On imagine sans peine que Michel passa la majeure partie de son enfance à jouer avec ses petits camarades au pied des Alpilles, dans un lieu éminemment chargé d’histoire.

L'enfant de Glanum
(1515 - 1518)


    Michel de Nostredame devait certainement connaître tous les récits et légendes qui couraient dans son village, à Saint-Rémy-de-Provence : de la mystérieuse cité disparue de Fréta au fabuleux trésor de la Chèvre d’Or, dans un terroir qui abritait les monuments archéologiques de l’Arc municipal et du Mausolée de Jules , mais sans rien connaître du sanctuaire de Glanum, pas très loin du monastère de Saint-Paul-de-Mausole qui doit son existence à un « miracle » !

   On ne s’étonnera donc pas de voir plus tard Nostradamus s’emparer de toutes ces légendes et récits fantastiques pour les intégrer dans la trame de sa vision dite prophétique. En effet, on trouve, notamment dans les Centuries, une quinzaine de quatrains qui font allusion à un trésor et à des monuments archéologiques enfouis pas très loin de son lieu de naissance.

   L’histoire du sanctuaire de Glanum, dont on a exhumé les ruines au sud de Saint-Rémy-de-Provence, est fascinante. De l'hellénisation par les Grecs de Marseille, au VIe avant l'ère chrétienne, à la destruction de la cité lors de l’invasion germanique, vers l'an 270, ce lieu fut le plus fréquenté des Alpilles, sur la route de Marseille à Avignon.

   Ses rues et monuments furent dès lors transformés en carrière et servirent pendant longtemps de matériaux pour la construction, dans un faubourg nord de Glanum de la ville de Saint-Rémy-de-Provence.

   La légende dit que Clovis, lorsqu’il vint en Provence, était accompagné de l’évêque Saint Rémy. Au pied des Alpilles, il exorcisa une jeune fille possédée par le démon depuis sa plus tendre enfance. Malheureusement, la jeune femme en serait morte, mais Saint Rémy l’aurait ressuscité. C’est alors que le père de la miraculée offrit à l’évêque le territoire au nord de l’Arc municipal de Glanum, qui prit le nom du thaumaturge : Saint-Rémy-de-Provence venait de naître !

   Lorsqu’on sort de la ville de Saint-Rémy, un peu au-delà de l’Arc et du Mausolée de Glanum, sur l’ancienne route royale qui va d’Avignon jusqu'à Martigues, on peut apercevoir la ligne brisée de la chaîne des Alpilles, que les habitants de Saint-Rémy, même à l’époque de Nostradamus, appellent le « Mont Gaussier ». Un aspect de cette montagne qui se présente vue de l’ouest en venant d’Arles, a également été surnommé par les poètes le « Lion d’Arles », à cause de sa configuration zoomorphe.

   A la sortie de la ville moderne de Saint-Rémy-de-Provence, et entrant dans cette ancienne cité aujourd’hui exhumée mais dont personne ne soupçonnait l’existence au XVIe siècle, surgissent majestueusement, comme plantés dans un décor surréaliste, deux monuments distincts connus sous le nom des Antiques : la Porte municipale de la ville romaine sous la forme d’un Arc de Triomphe et un monument à trois étages que l’on a toujours considéré comme un Mausolée.

   En montrant les Antiques à son premier-né, Jaume de Nostredame lui racontait les événements, dont les scènes étaient gravées sur la pierre de ces monuments, tels qu’il pensait qu’ils se furent déroulés.

   L'Arc de Triomphe des Antiques est le plus ancien de ceux élevés en Narbonnaise. C’est un arc municipal marquant l’entrée de la ville et qui se trouvait dressé sur le passage de la grande voie romaine, descendue des Alpes par la vallée d’Apt, et qui conduit de l’Italie à l’Espagne par le mont Genêvre, la fameuse voie Domitienne.

   Michel apprit que l’arc municipal avait été construit pour commémorer la victoire du général romain Marius Caïus et de ses troupes sur la coalition des hordes barbares, Cimbres et Teutons : la célèbre bataille des Pourrières, près d’Aix-en-Provence, en 102 avant notre ère. Même notre poète Mistral et ses compatriotes s’alignaient tout naturellement sur cette interprétation de la tradition populaire.

   En réalité, l’Arc fut élevé entre l’an 50 et 20 avant J.-C., après la chute de Marseille : sa décoration commémore la victoire de Jules César sur les Gaulois et sur les Grecs de Marseille.

   Sur le même plateau des Antiques au pied du Mont Gaussier, à deux pas de l’Arc municipal, se dresse le Mausolée de Glanum.

   Le Mausolée de Glanum, postérieur de plusieurs années à l’Arc de Triomphe et construit en limite de zone urbaine, est magnifiquement conservé. C’est un cénotaphe, un monument d’une vingtaine de mètres de hauteur comportant trois étages, élevé sur un socle carré, et non pas le tombeau d’un noble romain et de son épouse comme on l’a cru pendant longtemps.

   On pense aujourd’hui que le Mausolée est un monument honorifique élevé à la mémoire des Princes de la Jeunesse, Caïus et Lucius, petits-fils d’Octave César Auguste, que sa fille Julie avait eus, en seconde noces, avec Marcus Vispanius Agrippa, compagnon d’arme de l’empereur. Caïus et Lucius furent adoptés par leur grand-père qui les nomma « Princes de la Jeunesse », afin de les associer comme consuls-triumvirs à son pouvoir, justifiant ainsi l’appellation de triumvir et celle de consul, par l’emblème militaire traditionnel de la face de méduse, comme nous verrons plus loin. Auguste les destinait à sa succession à l’Empire, mais ils moururent jeunes après une vie courte et dissolue. De leur vivant, les deux princes de la Jeunesse avaient été l’objet d'un culte qui avait suscité l’érection de la Maison Carrée de Nîmes et du temple géminé de Glanum.

   Sur la frise nord du monument, on peut lire cette inscription 

SEX. L. M. IVLIEI C. F. PARENTIBVS SVEIS

   Nostradamus, on le sait par son fils aîné César, interprétait ainsi cette inscription :

   « Sextus Laelius, mari de Julie, a élevé cette colonne à ses parents. »

   Les spécialistes pensent aujourd’hui que cette laborieuse explication de Nostradamus, qui confirme la destination funéraire du monument par la Tradition, c’est-à-dire le cénotaphe d’un riche romain et de son épouse, n’est pas conforme à la réalité. Avec les archéologues, il faut interpréter cette inscription de la manière suivante : 

   « Sextus Lucius, Marcus, fils de Caïus Julius, à leurs parents. »

   Ce sont donc vraisemblablement les fils de Caïus qui ont fait construire le cénotaphe à la mémoire de leur père et oncle disparus, à la sortie de Glanum, près de la Porte municipale.

   Jusqu’à ce qu’il devienne célèbre avec la publication de ses almanachs, Nostradamus n’oubliera pas les origines gréco-romaines de sa ville natale. En effet, dans ses premiers écrits, notamment dans le Traité des Fardements et Confitures, le mage provençal s’intitulera fièrement : « Sextrophea natus Gallia », c’est-à-dire : « Natif de Gaule où se trouve le trophée-mausolée de Sextus ».

   La matière des quatrains « prophétiques » de Nostradamus prend sa source première dans des récits populaires ou mythiques. Tout l’art chez le nouveau prophète, lorsqu’il rédigera ses quatrains, va consister à évoquer le plus souvent des événements contemporains en les plaçant dans un cadre antique et en intégrant notamment les éléments topographiques, tant du paysage de Saint-Rémy et des Alpilles qui ont bercé son enfance, que des villes qu’il a traversé au cours de son existence.

   Prenons pour exemple le quatrain suivant, où Nostradamus évoque certainement un épisode de son enfance qui l’aura marqué :

   (V.57)
   Istra du mont Gaulsier & Aventin,
   Qui par le trou advertira l’armée
   Entre deux rocs sera prins le butin
   De SEXT. mansol faillir la renommée

   Quand on lit ce quatrain insolite et qu'on observe l'échancrure très apparente de la chaîne des Alpilles, on ne peut pas s'empêcher d'imaginer un paysage que beaucoup de peintres provençaux ont admirablement restitué, en représentant une sorte de « trou », due à l’érosion éolienne, encadré de deux rocs, et qui perce curieusement la montagne en cet endroit : ce sont les « Deux Rochers », ainsi qu'ils sont désignés dans le pays.

   On peut comprendre dès lors que l’imagination de notre poète, enrichie des nombreux événements qui se sont sans doute déroulés dans ce lieu, a fait de ce « trou » encadré de « deux rocs » le cadre énigmatique de certaines de ses prophéties. Quant au dernier vers, ce n'est qu'un clin d'oeil de Nostradamus au mausolée (« mansol ») de Sextus (« Sext. »).

Saint-Paul-de-Mausole

   L'histoire locale nous rapporte qu’au temps de l’invasion des Vandales, au Ve siècle, des habitants de Reims arrivèrent jusqu’aux Alpilles. Ils rencontrèrent un saint homme prénommé Paul, et lui demandèrent de devenir leur évêque. Dans un premier temps, il déclina cette offre généreuse, puis leur dit qu’il ne pourra accepter un tel honneur qu’à partir du moment où son bâton, planté en terre, se couvriraient de fleurs. Et tel le bâton de Tannhaüser, on vit le bâton reverdir et fleurir. A cet endroit, en plein champ, fut édifié la chapelle Saint-Paul, qui deviendra, au XIe siècle, l’actuel monastère de Saint-Paul-de-Mausole.

    Tannhäuser, chevalier allemand du XIIIe siècle, d'origine bavaroise, fut poète à la cour de Frédéric II, duc d'Autriche. Avec ses chants lyriques, il devint le héros d’une légende : il se rendit en pèlerinage à Rome et sur le chemin du retour, il vit son bâton de pèlerin miraculeusement reverdir, le signe divin du pardon de ses péchés. Ce héros mythique inspira un célèbre opéra à Richard Wagner.
   Cette belle légende est certainement tirée de l'épisode biblique du « bâton d'Aaron » (Nombres XVII.16-26).

   Le miracle du bâton verdoyant était certes présent dans toutes les mémoires des habitants de Saint-Rémy-de-Provence, et cette histoire ne manqua pas d’être conté au jeune Nostradamus qui sut plus tard l’intégrer dans un de ses quatrains :

   (III.91)
   L’arbre qu’avait par long tems mort seiché
   Dans une nuict viendra à reverdir...

   Le nom même du monastère semblait indiquer que la tradition locale retenait l’idée d’un monument funéraire sur l’emplacement des Antiques, entouré par quarante énormes dalles. L’inscription du cénotaphe le fit baptiser « Tombeau des Jules », et l’on crut jusqu’à une période récente qu’il couvrait les restes funèbres d’un noble romain et de son épouse. Pourtant, les deux statues, que nous pouvons admirer sous le tholos du cénotaphe, ne sont pas celles d’un prince et de son épouse, mais sont les représentation de deux hommes.

   Au cours de ses promenades, seul ou accompagné de son père, Jaume de Nostredame, il est probable que Michel visita le vieux monastère des chanoines, à deux pas des Antiques, connu depuis le XIIe siècle sous le nom de Saint-Paul-de-Mausole, rebâti par l’ordre des Augustins.

A consulter :

   · Dr. Edgar Leroy, Saint-Paul de Mausole, I - Ses origines, dans Mémoires de l’Institut historique de Provence, t. VI, 1929. Ce monastère, proche de la ville natale de Nostradamus, est devenu, au début du XVIIe siècle, un petit asile d’aliénés, où séjourna, de mai 1889 à mai 1890, le peintre Vincent van Gogh, avant de se donner la mort.

   Chaque année, comme tous les enfants de son âge, Michel devait certainement accompagner ses parents aux solennelles cérémonies organisées par les chanoines du monastère de Saint-Paul-de-Mausole. En effet, les prévôts et les chanoines de la vénérable institution recevaient certaines fois leurs généreux donateurs à la réunion « ad portalem de Ulmo ».

   Le « portail de l’Orme » de jadis deviendra, au fil des ans, par corruption de ces anciens noms, le « portail de l’aura », puis le « portail de Laure ».

   Il semble que cette « porte » restera gravée dans la mémoire de Michel, puisque, bien des années plus tard, il évoquera cet « Ulm à Mausol » dans le vers suivant :

   (VIII.34)
   ... Lyon, Ulm à Mausol mort & tombe.

   Pour mémoire, rappelons l’interprétation quelque peu farfelue de Jean-Charles de Fontbrune : « Ulme » est l’anagramme de « mule », la pantoufle blanche du pape, et « Mausole »,bien évidemment, est un mot forgé par Nostradamus, avec les mots latins manus et sol, pour indiquer le « travail du soleil » ou « de labore solis », la devise de Jean-Paul II dans la Prophétie des papes de saint Malachie ! Ainsi, ce quatrain prédit, après de violents combats dans le Jura et dans les Alpes, la mort de Jean-Paul II à Lyon !

A consulter :

   ·  Jean-Charles de Fontbrune, Nostradamus historien et prophète, 1980, pp. 362 et 367.

   Les journalistes avides de sensationnel ont une mauvaise mémoire, puisque vingt ans plus tard, le même Fontbrune, avec quelques autres dont les médiatiques Elisabeth Tessier et Paco Rabanne, récidivent en prédisant notamment la destruction de Paris, après le passage de l'éclipse de « Juillet 1999 ». Mais il y a tellement longtemps que le ridicule ne tue plus, que je suis persuadé qu’on entendra encore ces « voix » de l’absurde et du grotesque ! Quant au « Lyon », proche de cet « Ulme », Mistral aurait certainement dit : « tel un lion de pierre, accroupi sur le mont Gaussier » !

   Le couvent Saint-Paul est d’ailleurs parfaitement identifié dans le quatrain suivant :

   (VIII.46)
   Pol mansolée mourra trois lieues du rosne
   Fuis les deux prochains tarasc destroits.

   La quatrain raconte un épisode de l’invasion de la Provence, avec l’occupation de Saint-Rémy par les Impériaux, en 1524 et 1536. Le couvent est situé à une quinzaine de kilomètres du Rhône et de Tarascon, ville célèbre par le culte qu’elle rendait à Sainte Marthe, « dompteuse de la Tarasque ».

   Cette région de Provence chargée de souvenirs gardait aussi le mystère d’une légende que les anciens du village de Saint-Rémy-de-Provence n’avaient pas manqué de raconter au petit Michel. Cette légende nous contait l’histoire d’une chèvre et d’un trésor.

   En effet, la croyance populaire faisait des Antiques le repère idéal de la mystérieuse Chèvre d’Or et en déduisait l’existence d’un trésor fabuleux, caché sous le plateau du mausolée de Sextus et de l’arc de Glanum, et que personne n’avait jamais dérobé.

   La légende « caprine » est rapportée par le vaticinateur de Salon-de-Provence, notamment dans le vers suivant :

   (X.29)
   De Pol mansol dans caverne caprine...

   Sans penser aucunement à la cité gallo-romaine de Glanum, la tradition populaire semblait garder le souvenir quelque peu effacé d’une ville disparue, ensevelie non loin de Saint-Rémy-de-Provence. Et Nostradamus ne pouvait ignorer l’existence de la cité mystérieuse au nom oublié, mais qui était cependant connue sous le nom de Fréta.

   Cette ville fantôme de Fréta se trouve mentionnée dans le célèbre Roman d’Arles, datant vraisemblablement du XIIIe siècle. Même le propre frère de Michel, Jean de Nostredame, mentionne le nom de l’ancienne ville de Saint-Rémy-de-Provence, dans un chapitre de ses Vies des plus célèbres et anciens poètes provençaux.

   A la lumière de ce que nous savons aujourd’hui après l’exhumation de la ville de Glanum, il peut sembler extraordinaire que les habitants des alentours de Saint-Rémy, de générations en générations, aient gardé en mémoire le souvenir d’une cité disparue. Mais, il est possible, comme le suggèrent certains historiens, que Fréta n’était que le nom donné au château protégeant le défilé des Alpilles vers les Baux. Mais, d’après d’autres spécialistes, Fréta était un petit village, dans un terroir nommé « Ager Fretensis », édifié peu de temps après le pillage de la ville gallo-romaine par les Barbares vers la fin du IIIe siècle, à partir de ses ruines, et où se trouvaient plusieurs églises situées au pied du Mont Gaussier sur le chemin d’Arles et appartenant à l’évêque d’Avignon, parmi lesquelles St-Paul, devenu Saint-Paul-de-Mausole.

   C’est dans un environnement chargé d’histoire antique et de légendes que Michel passa les quinze première années de son existence, à Saint-Rémy-de-Provence. Au pied des Antiques, de ses carrières de pierres exploitées par les Romains, de la « pyramide », de la chèvre d’or et de son trésor, du monastère Saint-Paul-de-Mausole, Michel de Nostredame jouait avec les enfants de son âge.

   A l’automne de 1518, Michel est envoyé en Avignon, afin qu’il y fasse ses « humanités ». Il devait ensuite continuer ses études à la très renommée Faculté de Médecine de Montpellier.

   Il est possible que Jaume de Nostredame accompagna son fils Michel en Avignon.

 

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