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ASTROLOGICA

79

Astrologues et anti-astrologues
en mal de modèles adéquats

par Jacques Halbronn


    Il est assez triste de constater à quel point le débat autour de l’astrologie reste figé depuis une cinquantaine d’années de par le non renouvellement des modèles tant chez les astrologues que chez les anti-astrologues, ce qui témoigne, somme toute, de la médiocrité de l’intérêt de l’intelligentsia pour ce domaine. Bien plus, des arguments qui au départ étaient exposés de façon assez pertinente ne font plus que se répéter sans que l’on ne sache plus très bien ce qu’il en est. Quand on n’avance pas, on recule, on régresse, on se sclérose. Nous avons voulu, dans cette étude, montrer que l’élaboration de nouveaux paradigmes serait susceptible de relancer la question et surtout d’en faire évoluer les enjeux.

Sommaire :

1 - La mutation astrologique : l’homo astrologicus
2 - Les séquelles d’une impérialisation de l’astrologie


1

La mutation astrologique : l’homo astrologicus

“Dès que la technique apparaît, l’hérédité se relativise (...) L’artefact technique et artistique prend sa puissance créatrice en structurant le milieu, au delà du corps des femmes (...) L’héritage de l’outil infléchit les conditions du développement d’un programme génétique. Et la tradition devient tuteur de développement.”1

    Ce qui empêche un Philippe Zarka, astronome de l’Observatoire de Paris-Meudon (co-auteur avc François. Biraud de Sur l’astrologie : Réflexions de deux astronomes, à consulter sur Internet) d’appréhender la nature du phénomène astrologique tient à un problème de paradigme, la preuve en est que le paradigme auquel nous pensons n’est ni mentionné, ni réfuté par cet astronome. Pour lui, il n’existe pas 36 solutions : soit l’homme est soumis à des influences physiques, soit il est marqué par une culture, une éducation. Il est vrai que la plupart des astrologue ne sont pas plus avancés et s’en tiennent le plus souvent de nos jours à la thèse d’un environnement cosmique qui marquerait la psyché humaine. Quant à la thèse culturelle, elle n’a pas l’heur de plaire aux astrologues car elle semble signifier que l’astrologie est une simple affaire de superstition qui ne vaudrait que pour ceux qui y croient.

   Comme le note Boris Cyrulnik dans le texte que nous avons placé en exergue, l’ère de la technique a obscurci notre faculté de concevoir une autre stratégie de progrès pourtant fort déterminante dans l’Histoire du vivant en général et de l’Homme en particulier.

   Le paradigme oublié est tout simplement celui qui implique une transformation de l’Homme et non pas de son environnement et une transformation qui dépasse le cadre d’une vie individuelle et débouche sur un processus héréditaire.

   Philippe Zarka, pour ne citer que lui, qui revendique le droit voire le devoir pour les astronomes d’intervenir dans le débat ne pose à aucun moment la question de savoir si les hommes se sont mis en situation de réagir à la formation de certaines configurations astrales, non point parce qu’elles agiraient sur eux, mais parce que les sociétés se seraient programmé à modifier leur comportement, de changer leurs priorités, selon que telle configuration se forme ou se défait, et cela par une simple observation du ciel, qui n’a rien à voir avec une quelconque influence des astres, sinon de par le bon vouloir des hommes.

   Certes, à ce modèle on peut faire un certain nombre d’objections mais ce ne sont pas celles qui se pratiquent habituellement et donc si les modèles en faveur de l’astrologie tout comme ceux qui sont en sa défaveur (cf. infra) changent, les arguments contradictoires se doivent aussi d’évoluer.

   Or, on ne voit pas en quoi Philippe Zarka pourrait contester le fait que les hommes peuvent observer le ciel et en tirer des conclusions, cela ne valant évidemment que pour des astres, planètes et étoiles, visibles à l’oeil nu et non pour des découpages abstraits ou des planètes au de là de Saturne.

   On nous fera remarquer que l’Astrologie s’intéresse bel et bien aux dits découpages et aux dites planètes mais dans ce cas P. Zarka est-il en train d’attaquer l’astrologie telle qu’elle se pratique ou bien l’astrologie telle qu’elle a pu exister et telle qu’elle pourrait à nouveau exister ? Il semble bien qu’en s’en prenant à une certaine astrologie, aussi répandue soit-elle, on veuille éradiquer l’idée même d’astrologie, mais sans le dire.

   Si les astronomes ne sont guère préparés au débat tel que nous le posons, d’autres corporations peuvent en revanche se sentir interpellées : on pourrait nous dire que l’astrologie ne marche que dans les sociétés qui observent le ciel et qui en tirent certaines conséquences. Or, ce n’est plus guère le cas, nous fera-t-on remarquer puisque nous vivons dans un monde où la plupart des gens seraient bien incapables de repérer une planète et de lui accorder quelque signification, même si, en effet, le savoir astrologique s’est bel et bien perpétué. D’ailleurs, certains, tel l’australien Geoffrey Dean2 soutiennent que l’astrologie n’existe statistiquement, par delà les résultats dus au hasard, que parce qu’il y a un petit pourcentage de personnes qui sont bien informées du cours des astres et de leur signification.

   La vraie question est la suivante : est-ce que quelque chose en nous est informé de ce qui se trame dans le ciel et de ce que cela implique ? Voilà qui pose le problème du subconscient, c’est-à-dire d’un niveau de conscience subalterne qui récolterait et traiterait des informations qui auraient fini, avec le temps - et il s’agit ici de siècles - par échapper au conscient. Est-ce qu’une femme qui accouche ne fonctionne pas ou prou en pilotage automatique ? En tout cas, ce qui compte, cette fois, c’est que cela ne concerne pas que les astrologues, c’est un problème beaucoup plus global. On reprochera à Philippe Zarka de ne focaliser que sur l’astrologie, de ne pas situer celle-ci dans un cadre plus large, de ne pas la désenclaver. Or, toute focalisation est suspecte, symptôme d’une approche superficielle et insuffisamment approfondie. La question est de savoir quelle est la part du subconscient dans le bon fonctionnement de nos sociétés, c’est-à-dire des comportements qui se manifestent selon une sorte d’instinct. Affirmer que l’homme est un être conscient serait bien abusif et on peut penser qu’il est heureux que beaucoup de nos activités soient autonomes par rapport à notre conscience à condition de souligner qu’une partie de nous-même est consciente de ce dont l’autre partie n’est pas.

   Bien loin d’affirmer la soumission des hommes au cosmos, il s’agit là de souligner à quel point les hommes ont su se servir du dit cosmos. Et que l’on ne vienne pas nous dire, comme le font tant d’astrologues, que ce que les hommes ont recherché dans le ciel, c’est ce qui était en eux et que ce qui était en eux est forcément inscrit, à leur insu, dans le ciel ! D’abord, il nous apparaît rétrospectivement depuis 1781 et la découverte d’Uranus que le Ciel des Anciens était leur Ciel et non pas Le Ciel, qu’il était à leur mesure et à celle de leur ignorance. Ensuite, ce que les Anciens attendaient du ciel était quelque chose qui leur manquait et nullement le fait d’une projection pas plus que le Feu n’est une projection de l’homme. Nos ancêtres ont voulu capter des dynamiques, ils savaient ainsi qu’il existait des planètes mettant un certain temps pour revenir à un point oméga ou en tout cas au moins une planète car une planète suffisait à leurs besoins. Il ne s’agit pas ici de parler de mythologie et du fait que celle-ci ait été plaquée sur les planètes, pas même du zodiaque, lui aussi reflet des activités saisonnières et placé dans le ciel mais d’un recours au cosmos comme marqueur de temps, chronocrator, d’un temps non pas annuel comme celui qui était connu des hommes mais d’un temps plus ample, à l’échelle de plusieurs années.

   Tel est donc le paradigme que nous proposons pour asseoir une certaine forme première d’astrologie, dépouillée de toutes sortes de facteurs dont elle s’est “enrichi” par la suite (cf. infra). C’est ce paradigme que nous opposons à ceux qui veulent rejeter l’astrologie, sous quelque forme qu’elle se présente.

   Comme le notait Cyrulnik, l’humanité a longtemps vécu dans un registre de mutation génétique, ce qui impliqua de nombreux choix et une sévère sélection des êtres humains les mieux qualifiés pour relever certains défis. L’homo astrologicus serait, selon nous, un mutant. Si les hommes n’ont pas appris à voler, autant du moins qu’on le sache, en revanche, ils ont appris à se repérer dans le ciel et à se brancher sur lui instinctivement, ce qui fut probablement le dernier saut en terme de mutation avant de basculer exclusivement dans le domaine technologique qui n’affectait plus la nature humaine. Nous sommes, pour notre part, en faveur d’un darwinisme actif et non point passif, qui subirait le cours des choses. Nous entendrons par darwinisme actif le fait de chercher à renforcer son potentiel à développant de nouvelles accoutumances, en apprenant à mieux maîtriser son environnement. C’est dire que l’astrologie se situe entre ces deux paradigmes - on sort du plan des mutations génétiques pour entrer dans celui de l’asservissement de l’environnement - un peu comme la Lorraine entre la France et l’Allemagne : l’astrologie suppose une transformation interne de l’humain mais aussi un recours à des forces extérieures, les astres trop lointains pour ne pas exiger de développer une sensibilité à leur présence, à la différence de pierres que l’on peut tailler.

   Approche minimale que la nôtre exigeant un savoir et un besoin des plus limités: parmi toutes les configurations célestes possibles et imaginables quelle est celle que l’homme a choisie ? C’est comme se demander quel objet quelqu’un aurait choisi parmi cinquante objets et par rapport auquel il a construit un certain système de représentation : ce n’est qu’en observant la récurrence de la présence du dit objet chaque fois que tel phénomène marquant aura lieu que l’on pourra l’identifier. Mais qu’est-ce que ce phénomène ? Nous proposerons que le dit phénomène soit marqué par une polarisation anormale, comme si tout le monde s’était donné le mot, avait passé la consigne. Un événement frappant mais isolé n’est pas signifiant d’un point de vue astrologique.

   Nous proposerons de recourir à un modèle dialectique du choix et du non choix. Le modèle astrologique tel que nous le concevons est marqué par la détermination de périodes contradictoires, qui se déploient alternativement tantôt selon une certaine logique, tantôt selon une autre. En revanche, le temps non astrologique serait indifférencié, c’est-à-dire mêlerait et emmêlerait indéfiniment les diverses logiques et nous verrons plus loin que l’astrologie moderne fonctionne selon un temps mal différencié, ce qui montre qu’on n’est plus alors dans le champ d’une astrologie que l’on pourrait qualifier de pure mais dans celui d’une astrologie frelatée.

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Les séquelles d’une impérialisation de l’astrologie

    A présent, passons à un paradigme permettant de ne pas se laisser leurrer par certains faux semblants et amalgames chers aux astrologues. La grille que nous utiliserons cette fois concerne ce que l’on pourrait appeler l’impérialisation de l’astrologie.3

   Notre thèse est la suivante : l’astrologie est comme un geai qui se pare des plumes du paon, tout comme l’Islam profite des ressources pétrolières du monde arabo-musulman. Les plumes du paon dont se pare l’astrologie, ce sont divers domaines sur lesquels l’astrologie prétend avoir un droit de regard et sur lesquels elle perçoit comme des royalties qui donnent l’impression d’une certaine opulence. Il convient de distinguer le plan de l’action pour laquelle la fin justifie les moyens et celui de la connaissance qui se préoccuppe de la cohérence intellectuelle de l’ensemble. C’est ainsi que si le terrorisme est un moyen d’action des Islamistes, cela ne signifie pas ipso facto que cela ne pose pas probléme de compatibilité, à un autre niveau, philosophique, pour l’Islam. C ‘est dire qu’il peut y avoir des tensions entre ce qui “marche” en astrologie et l’astrologie en tant que systéme de pensée.

   Dès lors que l’astrologie ne connaît pas ses limites, elle récupère ipso facto tout ce qui se passe hors de ses frontières pour s’en arroger le mérite. L’astrologie pourrait être comparé à un empire qui n’a accès à la mer que par les territoires qu’il aurait conquis. Grâce à ceux-ci, le dit empire dispose d’une façade maritime. Sans eux, il en serait dépourvu. Mais c’est précisément du fait de ces annexions et de ces conquêtes que l’on peut parler d’empire. Si on lui enlève tous ses prolongements, l’empire cesse d’être empire, il n’est plus qu’un pays devant montrer qu’il dispose de forces propres et non pas seulement de forces somme toute étrangères. C’est ainsi que l’Allemagne pilla systématiquement la France pendant la Seconde Guerre Mondiale, ce qui lui permettait de vivre au dessus de ses moyens.

   De même l’astrologie se nourrit-elle de politique dans le programme “Astrologie Mondiale”, de psychologie dans le programme “Astrologie individuelle”, que l’on pourrait comparer à des satellites. Ce faisant la dite astrologie “s’enrichit”-elle d’un immense capital de vécu qui lui donne un visage humain. Elle fait croire qu’entre ses multiples techniques et le dit capital il existe un lien, ce qui est particulièrement flagrant chez les enseignants en astrologie lesquels déclarent : appliquez toutes les règles que je vous ai inculquées et vous comprendrez, décrypterez le monde, émerveillerez vos clients. Or, il y a là un véritable tour de passe passe qui contribue à attribuer à l’astrologie une efficience qu’elle n’a pas en faisant travailler ceux qui croient en l’astrologie pour le compte de celle-ci. L’astrologue fournit un matériau fort peu consistant et le client lui confère une véracité en l’intégrant complaisamment dans son propre vécu. On reprochera aux historiens et sociologues de l’astrologie de ne pas avoir compris le rôle très relatif de tout l’apparat technique de l’astrologie et de ne pas insister sur le fait que l’astrologie exploitait un filon; à savoir l’énergie vitale qu’elle pompait de ses clients, tout comme l’Islam pompe le pétrole des pays passés sous le joug musulman. Or, il n’y a pas de rapport de cause à effet entre le savoir astrologique stricto sensu et les résultats prétendument obtenus grâce à l’outil astrologique tel qu’on le connaît présentement et qui ne varie guère dans ses grandes lignes, à commencer par le thème astral. De même que les grands généraux mettant leur talent au service de grandes causes ne prouvent nullement la valeur des dites causes, de même les psychologues qui font passer pour de l’astrologie la qualité de leur consultation ne prouvent pas davantage la véracité de l’astrologie. On dira que quand l’astrologie marche, c’est que quelque chose qui n’est pas de l’ordre de l’astrologie est intervenu, a pris plus ou moins subrepticement le relais.

   A un donné, on doit se demander, en effet, si l’astrologie existe une fois que l’on a fait abstraction des territoires immenses qu’elle a annexés, exploités, mis à contribution comme c’est le cas dans le domaine médical. Il est dès lors plus sain qu’un astrologue travaille avec un psyschologue plutôt qu’il ne combine les deux au risque de brouiller les pistes. Que vaut, dès lors, le savoir astrologique à proprement parler ou plutôt qu’est ce qui peut être sauvé du dit savoir qui aurait une véritable efficience ? Comment discerner ce que pourrait être véritablement le champ de l’astrologie ? Non pas que l’astrologie ne puisse avoir des prétentions impérialisantes mais à condition de ne pas se laisser conquérir par ses conquêtes tout en continuant à croire qu’elle contrôle tout ce qui se passe. Si l’astrologie est pleinement consciente de ce qu’elle doit à d’autres savoirs, il lui reviendra alors de déterminer ce qui lui est propre au risque de ne plus trouver que du vide, une fois tous les apports extérieurs recensés et identifiés.

   Autrement dit, qu’est- ce que l’astrologie peut apporter au monde et non pas qu’est ce que le monde peut apporter à l’astrologie ? Si les travaux statistiques de Gauquelin n’ont éventuellement qu’un intérêt anthropologique, en nous enseignant que les choix professionnels sont redéterminés, reprogrammés, selon le même schéma directeur, à chaque génération et ce indéfiniment, ce qui est certes bon à savoir en ce que cela nous évite de trop nous angoisser quant à l’ordre des choses et sur les effets très relatifs de nos initiatives pour changer le monde, en revanche, sur le plan prévisionnel, l’astrologie a son mot à dire et un enseignement à léguer mais à condition, répétons-le, de ne pas chercher à “coller” à certaines apparences, en restant, pour reprendre notre image, en retrait par rapport à la façade maritime, ce que l’on pourrait identifier au conscient.

   Il convient donc d’établir, de cerner les traits d’une astrologie en soi, telle qu’elle est portée dans le subconscient des hommes. Souvent les astrologues buttent sur une telle demande qui ne consiste nullement à épouser les représentations conscientes des hommes. L’Astrologie n’a pas, en effet, à revendiquer pour elle le champ du conscient tel qu’il se manifeste tant sur le plan individuel que collectif. Il lui revient de faire apparaître le rôle de régulations subconscientes, comme cette limaille de fer qui forme des dessins quand elle est aimantée alors que l’homme n’est pas intervenu directement pour contrôler les dits dessins.

   C’est dire que nous nous méfions de tout ce qui est interdisciplinaire car le risque est grand que les carences et les déformations de l’astrologie soient ainsi masquées par un apport extérieur qui lui conférera une fausse impression d’efficience, certains échanges ne relèvent-ils pas d’un marché de dupes où l’astrologie reçoit beaucoup plus qu’elle n’apporte, du moins sur un plan strictement cognitif ? Le mystère de la survivance de l’astrologie n’est pas à chercher ailleurs : ce n’est pas le système astrologique actuellement en vigueur qui fonctionne mais ce sont ceux qui s’en servent qui en réalité s’échinent à le faire fonctionner en lui apportant du leur. La seule question est la suivante: pourquoi certaines personnes se prêtent-elles à un tel subterfuge, qu’est ce qu’ils gagnent à mettre sur le compte de l’astrologie ce qui tient à d’autres savoirs, à d’autres informations ? On pourrait parler de taupes qui pratiquent une sorte d’espionnage industriel, comme ce fut le cas en URSS et qui ensuite en feront bénéficier un modèle décadent et impuissant. D’où une autre question : pourquoi devient-on une taupe, un collaborateur, un traître, pourquoi est-on “retourné” et on avouera que ce problème dépasse largement le cas de l’astrologie. Nous sommes encore une fois parvenu à désenclaver l’astrologie en élevant le débat, comme nous l’avions fait précédemment à propos du subconscient, des réminiscences archaïques, dont l’astrologie n’a nullement le monopole.

   Il convient, en outre, d’insister ce que comportait de proprement révolutionnaire la mis en place d’un temps astrologique, à savoir une sorte de canalisation du Temps. Le simple fait de consacrer à certaines phases d’une certaine durée - et ce au delà du rythme annuel qui s’imposait de lui-même, sans le secours des hommes - un certain type d’activité aux dépends d’un autre, impliquait le sens du choix, de la sélection : ce qui se fait et ne se fait pas à un moment donné : ne retrouve-t-on pas cet esprit dans le respect d’un jour férié (Shabbat) dans les Dix Commandements ? Dès lors que l’on affirme et impose un certain ordre des choses, l’Humanité ne fonctionne plus de la même façon, elle s’organise, elle trie, elle classifie ce qui est ou non adéquat pour telle période de temps et là encore, un tel enjeu ne se restreint pas à l’astrologie, tant il est vrai que l’on peut être astrologue sans le savoir. L’astrologie, d’une certaine façon, du point de vue de notre modèle anthropologique qui privilégie la dualité masculin-féminin4 nous apparaît comme une manifestation singulièrement masculine, si par là on doit entendre une volonté et une aptitude à opérer un choix, un tri, à établir arbitrairement mais consensuellement un ordre des choses selon la formule de l’Ecclésiaste : chaque chose en son temps. Le principe féminin serait le contrepoint précisément de la dynamique de cette périodicité sélective, il consisterait à rappeler, sur un mode paradoxal et complémentaire, ce qui est resté en suspens, ce qui a été laissé pour compte et qui varie évidemment selon les phases, par réaction. On se demandera d’ailleurs si l’astrologie du thème natal, celle qui a été approchée5 par Michel Gauquelin, dans ses travaux statistiques sur les catégories socioprofessionnelles, laquelle est fondée sur le moment de l’accouchement, de type pluriplanétaire, donc impliquant en permanence de la diversité, n’est pas centrée sur la femme tandis que l’astrologie mondiale, qui ne tient pas compte du moment de la naissance, selon nous axée sur une seule planète, et qui découpe le temps en phase, chacune impliquant une sélection de certains activités aux dépens d’autres ne serait pas le propre des hommes. Deux astrologies totalement distinctes et probablement apparues à des époques fort éloignées l’une de l’autre et que l’on pourrait éventuellement rapprocher respectivement du polythéisme et du monothéisme.

   Il est intéressant d’étudier dans quelle mesure ces deux astrologies ont fini par interférer l’une avec l’autre: c’est ainsi que le zodiaque appartenait initialement à l’astrologie cyclique et non pas à l’astrologie dite généthliaque car le zodiaque, divisé en secteurs de 30° s’articule sur le système des aspects qui comporte des intervalles multiples de 30°, si on laisse de côté les aspects mineurs et notamment ceux introduits par Kepler. En fait, le Zodiaque et toute le dispositif des domiciles et des exaltations a pour vocation première de structurer des cycles planétaires et nullement de jouer un rôle dans l’astrologie natale qui, elle, n’est pas zodiacale, mais liée au mouvement diurne et aux maisons astrologiques. En conséquence, étudier les positions des planètes à la naissance en signe zodiacal est une aberration syncrétique. On aura fait basculer une psychologie évolutive, étudiant plusieurs stades successifs de comportement, sur le modèle d’ailleurs saisonnier ou cyclique en une psychologie statique attribuant une fois pour toutes un de ces stades à telle personne : au lieu de dire qu’à tel moment, on va se conduire ainsi, on affirme que la personne tendra à se comporter toujours ainsi. C’est notamment ce qui se passe quand l’astrologue renonce à faire des prévisions et recycle le discours prévisionnel en un discours concernant les tendances du thème natal. De la sorte, le discours tenu n’est jamais faux en soi puisque nous passons tous par ces différents stades, ce qui fait problème c’est l’insistance à enfermer une personne dans l’une de ces postures ou plutôt de la focaliser sur telle posture plutôt que telle autre; mais en tout état de cause, l’astrologue ne risque pas de se tromper puisqu’il s’est contenté de constituer un puzzle représentant les âges de la vie et d’en distribuer les morceaux. Dès lors que la personne a atteint un certain âge, elle aura, en effet, connu l’expérience de ces différents stades zodiacaux, le problème est plus grave pour un être jeune.

   Insistons sur le point suivant : ce qui est prévisible, c’est ce qui a été programmé, planifié et toute planification implique de décider ce que l’on fera dans un premier temps et dans un deuxième temps, ce qui ne signifie que l’on ne fera pas tout à la fois. C’est précisément dans la sensation que les événements semblent obéir à un certain ordre, qui ne se réduit pas à un simple causalité, que la conscience astrologique peut émerger. Entendons que si la causalité était laissée à elle-même, une cause serait immédiatement suivie d’effet alors qu’ici l’effet est suspendu et reporté à une date ultérieure. On laisse d’abord les effets s’accumuler avant de passer à la phase suivante.

   Avant l'avènement de cette ère astrologique, l’humanité vivait au seul rythme imposé par les saisons, c’est-à-dire par le soleil. En aucun cas, on ne saurait assimiler le rapport des hommes au soleil à celui qu’ils vont générer avec un astre comme Saturne. Le facteur solaire n’est nullement le privilège des hommes alors qu’il nous semble que les planètes porteuses d’une durée sensiblement supérieure à celle de l’année, comme Jupiter et Saturne sont un artefact exclusivement humain : il conviendrait donc d’éviter de considérer la relation des hommes à ces astres royaux - Saturne et Jupiter étant en position de monarques - de la même façon que les luminaires. Face au rapport naturel Soleil-Lune, l’astrologie aura élaboré à un autre niveau, culturel, un rapport étoile (fixe) - planète - et on notera que le nombre de jours du cycle lunaire correspond grosso modo au nombre d’années du cycle saturnien - et en ce sens : l’astrologie n’est nullement centrée sur le soleil qui est le type même d’un phénomène qui n’a pas besoin d’être instrumentalisé pour agir. Or, l’astrologie ne se conçoit, selon nous, que dans une dynamique instrumentalisante, c’est-à-dire créatrice, du monde. L’amalgame qui se fera par la suite entre une cyclologie saisonnière, zodiacale, et une cyclologie stellaire et planétaire aura largement entretenu la confusion.6

   Deux questions principales donc finalement émergent : qu’est ce qui amène le conscient à se décharger sur le subconscient et qu’est ce qui amène quelqu’un à placer son énergie au service d’une autre instance ? Dans les deux cas, ne sommes-nous point témoins d’un certain glissement qui se produit plus ou moins insensiblement et qui conduit l’humanité à multiplier les processus de transfert de technologie d’un plan à un autre ?

   Nous considérerons donc comme anti-astrologues ceux qui prétendent aider, voler au secours de l’astrologie en recourant à des antisèches, ce qui s’appelle tricher au lieu de se demander sérieusement de quels moyens l’astrologie dispose réellement, se comportant ainsi de façon parasitaire. L’astrologie n’a pas être présentée comme divinatoire7, elle n’a pas à être “sauvée” en recourant à des méthodes qui ont certes leur intérêt mais qui risquent de laisser croire que c’est le dispositif astrologique qui permet certains résultats. L’historien de l’astrologie ne saurait se faire le complice d’une telle (re) présentation des choses. Il importe qu’il montre, bien au contraire, qu’un système parfaitement inefficace ne se perpétue que par des alliances, des compromissions, relevant de certains rapports de force à l’oeuvre au sein de l’espace cognitif. Le cas Nostradamus est emblématique car à l’origine il s’agissait bel et bien de mettre sous le label astrologique des quatrains qui n’avaient, pour la plupart, rien d’astrologique. Ce n’est en fait peut-être pas tant le prophétisme qui s’est emparé de l’astrologie que l’astrologie qui a exploité les ressources du prophétisme, ce qui lui a apporté une emprise sur le réel que le système astrologique ne permettait pas vraiment. Il faut rendre à César ce qui est à César : l’astrologie est plus impérialisante que ne l’est le prophétisme.

   Ajoutons que cet empire astrologique est largement constitué de bribes de savoirs “externes” et qui le plombent; contribuent à son hétérogénéité et à ses redondances, emprunts souvent maladroits et partiels notamment à une ample iconographie et c’est précisément cet apport iconographique qui constitue une valeur sûre de l’astrologie, à commencer par le Zodiaque, les noms de dieux pour désigner les planètes. Il est clair, pour prendre l’exemple le plus évident, que le recours à la mythologie pour désigner les planètes fait bel et bien partie de ce type d’appel à des savoirs non astrologiques pour étoffer sinon étouffer un ciel au demeurant assez austère.8 Le probléme, c’est que certaines notions sont devenues si nécessaires à la mise en valeur de l’astrologie9 qu’on les considère comme astrologiques à part entière. Ce qui nous raméne au cas du monde arabe/musulman (cf. supra) à savoir qu’il est urgent d’élaborer des méthodes pour discerner ce qui est arabe/musulman et ce qui ne l’est pas, tout comme il est crucial que l’on apprenne à séparer ce qui est astrologique stricto sensu de ce qui ne l’est pas et l’on a vu que ce n’était point chose simple, encore qu’une piste généralement prometteuse consiste à relever les redondances, lesquelles trahissent la rencontre et l’amalgame entre des mondes différents que l’on aura tenté de réunir, sans percevoir leurs incompatibilités, les doubles emplois. Inversement, l’historien des textes et des traditions se doit de déceler des contradictions pour conclure à la diversité des sources. Cette conscience de l’inconciliabilité des positions est très inégalement répartie, ce n’est pas la chose du monde la mieux partagée, pour parler comme Descartes. L’astrologue qui ne se rend pas compte de ce que l’astrologie ne peut pas à la fois raisonner sur le parcours collectif qui relève du quantitatif et le destin individuel qui relève du qualitatif ne sait que répondre : “cela ne me gêne pas”, “cela ne me paraît pas contradictoire” et c’est bien là tout son problème !

Jacques Halbronn
Paris, le 4 septembre 2004

Notes

1 Cf. Boris Cyrulnik, L’ensorcellement du monde, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 260. Retour

2 Cf. nos discussions sur Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

3 Cf. “La crise de l’astrologisme”, Encyclopaedia Hermetica, en ligne. Retour

4 Cf. nos travaux sur Encyclopaedia Hermetica en ligne, rubrique Hypnologica. Retour

5 Cf. L’influence des astres, Paris, Le Dauphin, 1955. Retour

6 Cf. “Tarot, Zodiaque, Planètes, quatrains centuriques : des miettes de savoir”, sur Encyclopaedia Hermetica en ligne, rubrique Tarotica. Retour

7 Cf. Roy Willis & P. Curry, Astrology, Science and culture. Pulling down the Moon, Oxford, Berg, 2004. Retour

8 Cf. notre étude “Tarot, Zodiaque, Planètes, quatrains centuriques : des miettes de savoir”, Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

9 Cf. “Le phénoméne Nostradamus: de l’astrologie au prophétisme”, Espace Nostradamus, Site Ramkat.free.fr. Retour



 

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