C’est vers l’âge de dix-huit ans que Michel de Nostredame quitte Avignon. Il se rend à Montpellier où il entreprend ses premières études de médecine afin d’obtenir, après trois années, le titre de « bachelier » en médecine. Dès lors, il voyage beaucoup, pendant près de cinq ans, parcourt la Provence et les régions avoisinantes à la recherche de toutes sortes d’herbes médicinales. Et dans chaque ville qu’il traverse, il fréquente bien évidemment les boutiques des apothicaires.

L'étudiant gyrovague
(1521 - 1529)


    Dans un de ses ouvrages, certainement le plus authentique au niveau des rares confidences faites à ses lecteurs, Nostradamus écrit, en 1552, qu’il a parcouru le monde pour examiner tant la complexion des gens que l’air des contrées, et connaître également les herbes médicinales, ainsi que les vestiges archéologiques - réminiscences certaines dans les Centuries, et exerçant surtout la médecine :

    « ... en voyant le monde pour apprendre & cognoistre les qualités, complexions & nations des gens, & veoir la clemence & inclemence de l’air, & les diverses nations du monde, mesme pour la cognoissance des simples que en aucunes regions sont, aux autres ne sont, & principalement pour veoir les antiques topographies faictes du temps du siecle Romain, & en exerceant la faculté de medecine, ou gist ma principale profession... »

   Les  « simples », comme on appelait alors les herbes médicinales, représentaient une branche essentielle de la « pharmaceutrie », précurseur de ce qui deviendra la pharmacie.

   Pendant plusieurs années, Michel vagabonde, en gyrovague comme on dit alors d’un moine errant. Il voyagea notamment dans le Sud-Ouest. Ses pérégrinations le conduisirent par « tout le païs de Guienne & Languedoc, & toute la Provence, le Daulphiné, le Lyonnois... ». Dans ces régions, le médecin soigna de la peste, et l’apothicaire fabriqua cosmétiques et confitures. Michel apprend sur le tas son futur métier de médecin-apothicaire.

   Nous voulons citer deux documents qui vont éclairer notre propos, et poser les bases des discussions qui vont suivre.

   Le premier texte est tirée d’un ouvrage de Nostradamus. Ecoutons l’intéressé nous exposer lui-même comment il se perfectionna en la connaissance des herbes médicinales :

   « Après avoir consumé la plus grand part de mes jeunes ans, ô lecteur benivole, en la pharmaceutrie, & à la cognoissance & perscrutation des simples par plusieurs terres & pays depuis l’an 1521 jusques en l’an 1529, incessamment courant pour entendre et savoir la source et origine des plantes & autres simples concernans la fin de la faculté Iatrice... Que quand suis esté au bout de mes huict ans accomplis & consumés, me suis trouvé ne pouvoir parfaitement attaindre en cestye summité de la parfaite doctrine... & vins parachever mon estude jusques à lheure presente, qui est le trente un an de ma vacation, que tenons mil cinq cens cinquante deux... »

   Michel de Nostredame confirme par deux fois dans ce passage la durée de cette « vacation » ou profession, comme nous dirions de nos jours : en ajoutant « huict ans accomplis et consumés » à l’an 1521, on obtient bien l’année 1529, date de son inscription certaine à l’Université de Montpellier, puis en retranchant « trente un an de vacation » à l’année de rédaction du texte cité, soit « mil cinq cens cinquante deux », on retrouve bien la date charnière 1521.

   La seconde pièce, qui corrobore le premier document, est une lettre adressée à Jean Rosenberger, le 9 septembre 1561, dans laquelle Nostradamus déclara qu’il pratiquait à la fois la médecine et l’astrologie depuis quarante ans, ce qui nous ramène à l’an 1521, début des études médicales et empiriques du futur médecin de Salon-de-Provence.

   Nous devons à présent poser la question essentielle : En quelle année Michel a-t-il commencé ses études de médecine ? Tous les biographes qui nous ont précédés s’accordent sur la date incontournable de 1529, car c’est celle de son inscription retrouvée à la Faculté de Médecine de Montpellier. Mais nous savons de source également sûre que Michel était installé comme médecin à Port-Sainte-Marie en 1534. Nous verrons plus loin que les études de médecine, même pour les plus doués, ne prenaient pas moins de six à sept ans après le titre de Maître ès Arts. Il n’est donc pas invraisemblable de penser que Michel était déjà bachelier en médecine en 1529.

   Ainsi, il est probable que dès l’automne 1521, Michel s’inscrit dans la plus brillante des Facultés du royaume de France : celle de Montpellier. Il dût y suivre des cours jusqu’à l’obtention du grade de « bachelier en médecine », étape obligatoire pour passer la licence et le doctorat.

   Il est peu probable qu’il continua ses études dans la Faculté de Médecine d’Avignon, puisqu’il nous dit lui-même qu’il quitta cette ville en 1521.

La première inscription de Nostradamus à Montpellier

   Suivons donc pas à pas Michel dans l’obtention des grades universitaires conduisant au doctorat en Médecine, en traçant un tableau de l’existence qu’il a certainement menée dans la prestigieuse Ecole de Montpellier. Nous serions ainsi en mesure de définir, avec plus ou moins de vraisemblance, le temps qu’il fallut à Nostradamus pour devenir docteur.

Le Baccalauréat en Médecine

   Pour dresser une fresque de la vie universitaire du temps de Nostradamus, et partager avec lui cette vie estudiantine, nous disposons, heureusement, d’une documentation relativement abondante sur cette période de la Renaissance. Nous utiliserons, par exemple, François Rabelais lorsqu’il s’agira de dresser un tableau de la vie quotidienne au XVIe siècle. Cependant, la portée de la documentation que nous avons amassé sur cette période est très inégale. Nous avons recueilli et confronté les nombreux témoignages et précisions fournis par les recherches des érudits, et nous avons mis à profit nombre de récits contemporains.

   Le commerce des épices, d’où le nom Mons Pistillarius, était florissant entre les mains des Judéo-arabes d’Espagne. Les plus instruits des Rabbins avaient déjà traduits en languedocien les oeuvres d’Hippocrate, et attiraient autour d’eux bon nombre d’élèves qui furent initiés, notamment, aux doctrines médicales des arabes. C'est ainsi qu'ils furent à l'origine de l’Ecole de Médecine de Montpellier, le Languedoc ayant toujours été une province ouverte aux influences tant gréco-romaines que judéo-arabes.

   L’Ecole de Médecine était placée sous le haut patronage de l’Evêque, mais régie par le « Doyen », c’est-à-dire, le plus ancien docteur en fonction. Quant au « Chancelier », il servait d'arbitre entre les maîtres et les étudiants, ou avec la population. C'est lui qui convoquait les assemblées où l’on s’occupait des diverses affaires de l’Ecole.

   Lorsque les étudiants arrivaient à Montpellier, ils étaient immatriculés par le Chancelier, au vu de leurs diplômes et attestations. Ceux qui possédaient un titre de Maître ès Arts, comme Michel, étaient dispensés de l'examen de contrôle.

   Ensuite, l'Université prenait les étudiants sous sa protection.

   Les étudiants échappaient à la juridiction temporelle pour se placer sous celle du Chancelier et Juge de l'Université de Médecine. Un tel « privilège de scolarité » leur permettait bien des débordements allant jusqu'à l'injustice.

   Depuis le Moyen Age, les étudiants en médecine de Montpellier élisaient un « Roi », qu’ils promenaient solennellement dans toute la ville. L’Université a voulu s’opposer à l’élection du « Roi des Etudiants », mais ceux-ci le remplacèrent par un « Abbé » qui jouira des mêmes privilèges que son prédécesseur.

    L'étudiant qui arrivait à l'Ecole de Médecine devait subir une « période d’initiation », une sorte de noviciat, correspondant approximativement à ce que nous appelons aujourd'hui le « bizutage », mais qui durait ordinairement une année : au XVIe siècle, on appelait cela le Béjaunage, et les étudiants novices étaient les Béjaunes.

   Cette expression de béjaune est peut-être une simple déformation de « bec jaune ».

   Cette initiation des Béjaunes culminait avec une danse un peu particulière appelée le « Saut », et qui était surtout l’occasion d’une fête, avec musiciens et banquet bien évidemment. Les Béjaunes en médecine étaient astreint à certaines fonctions serviles, comme celle d’essuyer les tables.

   A l’instar du Président des associations estudiantines actuelles, nos Ecoliers en médecine avaient, à leur tête, leur « Procurateur des Etudiants et des bacheliers ». La principale mission du Procurator était de faire observer les règlements de l'Ecole.

   Les Statuts de 1534 lui donnent le titre de Procurator baccalaureorum et studentium.

   Le Procurateur était élu par ses camarades avant la reprise annuelle des cours qui avait lieu le 18 octobre, fête de St-Luc, le patron des médecins. Il avait également pour charge d'enregistrer les nouveaux venus sur le Livre des Procurateurs. Il les présentait ensuite au Chancelier dans les huit jours qui suivaient leur arrivée dans la ville. Et enfin, il recevait et encaissait les redevances scolaires, lesquelles servaient à faire face aux besoins de l’Université, tels les frais d’anatomie ou les frais de banquets.

   Les cours commençaient à l’heure la plus matinale, après que la cloche eut sonné, dans des salles inconfortables que le bedeau avait pris la précaution de garnir de pailles pendant la mauvaise saison, pour combattre le froid.

   La scolarité débutaient donc le jour de la St-Luc et prenaient fin à Pâques de l’année suivante. Toutefois, les étudiants étaient tenus d’assister jusqu’à la St-Jean, c'est-à-dire le 21 juin, aux cours pratiques des licenciés qui préparaient leur doctorat.

   L'enseignement oral consistait essentiellement à lire et à apprendre par cœur les affirmations tirées des commentaires d'Hippocrate ou de Galien.

   Les divertissements estudiantins allaient de pair avec la préparation des examens. Rabelais nous a conservé l’interminable énumération des jeux auxquels se livraient les étudiants. Et pratiquement, tout était prétexte à beuveries et festins : l'arrivée des nouveaux, à la St-Luc comme à l’Epiphanie, les succès aux examens ou les départs des anciens. Il faut croire que l’expression de « repas pantagruélique » n’est pas usurpée : bien manger et bien boire faisaient partie des mœurs de ce temps.

   A l'Ecole de Médecine de Montpellier, on chômait le mercredi en l’honneur d’Hippocrate. Les cours de la Faculté étaient suspendus huit jours avant Noël et huit jours après, durant les trois jours qui précèdent l’ouverture du Carême et pendant toute la quinzaine de Pâques. Les grandes vacances duraient du 24 juin au 18 octobre.

   Un premier cycle des études était consacré à ce que Jean-Aimé de Chavigny nomme « Philosophie et théorie de la Médecine ». L’étude de la philosophie reposait essentiellement sur l’Aristotélisme. Ce cycle comprenait aussi l’enseignement qui sous le nom de matière médicale est, de nos jours, dispensé aux pharmaciens (étude des simples, de la botanique et de la pharmacologie) ainsi que l’étude de l’anatomie.

   Depuis 1520, la Faculté de Montpellier disposait d’un squelette acheté, nous dit la petite histoire, à Aigues-Mortes, où ces restes de corps humain auraient été découverts dans une cave. Les dissections étaient très rares d’ailleurs, car les cadavres des suppliciés, contrairement à une opinion assez répandue sur la justice de l’époque, n’abondaient pas.

   La première partie des études était sanctionnée par le baccalauréat en médecine, puis l’étudiant s’inscrivait pour le second cycle conduisant à la licence, puis au doctorat.

   Michel dût se présenter à l’épreuve du baccalauréat en 1524, après trois années d’études.

   On lui proposa l’explication d’une maladie quelconque ou d’une question de physiologie, qui durait quatre heures à elle seule ; depuis huit heures du matin jusqu’à midi, il répondait à toutes les demandes et objections que les professeurs lui firent.

   Le baccalauréat en médecine permettait au candidat d’exercer la pratique médicale, mais il s’engageait sous serment de n’exercer qu’en dehors de la ville et des faubourgs. De là sans doute la coutume par les étudiants en médecine d’accueillir à coups de poing le nouveau bachelier au sortir de sa réception, comme pour le chasser de la ville et de l’Ecole, et de lui crier joyeusement cette expression demeurée célèbre : « Vade et occide Caïn », paroles au sujet desquelles ont beaucoup discuté les commentateurs.

   Après ce séjour prolongé à Montpellier, Michel ne va pas cesser de voyager, s’en allant par monts et par vaux, à la recherche des plantes, interrompant ainsi pour un temps ses études universitaires.

   Il n’est pas facile de reconstituer l’itinéraire de Michel de Nostredame, depuis cette année 1524 jusqu'à sa réinscription à la Faculté de Montpellier, en 1529.

   En 1524, la Provence est envahie par les Impériaux. La célèbre conjonction astrale, au mois de février 1524 – la quasi totalité des planètes dans le signe des Poissons – laisse présager d’imminentes inondations... qui n’auront pas lieu.

   Michel chemine dès lors par petites étapes, herborisant et s’informant des simples, causant avec les apothicaires et s’enquérant des recettes de médicaments et de confitures dont il fera plus tard un soigneux recueil.

   C'est en 1525 que la peste se déclara en Italie, notamment à Florence. Et elle s’étendra rapidement depuis Avignon jusqu'à Narbonne, Toulouse, Carcassonne et Bordeaux.

   Narbonne fut la première grande ville où le fléau se développa de façon menaçante. Nostradamus qui alla aussitôt la combattre, s’en est souvenu bien des années après, car le nom de Narbonne revient, dans les Centuries, avec une fréquence tout à fait disproportionnée à son importance politique ou économique. Michel suivit, pour ainsi dire, à la trace la contagion, afin de s’instruire.

   Toulouse avait alors son Capitole et la « Rome de la Garonne » de Saint Jérôme abritait l’Inquisition la plus intolérante. Jean de Cahors n’allait pas tarder à être brûlé sur la place Salins (1532). Sous l’arche centrale du nouveau pont Saint-Michel, pendait une grande cage de fer où l’on enfermait les blasphémateurs avant de les plonger dans la Garonne, jusqu'à ce que la mort survienne.

   Les quelles particularités que nous savons sur ce premier voyage de Nostradamus dans les villes de la Garonne proviennent des quelques mots qu’ils nous en dit dans son Traité des Fardements et Confitures.

   En 1528, c’est tout le Midi qui est la proie d’une épidémie encore plus sévère que les précédentes, la famine et la guerre ajoutant à la désolation.

   C’est alors que Nostradamus commença à exercer réellement la médecine. Et le nom de Michel de Nostredame devint rapidement célèbre dans ces régions touchées par la peste où le médecin circula durant quatre années. Plus tard, Michel écrira un Traité sur la peste, lequel aura énormément de succès tant en France qu’en Angleterre où la redoutable épidémie ne connaissait pas de frontières.

   Après la disparition de la peste, Nostradamus regagna Montpellier, afin d’y prendre ses grades. Il avait 26 ans. Dans la préface du Traité des Fardements et Confitures, il raconte que ces quatre années de pratique l’avaient éloigné des études livresques et qu’il se sentit très mal préparé à affronter les examens.

 

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