis longtemps auparavant Signalons que Christian Lazaridés a étudié de près la place des ères chez la fondatrice de la Théosophie.
Au chapitre XVII du Livre I, consacré à The planet Uranus25, Pearce écrit : The existence of Uranus having been unknown to the ancient accounts for most of the errors of the old writers on nativities, propos typique d’un certain état d’esprit évoquant la querelle des Anciens et des Modernes. Il note : Some modern authors have assigned Aquarius to Uranus thus either robbing Saturn of his day-house or forcing upon him a partner. However, until experience teaches us in what signs Uranus and Neptune are most powerful, I must decline to endorse so hasty an attempt to provide for one of the houseless wanderers (p. 63). En ce qui concerne les ères, nous n’avons trouvé chez Pearce que ces deux passages : After 2160 years from the first period of Buddha or the Sun in Gemini, the precession of the equinoxes brought the vernal into the sign Taurus (...) After another period of 2160 years the vernal equinox fell in the sign Aries, the ram. (p. 10) Et : It is a remarkable fact that the Christian era is connected with the epoch of the vernal equinox in Aries - the sacrificial ram or lamb26, ce qui semble se rapprocher plutôt de la position de Sepp en faveur d’une nouvelle ère en Poissons et non pas, comme l’affirme R. Amadou, en Verseau, puisque si l’ère chrétienne correspond au Bélier (Aries), l’ère suivante est nécessairement associée aux Poissons.
D’ailleurs, on ne trouve pas autre chose chez Dupuis dans son Examen d’un ouvrage phrygien contenant la doctrine apocalyptique des initiés aux mystères de la Lumière et du Soleil Equinoxial de Printemps, sous le symbole de l’Agneau ou d’Aries, premier des douze signes27 quand il conclut (Ch. XX, p. 293) : Substituez l’Agneau qui remplace le Taureau dans la suite à l’Equinoxe et vous aurez la doctrine de l’Apocalypse mot pour mot. Pour Dupuis, on est entré, écrivait-il à la fin du XVIIIe siècle, dans l’ ère du Taureau, pour employer un terme qui n’appartient pas à son vocabulaire, il n’y a que 4000 ans. Plus de mille ans avant le règne d’Auguste, ou l’ère vulgaire le Soleil n’ouvrait plus l’année, monté sur le Taureau mais placé sur le Bélier ou l’Agneau céleste. De nouvelles religions se formèrent et s’emparèrent de ce nouveau symbole.28 Ainsi, pour Dupuis, l’apparition du christianisme correspond au milieu de l’ère du Bélier, à son apogée et non pas au début d’une nouvelle ère. Christian Lazarides, à qui nous avons signalé ce passage, nous fait cependant remarquer qu’ailleurs Dupuis et Delaulnaye présentent les mêmes données, à savoir une ère du bélier commençant beaucoup plus tôt vers -2500 ans avant JC et donc une ère des poissons précédant l’apparition du christianisme. Pour notre part, nous pensons que la thèse défendue par Dupuis, du moins dans l’Origine de tous les Cultes, correspond bien à une ère des Poissons nettement postérieure et non pas antérieure à l’ère chrétienne, étant entendu que nous n’entrerons pas ici dans le débat quant au positionnement réel du point vernal mais à la façon dont Dupuis l’a perçu lorsqu’il a développé ses thèses sur la symbolique bélier de la religion chrétienne, ce qui n’exclue pas qu’ailleurs, pour telle ou telle raison, il ait adopté un autre parti, plus favorable à un changement cosmique en rapport avec le christianisme. En effet, la thèse de l’Origine ne pouvait qu’être fort mal reçue par les milieux chrétiens puisque Dupuis ne faisait du culte de Jésus qu’une resucée de celui du dieu Amon - bélier portant le soleil entre ses cornes, comme on peut le voir sur le frontispice Dupuis mais non chez Delaulnaye - autrement dit une sorte de culte d’origine égyptienne. Deux thèses s’opposent bel et bien : celle d’un Dupuis qui ne veut nullement présenter le christianisme comme une religion radicalement nouvelle suivant en cela l’exemple des libertins érudits29 et celle - que nous contestons - d’un Dupuis qui reconnaîtrait, du moins implicitement, que le christianisme correspond bien à un nouvel état religieux, n’obéissant plus à la symbolique bélier que de façon résiduelle ; en d’autres termes, pour le Dupuis de l’Origine - car il semble qu’il y ait eu successivement plusieurs Dupuis - le christianisme ne serait pas en rupture avec le judaïsme, ce seraient deux avatars, deux manifestations du Bélier/Agneau. Il ne semble pas, au demeurant, que dans l’Origine, Dupuis ait envisagé d’aucune manière un quelconque avenir religieux, que l’on pourrait ou devrait déterminer d’après le processus précessionnel et encore moins qu’un tel processus symbolique puisse se produire sans la complicité des sociétés et de leurs dirigeants politiques ou/et religieux, donc dans une optique aucunement d’ordre astrologique, au sens influentiel du terme, où le verdict cosmique transcenderait la volonté humaine, position qui semble être celle de Sepp, sur la base de données astronomiques faisant démarrer l’ère du Bélier quelques siècles après la date signalée par Dupuis dans son commentaire du Frontispice de l’Origine. Comme l’a montré le recueil Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau, on peut approcher le problème des ères soit par la grille de l’Histoire des Religions, soit par celle de la dynamique céleste; la diversité des dates avancées pour déterminer le début de l’ère du Verseau en disant long sur l’importance considérable à accorder à l’analyse proprement historique aujourd’hui comme hier. Ce qui d’ailleurs nous conduit à penser que le ciel est souvent vécu comme une auberge espagnole.
Nous n’entrerons donc pas dans le débat quant à déterminer si Dupuis avait raison de placer le changement d’ère environ vers l’An Mille alors que d’autres plaçaient ce changement mille ans plus tôt. Décalage énorme donc d’approche entre Dupuis et Delaulnaye, par delà même leurs interprétations des données astronomiques, puisque pour ce dernier, selon son tableau récapitulatif de 179130 le monde serait entré dans le Bélier en - 2504, soit environ 1500 ans avant la date adoptée par Dupuis, vers - 1000! On comprend mieux pourquoi Sepp parlait de l’avènement de l’ère des Poissons et non de celle du Verseau - comme le laisse entendre R. Amadou, sur la base d’une traduction française biaisée - et on notera que le lien entre la constellation des Poissons et le christianisme, cher à un Paul Le Cour (1937), n’était nullement à l’ordre du jour chez Charles-François Dupuis lequel cherchait avant tout à situer le christianisme parmi d’autres cultes du Bélier et non pas à en faire la religion d’une nouvelle ère. Sepp voulait aller plus loin que Dupuis en extrapolant vers une nouvelle échéance mais il n’en restait pas moins fidèle à son découpage chronologique, l’ère des Poissons ayant commencé en l’An 1000 - ce qui correspond assez bien au début du joachimisme - 1000 ans avant JC plus 2160 donnent le XIIe siècle de notre ère - et devant culminer au XXe siècle et se maintenir jusqu’à l’An 3000, qui verrait alors l’avènement d’une ère du Verseau et non en l’An 2000 comme un Paul Le Cour l’annonçait, avec d’ailleurs l’idée d’un Second Avènement du Christ. C’est dire que tout le monde n’est pas sur la même longueur d’onde ni sur le modèle chronologique, ni sur son interprétation.
En tout cas, on ne voit pas où R. Amadou a pu lire que Pearce acceptait l’idée d’ère du Verseau, lequel Pearce n’était pas par ailleurs pour accorder le signe du Verseau à Uranus. On voit donc qu’il reste matière à préciser un certain nombre de points relatifs à l’astrologie du XXe siècle et à sa protohistoire, comme aime à dire R. Amadou31, tant en ce qui concerne la question des ères que celle des domiciles telle qu’elle a fini par se cristalliser. On notera d’ailleurs que Pearce passe indifféremment des signes aux constellations dans son Text-Book, en recourant aux mêmes dénominations zodiacales, d’autant qu’en anglais les signes et les constellations sont désignés par le même terme latin alors qu’en français, le latin est réservé aux seules constellations. Il semblerait d’ailleurs que Dupuis n’ait pas lui-même été à l’abri d’un tel flottement (cf. infra). Il reste qu’il faudrait examiner de plus près si l’attribution du signe du verseau à Uranus, planète découverte, du moins selon les calculs de Delaulnaye, au tout début du passage du point vernal dans la constellation dite du Verseau, est ou non le fruit du hasard. Certes, il existe des raisons structurelles pour placer Uranus dans un signe attribué à Saturne, domicilié tant en capricorne qu’en verseau, dans la mesure où Uranus succède à cette planète en tant que dernière planète, la plus éloignée - poste qu’il occupera jusqu’en 1846, avec la découverte de Neptune. Ajoutons que pour l’exaltation d’Uranus, le Scorpion sera adopté, signe qui fait suite à la Balance, signe où Saturne est exalté, suivant là un raisonnement quelque peu différent. Mais le dispositif des exaltations comportait des vides - dont justement le Scorpion32 - alors que, comme on peut le voir dans le Tétrabible, les domiciles sont tous attribués. Il faut probablement parler ici d’une coïncidence focalisant sur le Verseau, signe et constellation, mais celle-ci a pu frapper les esprits.
Dupuis et l’horloge arrêtée
Cela dit, à y regarder de plus près, Dupuis semble bien associer le Bélier au christianisme mais pas à lui seul, en fait, il en fait une religion du Bélier parmi d’autres et l’on peut penser que d’autres chercheurs aient voulu faire en sorte que le christianisme se différencie des autres religions et coïncide avec un changement d’ère, et c’est ce parti qui finira par l’emporter mais apparemment le débat ne fut tranché qu’au début du XXe siècle.
Que dit Dupuis sur le lien Christianisme-zodiaque et est-ce si différent de ce qu’en dit Sepp ? Prenons son Abrégé de l’Origine de tous les culte, Paris, 1836, Reed Rennes, Awac, 1978 : Ignorez-vous que deux mille ans avant l’ère chrétienne, époque à laquelle remonte la religion des Perses et le culte mithriaque ou du taureau de Mithra, le Soleil franchissait le passage équinoxial sous le signe du Taureau et que ce n’est que par l’effet de la précession des équinoxes qu’il le franchit de vos jours sous le signe de l’Agneau ? Qu’il n’y a de changé que les formes célestes et le nom, que le culte est absolument le même ? (p. 292)
Les mystères de Christ sont donc tout simplement les mystères du dieu Soleil dans son triomphe équinoxial où il emprunte les formes du premier signe ou celles de l’Agneau céleste. (p. 298)
Le nom d’agneau n’a été donné à Christ et on ne l’a anciennement représenté sous cet emblème que parce que le Christ est le Soleil sous cet emblème que parce que le Christ est le Soleil et que le triomphe du Soleil arrive tous les ans sous le signe céleste de l’Agneau ou sous le signe qui était alors le premier des douze et dans lequel l’équinoxe de printemps avait lieu. Les Troyens avaient consacré pour victime au soleil l’agneau blanc et leur pays était célèbre par les mystères d’Atys, dans lesquels l’Agneau équinoxial jouait un grand rôle. (p. 301)
La thèse de Dupuis, on le voit, ne consiste nullement à démontrer que le christianisme est une nouvelle religion mais à souligner ce qui le relie à d’autres religions également marquées par le Bélier. Il veut aussi montrer, en une sorte de panthéisme, que les religions du Bélier ne sont de toute façon pas vraiment différentes de celles du Taureau : que le culte est absolument le même, écrit-il dans son étude sur Firmicus Maternus.
Il semble que pour contrer Dupuis, on ait détourné son discours et soutenu que le Christianisme constituait une révolution, un nouvel âge et l’on insistera dès lors sur le lien Christianisme/Poissons. Mais c’est alors qu’aux yeux d’autres chercheurs, anti-chrétiens, il fallait montrer que l’ère chrétienne était parvenue à son terme et que l’on passait à un nouvel âge zodiacal, celui du Verseau, selon la précession qui fait défiler les signes en sens inverse, d’où le nom même de précession et non de succession. Ainsi, nous serions en présence de trois écoles : celle qui voudrait situer le christianisme dans une continuité avec d’autres religions du Bélier, celle qui voudrait insister sur le fait que l’on vit désormais sous les Poissons, signe du christianisme qui le démarque des autres cultes et enfin celle qui annonce la fin du christianisme et l’avènement d’une ère du Verseau qui verra se développer encore autre chose, c’est la position du traducteur français de Sepp, dans les années 1850, qui finira par s’imposer et qui sera reprise notamment par Paul Le Cour.
La question n’est pas ici de savoir quel auteur avait raison d’un point de vue astronomique mais comment les choses se sont réellement passées, car on ne reconstruit pas l’Histoire avec sa seule logique mais en disposant de tous les éléments. On ajoutera qu’en l’occurrence, le domaine des constellations est extrêmement mal circonscrit. Nous avions en 1992 publié un tableau datant de 1791 et indiquant le passage du point vernal en Verseau, chez Delaulnaye pour 1726 : quelle précision sur un tel sujet !33 On connaissait la durée d’une ère en découpant en 12 le cycle précessionnel mais on ne savait guère à quelle date chacune débutait.34
Il semble qu’il faille distinguer les thèses de Dupuis de celles de Volney et de Delaulnaye, quand bien même se référeraient-elles à Dupuis.35 ; ces deux auteurs militent en faveur d’une Ere des Poissons correspondant à l’avènement du Christianisme mais est-ce là véritablement la position de Dupuis ? Il semble que Dupuis et son Origine de tous les Cultes ou Religion Universelle, Paris, H. Agasse, An III de la République (1795) aient influencé les ésotéristes allemands alors que Volney, dont les Ruines furent notamment traduites en anglais influencèrent les ésotéristes Anglo-saxons et c’est cette représentation qui finira par l’emporter. Mais un Pearce, pour sa part, nous semble plutôt avoir pris connaissance des idées de Dupuis, directement ou indirectement. On ne saurait donc suivre R. Amadou quand il tend à dissimuler l’existence, à la fin du XVIIIe siècle et tout au long du XIXe siècle, de deux courants s’opposant sur la lecture précessionnelle de l’Histoire des Religions, sujet au demeurant des plus sensibles et qui pouvait diviser les esprits. D’ailleurs R. Amadou ne manifeste-t-il pas quelque perplexité à propos du frontispice : Si la présence du Verseau est ici implicite, son sens ne le serait qu’à un troisième degré ; ne sont présents ou interprétés non plus les Poissons, par exemple, qu’on croirait curieusement remplacés par le Bélier. Avec Dupuis, pourtant, de même qu’avec son contemporain L’Aulnaye, nous sommes bien dans les sujet, à savoir la théorie générale de l’EV (Ere du Verseau) et par conséquent, compte tenu du vague, la préhistoire du mythe.36
Force, cependant, est de constater à quel point Delaulnaye et Volney sont bien plus explicites que Dupuis et se placent donc plus directement que lui dans la dite préhistoire de l’EV : déjà dans le frontispice, nous notions dans notre thèse d’Etat (p. 446) que chez Dupuis le Zodiaque comporte le bélier suivi du taureau tandis que chez Delaulnaye, l’on découvre de gauche à droite taureau, bélier et poissons. Si de plagiat il s’agit, il faudrait parler de la part de Delaulnaye, il serait accompagné d’une retouche de taille, ce qui ne saurait surprendre l’historien des textes et c’est ici le plagiaire qui dépasse littéralement les positions de son modèle et les détourne en marquant une rupture lors de l’avènement du Christianisme qui n’est nullement dans l’idée de Dupuis.37
En réalité, à propos d’influence, ne serait-ce pas bien plutôt Dupuis qui aurait emprunté le frontispice à Delaulnaye - dont l’Histoire particulière et générale des religions et du culte de Delaulnaye (1791) le comportant, paru d’ailleurs avant son Origine de tous les cultes, combien même le commentaire de Dupuis serait-il plus savant ? On notera que le nom de Bernard Picart, dont le frontispice figure dans les Cérémonies et coutumes religieuses (Amsterdam, 1727) figure non pas chez Dupuis mais bien, comme l’a observé R. Amadou38, dans le prospectus annonçant la parution du traité de 1791.39
Delaulnaye va beaucoup plus loin que ne le fera Dupuis, puisqu’il fixe le passage de la ligne équinoxiale sur l’axe des constellations Bélier/Balance à 2500 ans avant le règne d’Auguste mais nous verrons que pour Dupuis, le christianisme reste l’héritier, sans solution de continuité de cette ère du Bélier, dont il serait en fait un surgeon tardif et non pas une nouvelle et cruciale étape de l’Histoire des Cultes.
Ainsi, en fin de compte, n’adopterons-nous point la thèse du plagiat commis par Delaulnaye à l’encontre de Dupuis, il s’agirait plutôt d’influences croisées. Une comparaison des trois frontispices montre d’ailleurs que Delaulnaye n’aura finalement emprunté à Picard qu’une idée générale, celle de rassembler les représentants et les symboles des diverses religions en un seul et même tableau mais chez Picard, ne figure point au ciel les signes du bélier, du taureau et des poissons comme ce sera le cas chez Delaulnaye-Dupuis se refusant à placer les Poissons. Les points communs de Delaunaye avec Picart se réduisent en gros au personnage enturbanné de Mahomet lequel n’apparaît plus chez Dupuis et à celui, féminin, de la Vierge, laquelle figure dans les trois frontispices, avec son voile. Mais sur le frontispice de Picart, point de taureau, élément essentiel de la composition de la gravure figurant chez Delaulnaye, repris intégralement par Dupuis. En fait, les deux frontispices des années 1790 semblent essentiellement axés sur le Taureau alors que chez Picart, on a la représentation des religions du Livre, catholicisme, protestantisme, judaïsme, Islam40, tout au plus y évoque-t-on l’empire romain : aucune référence aux cultes d’animaux: en comparant le frontispice de Picart et celui de Delaulnaye/Dupuis - dont on a dit les variantes - seule la juxtaposition des divers cultes en un seul tableau est maintenue mais pour Picart, il s’agit de décrire les religions actuellement en vigueur bien plus que d’établir une quelconque filiation entre celles-ci et des cultes antérieurs. En ce sens Picart n’est pas en phase avec le libertinage érudit d’un La Mothe Le Vayer, qui tend à refuser une quelconque progression d’une religion à l’autre. Il y a là deux options sensiblement différentes mais tout aussi corrosives : l’une qui insiste sur le caractère secondaire des différences autour desquelles des guerres se font - plus ça change et plus c’est la même chose - et l’autre qui met l’accent sur la durée limitée de la vie des cultes, ce qui rejoint le point des astrologues, spéculant sur la fin de l’Islam, par exemple, au bout de 1000 ans, ce qui était très à la mode, au XVIIe siècle.
En fait, sur le frontispice, on trouve la vision d’Ezéchiel, reprise dans l’Apocalypse avec l’aigle, le taureau, le lion, l’homme étant ici représenté par la Vierge et Jésus, et donc en ce sens relié au Verseau, le signe opposé au Lion, mais le Lion a disparu dans la composition de Dupuis, ce qui, selon nous, confirme le plagiat, souvent trahi par sa maladresse ! Au centre de la vision du tétramorphe, l’agneau pascal sur l’autel. En revanche, chez Dupuis, se profile à l’arrière plan, à droite, le bélier d’Amon qu’on ne découvre pas chez Delaulnaye. On voit mal un plagiaire corriger un document défectueux mais bien ne pas en saisir pleinement la portée en perdant en route certains éléments propres au modèle.
Ajoutons que Picart ne se situe nullement dans une perspective astrologique mais son travail a pu être ésotérisé et d’abord articulé sur un plan astronomique, ce qui n’est d’ailleurs pas illégitime en soi, d’un point de vue interdisciplinaire, étant donné l’importance accordée de tout temps au cosmos et à son mouvement tel du moins qu’on était en mesure de l’appréhender mais de là à transformer une tentative de modélisation de l’Histoire des Religions en un système prophétique et prédictif, il y a là un joli saut épistémologique.
Mais, en tout état de cause, dira-t-on, une nouvelle ère ne se présentait-elle point, qu’elle fut celle des Poissons ou du Verseau, même s’il peut sembler incroyable que l’on puisse avoir un tel différend quand on sait que plus de 2000 ans séparent a priori les deux options ? Ce serait oublier que nous sommes ici en présence de deux paramètres, l’un astronomique, l’autre religieux. Si pour Dupuis, le christianisme reste symboliquement marqué par le Bélier, il en déduit que l’ère chrétienne relève toujours du Bélier et ce sans considération pour le prochain décalage. En fait, tout se passe comme si, pour Dupuis, l’horloge était arrêtée au Bélier et que le système n’était nullement conçu pour envisager une quelconque extrapolation. Pour Dupuis, l’important était de montrer que l’acte de naissance du christianisme était en Bélier, cela n’allait pas plus loin mais nous verrons qu’il existe une explication complémentaire ou alternative pour rendre compte de son attitude (cf. infra). En revanche, pour Delaulnaye et Volney, il était possible de lire l’Histoire autrement et de relier le christianisme non pas au Bélier mais aux Poissons, en s’en tenant au glissement précessionnel et donc en n’arrêtant par l’horloge, jouant ainsi aux apprentis sorciers puisque selon une telle logique on finirait, tôt ou tard, par s’acheminer vers l’annonce d’une nouvelle ère, post-chrétienne, ce dont ne se privera pas, on le sait, un Paul Le Cour. En fin de compte, on ne saurait dire que Sepp suivit Dupuis puisque lui aussi refuse d’arrêter l’horloge mais il commet un contresens à son égard en annonçant une nouvelle ère des Poissons, ne comprenant pas l’approche de Dupuis consistant à figer tout processus religieux à l’âge du Bélier, approche rétrospective et non pas prospective.
En un certain sens, cependant, le traducteur français de Sepp, Charles Sainte- Foi41 a raison de remplacer Poissons par Verseau, du moins d’un point de vue astronomique. En revanche, d’un point de vue anthropologique, on peut sérieusement se demander si Dupuis n’était pas dans le vrai en considérant que le processus religieux était désormais en roue libre, continuant sur sa lancée, et n’était pas voué à se renouveler du fait de nouvelles échéances astronomiques, assez vaines.
Comme nous l’exprimions, au début de la présente étude, il y a un clivage, parmi ceux qui s’intéressent aux liens entre les hommes et le cosmos : il y a ceux qui, comme nous, pensent que ces liens s’établissent à un moment donné et perdurent et ceux qui envisagent l’évolution de ces liens en tenant le raisonnement suivant : si les bases sur lesquelles on s’est appuyé se modifient, ne convient-il pas d’en tenir compte? Si le point vernal qui a présidé à la formation de tel culte se meut, ne convient-il pas, en effet, d’en tirer des conséquences ? Mais raisonner ainsi, c’est supposer que l’aptitude de nos sociétés à se reprogrammer pour être en phase avec de nouvelles données est restée intacte, ce qui est très discutable. C’est au demeurant ce que soutiennent les astrologues qui veulent intégrer Uranus, et d’autres planètes encore plus lointaines dans le rapport des hommes au cosmos alors que nous pensons que les bureaux sont fermés depuis belle lurette. On observe donc ici un clivage très marqué au sein des chercheurs en anthropologie cosmique.
Ajoutons, pour finir, un questionnement qui pourrait remettre en cause toute la théorie équinoxiale telle que l’a inaugurée Charles-François Dupuis. Car si ce dernier refuse, selon nous, de passer du Bélier aux Poissons, en revanche, son raisonnement implique que l’on soit passé du Taureau au Bélier. Selon Dupuis, les anciens auraient fondé une religion ou un ensemble de cultes autour du Taureau, quand le point vernal croisait la constellation du Taureau puis auraient réaménagé ceux-ci quand le point vernal était passé dans la constellation du Bélier. Dupuis avait besoin de mettre en évidence un tel passage pour conférer quelque dynamique à son modèle mais n’aurait pas souhaité qu’il s’emballât. Ce que Dupuis ne considère pas, c’est que dans le Taureau, il y a une étoile de première grandeur qui est Aldébaran, l’Oeil du Taureau et qui fait pourtant partie des quatre étoiles royales. Pourtant Dupuis n’écrit-il pas : A la suite du système planétaire, le mystagogue nous présente le tableau du Ciel des fixes et les quatre figures célestes qui étaient placées aux quatre angles du Ciel, suivant le système astrologique. Ces quatre figures étaient le Lion, le Taureau, l’Homme du Verseau et l’Aigle, qui partageaient tout le zodiaque en quatre parties ou de trois signes en trois signes (...) Les étoiles qui y répondaient s’appelaient les quatre étoiles royales.42 On a vu que sur son frontispice, le Lion est étrangement absent. Ailleurs, Dupuis rappelle par ailleurs : Les Hébreux et les Chrétiens admettent quatre anges chargés de garder les quatre coins du Monde. L’astrologie avait accordé cette surveillance à quatre planètes; les Perses à quatre grandes étoiles placées aux quatre coins cardinaux du Ciel.43
Or, si un tel dispositif axé sur les étoiles royales existe dans le ciel, quel sens y aurait-il à le modifier du fait de la précession des équinoxes ? Et retrouverait-on ailleurs des étoiles aussi puissantes ? Il semble bien, tout au contraire, que la constellation du bélier ne comporte pas une étoile comparable à l’étoile royale Aldébaran. Dupuis se rend-il compte que face à Aldébaran, il y a une autre étoile, également, fort visible, Antarés, Coeur du Scorpion ? Imagine-t-il retrouver un tel axe dans les constellations du Bélier et de la Balance (autrefois Chelles du Scorpion) ? Or, si l’on commence à raisonner ainsi, on doit se poser la question suivante : comment un tel axe aurait-il pu être choisi pour correspondre à un moment donné au point vernal et à la ligne des équinoxes ? Autrement dit, un tel axe stellaire a été d’abord choisi parce qu’il était un axe céleste visuellement remarquable et probablement sans le moindre rapport avec des considérations saisonnières ou équinoxiales, ne correspondant pas nécessairement à une représentation concrète au niveau cosmique. La date à laquelle le dit axe fut pris en considération est d’ailleurs probablement très antérieure à une telle configuration équinoxiale même si, à un certain moment - tout arrive - cela put se produire. Il est possible que lors de la superposition de l’axe stellaire sur le point vernal, c’est-à-dire lorsque le soleil fut conjoint à Aldébaran au moment même où le printemps débutait dans l’Hémisphère Nord, cela fut l’occasion de rapprocher l’astrologie stellaro-planétaire de l’astrologie saisonnière et que le syncrétisme et la projection que nous évoquions plus haut se produisirent. Mais là encore, si l’humanité était habituée à Aldébaran, dans la constellation du Taureau, depuis de très longs siècles, était-il concevable qu’elle put ensuite se programmer pour réagir à une autre étoile, fut-elle liée au cycle saisonnier ? Pour notre part, nous ne le pensons pas et ce, pour les mêmes raisons qui empêchèrent Dupuis, d’envisager une nouvelle mutation religieuse.
Il nous apparaît que Dupuis a fort bien pu être victime d’une certaine confusion et d’une certaine méconnaissance du rapport entre astrologie et astronomie, rapport, il est vrai, parfois assez déconcertant. Sachant en effet que, dans les traités d’astrologie et d’astronomie, le premier signe du Zodiaque était le Bélier et que le Bélier correspondait à l’équinoxe, il a probablement cru que le point vernal se trouvait ipso facto dans la constellation du Bélier. A plusieurs reprises, on trouve sous sa plume des expressions telles que Agneau ou Bélier printanier.44 Certes, Dupuis sait-il qu’il fut un temps où le point équinoxial du printemps (était) occupé par l’image du fameux taureau45, que le Taureau équinoxial (...) précéda l’Agneau au point de départ des sphères et du printemps46, mais ne dit-on pas que le mouvement ou la révolution se compte du point d’Aries ou de l’Agneau équinoxial ?47 Est-ce que Dupuis peut concevoir que l’astrologie ait conservé comme point de départ le Bélier alors que celui-ci, en tant que constellation, ne correspond plus au point vernal, à l’équinoxe ? Prit- il vraiment conscience du décalage entre le tropical et le sidéral ? Certes, Dupuis sait pertinemment qu’un glissement se produit du fait de la précession des équinoxes mais ne suppose-t-il point - à tort - que l’astrologie en a tenu compte, tout au long de son Histoire et qu’elle aurait placé son point de départ en Poissons s’il l’avait fallu ? On notera que l’évolution probable du dispositif des exaltations va aussi dans ce sens : le soleil exalté en Taureau et domicilié en Lion- soit deux signes de la croix des fixes (celle d’Ezéchiel et de l’arcane XXI, Le Monde dans le Tarot) ne l’a-t-il pas été ensuite en Bélier, suivant en cela la précession des équinoxes ? Il ne semble pas que Dupuis ait noté ce point qui allait dans le sens de ses thèses alors que par ailleurs il accordait la plus grande importance au dispositif des Dignités Planétaires et le considérait comme une clef majeure de son Origine de l’An III. Or, le fait est que le processus s’est enrayé : on en est resté au Bélier. Dupuis a pu penser, de par une érudition qui pouvait parfois être fragile, que le Bélier était toujours en vigueur sur le plan précessionnel et vernal. Il ne s’est donc pas inquiété et, sans se rendre compte du hiatus chronologique, il a placé sous le signe du Bélier - signe qu’au Iie siècle de notre ère, Ptolémée place toujours en tête- le christianisme, erreur que ne commettra pas Delaulnaye, qui, lui, sait pertinemment que le point vernal est en Poissons depuis fort longtemps et qu’il en est même récemment sorti pour entrer en Verseau et ce, en dépit, des conventions prévalant dans la pratique astronomico-astrologique encore en vigueur à la fin du XVIIIe siècle et qui le reste d’ailleurs encore deux siècles plus tard. Nous sommes là enclins à démystifier quelque peu, avouons-le, la science de Charles-François Dupuis, un des grands mythes de l’astrologie française à moins qu’il ne faille plutôt parler du prophétisme français avec Nostradamus et éventuellement avec André Barbault, en observant que parfois l’erreur est créatrice. Le cas Dupuis est remarquable en ce qu’il s’agit d’un mythe posthume, mais ne fut-ce pas déjà le cas de Nostradamus auquel on attribua ce qui ne lui revenait pas. On ne prête qu’aux riches: il pouvait être tentant de faire remonter la théorie des ères sous sa forme aquarienne - Aquarius Age dans l’opéra Hair - à Charles-François Dupuis - la candidature de Paul Le Cour ne tenant guère dès lors qu’il y a l’allemand Sepp qui le précède largement au siècle précédent - alors qu’elle est le fait de ses disciples et de ses imitateurs, Delaulnaye et Volney voire Alexandre Lenoir, mais là encore on songe au phénomène Nostradamus. Avec Barbault, sa longévité à être son propre thuriféraire mais nul doute qu’en tout état de cause, il se fut trouvé des bonnes volontés pour établir ce culte.48
On sait d’ailleurs que dans le domaine divinatoire, c’est parfois quand le praticien perd le contrôle de son savoir qu’il est le plus performant, comme l’avait noté un Eudes Picard (1867-1932), à propos des erreurs de calcul que l’on commet dans le montage d’un thème ou lorsque les données fournies sont fausses.49
Dupuis se trouvait ainsi confronté avec trois zodiaques : celui auquel se référait le tétramorphe et qui privilégie les signes fixes à commencer par le Lion, celui auquel se référent les notions d’équinoxes et de solstices et qui donne la priorité aux signes cardinaux, à commencer par le bélier et enfin celui qui s’appuie sur le nom des constellations selon une longue tradition. Rappelons que le zodiaque n’est en soi qu’une sorte d’agencement à douze facteurs qui peut se plaquer sur n’importe quel plan, en fait une espèce d’alphabet. En fait, un problème posé par les travaux de Dupuis et qui ne semble pas avoir été pris en considération pendant les deux siècles qui suivirent est le suivant: est-ce que le Bélier a toujours été le premier signe du Zodiaque ? Apparemment, à en croire Dupuis, ce fut d’abord le Taureau et donc le Bélier n’occupe la première place que temporairement dès lors que le processus qui a conduit à ce qu’il succède au Bélier se poursuit et dans ce cas pourquoi les astrologues continueraient-ils à placer le Bélier en tête, si ce n’est - raison insuffisante - parce que les astronomes s’en contentent par simple commodité ? Le choix du Bélier apparaît comme un bien médiocre statu quo : il n’a ni le prestige du Taureau, avec son rapport au sphinx, ni la scientificité de la constellation traversée par l’axe équinoxial, en l’occurrence le Verseau. Ajoutons que les astrologues sidéralistes actuels, eux, ne sont pas mieux lotis, puisqu’ils privilégient la constellation du Bélier comme point de départ de leur zodiaque alors que celle-ci ne correspond plus à rien de très significatif, ni au niveau saisonnier, ni à celui du tétramorphe si présent dans l’imagerie des cathédrales, constellation au demeurant sans grande force quant à la magnitude des étoiles qui s’y trouvent. Par ailleurs, le fait précessionnel fait se succéder les signes dans l’ordre inverse de celui des saisons : on passe ainsi du printemps (Taureau-Bélier) à l’hiver (Poissons-Verseau), ce qui risque fort de rendre la symbolique zodiacale encore plus floue : il y a là un paradoxe quand on sait qu’au XVIIIe siècle, justement, on insistait sur la dimension météorologique de la suite des signes.
C’est dire, en tout cas, que l’astrologie contemporaine comporte quelques zones d’ombre dans sa genèse alors que désormais on assimile, sans état d’âme, l’ ancienne et la nouvelle astrologie, avec l’idée que l’une était porteuse de l’autre, tout comme l’Ancien Testament préfigurerait le Nouveau. On nous parle au sujet des nouvelles planètes d’octaves supérieures des anciennes50, de planètes annonciatrices de temps nouveaux, comme s’il s’agissait de comètes. On voit les astrologues discourir sur les noms que les astronomes ont attribué aux nouvelles planètes et réduire leurs recherches à une exégèse mythologique. Alors que l’astrologie médiévale avait pris ses distances par rapport au Panthéon gréco-romain, on en arrive à nommer Uranus ainsi parce que c’est le père de Saturne, tout comme Saturne est le père de Jupiter mais sans que les astrologues aient eu droit à la parole, se contentant d’entériner les inventions, dans tous les sens du terme, des astronomes. Syncrétisme entre l’ancien ciel et le nouveau ciels qui se manifeste de façon éclatante dans le nouveau dispositif des domiciles, accueillant les transsaturniennes, syncrétisme entre tropicalisme et sidéralisme alors que le zodiaque qui est au coeur du problème est une structure incompatible avec la théorie des aspects qui implique la rencontre entre deux astres, planète ou étoile, syncrétisme entre astrologie individuelle, astrologie typologique (types planétaires de Gauquelin, horoscopes des journaux) et astrologie mondiale; syncrétisme, enfin, entre une tradition multiséculaire et un replâtrage modernisant. Robert Amadou a raison de s’interroger sur l’utilité d’intégrer Pluton dans le système astrologique.51 Pour notre part, nous pensons que l’astrologie a mal pris le tournant de la modernité et qu’elle y a perdu son âme. Mais déjà, comme on l’a dit, le syncrétisme entre une astrologie stellaro-planétaire et une astrologie zodiaco-saisonnière allait être des plus fâcheux, entériné au demeurant par le Tétrabible, au IIe siècle, où le soleil et la lune cohabitent, dans le tableau des domiciles, avec les cinq planètes. L’Astrologie aura connu, dans son Histoire, deux moments particulièrement néfastes, à 2000 ans environ d’intervalle, le premier dont la bible de Ptolémée se fait l’écho - et qui a été récemment retraduite et commentée par Pascal Charvet (Ed. Nil), avec une participation d’Yves Lenoble - et le second qui fut nôtre XXe siècle, avec de façon emblématique l’indice de concentration planétaire d’André Barbault qui additionne les planètes entre Jupiter et Pluton pour en extraire un coefficient. Entre ces deux extrêmes, on notera une période assez favorable, autour de l’an 1000, avec l’élaboration, en milieu arabo-judéo-islamique de la théorie des Grandes Conjonctions Jupiter-Saturne, dégagée de toute considération mythologique, qui était encore très marquante à la Renaissance. On peut espérer que le XXIe siècle amorcera un nouveau temps de décantation, en réaction à la phase baroque actuelle.
Le milieu astrologique a longtemps été réticent à l’égard du phénomène Nostradamus comme du phénomène Aquarius, tous deux se situant à ses marges. Aquarius et la Nouvelle Ere du Verseau - actes d’un colloque organisé par une association astrologique, le Mouvement Astrologique Unifié (MAU), célébra, il y a vingt cinq ans, un certain mariage (de raison ?). Et le récent ouvrage de Laura Winckler, L’Ere du verseau, défis pour les temps à venir (Paris, Ed. des trois monts, Auxerre, 1999) est caractéristique d’une telle fusion, d’autant que Fernand Schwarz, son époux, fut un des plus significatifs contributeurs d’ et du Congrès MAU sur le Verseau de 1977. On pourrait en dire de même pour le rapprochement de plus en plus net entre les études nostradamiques et les études astrologiques. Le colloque MAU-CURA, Frontières de l’Astrologie - qui se tint en décembre 2000, comprenait une section Nostradamus, avec la participation notamment de Roger Prevost, de Patrice Guinard et de nous-mêmes. A sa suite, le Site du Cura.free.fr (Centre Universitaire de Recherche Astrologique) allait largement s’ouvrir à ce domaine de recherche ; désormais, des auteurs allaient partager leurs travaux entre l’astrologie et Nostradamus.52 mais déjà en juin 1985, à Salon de Provence, au Château de l’Empéri, à l’initiative de Robert Amadou, avec le soutien de la Société Française d’Astrologie (SFA) et de la FFA, plusieurs astrologues français dont nous-même, avaient été conviés à s’investir dans le champ nostradamique sans cependant qu’il en fut résulté des effets significatifs comme c’est le cas en ce début de XXIe siècle (cf. supra). Mais la rencontre de Salon avait été féconde du fait de la rencontre que nous avions faite de Robert Benazra, ce qui allait déboucher sur la parution en 1990, du Répertoire Chronologique Nostradamique aux Editons du MAU, La Grande Conjonction, en association avec les Ed. Guy Trédaniel, avec une préface de notre directeur de thèse, le Professeur Jean Céard, dont nous avions fait la connaissance à Salon. C’est dire qu’il y a des moments où l’astrologie s’ouvre à de nouveaux champs (décloisonnement) et d’autres où, au contraire, elle se doit de se recentrer (cloisonnement).
Pour en revenir aux ères précessionnelles, on notera que très souvent on en trouve des exposés qui ne se référent à aucun auteur comme s’il s’agissait d’un bien commun que chacun peut s’approprier, un peu comme les significations des nouvelles planètes. Lors du congrès de Bâle, organisé par Claude Weiss (avril 2004), les astrologues jonglaient avec Uranus, avec l’ère du Verseau, comme s’il s’agissait de parties intégrantes de la tradition astrologique et n’avaient à être associées à aucun auteur en particulier. Hajo Banzhaf y présenta le système sans citer un seul nom et on se demande s’il ne faudrait pas ici parler de plagiat mais d’un plagiat qui se présente comme une évidence qui appartient à tout le monde alors que la théorie, sous sa forme actuelle a une histoire et des enjeux qu’il importerait de connaître, à condition, bien entendu, d’en restituer tous les enchaînements.
Critique de la théorie des domiciles de Dupuis |
Dupuis, à la fin du XVIIIe siècle, allait remettre à l’honneur un dispositif qui avait connu une fortune appréciable mais qui, vu du XXIe siècle, avait encore de beaux jours devant lui, puisque la pratique astrologique actuelle lui confère une importance déterminante en astrologie individuelle, à tel point que l’on pourrait soutenir que nous sommes là en présence d’une pièce maîtresse de l’interprétation du thème astral. Certes, Dupuis, quand il expose ce qu’il appelle la Théorie des Domiciles fait avant tout oeuvre d’historien essayant de montrer le rôle de l’astrologie en général et du Zodiaque en particulier, dans la genèse de tous les cultes. Il reste que cette période généralement considérée comme le creux de la vague astrologique en France n’en transmet sinon sauvegarde pas moins un certain savoir d’autant que l’Origine de tous les cultes, d’abord parue en 1795, connaîtra de nombreuses rééditions au cours du XIXe siècle.53 Quand on sait que la théorie des domiciles aura fasciné nombre de chercheurs en astrologie dans les années Trente-Soixante-Dix du XXe siècle, de Néroman à Lisa Morpurgo, de Jean Carteret à Jacques Halbronn, il convient probablement d’accorder, un peu tardivement, il est vrai, toute sa place de précurseur à Charles-François Dupuis dans ce domaine - celui que l’on appelle aussi Dignités, Maîtrises - qu’il a su éclairer voire expliciter à sa façon, tout en soulignant le rôle que jouera en 1899 L’Astrologie Grecque de A. Bouché-Leclercq dans la réflexion structurale sur ce même sujet.
Bien entendu, Dupuis n’a rien inventé, il se sert d’un dispositif omniprésent dans la littérature astrologique, qui attribue aux signes des planètes et vice versa - il se réfère lui-même au Tétrabible de Ptolémée et à la Mathesis de Firmicus Maternus54, mais il en tire des enseignements de son cru pour l’Histoire des religions, qu’il articule sur le problème qui lui est cher (cf. supra) de la précession des équinoxes. Notre approche se voudra critique: entendons par là que l’on ne se contentera pas de relater le propos de Dupuis mais de le confronter à nos propres travaux, avec un recul tout de même de plus de deux siècles alors que tant la théorie des Eres que celle des Domiciles apparaissent, de nos jours comme des pièces maîtresses de l’arsenal astrologique contemporain.
Ce qui fascine Dupuis, dans cette théorie (des domiciles et des exaltations), c’est le fait que le soleil et la lune sont associés respectivement en exaltation avec les signes du bélier et du taureau mais cela explique aussi pourquoi il a bien du mal à prendre de la distance par rapport à ces deux signes, en dépit de ce qu’il expose par ailleurs sur le passage vers les Poissons, lesquels ne relèvent plus, dans cette théorie, des luminaires ni d’ailleurs des animaux les plus marquants de l’Histoire des cultes que sont le bélier/mouton/agneau (pascal) et le taureau/boeuf/veau (d’or). Car Dupuis a beau parler du passage du point vernal, par précession, dans la constellation des Poissons, il n’est pas question pour lui de renoncer à l’Agnus Dei pour le christianisme.
La thèse de Dupuis, au vrai, repose sur un postulat contestable : parlant du monument de Mithra, conclut on n’y aurait pas désigné l’équinoxe de printemps par l’effigie du Taureau si le colure équinoxial n’eût point passé par ce catastérisme car dans les siècles postérieurs où le colure rétrograda et passa par Aries on a substitué le Bélier au Taureau.55 Or, Dupuis semble oublier un léger détail, à savoir que les raisons que les Anciens avaient de s’intéresser à la constellation du Taureau ne se réduisaient probablement pas à une affaire de point vernal ! En effet, l’axe Aldébaran-Antarès est assez unique en son genre et s’il a pu à un moment coïncider avec l’axe équinoxial, c’est en quelque sorte par hasard et parce que tout point du ciel, est voué, tôt ou tard, à se situer sur le dit axe, au plus en un demi-cycle précessionnel, soit environ 12000 ans. Rencontre donc entre un axe stellaire et un axe bien terrestre, vernal mais dont il convient d’apprécier plus prudemment que ne le fait le citoyen Dupuis toute la signification.
Certes, il est vrai que par la suite, l’axe traversant les constellations du Taureau et du Scorpion glissa vers les constellations, opposées, du Bélier et de la Balance mais ce serait aller trop vite en besogne que de conclure que la raison d’être initiale de l’axe Taureau-Scorpion était équinoxiale !
On aura remarqué que là où Dupuis parle de constellations, nous parlons d’étoiles, ce qui est autrement plus précis et si Aldébaran et Antarès appartiennent à des constellations, c’est là un point au départ complètement aléatoire car ces étoiles n’ont pas non plus été choisies en raison de leur appartenance à des constellations quelles qu’elles soient, et ce quand bien même les désignerait-on respectivement comme Oeil du Taureau et Coeur du Scorpion, appellations selon nous bien postérieures à l’époque où l’on s’intéressa à ces deux étoiles. Ainsi, soulignons-le, ce qui a été crucial, c’est le choix de deux étoiles fixes de première grandeur et non point une quelconque importance, du moins au départ, accordée aux constellations ou aux saisons.
Dupuis a certes raison d’apporter des éléments pour montrer l’importance accordée dans l’Antiquité au signe du Taureau considéré comme le tout premier signe du Zodiaque. On ne peut nullement exclure l’existence d’un zodiaque commençant non pas au point vernal mais à une étoile fixe, elle-même constituant un point et non un ensemble de points comme c’est le cas pour une con-stellation, comme son nom l’indique.
Par quelle extraordinaire coïncidence, aurait-on choisi l’axe Aldébaran-Antarès en raison du passage du point vernal comme si un tel axe était chose courante et comme si on pouvait trouver à volonté une étoile faisant l’affaire ? Cet axe Aldébaran-Antarès, assurément, aura su s’imposer par lui-même bien avant que l’on en vienne à se préoccuper d’un quelconque point vernal, terme au demeurant assez abstrait dès lors qu’il ne correspond à aucune étoile fixe. D’ailleurs, le terme point vernal ne nous semble guère pouvoir se situer au départ dans le cadre des constellations, en raison même de la lenteur de sa progression - à savoir plus de 2000 ans en moyenne, dans chaque constellation zodiacale ; en revanche, le point vernal correspondrait assez bien à une étoile, laquelle est également un point et non une surface, comme ce serait le cas pour une constellation. Il y a là déjà une certaine forme d’inadéquation. Nous avons montré dans d’autres études56 l’abandon par la tradition astrologique ou en tout cas une certaine mise à l’écart ou en marge des étoiles fixes au profit des planètes et des signes/constellations. Dupuis est victime de cette tendance à déstellariser l’astrologie, comme c’est déjà largement le cas dans le Tétrabible de Ptolémée (IIe siècle de notre ère), souvent cité par lui. Le terme même d’horoscope - scope implique une idée de visualisation de l’astre de l’heure de naissance ou de la question - devait à l’origine désigner une étoile se levant à l’horizon de la naissance ou éventuellement culminant, étant donné qu’il y a beaucoup plus d’étoiles que de planètes et que dans bien des cas aucune planète n’aurait pu jouer ce rôle de point natal. Par la suite le terme Ascendant, qui désigne le signe se levant à la naissance a totalement rompu avec toute idée de présence réelle d’un astre à ce moment là. Le terme scope nous rappelle, cependant, que même le point vernal devait également à l’origine être visualisable. Au vrai, l’astrologie est également passée par un processus de dévisualisation qui va conduire au XIXe siècle et au delà à intégrer dans son arsenal moderne des planètes invisibles à l’oeil nu ou inconnues des Anciens ainsi que des points fictifs comme Lilith/Lune Noire (second foyer de l’orbite lunaire). Aussi convient-il de rappeler le rôle majeur attribué par les Egyptiens à l’étoile fixe Sothis/Sirius par rapport au début de la crue du Nil, lors du solstice d’Eté.57 On comprend qu’une étoile ait pu constituer un référentiel beaucoup plus sûr qu’une planète en raison même de sa fixité qui lui permettait de s’aligner sur le rythme annuel solaire et saisonnier alors que les planètes extérieures échappent à ce cycle annuel terrestre et ne sont donc guère d’utilité au niveau des activités agraires. Il conviendrait également de rappeler les décalages existant entre les mois lunaires, liés aux nouvelles lunes (conjonction lune-soleil), les signes calculés à partir des équinoxes et des solstices et les constellations, en dépit du fait que ces trois plans sont susceptibles d’être marqués par le 12.
Selon nous, et contrairement à ce que laisse entendre Dupuis, l’importance accordée à la constellation du Taureau n’est pas liée à une histoire de point vernal mais à l’importance accordée à l’axe Aldébaran/Antarès. On nous demandera: à quoi servait donc un tel axe ? Il servait, selon nous, à marquer le temps social (cf. infra) mais pas forcément en tant que point vernal d’autant qu’il est très probable que lorsque l’on accorda quelque importance à cet axe, il ne correspondait pas encore à la ligne des équinoxes car nous pensons que cette assignation fut antérieure de plusieurs millénaires à l’époque où le soleil au printemps entrait dans la constellation du Taureau ou passait sur Aldébaran. En outre, si la notion de constellation est vague, celle d’étoile fixe l’est beaucoup moins, ce qui signifie qu’il n’aurait pas fallu beaucoup de temps pour observer que le point vernal ne correspondait pas/plus avec Aldébaran. Selon le modèle de ce que nous avons appelé l’astrologie axiale, l’axe Aldébaran/Antarès permettait de découper le cycle de Saturne en quatre phases égales d’environ 7 ans, du fait des aspects de conjonction (0°), quadrature(90°) et opposition (180°). On rappellera le songe de Pharaon sur les 7 vaches grasses suivies de 7 vaches maigres, interprété par Joseph (Pentateuque) comme deux suites de sept ans, l’une de fertilité, l’autre de stérilité. Le choix de Saturne peut avoir en partie été du à un certain parallèle pouvant impressionner les esprits avec le cycle lunaire d’environ 28 jours, soit un jour pour un an, notion que l’on retrouve dans la Bible : 40 jours pour 40 ans et qui est à la base des directions secondaires en astrologie: un jour de progression lunaire correspondant à un an de la vie du né, ce qui obéit à une logique saturnienne.
Il est possible et même probable, néanmoins, qu’à une époque tardive, on put croire que le choix d’une étoile du Taureau était lié au point vernal et que l’on crut devoir passer à une étoile du Bélier en raison de la précession des équinoxes, oubliant ainsi qu’Aldébaran avait joué un rôle pour de toutes autres raisons qui n’auraient pas du être tributaires des saisons. Le culte du taureau aurait pu ainsi laisser la place à celui du bélier à la suite de cette equinoxialisation de l’astrologie. Il est surprenant à ce propos que Dupuis n’ait pas compris que l’exaltation du Soleil en Bélier était, elle aussi, le fait d’un glissement précessionnel et qu’antérieurement le Soleil était exalté en Taureau, probablement du fait de la conjonction annuelle avec Aldébaran ou si l’on préfère le passage sur l’axe Aldébaran/Antarès, le Soleil étant par ailleurs domicilié en Lion, signe dit fixe, en quadrature avec le Taureau et le Scorpion, autres signes fixes. On peut d’ailleurs se demander si le terme fixe qui désigne les signes du Taureau, du Lion, du Scorpion et du Verseau ne serait pas du à l’importance du référentiel des étoiles dites fixes - on parle de la sphère des fixes, plutôt qu’à telle considération généralement avancée sur le fait que ces signes sont situés au milieu de saisons, ce qui n’est vrai que pour le zodiaque tropique et non pas/plus pour le zodiaque dit sidéral.
Nous pensons qu’au départ du dispositif des Dignités planétaires, le Soleil était exalté en Taureau et en trône en Lion. Le passage de l’exaltation solaire en Bélier alors qu’étrangement le domicile du soleil restait, quant à lui, au Lion, constitue une sévère perturbation du système.58 En effet, le soleil se trouvait ainsi dans les deux cas, bélier et lion, en signes de feu, placés en trigone et non plus en carré, cet aspect, quant à lui, étant celui qui existe entre équinoxes et solstices ; en fait, connaissant le point vernal (vernal, signifiant du printemps), on pouvait déterminer le solstice d’Eté par un intervalle de 90°.
Mais si Dupuis avait envisagé la thèse d’un tel glissement, cela aurait signifié, par la même occasion, que la Lune ne pouvait restée en exaltation dans le Taureau, restitué au Soleil et qu’elle aurait du être (ré)attribuée au Bélier, en carré avec le Cancer, son signe de domicile, alors qu’entre Taureau et Cancer, il y avait un aspect de sextile. (60°). Ainsi, cette permutation, selon nous, aurait complètement déconstruit le système : alors qu’au départ exaltation et domicile (trône) des luminaires étaient, dans chaque cas de figure, séparés respectivement, de 90°, aspect structurant par excellence et lié au 4, (4 x 90° = 360°, mais cela vaut aussi pour la division de l’année en 360+5 jours), on aboutissait chez Firmicus Maternus à un aspect de 120° entre les deux Dignités du Soleil et de 60° entre les deux Dignités de la Lune. Certes, l’on pouvait se réjouir du renforcement du caractère masculin du Soleil avec ses deux signes masculins (Bélier/Lion) et féminin de la Lune avec ses deux signes féminins (Taureau/Cancer) mais à quel prix un tel avantage était-il acquis, d’autant que Dupuis, lui-même reconnaissait que le Soleil avait d’abord été associé au Taureau et non pas au Bélier. On voit à quel point les bases de cette théorie des changements précessionnels sont fragiles, dès lors que l’on se risque à la moindre extrapolation, comme c’est le cas lorsque l’on annonce une Ere du Verseau. Nous avons déjà signalé le rôle pernicieux de certaines coïncidences dans la mise en place de certaines théories cycliques, on pense notamment à l’interprétation de certains résultats aléatoires (cycle Saturne-Neptune) présentés par André Barbault.59
On soulignera toute l’importance que Dupuis accorde aux exaltations et à leurs degrés. Selon lui, on célébrait la fête de Saturne sous le 21e degré de la Balance parce que c’était le lieu d’exaltation de cette planète. Les anciens Romains à ce qu’il paraît avaient préféré le lieu des domiciles puisqu’ils célébraient leurs fêtes de Saturne en décembre sous le signe du Capricorne, signe où Saturne a son domicile (...) La substitution des exaltations aux domiciles est l’ouvrage des Chaldéens selon Firmicus Maternus.60 On notera que le Tétrabible ne mentionne pas les degrés d’exaltation ; or, la mention des degrés présente un caractère stellaire qui disparaît lorsque l’on se contente de situer la planète en signe ou en constellation. Or, n’est-ce pas précisément du fait d’une pratique d’une astrologie stellaire que l’on put constater la précession des équinoxes ? On peut donc conclure que c’est la mise en évidence de la dite précession, par Hipparque ou par d’autres, qui a contribué à l’abandon des étoiles fixes en tant que marqueurs saisonniers mais cela ne signifie nullement que leur adoption était liée à un enjeu de ce type.
Revenons sur le caractère assez confus des explications precéssionnelles fournies par Dupuis. (cf. notre premier volet) A certains moments, Dupuis semble admettre que le point vernal serait entré dans la constellation des Poissons l’équinoxe rétrograde (...) dans les étoiles du Bélier qu’il parcourt en 2151 ans (sic) par un mouvement lent et rétrograde jusqu’à ce qu’enfin il ait entamé les Poissons, ce qui arriva 300 ans environ avant l’ère chrétienne où le Dieu agneau succéda au Dieu Taureau.61 Dupuis recoupe ici le tableau de Delaulnaye (1791) qui indique -389 pour le passage du Bélier aux Poissons.62
Or, si l’on suit Dupuis, l’entrée du point vernal en Poissons aurait conduit à l’adoption d’un Dieu représenté par un... agneau ! Dupuis insiste63 : Les mystères de Christ sont les mystères de l’Agneau et les mystères de l’Agneau sont des mystères de même nature que ceux du Boeuf mithriaque auxquels ils succèdent par l’effet de la précession des équinoxes. Dupuis, pourtant, associe l’adoption du culte du Taureau au passage du point vernal dans la constellation du même nom, soit plus de 2400 ans avant l’ère chrétienne quand le Scorpion et le Taureau occupaient les deux équinoxes.64 Or, si ces deux constellations correspondaient aux équinoxes 2400 ans avant J. C., comment aurait-on pu entrer dans la constellations des Poissons, 300 ans avant J. C : quid de la constellation du Bélier, qui s’intercale entre ces deux constellations ? Dupuis insiste pourtant lourdement sur le lien entre le Christ et l’Agneau.65 Dupuis semble bel et bien constater que l’entrée dans les Poissons est toute récente : Ainsi aujourd’hui le Bélier ou les étoiles sur lesquelles est peint un Bélier sont éloignées de plus de 30 du colure (désormais.) ce sont les astérismes des Poissons qui désormais correspondent au point vernal. Tout se passe comme si Dupuis situait l’entrée dans le Bélier de 300 ans avant l’ère chrétienne et non pas l’entrée dans les Poissons ! Ce qui pourrait d’ailleurs expliquer pourquoi avec la Révolution Française et le démarrage à partir de 1792 d’une nouvelle ère - l’Origine de tous les Cultes du député Dupuis paraît en l’An III - l’on pouvait envisager un nouveau culte, celui de l’Etre Suprême. Dupuis fit hommage de son ouvrage à l’Assemblée.66 Rappelons, pour ajouter encore à la confusion, ce passage déjà mentionné (au Ier volet) figurant au Volume IV et dernier de l’Origine : Plus de mille ans avant le règne d’Auguste ou l’ère vulgaire, le Soleil n’ouvrait plus l’année monté sur le Taureau mais placé sur le Bélier ou l’Agneau céleste. Plus rien à voir ici avec la chronologie du Tableau de Delaulnaye (cf. supra) alors que Dupuis reproduit, non d’ailleurs sans quelque variante (cf. notre Ier volet) le frontispice accompagnant le dit Tableau et qu’il s’agit précisément là d’un extrait de l’ explication par Dupuis du dit frontispice. D’ailleurs, Dupuis ne veut-il pas faire du Christ un mythe solaire, ce qui n’a de sens que s’il est associé au Bélier, signe où le Soleil se trouve exalté ? En effet, si le Christ était associé aux Poissons, il ne serait plus question du Soleil, qui ne s’y trouve ni domicilié, ni exalté. Ainsi ne peut-on comprendre le raisonnement de Dupuis sans se référer à la théorie des domiciles associant signes et astres; faut-il rappeler que cette théorie avait, selon nous, comme raison première, d’introduire une symbolique divine plus encore que planétaire, d’où chez Manilius la mention de maîtres de signes ne correspondant pas à des noms de planétes.67 On se perd en conjecture sur la démarche de Dupuis : n’aurait-il pas considéré que du fait de la précession des équinoxes qui prend le Zodiaque à rebours, l’entrée dans la constellation du Bélier ne correspondait pas plutôt au début de celle du Taureau et ainsi de suite ?
Toujours est-il que Dupuis semble avoir construit sa thèse sur l’observation d’un certain glissement d’une symbolique Taureau vers une symbolique Bélier dont il a tiré des enseignements visant à faire du christianisme une religion Bélier et non Poissons. Dupuis avait pour ambition de montrer que la théorie astrologique des domiciles planétaires était la clef de l’Histoire des Religions et c’est ce rapprochement entre d’une part l’attribution des luminaires au binome Bélier-Taureau et le fait, d’autre part, que les constellations du même nom accueillirent le point vernal lorsque les cultes de ces deux animaux étaient en vigueur qui avaient motivé tout le projet de l’Origine de tous les Cultes, que Dupuis , on le sait, avait failli abandonner et qui fut sauvé de la destruction, in extremis, par sa femme. L’affaire du Zodiaque de Dendérah vint en outre, du fait de l’Expédition d’Egypte, se greffer sur les conjectures dupuisiennes.68
Jacques Halbronn
Paris, le 10 avril 2004
Notes
1 Cf. La vie astrologique Années trente-cinquante. De Maurice Privat à Dom Néroman, Paris, Trédaniel-La Grande Conjonction, 1995. Retour
2 Notamment Soleil Lune et Jupiter Saturne, Ed. CIA, rééd. Ed. Traditionnelles. Retour
3 Cf. Site www.Univers-site, Cahier 17, mai 2000. Retour
4 Cf. La vie astrologique, années trente-cinquante, op. cit., pp. 68 et seq. Retour
5 Cf. notre étude in Heurs et malheurs de l’astrologie mondiale française au XXe siècle, Site Cura.free.fr, 2003. Retour
6 Cf. son Prélude, Univers-site, Cahier n°9, août 1999. Retour
7 Cf. les débats sur Espace Nostradamus et sur le Site Cura.free.fr. Retour
8 Cf. n° 12 du Cahier 10, septembre 1999. Retour
9 A Trédaniel-La Grande Conjonction, vol 1-1992, vol. 2-1995, il ne le cite Cf. Cahier 17, mai 2000, pp. 10-11. Retour
10 Cf. Cahier 17, mai 2000, pp. 10-11. Retour
11 Cf. La vie astrologique, il y a cent ans, p. 176, note 235. Retour
12 A Paris, Seghers, 1976, pp. 202 et seq. Retour
13 Cf. Influence de Newton et Heurs et malheurs Site du CURA. Retour
14 Cf. nos études en astrologie axiale, rubrique Astrologica, Encyclopaedia Hermetica, en ligne. Retour
15 Cf. notre étude Astrologie et Histoire des religions, sur Cura.free.fr. Retour
16 Cf. notre étude sur Newton et l’école précessionaliste française, sur Cura.free.fr. Retour
17 Cf. J. Halbronn, L’évolution de la pensée astrologique face aux découvertes des nouvelles planètes du système solaire (1781-1930), Actes du 103e congrès national des sociétés savantes, Nancy 1978, Sciences, fasc. V, pp. 145-146, La communication du savoir astrologique, Actes du Colloque La magie et ses langages, dir. Margaret Jones-Davies, Lille, PUL, 1980. Retour
18 Cf. Préface à l’Histoire de l’Astrologie de S. Hutin, Paris, Artefact. Retour
19 Cf. nos études en astrologie axiale, rubrique Astrologica, Encyclopaedia Hermetica. Retour
20 Cf. notre étude L’Astrologie mondiale face à la mort des dirigeants et des Etats, rubrique Astrologica, Encyclopaedia Hermetica. Retour
21 Cf. notre essai Créativité de l’erreur : pour une errologie, in collectif Eloges, dir A. Kieser, Paris, Le Lierre & le coudrier, 1990. Retour
22 Cf. l’article de Suzanne Reiss, repris par R. Amadou, in Univers-site, cahier 10, septembre 1999. Retour
23 Cf. Univers-site, Cahier 10, septembre 99, p. 7 et Cahier 12, novembre 1999, p. 10. Retour
24 Cf. Univers-site, cahier n° 10, septembre 1999, p. 10. Retour
25 Cf. Reed. de la deuxième édition, American Federation of Astrologers, Washington, 1970, p. 100. Retour
26 Cf. Book II, Mundane Astrology, Ch. II, On the equinoxes and solstices, p. 279. Retour
27 ; In vol. III de l’Origine de tous les Cultes, op. cit. Retour
28 Cf. Explication du frontispice, vol. Planches de l’Origine de tous les Cultes avec leur explication, op. cit., pp. 5-6, reprint Ed. Awac, Rennes, 1978. Retour
29 Cf. F. Charles-Daubert, La Bible des libertins, Le Grand Siècle et la Bible, dir.J. R. Armogathe, Paris, Beauchesne, 1989. Retour
30 Reproduit in La vie astrologique il y a cent ans, op. cit., p. 89. Retour
31 Cf. Univers-site, Cahier 10, septembre 1999, p. 8. Retour
32 Cf. nos recherches in Clefs pour l’Astrologie, Paris, Seghers, 1976 et 1993. Retour
33 Cf. La vie astrologique, il y a cent ans, op. cit., p. 89. Retour
34 Cf. C. Harvey, N. Campion, M. Baigent, L’Astrologie Mondiale, trad., Paris, Ed. Le Rocher, 1995, p. 173. Retour
35 Cf. Le texte prophétique en France, op. cit., p.443. Retour
36 Cf. Univers-site, Cahier 15, mars 2000, p. 7. Retour
37 Cf. sur la question des rapports entre les deux auteurs, C. Rétat, La machine à poème. Charles François Dupuis, Alexandre Lenoir, Colloque Deus ex machina, Politica Hermetica, 2001, pp. 39-40. Retour
38 Cf. Univers-site, cahier 14, février 2000, p. 7. Retour
39 Sur le plagiat de Dupuis par rapport à Delaulnaye, voir Le texte prophétique en France, op. cit., pp. 446-447 et R. Amadou, Petite Encyclopédie de l’ère du Verseau, Cahier 15, mars 2000, p. 6 et Cahier 16, avril 2000, p. 7. Retour
40 Cf. Tableau des principales religions du monde. Retour
41 Cf. La vie de N-S. Jésus-Christ par le docteur Sepp, Paris, Vve Poussielgue-Rusand, 1861. Retour
42 Cf. Abrégé de l’Origine de tous les Cultes, op. cit., p. 494. Retour
43 Cf. Abrégé, op. cit., p. 61. Retour
44 Cf. Abrégé, op. cit., p. 113. Retour
45 Cf. Abrégé, p. 135. Retour
46 Cf. Abrégé, p. 152. Retour
47 Cf. Abrégé, p. 299. Retour
48 Cf. La mascarade astrologique, in revue L’Astrologue, 145, Paris, Ed. Traditionnelles, Ier trimestre 2004. Retour
49 Cf. sur Picard, astrologue et tarologue, l’article de Nicolas Vosrin, in L’Astrologue, 145, Paris, Ed. Traditionnelles, Ier trimestre 2004. Retour
50 Cf. A. Barbault, Traité Pratique d’Astrologie, Paris, Le Seuil, 1961. Retour
51 Cf. Univers-site, cahier 9, août 1999, p. 13. Retour
52 Cf. également, bien entendu, le cas de l’Encyclopaedia Hermetica sur le Site Ramkat.free.fr, qui comporte notamment les rubriques Astrologica, Aquarica, Nostradamica. Retour
53 Cf. Recherches sur l’histoire de l’astrologie et du Tarot in Etteilla, L’Astrologie du Livre de Toth (1785), Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1993. Retour
54 Cf. Comparaison du Tétrabible attribué à Ptolémée et de la Mathesis de Firmicus Maternus Colloque Homo Mathematicus, Dir. A. Perez Jimenez & Raul Caballero, Malaga 2002; Ptolomeo y las astrologias del Tetrabiblo, revue Beroso, Barcelone, 2001. Retour
55 Cf. Mémoire explicatif du Zodiaque chronologique et mythologique, Paris, 1806, pp. 46-47. Retour
56 Sur Encyclopaedia Hermetica, rubrique Astrologica. Retour
57 Cf. D. Guedj, Les cheveux de Bérénice, Paris, Seuil, 2003. Retour
58 Cf. nos analyses in Clefs pour l’astrologie, Paris, Seghers, 1976 et 1993 et Mathématiques Divinatoires, Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1983. Retour
59 Cf. notre étude Heurs et malheurs de l’astrologie mondiale, Cura.free.fr et d’autres études plus récentes en Astrologie Mondiale, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour
60 Cf. Origine de tous les cultes, op. cit., Ed. 1795, Vol. 1. p. 84. Retour
61 Cf. Origine, Vol. 2, p. 19. Retour
62 Cf. La vie astrologie il y a cent ans, Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1992, p. 89. Retour
63 Cf. Origine, Vol. 3, p. 60. Retour
64 Cf. Origine, Vol. 3, p. 66. Retour
65 Cf. Origine, Vol. 3, p. 143. Retour
66 Cf Notice sur la vie et les ouvrages de Dupuis, en tête de l’Abrégé de l’origine de tous les cultes, Paris, Lebigre, 1836, p. 7, reprint Ed. Awac, Rennes, 1978. Retour
67 Cf. Les historiens de l’astrologie en quête de modèle, Site Cura.free.fr. Retour
68 Cf. A. Slosman, Le Zodiaque de Dendérah, Paris, Ed. Du Rocher. Retour
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