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ASTROLOGICA

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Le médecin Jean Taxil
et la polémique autour de la comète de 1607

par Jacques Halbronn

    Les cas où un astrologue est pris à partie par un “anti-astrologue” et prend la peine de lui répondre sont assez rares tout comme d’ailleurs ceux où un anti-astrologue réplique aux arguments qu’un astrologue a développés en réponse à ses attaques. On pourrait citer Pic de la Mirandole s’en prenant aux travaux astro-historiques d’un Pierre d’Ailly, lorsque ceux-ci firent l’objet d’une impression à la fin du XVe siècle.1 On pourrait également citer, à la fin du XVIe siècle, l’astrologue toulousain Auger Ferrier face à un Jean Bodin, qui l’avait interpellé dans sa République, et qui répondra au dit Ferrier, l’ayant mis en cause à son tour, dans un Advertissement à M. Jean Bodin sur le quatrième livre de sa République, Toulouse, 15802 sous le nom de René Herpin, à savoir dans une Apologie ou réponse pour la République de Bodin, Paris, 1581, texte qui sera désormais adjoint aux multiples éditions tant françaises qu’étrangères des Six Livres de la République.

Avertissement à M. Jean Bodin       République de Jean Bodin

    Au début du siècle suivant, nous rencontrons le cas du médecin astrologue Jean Taxil, natif des Sainctes Maries, médecin en Arles - auquel les Cahiers Astrologiques d’A. Volguine consacrèrent une étude rédigée par Suzanne Nelli, “Jean Taxil, un médecin astrologue du début du XVIIe siècle”, Septembre 1958, n° 76, mais sans prendre en compte la polémique dont il s’agit ici - dont le Discours des comètes, Lyon, C. Morillon, 1608, avait suscité une critique en règle de la part d’un auteur qui préféra garder l’anonymat, c’est le Discours en général contre les Pronostics des Comettes et particulièrement de celle de l’année mil six cents & sept, s. l. n. d. Taxil y répliqua au sein de son Astrologie et Physiognomie en leur splendeur, Tournon, 1614, par un “Fléau de l’anonyme présomptueux contenant la défence du traicté des Comètes & de l’honneur & dignité de l’astrologie”. Taxil, médecin et astrologue3, comme le furent au XVIe siècle, un Michel de Nostredame de Salon de Provence, un Auger Ferrier de Toulouse, un Claude Dariot de Beaune4, un Antoine Mizauld, de Montluçon. Signalons aussi l’échange entre le Père Jésuite Nicolas Caussin, avec sa Lettre à une personne illustre sur la curiosité des Horoscopes, Paris5 et la Responce en faveur de l’astrologie à la lettre du R P. Nicolas Caussin, Paris.6 Il faudrait ajouter à un tel corpus ces Epîtres dédicatoires supposées répondre à la requête de quelque correspondant sur la question de l’astrologie.

Lettre à une personne illustre       Réponse en faveur de l'Astrologie

    Parfois, ce type de querelle est mis en scène dans le cadre d’entretiens où se trouvent campés un astrologue et un anti-astrologue. C’est le cas du Mantice de Pontus de Tyard7 c’est celui de Théophraste Orthodoxe, à l’occasion de l’Eclipse de 1654, Entretiens curieux sur l’éclipse solaire du 12 aoust 16548, c’est aussi celui de Pierre Bayle, dans sa série sur les Comètes, répondant aux objections réelles ou supposées de ses correspondants et de l’abbé Laurent Bordelon, avec son De l’astrologie judiciaire. Entretien curieux etc, Paris, 1689.

Mantice       Entretiens curieux sur l'Eclipse

De l'Astrologie - Entretiens curieux

    Une des polémiques les plus retentissantes entre un astrologue et un anti-astrologue, si on en reste à la France - à l’étranger, il faudrait citer les démêlés d’un Kepler - reste celle qui opposa, au milieu du XVIIe siècle, un Jean-Baptiste Morin dit de Villefranche et un Pierre Gassendi, de Digne, tous deux titulaires de chaires au Collège Royal, l’actuel Collège de France. On sait aussi que le Père Jésuite Jean François constitua sa critique de l’astrologie9 à la lecture du Traité des Jugements Généthliaques, dont la traduction française venait de paraître, du danois H. Rantzau mais Rantzau n’était plus là pour lui répondre.

   Quant aux polémiques entre astrologues, elles ne furent pas si fréquemment publiées et là encore Jean-Baptiste Morin se doit d’être cité pour sa publication - les Remarques Astrologiques sur le Commentaire du Centiloque de Bourdin parues en 165410 - à l’encontre de Nicolas Bourdin, marquis de Vilennes. Encore ne faudrait-il pas oublier de citer les attaques que dut subir un Michel de Nostredame, de la part notamment d’un Laurent Videl ou d’un Antoine Couillard, réagissant à ses prédictions / prophéties astrologiques, et auxquelles il prit d’ailleurs la peine de répliquer assez vertement.11

   Le recours à l’anonymat ou au pseudonyme, dans la production astrologique ou anti-astrologique du XVIIe siècle est assez marqué, notamment dans les milieux religieux : rappelons le cas de l’Eclaircissement des véritables quatrains de Nostradamus (1656), qu’il faut attribuer au dominicain Giffré de Rechac et qui comporte une apologie de Nostradamus ainsi que celui d’un Yves de Paris, Capucin, défendant, devant le Parlement de Rennes, son Fatum Universi (1654) paru sous le nom de Petrus Allaeus. (Ad illustrissimos viros amplissimi Senatus Armorici In librum de Fato Universi nuper editum, dissertatio). Dans ce dernier cas, l’ironie tient au fait que l’avocat était aussi l’auteur de l’oeuvre condamnée, sans qu’apparemment les juges en aient eu conscience.

   Le passage d’une comète nous apparaît, au demeurant, tel un théâtre privilégié, propice aux confrontations, encore que l’annonce d’une éclipse ou d’une grande conjonction aient également défrayé la chronique.12

   Le réformé Pierre Bayle publiera anonymement ses Pensées sur la comète de 1680 en se présentant comme catholique et s’adressant à quelque Docteur en Sorbonne (alors Faculté de Théologie). Pourquoi tant de dissimulation, le recours fréquent à des initiales, chez les uns et les autres, notamment lors de l’annonce de l’éclipse de 1654 ?13 Il semble qu’il faille distinguer les brefs pamphlets - souvent anonymes en effet - des oeuvres plus importantes, comme les massifs traités des Jésuites, notamment Jacques de Billy14 et Jean François, parus sous leur nom.. C’est apparemment lorsque le texte est directement en prise sur l’actualité que certaines précautions sont prises.

Reconstitution d’une polémique

   Nous avons donc pu reconstituer les différentes étapes de cette polémique laquelle s’inscrivait au départ dans le cadre d’une recension de la littérature sur les comètes.15 D’une part, nous disposions, à la BNF du gros livre de Taxil intitulé Astrologie et Physiognomie en leur splendeur, dont on connaît deux éditions, l’une non datée, l’autre de 1614, chez le même libraire de Tournon, qui faisait écho aux attaques de ce que l’auteur appelait “l’anticométiste”.16 Puis ce fut le tour du Discours des Comètes du même Taxil qui était conservé à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu (cote 373231), ouvrage qui avait déclenché précisément l’ire de l’anticométiste. Et enfin, nous retrouvâmes à la Bibliothèque Ceccano d’Avignon (cote 8° 7056) le travail anonyme de l’anticométiste, le Discours en général contre les Pronostics des Comètes et particulièrement de celle de l’année mil six cents & sept (s. L. N. d.). C’est dire que la recherche bibliographique exige une certaine persévérance et une approche systématique et extensive des collections existantes, surtout quand on ignore si nom de l’auteur il y a ou non. Entendons par là que c’est en conduisant une recherche au champ sensiblement plus large que l’on peut se permettre d’écumer les bibliothèques, parce qu’on y trouve toujours quelque perle. En revanche, avec une perspective trop étroite, on risque de se décourager beaucoup plus vite, en raison du faible retour sur investissement. En outre, l’apologie du traité de Taxil sur son Discours des Comètes figure au sein d’un ouvrage qui ne le mentionne pas en son titre, ce qui signifie que l’on ne peut se contenter de se fonder sur les titres des ouvrages pour rédiger une monographie, que ce soit sur les Comètes ou sur Nostradamus.

Discours des comètes

    H. Drévillon, dans son mémoire de DEA17, Les traités des comètes de 1577 à 1683 : les révolutions d’un signe, sous la direction de Roger Chartier, semble tout ignorer de cette polémique, pourtant au coeur de la période qu’il prétend étudier, n’ayant apparemment pas pris connaissance de notre communication au Colloque de Bayeux de 1986, laquelle, il est vrai, ne parut, avec quelque retard, qu’en 1991 : “Les variations d’impact des “comètes” en France. Etude bibliographique (fin XVe- fin XVIIIe siècles), La comète de Halley et l’influence sociale et politique des astres”, Bayeux, 1991 (pp. 74 - 75) C’est ainsi (p. 89) qu’il ne signale même pas Taxil parmi les médecins s’étant occupé des comètes. En revanche, Taxil sera bien présent, en 1996, dans sa thèse parue sous le titre Lire et écrire l’avenir. L’astrologie dans la France du Grand Siècle (1610 - 1715), Seyssel, Ed. Champ Vallon (p. 42) quand il parle “de la réponse de Jean Taxil à un détracteur”. Il est vrai que la controverse en question se situe à l’échelle régionale. Si le Discours des Comètes parait à Lyon, en 1608, chez Claude Morillon lequel en 1610 publiera un Commentaire d’Henri de Linthaut (Lindhout) sur le Trésor des Trésors de Claude Gamon, en revanche, la suite de l’affaire se déroulera dans des villes de moindre importance, comme Arles. La formule “à Tournon pour R. Reynaud libraire à Arles”, signifie vraisemblablement que l’ouvrage fut imprimé à Tournon mais écoulé à Arles (cf. infra). Cette comète de 1607 est au demeurant célèbre en ce qu’il ne s’agit ni plus ni moins de la comète de Halley, lors de son passage qui précéda celui de 1682 et de 1759 - c’est alors qu’on attendit son retour - et dont les dernières occurrences survinrent en 1910 et 1986. A partir de Halley, les comètes allaient perdre leur aura de signes venant du ciel, au gré de Dieu pour ne plus être qu’un corps céleste parmi d’autres, c’est-à-dire parfaitement prévisible.

   On notera, en passant, que ce qui distingue la littérature consacrée aux comètes de celle visant les éclipses, est que la première traite du phénomène céleste après coup alors que la seconde l’anticipe, souvent, de plusieurs années.18

   Nous ignorons qui est l’auteur de ce Discours en général contre les pronostics des Comètes et particulièrement ceux de l’année mil six cents & sept (s.l.), mais il y a de fortes chances que ce soit un collaborateur de l’archevêque d’Arles, dont le nom n’est pas fourni, auquel l’ouvrage est dédié :

   “Qu’il vous plaise cependant me départir cette faveur que je taise mon nom aux fins que chacun sache que seulement pour obeyr à vostre Seigneurie & non par vanité j’ay produit ce libelle (...) Il n'y a remède, Messieurs les astrologues & naturalistes il faut que j'esvente & publie librement les secrets de votre art pour donner le retour à ce maistre faiseir d'invectives.“

Discopurs contre les pronostics des Comètes

    Ce sera l’occasion pour Taxil de se moquer de cet adversaire qui s’avance masqué comme l’avait fait Auger Ferrier19, dans un Advertissement à M. Jean Bodin sur le IVe Livre de sa République, Toulouse, Colomiez, 158020, face à ce René Herpin derrière lequel se dissimulait un Jean Bodin21, texte qui accompagnera désormais les éditions de la République. Par la suite, un Jean-Baptiste Morin, dans ses Remarques Astrologiques, s’interrogera sur l’identité des auteurs d’attaques contre les pronostics relatifs à l’Eclipse d’août 1654, y pressentant la marque d’un Gassendi.22 A l’origine, donc, de l’affaire qui se prolongera jusqu’en 1614 - il y a une édition non datée23 - la parution en 1608 du Discours des Comètes contenant plusieurs belles & curieuses questions sur ce subject & particulièrement de celles qu’on a veu au mois de septembre dernier 1607. Avec la prognostication & presages d’icelles, dédié à Jaques (sic) de Boche, gentilhomme de la Chambre du Roy. L’astrologue y est contraint de présenter ses réflexions de type astronomique plus qu’astrologique sur la nature des comètes, il y est notamment discuté des thèses de l’italien Jérôme Cardan (pp. 42 et seq). L’astrologue est également amené à se situer sur le plan théologique avant même d’aborder l’aspect proprement astrologique : “Que ce n’est pas sans cause que les hommes craignent les impressions célestes, d’autant qu’elles ne sont pas seulement naturelles mais quelques fois miraculeuses ou prodigieuses” (ch. X, pp. 67 et seq.) Déjà alors, on signalait que le mexicain Montezuma avait été la victime de pronostiqueurs animés par le diable pour conduire à sa perte (p. 72).

   Taxil s’appuie fortement sur les historiens car toutes les corrélations que l’astrologue peut établir ne dépendent-elles pas essentiellement des chroniques conservées et rapportées ? Bien plus, les historiens, ce faisant, sont amenés à fonder leur science, y compris dans le domaine climatique et agricole (ce qui semble annoncer un Braudel), sur certaines récurrences cosmiques, ce que nous avons appelé “astro-histoire”.24 Comme plus tard Bayle, le médecin d’Arles, esquisse une approche à caractère statistique : “Et je vous prie, n’a-t-on point vu mourir de Roys sans que de vingt ans après leur mort se soyent appareues des Comètes ? (...) Ces historiens ont confondu ainsi ce mot de Signe, les uns disant que les Comètes signifient la mort des Roys, les autres qu’elles les causent, entre lesquels est Cardan” (p. 102).

   A la lecture de ce Discours d’environ 140 pages va donc répondre, en avril 160925, imprimé par un certain Estienne du Plessier, un autre Discours, anonyme celui là, dédié à l’Archevêque d’Arles, “libelle” de 150 pages environ et qui ne portera pas davantage sur l’aspect proprement astrologique. D’ailleurs, on peut se demander si un tel débat touche véritablement à l’astrologie stricto sensu, vu qu’il n’y est guère question de planètes, de signes zodiacaux et du fait du caractère non prévisible, alors, des comètes.. L’anonyme s’efforce de dissocier - ce que Taxil refusera (cf. infra) astrologie et astronomie : “nos astrologues (...) sous la faveur de l’astronomie (relèvent) leurs vanités.” (p. 31) Ce même auteur constate que la mort de ceux qui sont morts, après une comète était tout à fait naturelle et non point “violente”. (p. 143) Il faudrait selon lui que les comètes produisissent des effets qui leur seraient propres, en sus d’une éventuelle corrélation chronologique. Il est également reproché à Taxil d’associer des pronostics relatifs à des phénomènes sans rapport entre eux comme guerre et peste, ou contradictoires comme pluie et siccité, c’est-à-dire sécheresse (p. 156).

   A la fin de l’ouvrage, on apprend que des prédictions circulaient alors sur la mort prochaine du pape, ce qui pourrait expliquer cette initiative dédiée à l’archevêque d’Arles, ville proche d’Avignon. En réalité, Paul V, élu en 1605 ne mourra qu’en 1621 !

   Taxil répliquera à cette attaque selon une démarche à l’évidence apologétique et qui annonce l’Apologie qui paraîtra, dix ans plus tard, en 1624, en tête de l’Usage des Ephémérides d’Antoine de Villon.26 Dans le cas de Villon, on ignore à qui précisément il réplique ; cependant, le jésuite Jean François, dans son Traité des Influences célestes, bien plus tard, en 1657, évoque Villon : “Je fis cette offre d’une dispute publique à Antoine de Villon qui a imprimé deux tomes en leur faveur, lequel me dit par après en particulier qu’il n’estoit pas si fou de s’exposer de la sorte.” (p. 237)

   “Mon dessein, déclare Taxil, n'ayant esté (entreprenant cest oeuvre) d'insèrer icy toute l'astrologie ains seulement de faire voir à tout le monde qu'il est permis au Chrestien & Médecin de se servir de l'astrologie, qui ne surpasse les vrayes bornes de la science naturelle.
   Si les astrologues ne prévoyent toujours tous les accidens qui nous doivent arriver, il n'en faut pas pourtant blasmer l'art” (p. 64)

   On s’arrêtera sur la seule référence de Taxil à Nostradamus :

   “il n'est pas besoin que je face icy plus particulière mention du grand nostradamus puis que les merveilles qu'il a fait par la voye de l'astrologie sont encore toutes fraiches en la mémoire de ceux qui vivent27

   Comment comprendre un tel propos ? Le médecin d’Arles, auteur, en 1602, d’un Traité de l’Epilepsie, à Lyon, pour Robert Renaud, libraire de la ville d’Arles en Provence28, le même libraire qui publiera l’Astrologie en sa splendeur, semble évoquer Nostradamus comme si son oeuvre appartenait au passé. Aurait-il pu s’exprimer ainsi, en 1614, si des éditions des centuries étaient reparues depuis peu ? Nous sommes en effet en 1614 : “et dieu veuille qu’au mois de septembre de l’année précédente mil six cens treize etc.” (p. 15)

Traité de l'Epilepsie

    Toujours sur un point qui intéresse la recherche nostradamologique, on signalera cet autre passage : “Le grand Henry, feu nostre bon Roy eut en sa nativité les deux luminaires aux signes violents (...) Et quant à la huictiesme (maison), en estant proche de moins de cinq degrez, où y avoit une des estoiles violentes; scavoir celle qu’on appelle caput Algol, comme j’ay veu par l’horoscope que j’en au autrefois dressé etc.”, ce qu’il résume en latin, en marge Henricus Magn. Rex noster habuit caput Algol in domo mortis & Lunam in conjiunctione cum ipso.“29

   Ce passage est en effet à rapprocher de celui figurant dans les Significations de l’Eclipse de 1559 (...) par maistre Michel Nostradamus :

   “Or, il faut entendre que voyant Mars principal dominateur de l’éclipse occupant la 8. Maison non esloignée d’Antare qui est une estoile fixe de la seconde grandeur la plupart de sa nature est martiale du tout, qui vient à menasser (...) la mort violente & subite ioint avec morts publiques etc.”30

   Témoignage de l’importance accordée aux étoiles fixes - Algol et Antarés - dans la mort violente notamment des souverains et qui ici semble vouloir rendre compte de la mort d’Henri II, survenue en 1559.

   Signalons que Taxil revient aussi sur la mort d’Henri II :

   “Henry second, Roy de France, eut en sa nativité les deux luminaires aux signes violents & Saturne, estant disposé comme il estoit, signifioit selon Ptolomée, une offence mortelle à la teste ; la nativité duquel ayant esté dressée & supputée par Lucas Gauricus, grand Prélat & grand Astrologue luy prédit ce genre de mort dix ans auparavant qu’il luy arrivast.“31

La réplique à l’ “Anticométiste” dans l’Astrologie et Phsyiognomie

Astrologie et Physionomie

    Nous étudierons de quelle façon la polémique avec l’auteur du Discours en général aura envahi l’oeuvre de Taxil, laquelle couvre près de 400 pages et qui est introduite par une épître, non datée, dédiée à Guillaume du Vair, premier président au Parlement de Provence. Un tel ensemble peut d’une certaine façon constituer une réponse à l’ouvrage de Claude Duret, paru à la fin du seizième siècle, le Discours de la Vérité des causes et effects des décadences etc, Lyon, Benoist Rigaud, 1595.32

   A peine Taxil a-t-il adressé quelques mots “au lecteur” qu’apparaît un “Recueil de partie des erreurs et contradictions de l’Anticométiste en son libelle” L’expression “anticométiste” est significative, un peu comme de nos jours celle d’ “anti-astrologue”, présentée comme une sorte de fixation quelque peu maladive contre les comètes ou contre l’astrologie, ce qui revient, en quelque sorte, à renverser les rôles. Cette réponse précède la “Table des Chapitres de l’Astrologie en sa splendeur”, on dirait de nos jours la table des matières. Mais même dans le corps de l’ouvrage, Taxil relance la polémique avec le dit Anticométiste, qui tourne autour d’une comète apparue sept ans plus tôt : “Ce que toutesfois notre Anticométiste maintenant va niant” (p. 34) et cela continue (pp. 36 et 60) avec chaque fois une indication en marge et la mention de la pagination du Discours en général On a vraiment affaire à des commentaires croisés. A la page 170, Taxil l’interpelle à nouveau : “Que dira le Critique de cecy : croira-t-il toujours que les astrologues sont les plus grands gueux du monde puisqu’on lui fait voir que tant de Seigneurs, de Rois & de monarques par tiltre d’honneur se sont qualifiez du nom d’Astrologues.”

   Taxil achève son volet sur l’Astrologie - le second étant sur la Physiognomie- par un vibrant hommage à Galilée, “la perle des astrologues de ce siècle” (pp. 173 et seq) et à son Nonce Céleste. Taxil mentionne les “quatre nouvelles planètes lesquelles suivent de fort près Iupiter” - Galilée recourut à la lunette à partir de 1609 - et l’on comprend que pour Taxil, sous le terme Astrologie, il implique également ce que nous appelons astronomie. Et de revenir à l’Anticométiste inconnu : “Ne vous étonnez donc plus Anticométiste si l’Astrologie n’est abolie (...) Que dis-tu adversaire ? Dis le vray, tu aimerais mieux courir après quelque Empirique enfumé ou après quelque endiablé Zoroastres qu’après un Clavius, qu’après tant de Ptolomée, des Alphonses (Alphonse de Castille), des Tychons (Tycho Brahé) & tels autres illustres Astrologues ? C’est le propre de l’ignorance que de voler bas etc.” (p. 180, 181 - 184)

   On voit donc à quel point en 1614, un Taxil peut encore se permettre de faire l’amalgame entre astrologie et astronomie mais il est vrai que l’astronomie, elle aussi, est vouée aux attaques comme le montrera, quelques années plus tard, le procès de son cher Galilée (1633).

   On croit alors que Jean Taxil en a fini avec son Anticométiste dès lors que l’on aborde le volet de “La Physiognomie en sa splendeur”, avec une nouvelle pagination. Mais dès la page 20, Taxil en revient à son adversaire lequel aurait mis astrologie et physiognomie dans le même sac et voudrait qu’on les chassât des Républiques l’une et l’autre. Sous le terme de Physiognomie, Taxil entend notamment la Métoposcopie, chère à Cardan, divination par les lignes du front. Et d’évoquer le visage d’Henri IV en rapport avec son théme natal (pp. 49 - 50). On trouve d’ailleurs, dans ce second traité, un visage avec les légendes, p. 80. Mais la Physiognomie comporte aussi la Chiromantie, troisiéme partiede la Physiognomie (ch. VII, pp. 112 et seq) alors que la deuxième partie concerne la “Physiognomique” (ch. V, p. 81) qui concerne l’ensemble du corps.

   Et ne voilà-t-il pas qu’à la page 129, Taxil nous présente un “Fléau de l’Anonyme présomptueux contenant la Défense du traicté des Comètes & de l’honneur & dignité de l’Astrologie”, sur 18 pages comme si cela n’avait pas suffit !

   Il semble même que ce soit là sa première réaction :

   “C’est trop fait, je perds patience. Il faut que j’abatte la voix & le souffle à cet insolent. Blasmer l’astrologie, déchirer par injures ceux qui la traitent ? C’est trop faict, il faut qu’il le sente. Il serait donc loisible , sous le couvert d’un masque, de medire à plaisir sans crainte du retour ? Donc il seroit permis de semer des erreurs & les mettre en crédit, abusant du nom de nos Archevêques ? Il n’y a point de loy qui le veuille, c’est trop là d’irreligion & d’impiété.” (p. 129)

   Ainsi le Recueil placé en tête nous semble être une annexe du Fléau, en ce qu’il décortique le Discours de son adversaire en signalant les pages, ce qui n’est pas le cas du dit Fléau, situé in fine.

   Le ton scandalisé voire étonné de Taxil montre à quel point l’astrologie au début du XVIIe siècle est encore “droite dans ses bottes”, qu’elle ne craint pas les découvertes d’un Galilée, mais force est de constater qu’elle sera bientôt plus sur la défensive. Toujours est-il que cet Anticométiste, relève Taxil, entend “chasser de la Bergerie Chrestienne tous astrologues, physiognomes, sorciers et telle racaille de gens qui se meslent de prédire par l’inspection des astres ou plutost par la suggestion pure des esprits noirs.” (p. 143)

   Dans le “Fléau de l’Anonyme”, Taxil refuse ainsi de disjoindre astronomie et astrologie : “Ces sciences (astronomie et astrologie) sont trop unies pour les pouvoir séparer sans corruption (...) Qu’est-ce autre chose l’Astrologie qu’une Astronomie parlante (...) Que serait-ce autre chose l’astronomie restreinte dans les bornes que vous luy voudriez imposer qu’une beauté muette, un soleil en éclipse, un trésor caché, une science morte qui ne servirait de rien à personne.” (p. 148)

   Taxil tire parti de l’anonymat de son adversaire : “Est-ce pour cela que vous supprimez vostre nom pour n’estre chastié de vos menteries. Qui faict mal, il hait la lumière: les faiseurs de Paquils en usent ainsi” (p. 153) comme il l’avait déjà fait dans le Recueil introductif : “Ho que vous avez bien fait , mon grand amy, de demeurer derrière le rideau (...) Car vous la pouvez maintenant désavouer comme un part abortif, pour l’attribuer à quelque autre etc.”

   Il reproche à cet inconnu d’écrire sous la protection de l’archevêque d’Arles : “Cet illustre Prélat lequel vous avez donné pour vostre Parrain à vostre Avorton & le nom duquel vous posez au plus haut du frontispice de votre livre, pour luy donner entrée & servir de miel à vos amertumes, vous désavouera, je n’en doute point, mal aisément pourra il souffrir de voir son autorité ainsi profanée & que vous lui fassiez porter la bannière à vos médisances (...) Si mon livre eut contenu en soi quelque chose d’erroné ou de scandaleux il n’eut pas emprunté une plume aussi vile que la vostre pour m’en reprendre, il l’eust faict luy mesme en Pasteur.”

   Enfin, cet ensemle s’achève par un traité en latin (pp. 162 et seq) : Iudicium Ioannis Taxilli D. Medici De nova illa stella quae colluxit en Sagittario (…) anno sexcentesimo quinto supra millesimum, soit la nouvelle étoile de 1605, texte dédié à Peiresc. Il s’agit probablement d’un texte paru séparément en 1608 et repris au sein de cet ensemble.

   Un des aspects de la polémique qui nous semble le plus intéressant concerne la question des historiens, lesquels seront sur la sellette tout au long du siècle et constituent, avec les astronomes l’autre pilier sur lequel s’appuie l’astrologie. L’anonyme semble avoir compris qu’il y avait là un enjeu d’importance, d’ailleurs n’est-ce pas au nom de l’Histoire telle que narrée dans l’Ancien Testament que l’on rejeta l’héliocentrisme, à Rome ? Dans le “Recueil de partie des erreurs” Taxil voit bien le coup venir : “Que pensiez vous en tançant tous les historiens d’ignorance, en la page 71, de votre libelle où vous dites qu’il faut avoir recours aux principes de la Philosophie (...) C’est chose asseurée et véritable que tous les Historiens disent que l’expérience (est) mère de toutes les vérités (...) Comment, pauvre ignorant, vous moquez-vous ainsi des Historiens, des observations & des expériences qu’on a faict ? Ne savez-vous pas que l’expérience a plus de force à conclure que toute sorte d’argumentation ? Cela fait penser à la formule de Jean Rostand : “si les statistiques prouvent l’astrologie alors je ne crois plus aux statistiques”, de même si les astrologues peuvent s’appuyer sur l’histoire, alors faut-il encore se fier à celle-ci ?

   En cette même année 161433 paraissait, de la plume de François de Cauvigny (Colomby), à Paris, chez Toussaint du Bray, une Réfutation de l’astrologie judiciaire (...) contre les astrologues de ce temps. Dédié à la Reyne Régente, c’est-à-dire à Marie de Médicis34 ; il y est demandé, également, dans l’épître à la Reine, veuve d’Henri IV, de bannir les pratiques astrologiques. Intervention sans grand effet, il est vrai quand on sait ce que Pierre Bayle écrira encore au début du XVIIIe siècle, dans la Continuation de ses Pensées sur la Comète, quant au crédit maintenu des astrologues qu’il déplore.35

Réfutation de l'Astrologie judiciaire

    L’ouvrage de Cauvigny, constitué de trois traités aux paginations séparées pourrait bien avoir inspiré les travaux du Jésuite Jean François, parus en 1660 sous le titre de Traité des Influences Célestes, à Rennes, puis, sous le nom de R. Descartes (sic) en 1667.36 C’est notamment la question de l’expérience qui est mise en avant par ces auteurs et qui rejoint la mise en question de l’autorité de l’Histoire. Sans l’appui de textes plus ou moins douteux relatant tel ou tel succès de l’astrologie, que vaudrait, demande-t-on le crédit de l’astrologie ? C’est d’ailleurs en particulier à Nostradamus, héraut par excellence de l’astrologie semble-t-il, notamment à la suite des événements d’Angleterre, que le Père Jésuite s’en prenait.

   “On les raconte autrement qu’elles n’ont esté ou prédites ou faites, bien peu ont esté composées devant l’effet, presque toutes sont racontées après et de celles-cy plusieurs ont esté composées & inventées après les accidents arrivez. C’est ainsi qu’on adjuste des quadrains à toutes les impressions de Nostradamus. Les autres qui restent sont rapportés avec tant d’amplification et de changements qu’ils sont méconnaissables (...) On attribue des prédictions aux astrologues qui ne peuvent leur convenir, toutes les prophéties de Nostradamus ont été faites sans aucun horoscope, comme il déclare au commencement d’un livre en une épître dédiée à son fils (...) On a partout en bouche ce vers de Nostradamus Sénat de Londres mettra à mort son roy, on oublie les autres.“

Traité des influences célestes

    Il ne faudrait pas en effet s’imaginer que les anti-astrologues ne se recopient pas : même un Calvin semble avoir puisé, pour composer son Avertissement contre l’astrologie qu’on appelle judiciaire, Geneva, 1549, dans l’oeuvre d’un David de Finarensis (alias de Finale), à savoir l’Epitome de la vraye astrologie et de la réprouvée etc, Paris, Estienne Groulleau, 154737, le chef réformé s’en prenant, quant à lui, à l’Avertisssement sur les jugements d’astrologie à une studieuse damoiselle, anonyme (en fait de Mellin de St Gelais), Lyon, Jean de Tournes, 1546.38 Ces polémiques et ces entretiens, ces apologies, sont en tout état de cause, la marque d’un certain intérêt pour les problèmes posés par la question astrologique, aux XVIe et XVIIe siècles.

Avertissemnt contre l'Astrologie       Epitome de la vraie astrologie

    Il semble bien que l’anti-astrologie du XVIIe siècle ait touché le talon d’Achille de l’astrologie, à savoir que ses fondements n’étaient pas tant astronomiques qu’historiques, que son crédit était avant tout lié à l’idée d’une transmission ininterrompue, à celle de prédictions confirmées sans que l’on soit certain du moment véritable où celles-ci furent formulées. Qu’est-ce qui alimente la foi, la confiance, en l’astrologie sinon l’idée d’une double transmission: diachronique, sur la base d’un savoir ancien qui se perpétue et synchronique, sur la base d’une influence d’astres lointains qui continue à s’exercer et à laquelle les hommes restent sensibles ? Tout cela ne renvoie-t-il pas à un passé plus ou moins immémorial ? Or, le temps des représentations mythiques des origines, et notamment, au travers des Ecritures Saintes, était alors en passe d’être révolu, la critique biblique se mettait en place notamment avec Richard Simon., auteur d’une Histoire critique du Vieux Testament (1678), tant et si bien que les idées d’alliance originelle entre hommes et astres qui sous-tendaient le statut intellectuel de l’astrologie étaient battues en brèche. En ce sens, l’astrologie allait subir le même sort que les (autres) religions, Nostradamus apparaissant comme son dernier prophète.

Jacques Halbronn
Paris, le 26 septembre 2003

Notes

1 Cf. notre étude “De l’astrologie à l’astro-histoire”, Site du Cura.free.fr. Retour

2 Cf. BNF *E 2063. Retour

3 Cf. E. Fassin, “Un oublié Jean Taxil”, Bulletin de la Société des amis du vieux Arles, janvier 1940. Retour

4 Cf. notre étude sur le Site du Cura. Retour

5 Cf. BNF D 6869. Retour

6 Cf. Bibliothèque Ste Geneviève, V 4° 68 Inv 544, pièce 19. Retour

7 Cf. l’édition de S. Bokdam, Genève, Droz, 1990. Retour

8 Cf. BNF V 12198. Retour

9 Cf. Traité des Influences Célestes, Rennes, 1660. Retour

10 Cf. notre édition, Paris, Retz, 1975. Retour

11 Cf. O. Millet, “Feux croisés sur Nostradamus au XVIe siècle”, in Divination et controverse religieuse en France au XVIe siècle, Cahiers V. Saulnier, 1987. Retour

12 Cf. notre étude sur les comètes, op. cit. Retour

13 Cf. E. Labrousse, Entrée de Saturne, op. cit. Retour

14 Cf. Tombeau de l’astrologie judiciaire, Paris,1657. Retour

15 Cf. notre étude Bayeux. Retour

16 A Tournon R. Reynaud, BNF V 29301, autre édition : BNF V 21816. Retour

17 Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 1989 - 1990. Retour

18 Cf. E. Labrousse, L’entrée de Saturne au Lion. L’éclipse du 16 août 1654, La Haye, Nijhoff, 1974. Retour

19 Cf notre étude sur le Site du CURA. Retour

20 Cf. BNF *E 2063. Retour

21 Cf. Apologie ou Réponse pour la République de Jea,n Bodin, Paris, Du Puiys 1581. Retour

22 Cf. notre étude “Pierre Gassendi et l’astrologie judiciaire. Approche bibliograpohique”, Annales de Haute Provence, 2 - 3e trimestres 1993. Retour

23 Cf. BNF Resaq V 21816. Retour

24 Cf. “De l’astrologie à l’astro-histoire”, Site CURA. Retour

25 Cf. le colophon p. 160. Retour

26 Cf. notre postface au reprint du Commentaire du Centiloque par Nicolas Bourdin, Paris, Trédaniel, 1993. Retour

27 Cf. l’Astrologie et physiognomie en leur splendeur, op. cit., p. 92. Retour

28 Cf. S. Nelli, “Jean Taxil”, op. cit., p. 236. Retour

29 Cf. l’Astrologie et Physiognomie, op. cit., p. 116. Retour

30 Cf. B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999, p. 451. Retour

31 Cf. Astrologie et Physiognomie, op. cit., p. 114. Retour

32 Cf. notre étude sur le CURA. Retour

33 Cf. sur cette période nos développements consacrés aux malheurs de l’astrologue Morgard in Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, pp 145 et seq. Retour

34 Cf. BNF V 21807. Retour

35 Cf. “The importance of comets for the cause of Astrology; the case of Pierre Bayle in the years 1680 - 1705”, Colloque Astrology and the Academy, Bath, 2003, et “Astrologie et Histoire au XVIIe siècle”, Colloque Astrologie et pouvoir, Actes in Politica Hermetica, 2003. Retour

36 Cf. notre étude sur G. Bachelard et l’oeuvre de cet auteur, CURA. Retour

37 Cf. Bibl. Ste Geneviève, Paris, V 8° 635 Inv 2679 Réserve. Retour

38 Cf. O. Millet, édition de l’Avertissement de Calvin, Genéve, Droz, 1985. Retour



 

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