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ASTROLOGICA

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Le Zodiaque comme interface entre deux astrologies
par Jacques Halbronn


    On déclare volontiers que l’astrologie n’est pas falsifiable, c’est-à-dire que l’on ne peut pas faire apparaître le faux dans son discours voire dans sa pratique. En perspective du colloque des 12-13 novembre, il convenait que nous réfléchissions sur ce point qui détermine le sens ou l’absence de sens des débats : peut-on dire n’importe quoi en astrologie ? Or, pour nous la falsifiabilité ne se situe nullement exclusivement sur le plan de résultats mais bel et bien sur celui de la mise en évidence de pathologies de l’épistémé si l’on admet que l’on puisse parler d’un savoir malade et notamment schizophrénique. Dans la notion de falsifiabilité, nous inclurons donc une notion de corruption, dans tous les sens du terme, c’est-à-dire en raison de protocoles d’expérience douteux mais aussi de modèles marqués par une certaine confusion structurelle, ce qui nous conduira notamment à une étude du rôle du zodiaque à différents niveaux de l’édifice et de la pratique astrologiques.

   Il convient d’abord d’insister sur les situations qui ne relèvent pas exclusivement de l’astrologie et qui donc ne sont pas concluantes pour en apprécier la valeur en tant que savoir. On veut évidemment parler de l’entretien astrologique individuel au cours duquel le client/patient effectue un travail considérable, plus ou moins conscient, de décodage de la parole de l’astrologue et où l’astrologue se nourrit peu ou prou de ce qu’il perçoit chez le dit client et intègre, d’une façon ou d’une autre, dans son diagnostic/pronostic. Cette ambiguïté tient largement au fait que l’astrologue vise avant tout à coïncider avec le vécu du client, ce qui laisse à ce dernier tout pouvoir pour décider du vrai et du faux. Autrement dit, l’astrologue n’a guère la maîtrise de la situation puisqu’il n’accède aux informations permettant d’évaluer son propre travail que par le truchement de son client. Situation mal commode sur le plan expérimental et qui suppose que le client soit hyperconscient de ce qu’il est, de ce qui lui est arrivé et ce dans les quelques secondes qui suivent l’énoncé du propos. Ca marche, certes, mais compte tenu de facteurs extérieurs au savoir astrologique de l’astrologue et qui relèvent de la force du transfert, de la perspicacité du praticien.

   Mais nous voudrions ici aborder des aspects plus complexes du problème, à savoir le décalage entre le savoir astrologique et le phénomène astrologique en insistant sur le hiatus entre ces deux niveaux. Le savoir astrologique, c’est l’ensemble des données techniques dont la mise en oeuvre est supposée parvenir l’accès au psychisme du client voire à son devenir ; ce savoir offre de multiples variations selon les astrologues, notamment quant aux astres utilisés (planètes et étoiles prises en compte) et la façon dont on balise leur parcours.(aspects, position en signe, choix d’un point gamma (point vernal, étoile fixe etc). Quant au phénomène astrologique, c’est la façon dont la relation hommes-astres fonctionne, en soi, par delà les discours astrologiques qui prétendent en rendre compte. On ne peut d’ailleurs affirmer qu’il n’existe qu’un phénomène astrologique face à la diversité des savoirs astrologiques (cf. infra). Dans quelle mesure, au demeurant, tel savoir astrologique permet-il d’accéder à tel phénomène astrologique, si l’on admet que puisse exister une pluralité de savoirs mais aussi de phénomènes astrologiques ?

   Nous pensons, en effet, que de même que le savoir astrologique ne s’est pas constitué en une seule fois, loin de là, il est probable - du moins allons-nous tenter de le montrer - que le phénomène astrologique n’est pas nécessairement d’un seul tenant et sur une seule et même base. Est-ce que, d’ailleurs, la diversité des savoirs astrologiques ne serait pas, peu ou prou, le reflet de la diversité des phénomènes astrologiques ?

   On peut en lister au moins trois: le premier, le moins significatif mais le plus tangible pour la conviction des astrologues est celui qui est généré par la croyance astrologique, par la dynamique de la consultation astrologique, avec sa dimension de suggestion/autosuggestion (cf. supra), le deuxième concerne les travaux de Gauquelin, le troisième concerne, grosso modo, le champ propre à l’astrologie mondiale. La tendance à considérer ces trois phénomènes comme n’en faisant qu’un, d’où l’emploi du singulier qui est couramment utilisé dans ce domaine et qui renvoie à l’hypothèse d’une origine unique, laquelle ne nous semble ni probable ni souhaitable. Evidemment, la thèse d’un phénomène s’étant mis en place à différentes époques et sous des formes et dans des buts bien différents renforce la position selon laquelle l’astrologie serait une construction de l’Humanité et non pas une réalité monolithique du moins au départ, s’imposant à lui et qui plus est à son insu.

   Nous pensons qu’il existe plusieurs astrologies recourant aux astres de façon fort différente. Il ne s’agit pas ici de différences assez mineures comme il en existe tant au sein d’un même modèle astrologique mais bien de différences radicales.

   Nous distinguons deux modèles principaux, l’un s’articulant sur l’heure et le lieu de naissance, étudiant la position des astres au lever, à la culmination et ne recourant aucunement au découpage zodiacal, tout au plus signalant l’étoile fixe la plus proche opérant son ascension à la naissance, mais, encore une fois, sans référence au zodiaque. Les travaux statistiques de Gauquelin nous permettent de nous faire une assez bonne représentation du phénomène astrologique dont il s’agissait il y a plusieurs milliers d’années et qui continue à agir, faute de quoi on n’aurait pu mener à bien des statistiques de nos jours dans ce sens. Il n’était pas nécessaire de connaître la vitesse de révolution des planètes puisque chaque planète se manifestait au cours de chaque journée. Astronomie d’observation au moment de la naissance. Le thème natal, à l’origine, ne s’intéressait ni au zodiaque, ni aux aspects, mais simplement aux maisons astrologiques auxquels on finira par attribuer des significations à caractère divinatoire. Inapte à déterminer à l’avance la progression réelle des astres, cette astrologie attribua aux dits astres une progression fictive, dont on a la trace dans les techniques de direction qui nous sont parvenus, à commencer par celles qui s’articulent sur les maisons. On aura noté que le dit thème natal aura beaucoup évolué depuis en adoptant des facteurs propres à l’autre modèle (cf. supra).

   Cet autre modèle, apparu sensiblement plus tard, et requérant des connaissances astronomiques plus pointues, à savoir la possibilité de déterminer à l’avance où se trouvera une planète, ce qui exige de maîtriser la cyclicité d’au moins une planète, est à vocation prévisionnelle, tant il est vrai que l’astrologie ne peut, a priori, pas prévoir sans que l’astronomie en soit capable. Alors que le premier modèle se servait de toutes les planètes connues de l’Antiquité et d’un grand nombre d’étoiles fixes - ce qui lui confère un caractère centrifuge - le second modèle se servait, selon nous, au départ, d’une seule planète (Saturne) et possiblement d’une seule étoile fixe de la constellation du Taureau (Aldébaran), ce qui lui confère un caractère centripète. Ce modèle s’intéressait initialement aux aspects non pas entre planètes mais entre une planète et une étoile fixe - ce qui fait songer aux deux aiguilles d’une montre, l’une rapide, celle des minutes, l’autre, douze fois plus lente, celle des heures - et cette planète était Saturne-Kronos, en hébreu Shabtaï qui est à rapprocher de Shabbat, le jour où un nouveau cycle hebdomadaire est bouclé (en anglais Saturday, le jour de Saturne). La vocation de ce modèle était de dépasser largement le cycle annuel qui s’imposait de lui-même et qui avait déjà génére une certaine cyclicité non réservée aux hommes et d’accéder à un cycle sensiblement plus long, en fait 28 fois environ plus long tout comme le cycle lunaire était 28 fois environ plus long que le cycle quotidien du soleil et qui lui serait l’apanage de la seule Humanité et la clef de sa suprématie.

   Il est assez évident que la technique des aspects tout comme le découpage zodiacal à partir d’un point gamma donné, appartenait à ce second et plus récent modèle car de la sorte l’écart entre la planète et l’étoile pouvait être déterminé et daté.

   Force est de constater que ces deux phénomènes astrologiques bien différents, recourant au ciel diversement et pour des besoins distincts n’avaient nullement vocation à fusionner en un seul et unique savoir astrologique. Et c’est pourtant bien ce qui se produisit tant et si bien que les aspects et le zodiaque font désormais partie intégrante du thème natal. Inversement, l’astrologie mondiale ne se contente pas de Saturne mais utilise notamment Jupiter, douze fois plus lente que l’année terrestre - ce cycle de 12 ans se retrouve en astrologie chinoise - notamment dans le cadre de la théorie médiévale des Grandes Conjonctions, par ailleurs s’articulant, en 800 ans, sur le Zodiaque, sans parler des autres planètes, y compris, de nos jours, des transsaturniennes.

   Un des effets les plus troublants de ce qu’il faut bien qualifier de syncrétisme est l’importance accordée à la typologie zodiacale en dehors de toute considération prévisionnelle. Cela vaut la peine de nous y arrêter car le passage d’un système diachronique vers un système synchronique entraîne des effets assez surprenants. On notera d’abord que cette typologie prétendument caractérologique cohabite avec un typologie planétaire. Or, si la typologie planétaire se présente d’entrée de jeu comme une répartition entre un certain nombre de fonctions complémentaires et simultanées, comme pour Mars et Vénus, et Gauquelin a montré que cela correspondait bel et bien à un découpage socioprofessionnel toujours en vigueur, en dépit du fait qu’il soit beaucoup moins familier du grand public, dans son maniement, que le découpage zodiacal (avec notamment la fameuse combinaison soleil-ascendant), en revanche le nom et le fondement des signes zodiacaux nous semblent correspondre à un processus chronologique, déterminant des états successifs et non point simultanés. D’ailleurs, la littérature astrologique ne cesse d’associer le zodiaque au cycle des saisons et c’est encore le cas d’un Jean-Pierre Nicola lequel accorde au dit zodiaque une importance dans le thème natal tout en le fondant sur un processus... cyclique !1 Cela ne fait pas sens de fonder une typologie de traits constants sur une réalité cyclique, évolutive, de confondre le vais je pouvoir m’exprimer ? et le quand cela va-t-il m’arriver ? Quand l’astrologie rechigne à prévoir, elle tend à transposer ses techniques prédictives sur le plan de la description du comportement, perdant ainsi sur les deux tableaux, soit par le vide, soit par le trop plein. Curieusement, Gauquelin cherchait à étayer ses travaux en se référant aux recherches effectuées sur les cycles par les uns et par les autres alors que lui-même mettait en évidence des phénomènes que nous ne qualifierons pas de cyclique dans la mesure en tout cas où ils ne sont pas récurrents dans la vie du sujet, même si, effectivement, ils sont liés aux planètes : il reste que l’astrologie généthliaque ne saurait stricto sensu être qualifiée de cyclique sur le plan astrologique, étant donné que son point gamma est l’ascendant natal, à moins de s’intéresser aux révolutions dites solaires, donc annuelles mais nous avons dit en quoi il convenait de distinguer la cyclicité annuelle de cyclicités plus longues et donc découpées en phases couvrant plusieurs années et non pas quelques mois. Par ailleurs, J. P. Nicola est même allé jusqu’à vouloir cerner le caractère des planètes en élaborant une théorie des âges, selon laquelle chaque planète correspondrait à un stade d’évolution humaine, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse.

   Une telle confusion offre au demeurant bien des avantages. En effet, le portrait astrologique implique volontiers certaines insistances comme cela serait le cas si l’on disait de quelqu’un qu’il préfère l’hiver et de tel autre qu’il préfère l’Eté. Etant donné que nous sommes tous amenés à vivre selon le cours des saisons, nous sommes capables de traverser chaque saison sans trop de peine, en les gérant chacun à notre façon. Etant donné, en outre, que nous ne sommes pas seuls au monde, il importe finalement peu que celui-ci fasse ceci et cet autre cela, ce serait comme de répartir entre quelques amis la tâche d’acheter l’un le gâteau, l’autre le vin et ainsi de suite. Au fond, accepter de ne pas avoir à s’occuper de tout ce qui relève de l’humaine condition, pouvoir se soulager sur autrui d’une partie du poids du fardeau social est assez réconfortant. L’astrologie nous proposerait ainsi la perspective d’une société utopique, à l’humanité éclatée, en miettes, où nous n’aurions que des bouts de rôle à interpréter si bien que prétendant déterminer ce qui est propre à l’individu, elle ne ferait en réalité que le rendre plus dépendant des autres, puisque à l’évidence l’individu cesserait d’être viable, par lui-même, s’il était aussi limité que veut bien le dire l’astrologue.

   D’ailleurs, cet astrologue est-il conscient de ce qu’il fait ? On peut en douter. Il semble bien plutôt qu’il applique certains schémas sans forcément les comprendre et sans se demander surtout si leur mode d’emploi a bien été transmis, un peu comme on est en droit de se le demander à propos des Centuries.2 Disons que certaines habitudes ont été prises qui ne sont guère remises en question, tout comme dans le domaine de l’exégèse nostradamique, où l’on choisit les quatrains à sa guise pour peu qu’ils soient reliés par tel ou tel mot à un certain événement ou à un certain personnage.

   Pour notre part, nous pensons que des erreurs de transmission sont à constater et que le savoir astrologique n’est pas infaillible, non point tant au niveau de ses applications qui sont ce qu’elles sont et qui ne prouvent pas grand chose dans leur pratique actuelle car on peut aussi marcher sur la tête, que de l’évolution de ses modèles. Entendons par là qu’il ne s’agit pas ici de contester les présupposés de l’astrologie mais de montrer que quelque part, les choses ont fini par s’embrouiller et que les modes d’emploi - car il faut ici parler au pluriel - se sont perdu.

   Les historiens de l’astrologie qui s’appuient sur le Tétrabible attribué à Claude Ptolémée de Pélouse/Alexandrie (IIe siècle de notre ère) n’ont pas conscience qu’il s’agit là d’un ouvrage des plus syncrétiques et que le syncrétisme ne saurait constituer une base saine pour l’épistémologie de l’histoire sauf à être radicalement déconstruit. Pauvre historien que celui qui ne “flaire” pas d’instinct les syncrétismes et qui prend pour un état initial ce qui est en fait un état terminal !

   On sait que le mot Histoire a deux sens que l’on confond souvent : à savoir d’une part ce qui s’est réellement passé et ce que l’on dit qui s’est passé, ce qui relève d’une synthèse effectuée à partir d’un certain nombre de données interprétées d’une certaine manière. Or, on ne raconte pas l’histoire de quelqu’un sans savoir d’où il vient, quels sont les obstacles qu’il a eu à franchir, les défis à relever, les erreurs commises et réparées comme on peut. Il en est de même pour celle d’un savoir, on ne saurait ignorer ses errements. Ce qui distingue l’histoire du savoir astrologique de celle des savoirs officiels tient au poids considérable du passé lequel ne parvient jamais à être évacué mais avec lequel il faut faire avec, pactiser, tout en déclarant que tout va très bien, merci.

   En vérité, on ne peut apprécier pleinement le travail des astrologues sans avoir conscience des médiocres outils dont ils disposent et dont ils tentent de tirer, dans tous les sens du terme, le meilleur profit, avec la complicité de ceux qui coopèrent, collaborent non sans une certaine complaisance. Ce qui surprend peut-être le plus, c’est précisément la crédulité insondable de ceux auxquels les astrologues s’adressent. Parfois, quelqu’un déclare que ce n’est pas scientifique en n’attaquant pas tant le discours de l’astrologue que ses fondements théoriques, ce qui montre bien que le discours est accepté dès lors qu’on le croit vrai a priori et non point au vu du dit discours. Le transfert à l’égard de l’astrologue passe par une identification du client à ses propos; le client légitime, fait exister l’astrologie en jouant, en se prêtant à son (au) jeu. “Voulez-vous jouer avec moi ?” Certains astrologues sont si sûrs de leurs charmes qu’ils semblent ne jamais craindre l’échec et pouvoir toujours retomber sur leurs pattes. En fait, ces astrologues font confiance à l’astrologie, qui a fait ses preuves comme attrape-nigauds, sans d’ailleurs eux-mêmes en connaître nécessairement les mécanismes. La règle en astrologie, c’est de ne pas être plus royaliste que le roi : si les clients sont contents, c’est le principal et les doutes que l’astrologue pourrait ressentir quant à son outil finissent par s’évanouir puisque “ça marche” quand même et de toute façon. Le plus difficile, en astrologie, ce n’est pas, contrairement à ce que bien des astrologues de terrain prétendent - que- à chaud- le client applaudisse ou lève le pouce vers le haut mais bien de pouvoir défendre, à froid, le tissu d’hypothèses et d’incohérences mal maîtrisées véhiculées. C’est pourquoi la question à propos de l’astrologie n’est pas tant “si ça marche” car ça marche toujours - on est dans le “pourquoi pas ?” notamment chez les femmes - mais “comment ça marche”, et pas forcément du fait de la valeur intrinsèque de l’astrologie mais bien plutôt du brio de l’astrologue, ce qui déclenche la participation active de son auditoire. Il suffit pour cela de déclarer que c’est le client qui juge “par lui-même” ce qu’il en est, tout en sachant très bien qu’il est tout à fait incapable de “prouver” que ce qu’on lui dit est radicalement faux puisque le discours de l’astrologue est constitué de choses vraies, qui n’ont rien, en soi, d’invraisemblables mais peuvent s’appliquer à tout le monde. En réalité, le problème n’est pas tant, pour le client, de rejeter ce qu’on lui dit que de revendiquer ce qu’on ne lui a pas dit mais comme il ne veut pas apparaître comme terriblement banal, il se satisfait d’une image psychologiquement déformée et caricaturale, comme le sont, sur le plan physique, certaines glaces, dans les fêtes foraines ou les parcs d’attractions qui grandissent ou rapetissent et rendent méconnaissables.3

   Il faut être connaisseur pour apprécier la façon dont l’astrologue contourne les problèmes afférents à son savoir et présente à ses clients un ensemble de guingois grossièrement rapiécé, pour une connaissance d’un seul bloc supposée issue de l’origine des temps, expression de la métaphysique la plus profonde. Qu’un savoir aussi hétéroclite puisse “marcher” tient à deux facteurs : d’une part la virtuosité avec laquelle certains enseignants en astrologie parviennent, au prix de quelques artifices, tels des prestidigitateurs, à faire oublier, recourant à quelque cache-misère, ce qui aurait du choquer un esprit un tant soit peu critique et exigeant, ne prenant pas des vessies pour des lanternes et de l’autre, la capacité du client à s’identifier et à se reconnaître dans ce qu’on lui présente comme la lecture, le déchiffrement d’une sorte de radioscopie de son moi. En fait, l’astrologue nous ferait surtout songer à quelqu’un côtoyant un précipice sans s’en rendre compte ; il doit y avoir un dieu pour les astrologues ! Ce qui nous semble en tout cas évident, c’est que l’astrologue ignore comment ce qu’il fait “marche” et le rapport de cause à effet entre les moyens qu’il est censé utiliser et les résultats qu’il semble avoir obtenus.4 Au vrai, il profère des propos et ces propos trouvent étonnamment un écho chez son auditoire dont il est le premier surpris, partagé probablement entre un certain sentiment de la bêtise humaine et un émerveillement face à des recettes miracle, en sous-estimant notamment le besoin viscéral de l’humanité d’être relié aux astres. Paris vaut bien une messe, c’est-à-dire que quelques concessions à la vérité valent le coup pour être admis dans la “secte” cosmique, dont l’astrologue serait le gardien du seuil ; c’est comme un amoureux de théâtre, qui veut à tout prix monter sur les planches, peu lui importe le rôle qu’on lui attribue pourvu qu’il soit retenu.

   Certains soutiendront mordicus que rien n’arrive par hasard et que même les erreurs font sens ; reconnaissons que cette thèse de l’infaillibilité de l’astrologie est singulièrement irritante. A les entendre, l’astrologie ne pourrait que progresser, en acquérant des savoirs supplémentaires, notamment au niveau des planètes transsaturniennes mais non pas se tromper, être victime de confusions dans son propre mode de transmission, hypothèse carrément sacrilège. Rappelons qu’en ce début de XXIe siècle, les astronomes ont “offert” aux astrologues les transplutoniennes Varuna et Sedna, la “onzième planète”, recourant cette fois à des mythologies exotiques pour avoir gaspillé sur les astéroïdes Cérés, Pallas, Junon et Vesta.5

   En fait, ces nouvelles planètes sont volontiers interprétées par les astrologues comme l’annonce de temps nouveaux et non pas seulement comme des pièces manquantes du savoir astrologique : toujours cette hésitation entre le diachronique et le synchronique, entre l’évolution et la structure ! La thèse la plus populaire dans les cercles astrologiques semble bien être celle d’un savoir qui se révèle au fur et à mesure que l’astronomie progresse. Or, rien ne prouve que ces nouvelles planètes soient en quoi que ce soit nécessaires à l’intégrité du savoir astrologique ou d’ailleurs que tout ce que les astrologues ou les astronomes modernes élaborent ou établissent à un niveau ou à un autre ne puisse être en décalage, ne serait-ce que par sa nouveauté même, par rapport à ce que l’astrologie, en tant que phénomène objectif et non comme savoir subjectif, est réellement pour l’Homme, en son Inconscient.

   Notre critique du zodiaque nous paraît, en effet6, avoir mis fin à de telles prétentions d’infaillibilité, d’une part en montrant l’inanité de vouloir appliquer un schéma prévisionnel au niveau d’un classement des individus étant donné que nous passons par toutes les phases du dit schéma et que, par conséquent, nous ne pouvons que nous reconnaître, peu ou prou, indifféremment, dans chacun des dites phases et d’autre part en observant l’interférence entre les outils liés à une astronomie de position et ceux qui concernent la condition cyclique de l’existence humaine. Laissons donc le Zodiaque à l’astrologie mondiale en tant que mode de balisage du parcours des planètes, ainsi d’ailleurs que la théorie des domiciles et des exaltations qui ne saurait appartenir au thème natal, quand bien même, par le système des maîtrises, elle serait devenue un outil indispensable, pour tant de praticiens, pour articuler les maisons astrologiques les unes par rapport aux autres. Ajoutons, au demeurant, qu’il y a un fossé entre le principe de déterminer la planète dominante du thème par les angularités et le fait de considérer la signification des maisons qui, elles aussi, concernent bien plutôt les âges de la vie - avec une symbolique analogique diurne/nocturne - par lesquels nous passons tous, qu’une analyse du caractère du né. Or, on observe à quel point s’est développée une interaction entre signes et maisons : si, par exemple, le sagittaire est censé être marqué par les voyages et l’étranger, n’est-ce pas du fait du rapprochement avec la maison IX, encore que les astrologues ne s’étonnent pas pour autant de voir un signe de plein automne correspondre à une maison placée au dessus de l’horizon alors que l’automne est par analogie associé au coucher du soleil ? Cet exemple est d’ailleurs édifiant : nous sommes tous amenés un jour ou l’autre à voyager, la seule question est quand et souvent nous ne voyageons pas seuls, il s’agit généralement d’un phénomène collectif et souvent saisonnier : départ et retour de vacances, notamment, période de formation professionnelle, mariage pour une femme, exode, immigration/émigration, transhumance, nomadisme, etc. Quant à rechercher dans le thème astral une temporalité individuelle, comme si chacun avait son propre temps, ses propres échéances - même la mort est souvent le fait d’épidémies, de famines, de guerres, de génocides, ou tout simplement de générations qui arrivent à un certain âge, et ce qui est terrible dans la mort, c’est quand elle frappe et décime des populations entières - cela nous semble être le type même de confusion des genres, le temps étant avant tout un phénomène collectif - littéralement con-temporain - s’opposant au plan des activités qui est, quant à lui et par essence, sectoriel, corporatif. Comment deux personnes vivant ensemble pourraient-elles vivre des temps différents et comment annoncer à l’un que tout va bien et à l’autre que tout va mal, notamment sur le plan sentimental ? Mais les planètes elles-mêmes, au sein d’un même thème, placées en des signes différents et parfois antagonistes ne se trouvent-elles pas décalées les unes par rapport aux autres, ce qui se traduit d’ailleurs par des aspects dissonants ?

   En réalité, le terme même d’astrologie individuelle7 est trompeur car l’astrologie généthliaque débouche bel et bien sur la fixation d’appartenances à un groupe donné, marqué par une certaine planète. Cette astrologie individuelle, quant à elle, est le fruit ou la cause du thème astral et notamment de la combinatoire des planètes entre elles, alors qu’initialement la planète était référée soit, dans le cas de l’astrologie généthliaque, à l’horizon et au méridien de naissance, soit, dans le cas de l’astrologie cyclique, aux aspects avec un point gamma et non avec une autre planète. Nous pensons que ce mélange, cet entrelacs planétaires ont radicalement modifié le profil de l’astrologie. Selon nous, il y a bien un problème de mode d’emploi du Ciel et un mode d’emploi, cela se perd, cela ne se transmet pas toujours et certains en proposent de nouveaux qui finissent par s’imposer ou se surajouter. L’astrologie actuelle serait l’agglomération de tous ces modes d’emploi, ce qui conduit à fausser et à compromettre le travail de l’Historien comme de l’épistémologue, pour ne pas parler de l’astrologue, quand il veulent rendre compte, sans précaution, d’un ensemble aussi hétérogène. Une certaine anti-astrologie se complaît précisément à entériner un tel amalgame.

   Il ne s’agit donc nullement de chercher à expliciter comme s’il s’agissait d’un seul et même phénomène ces deux grands modèles astrologiques, sans parler de leur avatar transplanétaire. Chacun doit être examiné séparément, obéissant à des logiques bien distinctes et qui n’ont d’ailleurs pas grand chose en commun, hormis le rapport entre les hommes et les astres, mais sous des angles si différents. Le sort de l’une ne saurait d’ailleurs conditionner celui de l’autre.

   Les travaux de Gauquelin ne sauraient ainsi avoir une grande incidence sur l’astrologie des cycles sociaux. On sait que ces travaux sont parfois contestés plus ou moins à bon escient et qu’ils confèrent au moment de la naissance une importance qui n’existe absolument pas pour l’astrologie cyclique telle que nous la concevons et percevons. Ceux qui ne sont pas sensibilisés par cette astrologie généthliaque ne doivent pas pour autant se désintéresser de l’astrologie car le second modèle fonctionne sur des bases bien différentes et il serai faux de dire que l’on serait passé du second modèle vers le premier ou vice versa ou que l’un se serait enrichi de l’autre. Il est clair que l’astrologie cyclique ne saurait souffrir des manques de l’astrologie natale ni que les succès de l’une ne devraient point ipso facto valoir pour l’autre.

   Ces deux modèles se sont, en réalité, développé de façon parallèle et décalée dans le temps. En conclusion, nous dirons qu’il serait souhaitable de distinguer deux types d’astrologues, ceux du premier et du second modèle et deux histoires de l’astrologie, quand bien même des interférences multiples existeraient, comme chacun sait, entre eux. Le Zodiaque nous apparaît comme se situant à l’interface, si l’on peut dire, entre les deux modèles et c’est donc par le Zodiaque que l’illusion de l’unicité de l’astrologie est parvenue à s’imposer et ce d’autant que cette typologie zodiacale relie astrologie populaire (Kalendrier des Bergers) la première à privilégier les catégories zodiacales en n’abordant l’astrologie que par son côté iconographique, de façon profane, et astrologie savante, laquelle ne récupérera la dite typologie que très tardivement et singulièrement au XXe siècle.. Il est vrai que la symbolique d’ensemble du zodiaque est loin d’être transparente, bien moins que celle des maisons astrologiques ; si l’on renvoie volontiers aux saisons, c’est pour justifier le découpage selon les axes équinoxial et solsticial plus que pour associer signes et saisons, encore que les signes soient divisés soient divisés selon leur position en tête, en milieu et en fin de saisons (cardinaux, fixes, mutables). D’ailleurs, au lieu de passer insensiblement d’un signe à l’autre, voire d’un décan à l’autre, les astrologues établissent fréquemment une frontière couperet, à la seconde d’arc près, comme si on ne pouvait pas être entre deux signes comme on peut l’être entre deux saisons. Comment peut-on traiter de la même façon découpage planétaire entre corps bien distincts aux cycles certes progressifs, selon la Loi de Bode, et découpage zodiacal s’appliquant à un continuum ? On voit à quel point, les dispositifs astrologiques déteignent allègrement les uns sur les autres, créant ainsi un semblant d’unité, mais aux dépens même d’une certaine logique analogique. Il est vrai qu’il est bien plus aisé pour le grand public de connaître son signe solaire que sa planète, sauf évidemment à associer d’office et une fois pour toutes tel signe à telle planète, quelle que soit la position réelle de la planète à un moment donné.

   Certes, l’édifice astrologique actuel a-t-il acquis, avec le temps, quelque assise ou patine socioculturelles voire traditionnelles ; il n’en reste pas moins que la situation syncrétique actuelle crée une impasse épistémologique qui rend bien difficile de penser sainement l’Astrologie. Nous serons donc en faveur d’un cloisonnement aussi net que possible entre ces diverses formes d’astrologies en refusant de les mettre toutes dans le même sac ; l’empire astrologique est bel et bien menacé, tant il est hétéroclite, il est peut-être temps en effet de cesser de tout mélanger sous une seule et même étiquette et de faire l’inventaire, plutôt que de tenter de l’unifier par un ravalement de façade et un discours sur la nécessité métaphysique pour l’astrologie d’être devenue ce qu’elle est, à la façon des astrologues conditionalistes ou post-conditionalistes.8

Jacques Halbronn
Paris, le 13 septembre 2004

Notes

1 Cf. notamment les ouvrages publiés par Françoise Hardy sur cet enseignement. Retour

2 Cf. nos études sur Espace Nostradamus. Retour

3 Cf. “Les astrologues et le spectre de la promiscuité”, sur Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

4 Cf. Jean-Paul Thenot, Les sorciers face à la science. Les phénomènes paranormaux : faits et preuves, Paris, Ed. Du Rocher, 2004. Retour

5 Cf. étude d’un auteur anonyme “Un signal venu du fin fond de l’espace” dans la revue Horoscope, septembre 2004, pp. 72 et seq. Retour

6 Cf. notamment, en complément, “Tarot, Zodiaque, Planètes, quatrains centuriques : des miettes de savoir”, Encyclopaedia Hermetica en ligne, rubrique Tarotica. Retour

7 Cf. “L’astrologie moderne : des vertiges de l’infiniment petit à ceux de l’infiniment grand”, Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

8 Cf. Site CURA.free.fr. Retour



 

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