Jean-Aimé de Chavigny déclare que Nostradamus fut trois ans aux gages de la ville d’Aix-en-Provence. Ceci n’est guère possible, puisque le vainqueur de la peste nous dit lui-même qu’il fut mandé en 1547 à Lyon.

Une épidémie lyonnaise
(1547)

   Il semble donc que notre médecin séjourna à Lyon une bonne partie de l’année 1547, puisqu’il évoque le souvenir d’un apothicaire de cette ville, dans son Traité des Fardements :

   « René le pillier verd à Lyon du temps que j’y estois l’an mil cinq cens quarante sept... »

   Dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de la Faculté de Médecine de Montpellier, l’historien Jean Astruc consacre une notice à Michel Nostradamus et nous rapporte le séjour de Nostradamus à Lyon, que tous les biographes jusqu’à nos jours reprendront en chœur :

   « La réputation qu’il s’acquit à Aix, le fit appeler à Lyon l’année d’après (1547), à l’occasion de la maladie contagieuse qu’y répandit : c’est apparemment pendant le séjour qu’il y fit qu’il eut quelques contestations avec Jean Antoine Sarazin, un des Médecins des plus accrédités de cette Ville. »

   Un médecin lyonnais du XIXe siècle, Joseph-Eleonore Petrequin, a rapporté dans ses Mélanges de chirurgie, ou histoire médico-chirurgicale de l’hôtel-Dieu de Lyon, le séjour de Nostradamus à Lyon :

   « Vers 1547, une maladie meurtrière sévissait à Lyon ; elle attira dans nos murs un homme célèbre dans les sciences occultes et dont le nom est resté populaire jusqu'à nous, c'était Michel Nostradamus, aujourd'hui moins connu en médecine qu'en astrologie. La grande réputation dont il jouissait à Aix-en-Provence, le fit appeler à Lyon. La maladie, qu'on nommait coqueluche, paraissait contagieuse ; Nostradamus fit usage de quelques remèdes secrets qui eurent beaucoup de succès ; il en a donné la recepte dans son Traité des fardements.
   C'est sans doute pendant son séjour qu'il eut des contestations avec Sarrazin, médecin de l'Hôtel-Dieu et l'un des praticiens les plus renommés de la ville. »

   Ce dernier point résulte d'une mauvaise lecture du Traité des Fardements et Confitures, depuis la notice de Jean Astruc.

   Dans son Nostradamus, Eugène Bareste a consigné par écrit quelques détails sur le séjour que le prophète fit dans la ville en avril 1547. Cet auteur raconte avec force détails naïfs que, la peste ayant exercé ses ravages à Lyon, Michel eut des démêlés avec un médecin du coin, Jean-Antoine Sarrazin.

   Une légende très pittoresque est ainsi née à partir du récit de Bareste. Mais nous y relevons une certaine confusion. Car, curieusement, à l'époque d’attribution de cette anecdote, précisément le 25 avril 1547, naissait à Lyon le fils de Philibert, Jean-Antoine Sarrazin !

   Nostradamus a peut-être eut des démêlés avec Philibert Sarrazin, père de Jean-Antoine. Il y a certainement eut confusion dans l’esprit de Bareste qui aurait eut plus de chance de tomber juste s’il avait consulté le chapitre XXX du Traité des Fardements de Nostradamus lui-même :

   « La nompareille cité de Lyon, écrit Nostradamus en 1552, estoit n’y a gueres pourveue d’un noble personnage d’incomparable sçavoir, qui est Phil. Sarracenus, qui des miens premiers principes, moi ja aagé, l’avois instigué, que j’ay ouy dire qu’il s’est retiré à Villefranche : illi nec invido : mais il me semble que veu sa doctrine, qu’il ne devoit aller là : car leur regne ne sera gueres durable. »

   Le plus surprenant, c’est que tous les biographes de Nostradamus, y compris l'universitaire américain Eugène Parker, sont tombé dans le panneau, et ont parlé de Jean-Antoine, sans se reporter aux textes.

   Il semblerait que Nostradamus avait enseigné ses « premiers principes » (de médecine ou de philosophie religieuse ?) à Philibert Sarrazin, qui devint médecin à Lyon, et qui, par la suite, « s’est retiré à Villefranche ». Dans sa dernière phrase, le médecin de Salon fait allusion aux opinions religieuses de Sarrazin.

   Souvenons-nous. Nostradamus était à Agen en 1538, au moment où Scaliger fut soupçonné d’hérésie, à cause de ses rapports avec Sarrazin. Son voyage à Bordeaux en 1539 (date qu’il nous donne lui-même) a sans doute été déterminé par cette citation à comparaître devant l’Inquisiteur de la foi, ou, en tout cas, par la crainte où il fut lorsqu’il vit Scaliger inquiété.

   Selon toute probabilité, Nostradamus et Sarrazin se sont rencontrés à Agen, peut-être même chez Scaliger. Et il est possible que si les rapports de Nostradamus et de Philibert Sarrazin se détériorèrent à Lyon, c’était bien moins pour des raisons de rivalité médicale, comme on l’a supposé, que parce que Michel craignait d’être compromis à nouveau, quant à ses opinions religieuses, par Sarrazin. Et c’est Astruc qui a suggéré que ce fut apparemment pendant la maladie contagieuse de 1547.

 

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