Les ennemis d'un oracle
(1557 - 1558)

   B rind’Amour pense que c’est dans Les Présages merveilleux que Nostradamus attaquait les trois astrologues qui avaient médit de lui à la Cour, provoquant les réactions d’Hercules le François, Laurens Videl et de La Daguenière en 1557 - 1558.

   En 1557, à Lyon chez un certain Roux, paraît un pamphlet : La première invective du seigneur Hercule le François contre Monstradamus (sic) traduite du latin. Ce Roux pourrait être Pierre Roux, d’Avignon, qui imprimera un libelle contre Nostradamus, en 1558, à moins qu’il ne s’agisse du libraire lyonnais Michel Roux.

   L’auteur anonyme de ce pamphlet, qui se cache derrière le nom de « Hercule le François » et qui signe L.U.C.M., est certainement un protestant qui attaque violemment le mage provençal pour ses prophéties, selon lui, trop favorables aux catholiques.

   Il semble que trois astrologues avaient médit de Nostradamus et prédit que sa fortune tournerait bientôt. Nostradamus déclara, dans un de ses écrits, que ses détracteurs étaient des bêtes brutes qui n’étaient pas dignes de suivre son ombre, puis prédit à son tour que ces derniers seraient réduits au silence avant la fin de l’année, et même que l’un d’eux ne parlerait plus jamais.

   La seconde version des Prophéties intitulée : Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il en y (sic) à trois cents qui n’ont encores iamais esté imprimées, publiée à Lyon chez Antoine du Rosne en 1557, comportait, outre la Lettre à César, sept centuries, dont deux incomplètes : la VIe avec 99 quatrains, et la VIIe avec 40 ou 42, et un quatrain latin, non chiffré, entre les centuries VI et VII.

   La première consultation astrologique dont les Lettres inédites fassent mention date de la fin de 1557. Il semble bien que ce soit la publication des almanachs qui lança la carrière astrologique professionnelle de Nostradamus.

   La renommée de Nostradamus avait déjà passé les Alpes en 1557, selon un de ses correspondants de la région de Sturlano, Johannes Cibo Boerius :

   « ... l’éclat de ton mérite ne remplit pas seulement les limites de ta patrie, mais se répandit de par toutes les Gaules, et même en dernier lieu, s’envolant par dessus les crêtes acérées des Alpes, à travers les espaces aériens, pénétra glorieusement jusqu’en Italie, pour parvenir enfin dans notre Ligurie. » (16 novembre 1557)

   Nostradamus publie en 1557 son Almanach pour l’an 1558. Mais aucun exemplaire n’a pu être recensé à ce jour.

   Au printemps 1557, Nostradamus rédige sa Pronostication nouvelle pour l’an 1558, qu’il fera éditer à Lyon chez Jean Brotot et Antoine Vollant, et à Paris chez Guillaume le Noir.

    L’épître dédicatoire, au verso du titre, datée de Salon le 1er mai 1557, est adressée à Guillaume de Guadagne. Nous avons vu que ce personnage fut l’hôte lyonnais de Nostradamus lors du voyage de ce dernier en 1555.

    L’hôtel de Guadagne, construit de 1512 à 1515, et où Nostradamus fut reçu, est encore en place.

   C’est dans un contexte de controverses qu’il faut replacer la célèbre strophe latine qu’on trouve à la fin de la sixième centurie. On a été surpris d’y voir Nostradamus s’en prendre aux astrologues, dont il était lui-même : c’est qu’il s’en prenait à ses ennemis, ces astrologues étroits qui niaient la pertinence d’une inspiration personnelle et lui ôtaient le droit de « particulariser ». Il avait trouvé la strophe dans le De honesta disciplina de Petrus Crinitus.

   Cette strophe serait donc apparue à cet endroit pour la première fois dans l’édition lyonnaise d'Antoine du Rosne en 1557. Seulement on ne connaît pas de quatrain n° 100 qu’elle ait pu supplanter dans les éditions précédentes ; autrement dit, la sixième centurie paraît inachevée avec 99 quatrains.
   On trouve un parallèle chez Nostradamus dans le dizain « Contre les ineptes translateurs » de la Paraphrase de C. Galen publiée en 1557.

       Voici ce quatrain :

LEGIS CAUTIO CONTRA INEPTOS CRITICOS.

Qui legent hosce versus, maturè censento :
Profanum vulgus, & inscium ne attrectato
Omnesque Astrologi, Blenni, Barbari procul sunto :
Qui aliter faxit, is rité sacer esto.

      Traduction de Brind’Amour :

CAUTION DE LOI CONTRE LES CRITIQUES INEPTES.

Ceux qui liront ces vers, que mûrement ils (les) méditent ;
Que la foule profane et ignorante ne (les) touche pas
Et que tous les Astrologues, les Rustres, les Barbares s’en éloignent ;
Celui qui aura agit autrement, qu’il soit selon le rite (déclaré) sacré.

   Le 16 novembre 1557, Jacopo Maria Sala, vice-légal du pape à Avignon, envoie au cardinal Alexandre Farnèse, son supérieur, une copie des Pronostications pour l’an 1558.

    Nostradamus va dédier un an plus tard à « Jacobo Marrasala Evesque de Viviers, & vicelegat d’Avignon » ses Significations de l’Eclipse, qui sera le 16 septembre 1559.

   En 1557, Nostradamus publie une oeuvre d’érudition chez le même éditeur lyonnais de ses Prophéties, Antoine du Rosne, la Paraphrase de C. Galen, sus l’exortation de Menodote, aux estudes des bonnes Artz, mesmement Médicine... L’ouvrage comporte une assez longue épître en prose de Nostradamus, datée de Salon, le 17 février 1557, et adressée au Baron de la Garde.

   Un docteur en droit, Olrias de Cadenet, de la famille du notaire Thomas de Cadenet, taxé comme néophyte en 1512 (avec le père de Nostradamus, Jaume de Nostredame), porta un jugement très négatif sur l’ouvrage du médecin-astrophile. Il s'en suivit une polémique épistolaire, dont quelques fragments seulement nous sont parvenus.

   Nostradamus a signé son ouvrage par cette traduction en acrostiche d’un passage d’Euripide cité par Galien :

Ne viendra lon donner l'aspre bataille,
Ou faire guerre comme ennemis, par main :
Sus platz pourtans ne fraperont de taille,
Tout cela n'est pour fraper que cas vain :
Rien pourroit il des peidz lagil & sain,
A deschasser ennemis des cités :
De tout cela ne sont que vanités,
Amon advis nulz seroient excités,
Mesmes quand bien tous ces gents je cognois :
Vain feutz tout quant à la vérité,
Si lon voyoit par lors luyre l'harnois.

   De tous temps, la célébrité a suscité des jaloux et notre astrophile provençal n’a pas échappé à cette mode. Nous avons noté les Prophéties de Couillard (1556) réagissant à la publication des Centuries, et la Première Invective de Hercule le François.

   La riposte aux accusations nostradamiennes, certainement contenues dans les Présages pour l’an 1557 ne se fit pas attendre.

   En 1558, paraissent trois pamphlets contre Nostradamus, lequel rédigera une « une sommaire responce » dans Les Significations de l’Eclipse, citant nommément la première de ces attaques.

   1/ C’est la réédition du pamphlet anonyme de Hercule le François contre Nostradamus : La premiere invective du seigneur Hercule le François, contre Monstradamus (sic) traduilte du latin, imprimé en même temps, à Lyon par Michel Jouve et à Paris dans l’imprimerie de Simon Calvarin.

   L’auteur s’en prend violemment aux « prognostications fanatiques de Monstradamus » ! Dans Les Significations de l’Eclipse, l’astrophile provençal répondait à cet auteur, qu’il trouvait « si outrecuidé de soy attribuer le surnom d’un si vaillant personnage comme Hercules Gallicus hors mis qu’en lieu de la dextre qui porte la clave, & en la gauche l’arc, & la peau du Lyon de Nemée luy couvre le corps. »

   2/ Un certain Laurent Videl publia cet opuscule : Declaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus... imprimé en Avignon par Pierre Roux et Jan Tramblay.

   L’épître liminaire de Laurent Videl au lecteur est datée du 20 novembre 1557. L'auteur, médecin et astrologue, tenant école à Avignon et à Lyon, auteur d’almanachs avec Claude Fabri, ne s’en prend non pas aux Prophéties de 1555 comme Couillard, mais aux almanachs et pronostications des dernières années, et plus particulièrement à l’aspect technique sur lequel repose les pronostics astrologiques.

   Nous savons que Nostradamus composa la plupart de ses almanachs la nuit. L’Almanach pour l’an 1566 a été composé, en partie du moins, du haut de la tour du château de l’Empéri. En effet, on lit cette déclaration au début de la pronostication d’avril :

   « Escrivant ceci de la tour du chasteau deste ville de Salon... »

   3/ Voici une riposte d’un certain Jean de La Daguenière dans un pamphlet, peut-être encore plus virulent que les deux précédents, et intitulé par jeu de mots sur le nom de Nostradamus : Le Monstre d’abus, composé premièrement en latin par Maistre Jean de la Dagueniere..., imprimé à Paris par Barbe Regnault.

   Le Monstre d’Abus est évidemment l’anagramme homophonique de Nostradamus ; on se souviendra du Monstradamus du précédent pamphlet. On remarquera que la critique, comme celle de Videl, porte essentiellement sur les almanachs, et aucune allusion aux Centuries.

   Il est possible que ce libelle ait été imprimé à Genève, le « repère des Calvinistes », et que l’auteur ait emprunté le nom d’un libraire existant, Barbe Regnault, la fille de François Regnault. Nous avons d’ailleurs un exemple de publication abusive, par le même imprimeur, d’un almanach pour l’année 1563, attribué à Nostradamus.

   Aucun exemplaire de l’Almanach pour 1559 n'est parvenu jusqu'à nous, mais nous connaissons les treize quatrains-présages pour 1559, conservés par Chavigny. Cependant, nous possédons deux traductions anglaises de cet almanach.

   Nostradamus a sans doute édité deux pronostications en 1559, dont il n’existe aucun exemplaire actuellement répertorié :

   1/ Une Pronostication pour 1559, dont certains présages ont été conservés par Chavigny.

   2/ Une pièce imprimée à Lyon par Jean Brotot : La grand pronostication nouvelle avecques la déclaration ample de 1559...

   Le 14 août 1558, quelques jours après avoir achevé la rédaction de l’Almanach pour 1559, nous dit Nostradamus, c’est la dédicace à Jacques Marie Sala, vicaire du cardinal Alexandre Farnèse, légat d’Avignon. La pièce est intitulée : Les Significations de l’Eclipse, qui sera le 16 septembre 1559... Avec une sommaire responce à ses détracteurs, imprimée à Paris, par Guillaume le Noir.

   Nostradamus se défendit par bribes, au cours des années suivantes, face à la parution des principaux pamphlets dirigés contre lui.

   La majorité de la populace cherchait dans les almanachs des renseignements pratiques. Par exemple, un Gilles de Gouberville qui s’occupait de la culture de pomme et de la production de cidre, et de l’élevage des moutons, lisait peu, mais dans son journal, Nostradamus apparaît plusieurs fois, de 1558 à 1562.

   Nous ne pouvons mettre en doute l’authenticité d’une édition imprimée en 1558. Cette édition, vraisemblablement publiée à Lyon par Benoît Rigaud, devait comprendre les centuries VIII, IX et X, précédées d’une épître dédicatoire à « Henry, Roy de France Second » et être ainsi libellée : Les prophéties de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII. IX. X. Qui n’ont encore jamais esté imprimées.

   C’est l’existence de la fameuse préface à Henri II qui représente notre argument principal, quant à l’existence de l’édition de 1558. Pourquoi écrire une préface à l’adresse d’un certain « Henry Second », si Nostradamus ne la faisait pas publier avant la mort, en juillet 1559, du souverain de France Henri II, soit un an exactement après la composition de cette dédicace ?

   Dans sa dédicace au roi de France Henri II, datée du 27 juin 1558, Nostradamus déclare dédier au souverain « ces trois Centuries du restant de mes Propheties, parachevant la milliade ». Son œuvre était donc achevée à l’été 1558 et il est probable que la dernière partie en fut publiée aussitôt. La structure des éditions ultérieures, avec leurs deux parties et leur pagination bien distinguées, confirme à postériori l’existence de cette édition de 1558.

   La VIIe centurie ne fut jamais complétée.

   Le début de l’épître parle du « temps present, qui est le 14 de Mars 1557 ». Ces deux dates, mi-mars 1557 et fin juin 1558, marquent la période de rédaction des Centuries VIII, IX et X.

   Un autre argument apporté par Brind’Amour sur la parution, avant 1563, de la Lettre à Henry Second se trouve dans le faux Almanach pour 1563. En effet, dans l’épître dédicatoire à François de Lorraine, le faussaire emprunte à la fois au Traité des Fardements et Confitures, à l’Epître à César et à la Lettre à Henri II : l’affirmation que la divination provient de la « fureur » et du « naturel instinct » revient trois fois dans l’ Epître à Henri II, mais jamais dans l’Epitre à César.

   Nous pouvons décrire cette édition parce que Benoît Rigaud - qui en fut probablement l’éditeur - l’a reproduite un grand nombre de fois. Elle contient donc trois centuries complètes, et son titre « Les Prophéties de M. Michel Nostradamus » est accompagné du sous-titre « Centuries VIII. IX. X. qui n’ont encores jamais esté imprimées ».

   Cette troisième partie, imprimée, dès 1568, à la suite des deux premières à l’intérieur d’un volume unique, n’en conservera pas moins, pendant plus de cinquante ans, un frontispice distinct et un numérotage des pages séparé. C’est une preuve supplémentaire de l’existence de l’édition de 1558, et aussi la preuve que cette troisième partie a été imprimée sous la forme d’un recueil distinct, à cette date, et du vivant de Nostradamus.

   Après les nombreuses critiques envers l’auteur de ces nouvelles pronostications, citons ce célèbre épigramme, sur le nom de Nostradamus, qui apparaît pour la première fois dans les Les Bigarrures du Seigneur des Accords (1586) du poète gantois Charles d'Utenhove et qu’on attribue parfois à Théodore de Bèze. Elle a sûrement été écrite du vivant de Nostradamus, car ce genre littéraire avait pour but d’offenser les vivants et non les morts :

Mich. Nostradamus.
Nostra damus cum verba damus, quia fallere Nostrum est,
Et cùm verba nil nisi Nostradamus.

   Traduction approximative :

   « Nous donnons du nôtre quand nous trompons, car c’est dans notre nature que de tromper, et quand nous trompons, nous ne donnons rien sinon que du nôtre. »

   Il faudra attendre le milieu du XVIIe siècle pour trouver chez Jaubert deux répliques :

Nostra damus, cùm uerba damus, quae Nostradamus dat,
Nam quaecumque dedit, nil nisi uera dedit.

Vera damus cùm uerba damus, quae Nostradamus dat,
Sed cùm nostra damus, nil nisi falsa damus.

   Traduction approximative :

   « Nous donnons des choses vraies quand nous donnons les paroles de Nostradamus, mais quand nous donnons du nôtre, nous ne donnons rien que du faux. »

   Jean-Aimé de Chavigny, dans son Janus François, confirme que l’entente ne dura guère entre Nostradamus et Scaliger. Nous en avons pour preuve trois épigrammes de Jules-César Scaliger contre Nostradamus, publiées seulement en 1574, mais certainement rédigées peu de temps après le voyage du prophète à Paris et le succès remporté.

   Ces violentes épigrammes antisémites témoignent de la jalousie dont le prophète était l’objet, même de ses anciennes fréquentations, dans les premières années de sa célébrité. Parce qu’il restait fidèle à la médecine arabe, Scaliger se brouilla avec Rabelais, lequel préconisait un retour à la médecine traditionnelle. A l’époque où Scaliger écrira ces épigrammes, Pantagruel et les Prophéties auront paru et remporteront un immense succès : Scaliger ne pouvait accepter que la notoriété de ses anciens amis lui fasse de l’ombre !

   Le reproche adressé par Scaliger, dans la seconde épigramme, à la « France crédule » suspendue aux propos de Nostradamus, semble faire allusion à la venue du prophète à Paris en 1555. Brind’Amour y voit le terminus a quo de sa composition, et la mort de leur auteur en octobre 1558 en est le terminus ad quem.

   Scaliger n’était pas hostile aux astrologues, puisqu’il fait l’éloge de des deux astrologues, Luc Gaurico et Gervais. Scaliger était tout simplement jaloux !

   Quant à l’éloge de Scaliger fait par Nostradamus dans le Traité des Fardements et Confitures, en 1552, il montre que les épigrammes n’étaient pas connues de lui à cette époque, ni même sans doute du vivant de Nostradamus. Un médecin agennais, Jean Bergius, dans une lettre du 15 octobre 1563 à Nostradamus, fait état de leurs rapports communs avec Scaliger dans des termes impensables si leur auteur avait eu connaissance des trois épigrammes.

 

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