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ASTROLOGICA

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L’astrologie comme clef de l’ésotérisme

par Jacques Halbronn

    Il est plus facile de définir ce qu’est l’astrologie que ce qu’est l’ésotérisme. Quelles relations ces deux termes entretiennent-ils ? L’astrologie relève-t-elle de l’ésotérisme et, dans ce cas; quelle y est sa place, son statut ? 1

   Sous le nom d’ésotérisme, on a coutume de rassembler un certain nombre de savoirs dont certains s’efforcent de dégager un dénominateur commun. Il ne nous semble pas que cela soit la bonne méthode pour procéder, car on adopterait là une approche que l’on pourrait qualifier de phénoménologique et que nous avons dénoncée, notamment en ce qui concerne le corpus nostradamique, où l’on veut théoriser sur un ensemble hétérogène et syncrétique, et ce sans faire la part du mimétisme, des faux, des imitations. Rien d’étonnant dès lors que ce faisant, on n’obtienne qu’un médiocre résultat dont le moindre défaut n’est pas que l’on a du mal à identifier à quelle réalité l’ésotérisme se réfère. Problème d’ailleurs jugé secondaire et même hors propos par certains historiens de l’ésotérisme qui, au nom de l’objectivité académique, croient ne devoir point prendre parti sur la nature de la chose 2. Qu’est ce que l’astrologie va faire dans cette galère ?

   Il se trouve que, paradoxalement, ce qui rapprocherait les dits savoirs ésotériques serait une référence et un projet communs, tout comme ce qui rapproche des immigrés entre eux est leur pays d’adoption et non points leurs diverses contrées d’origine. Encore faut-il repérer le dit “pays” pour cet ensemble disparate de savoirs qui ne se ressemblent que par ce qu’ils ont emprunté de concert.

   Or, il nous semble bien que le “pays” en question ne serait autre que l’astrologie en précisant que les copies rendent parfois l’original méconnaissable. Autrement dit, d’un point de vue méthodologique, il convient d’extraire au sein d’un ensemble dont il fait partie l’élément permettant au dit ensemble d’exister et qui désormais n’apparaît plus que comme un élément parmi d’autres. On est là dans une délicate démarche archéologique.

   La thèse que nous soutenons ici serait donc que c’est l’élément astrologique ou du moins tel qu’il est perçu à plus ou moins juste titre qui constituerait le ciment de l’ensemble ésotérique.

   L’astrologie en effet peut être définie avec une certaine précision dans son projet qui est de relier l’histoire des hommes au mouvement des astres et que nous appelons astro-historique, par delà la “réponse” spécifique à la tradition astrologique telle qu’elle s’est perpétuée de façon plus ou moins figée. Pour dire les choses d’une façon plus “ésotérique”, on dira que le postulat épistémologique de l’astrologie est que la “clef” de l’Histoire se situe dans un ailleurs lointain et quelque peu improbable de par sa discontinuité. Est-ce qu’une telle description ne recouvre pas peu ou prou ce qu’on entend généralement par “ésotérisme”.

   Si l’on ne peut guère contester, au demeurant, que l’astrologie recoupe le champ ésotérique, certains pourraient contester la place centrale que nous pensons pouvoir lui assigner. Ne pourrait-on pas, a priori, mettre l’astrologie sur le même plan que les savoirs qui l’ont imitée, qui s’en sont inspiré, à un certain stade de leur développement ? Car tel est bien le problème, on finit par ne plus savoir qui a copié sur qui et certains préfèrent supposer une source unique dont découleraient les divers savoirs ésotériques, astrologie comprise.

   Or, nous nous portons en faux contre une telle présentation des choses. La question est de savoir s’il est possible de départager les différentes positions et, plus fondamentalement, le vrai du faux, faux étant pris ici au sens de contrefaçon, d’imitation et non d’un point de vue scientifique. On rencontre le même genre d’argument quand on compare des langues ayant entre elles des points communs et qu’il s’agit de déterminer laquelle s’est inspirée de l’autre. C’est notamment le cas des rapports entre le français et l’anglais, langue germanique qui s’est francisée à partir du Moyen Age. Comme de son côté, le français a emprunté, dans une bien moindre mesure d’ailleurs, à l’anglais, il n’en faut pas plus pour entretenir une certaine confusion, certains préférant déclarer, avec une certaine mauvaise foi, que les deux langues sont marquées par le latin.

   Mais revenons à l’astrologie et à ses rapports avec l’ésotérisme. Le point qui nous paraît déterminant est le suivant : le fondement même de l’astrologie est ce rapport de l’Homme avec les astres, ce n’est pas une conception qu’elle pourrait avoir empruntée mais une idée qui lui est inhérente. Autrement dit, l’astrologie est marquée, dans son essence même, par une certaine dualité qui nous semble caractériser l’ensemble dit ésotérique.

   En revanche, les autres savoirs ésotériques ne comporteraient qu’une dualité de surface, qu’une apparence de dualité, se manifestant par la recherche d’un secret, d’un sens caché, ce qui ne serait, au fond, selon nous, qu’une transposition du paradigme astrologique.

   Il y aurait donc eu astrologisation superficielle de divers de savoirs, aux origines et aux fondements bien différents les uns des autres, ce qui leur confère, nous l’avons dit, un certain air de famille. On qualifiera d’ésotérisation cette astrologisation plus ou moins bien menée et toujours insuffisante, par définition.

   Mais pour quelle raison tel ou tel savoir s’est-il ainsi astrologisé ? Dans le cas déjà cité du rapport entre le français et l’anglais, il existe un arrière-plan historique généré par la conquête normande de l’île, créant ainsi une double population, ce qui allait occasionner d’inévitables interactions. Mais dans le cas du rapport à l’astrologie, qu’en est-il ?

   On peut supposer l’existence d’une certaine rivalité avec l’astrologie de la part de praticiens n’ayant pas accès au domaine astronomique, réservé à une caste de prêtres. Cette astronomie a pu rester un secret pendant des siècles et force est de constater, sans forcer les traits, que les bases astronomiques de l’astrologie, comme le reconnaît Claude Ptolémée, dans la Tétrabible (IIe siècle de notre ère) constituent un savoir en soi dont la connaissance est indispensable à la pratique de l’astrologie.

   Mais, précisément, le fait pour divers praticiens ayant affaire avec la prédiction, par exemple, de ne pas disposer de l’astronomie les aura conduit à élaborer une pseudo-astrologie, c’est-à-dire à recourir à une certaine terminologie astromico-astrologique 3 sans pour autant maîtriser les “secrets” du mouvement des astres. D’où l’affirmation d’un secret qui n’est plus qu’un pseudo-secret chez ceux qui ne sont pas astronomes ou hémérologues.

   Nous trouverons la confirmation de notre thèse à la Renaissance quand par exemple la médecine empruntera à l’astronomie et devenant ainsi ipso facto ésotérique. Non pas que l’essence de la médecine ait un quelconque rapport avec les astres 4. On trouvera également des traces astrologico-astronomiques au sein du savoir alchimique 5, dans le but d’être assimilé à la sphère autrefois prestigieuse de l’astrologie. Qui contesterait donc que l’astrologie a été tout au long de son histoire l’objet d’un mimétisme de la part des savoirs les plus divers et qui y trouvaient ainsi une sorte de cohérence d’ensemble ? A un certain moment, du fait de certaines similitudes, on a pu être tenté de regrouper nombre de ces savoirs au sein d’un “canon” qu’on appellerait ésotérique, ce qui pourrait être synonyme d’astrologique mais sur un mode mimétique et superficiel, c’est-à-dire sans accès à une véritable astronomie.

   L’erreur serait d’aborder ces savoirs “ésotériques” dans leur intégralité alors qu’ils ne le sont qu’accessoirement. En revanche, la façon dont l’astrologisation / ésotérisation de chacun de ces savoirs s’est effectuée peut être riche d’enseignement.

   Que cette astrologisation / ésotérisation ait en outre été le symptôme d’une crise propre à un stade de développement de chacun de ces savoirs dits ésotériques ne fait guère de doute et cela aussi peut être objet d’investigation fructueuse.

   Il n’en reste pas moins qu’il conviendrait de replacer les études consacrées à l’ésotérisme au sein de l’Histoire de l’Astrologie et non pas, ce qui tend à se produire au niveau académique, considérer l’astrologie comme une des composantes, parmi d’autres, de l’ésotérisme.

   On en arrive d’ailleurs à des situations paradoxales où certains considèrent que l’astrologie ne relève que très partiellement du champ ésotérique et qu’elle n’en constitue donc nullement une clef essentielle comme si ce champ pouvait être appréhendé en dehors d’une référence à la dite astrologie, sous une forme ou sous une autre.

   Toutefois, il est vrai que l’astrologie ne peut que se distinguer du champ ésotérique dans la mesure même où elle ne fonctionne pas sur un mode mimétique par rapport à elle-même ! L’élément alimentant le processus mimétique se situe, en effet, ipso facto, en dehors de l’ensemble ainsi généré.

   Ce qui dans ces divers savoirs ésotériques n’est que d’une faible fonctionnalité, qui vise à s’approprier, à bon compte, les attributs d’un certain prestige, apparaît crucial pour l’astrologie, c’est-à-dire qu’elle cesserait d’exister sans certains facteurs ainsi empruntés. Encore convient-il de préciser que parfois les éléments ainsi empruntés peuvent se révéler tout à fait secondaires pour le bon fonctionnement de l’astrologie.

   L’ésotérisme serait en quelque sorte la philosophie de l’astrologie. Autant ce champ de l’ésotérisme reste au niveau symbolique, à celui du signifiant, pour les savoirs ésotériques en dehors de l’astrologie, autant s’articule-t-il sur du signifié quand il s’agit d’astrologie, c’est à dire que les astres ne se réduisent plus à des noms mais à des objets célestes repérables, dont le parcours réel pourrait faire sens pour la pensée historique 6.

   Ce qui contribue à la confusion du débat tient au fait que le projet astro-historique en tant que tel est contesté et discrédité, ce qui tend, étrangement, à replacer l’astrologie dans le champ ésotérique au même niveau que les autres savoirs qu’elle a inspirés ou plutôt qui se sont inspiré d’elle. Ce qui tend à brouiller encore plus les pistes puisque l’astrologie elle-même apparaît comme chimérique.

   C’est un peu comme si des enfants se référaient à leurs parents mais que ceux-ci se révélaient ou étaient, à tort ou à raison, perçus comme indignes et aussi fragiles que leurs enfants.

   Les études ésotériques seraient ainsi victimes de la mort du Père, de l’objet de transfert. Il importe donc de ne pas se situer par rapport à l’astrologie telle qu’elle est perçue aujourd’hui mais par rapport à l’image qui fut la sienne autrefois. Tout comme le christianisme se définit mimétiquement par rapport au judaïsme antique et non nécessairement par rapport au judaïsme moderne.

   Constatons que ce qui hypothèque les recherches mimétiques, en paternité, en quelque sorte, c’est l’interférence entre l’image ancienne et l’image moderne. Il est probable que si l’astrologie n’existait plus de nos jours, on serait mieux disposé à la prendre comme référence. Une Elisabeth Teissier incarnant l’astrologie actuelle tout en revendiquant de se situer sur un plan historique ou anthropologique incarne un tel malaise, un tel trouble épistémologiques 7.

   Les choses seraient plus simples si l’astro-histoire avait fait ses preuves, si ses clefs n’apparaissaient plus comme de fausses clefs. Alors, on comprendrait les malentendus mimétiques des divers savoirs ésotériques qui ressemblent aux malentendus des enfants dans leur perception de leurs parents. A un moment donné, l’enfant comprend qu’il a distordu le réel, qu’il y a eu méprise. Mais que se passe-t-il quand l’enfant reste dans le doute quant à cette distorsion et ne prend pas de distance par rapport à son malentendu ? Il risque fort de perdre le contact avec le réel et de se réfugier dans l’imaginaire.

   La crise de l’astrologie en tant que savoir scientifiquement légitime est aussi la crise de l’Histoire d’un ésotérisme, incapable d’accéder au réel et de prendre la mesure de son mimétisme réducteur par rapport à l’astrologie. Inutile de dire à quel point nous semble essentiel la maîtrise de l’Histoire de l’astrologie pour prétendre appréhender l’Histoire des courants ésotériques.

Jacques Halbronn
Paris, le 17 février 2003

Notes

1 Cf. notre étude sur l’Esotérisme sur le Site du CURA.free.fr. Retour

2 Cf. A. Faivre, Que sais je? L’Esotérisme, Paris, PUF. Retour

3 Cf. la géomancie, la chiromancie, par exemple. Retour

4 Cf. notre étude “L’Empire déchu ou l’astrologie au XVIIe siècle”, Paris, Politica Hermetica, 11, 1997. Retour

5 Cf. communication “La résurgence du savoir astrologique au sein des textes alchimiques dans la France du XVIIe siècle”, Colloque Aspects de l’alchimie au XVIIe siècle, Reims, 1996, Dir. F. Greiner, 1998. Retour

6 Cf. notre étude “De l’astrologie à l’astro-histoire”, sur le Site du CURA. Retour

7 Cf notre étude sur le phénomène Teissier, sur le Site du CURA. Retour



 

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