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Editions RAMKAT




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La place des Musulmans en France,
au regard de l’anthropologie fonctionnelle

par Jacques Halbronn

   Le regard de l’anthropologue sur la présence de diverses communautés religieuses en France doit relever, selon nous, de la fonctionnalité et pas seulement des “bons” sentiments qui souvent occultent les problèmes. Pour ce que l’on pourrait appeler l’anthropologie fonctionnelle, rien n’est gratuit ou en tout cas rien ne le reste longtemps. C’est pourquoi nous poserons brutalement cette question: à quoi servent les Musulmans dans la France d’aujourd’hui ?

   Bien entendu, notre réponse ne sera pas celle d’un économiste et nous ne nous attarderons pas sur les nécessités de l’émigration. Ce qui compte pour l’anthropologie fonctionnelle est plus basique : la société française a-t-elle besoin structurellement d’une autre communauté religieuse que la chrétienne, ou si l’on préfère les Musulmans sont-ils en position de constituer un autre pole religieux qui fasse sens ? Ou encore si polarité, il doit y avoir, est-ce qu’il revient aux Musulmans d’en co-assumer la responsabilité ?

   Disons les choses autrement : pour l’anthropologie fonctionnelle, il n’y a pas de place pour une quelconque troïka car son approche est fondamentalement dualiste, c’est si l’on veut son postulat. Et c’est pourquoi il est question ici de polarité. Pour nous le concept de couple, de dialectique, est absolument central.

   Or, historiquement, si une religion est en polarité avec la chrétienne et singulièrement en France, ce n’est évidemment pas la musulmane mais la juive, aussi minoritaire soit-elle. La Révolution Française aura été la réconciliation entre ces deux pôles tout comme un siècle plus tôt, sous Cromwell, les Juifs avaient été “rappelés” - en Angleterre mais dans des conditions bien différentes puisque ces Juifs qui allaient devenir anglais n’avaient aucun lien historique avec l’Angleterre, ce qui n’était nullement le cas des Juifs français qui n’avaient jamais cesser de cohabiter avec la France. Comme on sait, le problème de l’Angleterre, c’est que c’est une île.

   Si on prend le problème, du point de vue juif, les musulmans sont en redondance avec les chrétiens. En Occident, les juifs ont affaire avec les Chrétiens et en Orient, avec les musulmans (cf. notre texte sur ce Site “Les Juifs entre Chrétienté et Islam”) et on pourrait même aller plus loin dans la mesure où tant le christianisme que l’Islam dérivent du judaïsme, et laisser entendre, en renversant les perspectives, que chrétiens et musulmans sont des façons d’être “juifs” à l’intention des non juifs. Inversement, en Orient, ce sont les Chrétiens qui sont en redondance avec les Musulmans, aux yeux des Juifs et qui, quelque part, n’y ont pas leur place pas plus que les Musulmans n’ont leur place en Occident, en tant que communauté religieuse non chrétienne. De toute façon, la laïcité à la française permet aux Musulmans d’être des citoyens français mais sans représentation religieuse communautaire. Autrement dit, nous aurions tendance à minorer en Occident la dimension religieuse de l’Islam en en faisant une affaire individuelle, ce qui n’est le cas historiquement ni des Chrétiens, ni des Juifs dont la Shoah a montré suffisamment et ô combien dramatiquement la dimension collective. Qu’au moins la Shoa ait servi à légitimer l’existence d’un pôle juif. Rappelons que la Shoa, en tant que manifestation paroxysmique de la cohabitation judéo-chrétienne, s’est déroulée en dehors des Musulmans.

   Les seules communautés qui ont, selon l’anthropologie fonctionnelle, droit de cité seraient, en effet, la chrétienne et la juive, étant entendu que sous ces deux étiquettes peuvent se trouver de nombreuses variantes: protestants et catholiques d’une part, diverses sensibilités juives de l’autre. Si on ne respecte pas un tel schéma; on bascule dans une sorte de pluralisme assez inconsistant qui s’éloigne de nos exigences fonctionnalistes.

   Nous avons souvent insisté sur l’altérité radicale du Juif, ce qui le distingue de tout statut d’étranger voué à terme à s’intégrer dans le creuset français. On a souvent dit que les Juifs étaient inassimilables et c’est précisément ce qui fonde leur légitimité en France. La présence juive en France n’est pas celle des étrangers en passe d’assimilation, c’est une autre façon d’être en France et qui se veut comme telle.

   Selon nous, les sociétés traditionnelles avaient compris la nécessité d’une polarité : d’un côté une population majoritaire de l’autre une population minoritaire mais toutes deux faisant partie intégrante de la dite société. Par la suite, cette population minoritaire sera identifiée, à tort, avec le processus de l’immigration qui profite assurément de l’existence d’un tel schéma structurel social.

   Le mot “minorité” est un terme qu’il convient d’appréhender autrement qu’on ne le fait généralement : il ne s’agit pas, en effet, des minorités étrangères en passe de s’intégrer, au prix d’ un processus mimétique mais bien plutôt d’une structure minoritaire constituée de membres socialement à part entière et sans les stigmates de l'immigration. C’est dire que le mot “étranger” est également à étudier avec une certaine prudence car on a vite fait de tout mélanger avec plus ou moins de bonne foi, essayant de réduire les Juifs à un cas parmi d’autres de population immigrée en France tout comme on veut réduire le judaïsme à une religion parmi bien d’autres. On a là une nouvelle forme de négationisme qui se développe à mesure que la conscience juive cherche à s’affirmer dans ce qu’elle a d’unique.

   En d’autres termes, nous dirons que la condition juive passe par un statut particulier que nous décrirons ainsi - et qui devrait conduire à écrire l’Histoire des Juifs autrement, et il convient de reconnaître que la création de l’Etat d’Israël est ici source de confusion. Les juifs, d’une façon générale, ne viennent de nulle part. Certes, de nos jours, l’immigration a fait des ravages et la proportion de Juifs venus d’un ailleurs identifiable a été multipliée de façon inouïe, obéissant à un mouvement brownien. On sait d’où ils viennent à ce détail près qu’ils viennent de partout, de toutes parts. Et venir de partout, cela revient, globalement - mais non pas individuellement, niveau qui ne fait guère sens pour l’anthropologie fonctionnelle- pour une population donnée, à ne venir de nulle part. Ce partout n’est pas une patrie !

   Pourquoi une société aurait-elle besoin d’une telle dualité ? Parce que cette société est agitée par des processus internes qui la déstabilisent. On a souvent reproché aux Juifs leur double allégeance, leur mobilité qui leur permettrait de passer d’un pays à un autre. Mais c’est oublier que les Juifs n’ont nullement le monopole d’un tel phénomène, sinon l’émigration dans le monde se réduirait à bien peu de choses. Bien au contraire, quand les juifs sont amenés à migrer, ils ne le font pas sans garder les traces de leur passé: que l’on songe à la pratique du yiddish ( dialecte judéo-allemand) en Pologne, pays de langue slave ou du judéo-espagnol en Turquie, du fait de l’Expulsion de 1492 !

   Paradoxalement, tout se passe comme si les Juifs constituaient un élément de constance dans les différents pays où ils ont vécu alors qu’autour d’eux, les populations migraient. On a suffisamment insister sur l’apport de l’étranger dans la formation de la population française.

   Certes, pour en arriver à une telle conclusion, il importe d’analyser la composition de la communauté juive de France et d’en circonscrire l’élément central. Et cet élément est constitué par les Juifs de souche française, dont la généalogie objective se confond avec l’Histoire de la France et non par les Juifs issus de l’immigration dont le lien avec la France est plus subjectif. Or, pour l’anthropologie fonctionnelle, les facteurs subjectifs sont seconds et sont marqués par un mimétisme dont on connaît les limites.

   Force est de constater que du point de vue des Musulmans, les choses sont singulièrement embrouillées : à leurs yeux, les Juifs sont une religion de plus - bien moins nombreuse que la musulmane - et une communauté de plus, venant en partie du monde musulman, qui plus est ! Il ne faut pas attendre de leur part une quelconque disposition à conférer au problème juif une dimension centrale en France alors qu’ils sont tout disposés par ailleurs à lui en conférer une au Proche Orient !

   C’est précisément une telle interférence qui vient fragiliser la présence musulmane en France dont nous pensons qu’elle n’a lieu d’être que sous certaines conditions définies plus haut.

   Les Musulmans de France sont-ils conscients au demeurant de tout ce que le sionisme doit à la pensée chrétienne ? Ce serait en effet oublier que pour la religion chrétienne, le retour des Juifs à Sion fait formidablement sens et que Herzl a été largement manipulé par une telle conception des choses 1, sans oublier l’attente d’une solution de la question juive par une émigration massive des Juifs hors d’Europe. C’est dire qu’il existe un couple- avec ses scènes de ménage certes - des Chrétiens et des Juifs mais non des Chrétiens et des Musulmans. Et c’est en cela que ces derniers sont en porte à faux.

   Les Musulmans de France restent marqués par une certaine idée des Juifs propre à l’Orient. Certes, le couple juifs - musulmans a aussi sa raison d’être. Mais certainement pas en France ! On sait pertinemment que la présence musulmane en France vient complexifier encore plus la question juive en introduisant des considérations propres, à commencer d’ailleurs par l’antisionisme qui cristallise en quelque sorte tout un passif judéo-arabe.

   Pour employer une image un peu triviale, nous ne sommes pas favorables à l’échangisme : que le musulman s’occupe de ses juifs comme le Chrétien des siens, mais qu’on ne mélange pas les couples ! Il y a eu en effet des alliances séculaires qui se sont ainsi forgées, des deux côtés du bassin méditerranéen, et qui ne permettent plus de ramener la question juive à la période biblique ! Les juifs de France n’ont pas de compte à rendre aux Musulmans de France tout comme d’ailleurs les juifs d’Orient et cela concerne de nos jours essentiellement les Israéliens n’ont pas de compte à rendre au monde chrétien à moins de décider en effet de se rattacher politiquement à l’Occident, ce qui aboutirait à mettre fin à terme au difficile dialogue judéo-arabe et il semble que l’on en prenne le chemin. Le couple judéo-musulman est en effet bien mal en point et fonctionne à tous égards moins bien que le couple judéo-chrétien et ce en dépit du choc de la Shoah. C’est dire que les Juifs de France ont tout à redouter d’une présence musulmane trop affirmée en France ou en Europe. Cette présence- dont on a pu apprécier les effets dans la dégradation du statut des juifs dans certaines banlieues - fausse le jeu d’une certaine dialectique et conduit à un ménage à trois assez pernicieux, à terme. Les discussions actuelles sur l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne sont là d’ailleurs pour susciter la réflexion.

   La France n’est évidemment pas pour rien dans cet état de choses: en prenant possession de l’Algérie en 1830, en considérant, en 1870, comme citoyens français les juifs qui y résidaient, en accueillant par la suite, notamment, après l’Indépendance, en 1962 - voilà quarante ans - nombre de musulmans, notamment parmi les harkis, elle allait contribuer à ce syncrétisme islamico-chrétien dont les Juifs pourraient bien faire les frais. Entendons par là qu’à certains égards, les musulmans pourraient prendre la place des Juifs de France, au niveau d’une dualité fonctionnelle, du fait notamment du sémitisme qu’ils partagent avec eux.

   Nous sommes en faveur d’une nouvelle laïcité qui tienne compte de la pesanteur de l’Histoire : on peut être français par un processus identitaire et juridique et en ce sens on est citoyen français, sans considération de ses origines ou bien on appartient aux deux communautés, chrétienne et juive, qui par leur dialectique ont forgé l’Histoire de la France, de la Révolution à l’Affaire Dreyfus en passant par la Papauté d’Avignon. En ce sens, les musulmans peuvent parfaitement être des citoyens français à part entière mais sans accès à une affirmation communautaire d’ailleurs en contradiction avec la laïcité telle qu’ils l’appréhendent.

   C’est dire que la communauté juive de France ne saurait pratiquer la politique de l’autruche, il importe que les choix lui soient clairement présentés :

   1. Un tandem judéo-chrétien qui correspond à un état de fait, les Juifs, depuis Napoléon, étant organisés autour de consistoires. Les autres sensibilités religieuses ne seraient dès lors vécues que selon les règles de la laïcité. Pour les Musulmans, notamment, selon une formule devenue célèbre : tout en tant qu’individus, rien en tant que peuple.

   2. Une assimilation des Juifs aux Chrétiens face aux Musulmans, dans la sphère occidentale.

   3. Une lutte contre la présence musulmane en France et en Europe qui déboucherait sur le retour des Musulmans vers le Maghreb.

   4. Une intégration laïque des Musulmans ne conférant pas, pour des raisons historiques, le même statut communautaire aux Musulmans qu’aux Juifs ou aux Chrétiens.

   5. Soit le départ des Juifs vers Israël avec leur intégration à terme au sein du monde arabe, dans la sphère orientale.

   En tout état de cause, ce tandem judéo-chrétien ne vaut-il pas mieux pour tout le monde qu’une domination de fait des Chrétiens sous couvert de laïcité.

   Nous souhaitons sincèrement préserver le dialogue - voire le huis clos- essentiel du judaïsme avec le christianisme au nom de cette civilisation judéo-chrétienne qui, au fond, ne porte pas si mal son nom.

   En fait nous prônons une sorte de bicamérisme laïc comportant deux systèmes de représentations : d’une part un équivalent de l’Assemblée Nationale, impliquant une représentation mathématique de la population, dans toute sa diversité, sur une base purement individuelle et d’autre part un équivalent du Sénat, impliquant une prise en compte d’une certaine topographie religieuse enracinée dans l’Histoire. Nous avons déjà développé l’importance d’une telle dualité dans la représentation dans nos travaux parus sur ce site sur les pièges de la représentativité mais aussi en ce qui concerne les solutions fédéralistes favorisant les relations judéo-arabes en Israël. Il s’agit, en bref, de respecter les exigences d’ordre synchronique et diachronique puisqu’il semble bien, à terme, qu’il évoluer vers un panaché de laïcisme individuel et de communautarisme bipolaire. Faut-il rappeler, par ailleurs, que le système politique français de la Ve République, donc depuis 1958, s’est toujours évertué à faire ressortir une opposition Gauche / Droite plutôt que de favoriser un certain émiettement. Cela ne va pas d’ailleurs sans injustice aux dépends d’un “troisième homme”, en l’occurrence Jean-Marie Le Pen sous-représenté au Parlement -qui s’en plaindrait ? - mais néanmoins présent au niveau régional. Un système électoral d’ailleurs hérité des Anglais et qui conduit à une polarisation politique. Il ne s’agit pour nous que de revendiquer parallèlement une polarisation religieuse, tout en sachant très bien, tout comme au niveau politique, qu’elle ne saurait épuiser la complexité de la réalité sociologique de la société française.

Jacques Halbronn
Paris, le 8 décembre 2002

Note

1 Cf. notre ouvrage Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour



 

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