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Les formes -ment et ng / gn en français et en anglais

par Jacques Halbronn

    Le français utilise le suffixe -ment pour former des adverbes (fortement) ainsi que pour construire des substantifs (gouvernement), dans un cas le suffixe s’ajoute à un adjectif, dans l’autre à un verbe. Le suffixe -ment a donc une fonction importante dans l’extension de certaines racines.

   On observera que la formation de l’adverbe en -ment s’effectue généralement à partir de la forme féminine quand elle n’est pas identique, ce qui est assez souvent le cas, avec la forme masculine, ce qui concerne les adjectifs se terminant en - e qui sont en quelque sorte neutres : pauvre, riche, misérable, agréable- ment. La règle générale reste bien le recours au féminin comme interface entre l’adjectif et l’adverbe: actif/active/activement.

   L’anglais n’a pas conservé le suffixe -ment pour la formation de ses adverbes et n’en a d’ailleurs pas emprunté au français parmi ceux déjà constitués sous cette forme, ce qui mérite qu’on s’y arrête tant l’anglais a pu et su massivement emprunter au français. Tout se passe comme si un équivalent s’était imposé le -ly remplaçant le -ment, convention qui n’aurait jamais été négligée.

   En ce qui concerne la formation du substantif, c’est le participe présent qui aura servi d’interface entre le verbe et le substantif. Cela est attesté par les verbes ayant leur participe présent en (forme dite progressive en anglais) -issant : agrandir / agrandissant / agrandissement mais gouverner / gouvernant / gouvernement. Le substantif ainsi formé est quant à lui masculin, jamais féminin.

   Dans ce cas, l’anglais a emprunté tels quels nombre de substantifs, tels que government, parliament mais aussi establishment qui appartient à la catégorie en -issement, du fait du participe présent: établissant. Les verbes anglais se terminant en -ish appartiennent à ce groupe. Il ne semble pas douteux que la grammaire anglaise soit ici calquée sur la française. Ex: vanish /vanishment à partir d'évanouir / is (première personne du singulier), évanouissement. Tous les verbes français ayant leur participe présent en issant au lieu de ant ont leur contrepartie en anglais sous une forme en ish et de là en ishment, et il ne saurait s’agir d’une coïncidence mais bel et bien d’une corrélation:

   Garnir / garnissant donne garnish, comme chérir/cherissant donne cherish
Fourbir / fournissant donne furbish.
Embellir / embellissant donne embelish

   Une exception : astonish /astonishment à partir d’étonner qui donne étonnant et étonnement et non pas étonissement (ancien français estonner).

   Ces verbes au passé conservent bizarrement la forme ish, ce qui donne cherished, embelished au lieu de chéri, embelli etc

   Dans de nombreux cas, toutefois, l’anglais substantive ses verbes en ajoutant -ing, ce qui a d’ailleurs s’est imposé en français où l’on tend désormais à préférer le suffixe -ing au suffixe -ment lors de la substantivation. On notera cependant que le suffixe -ing est également celui qui sert pour marquer le participe présent. (I am meaning, a meaning)

   En franglais, on dira de nos jours un listing au lieu d’un listement qui devrait normalement convenir. Le français n’a pas su modifier la finale ing pour ses substantifs issus de l’anglais comme l’anglais a su le faire pour ses adverbes issus du français mais l’anglais n’a pas abandonné ses substantifs en -ment pour les remplacer par des finales en -ing, ce qui donnerait governing à la place de government, parling au lieu de parliament, equiping au lieu d’equipment. On notera aussi que l’anglais n’utilise pas nécessairement les verbes dont sont formés les substantifs dont il se sert. Parliament n’y existe pas aux côtés de parl. Ce qui montre bien que les emprunts lexicaux mordent sur les questions d’ordre morphologique En revanche, la plupart des adverbes en anglais se terminant en -ment y existent également sous leur forme adjectivale : generaly, general, strangely, strange, gently gentle, stupidly / stupid, honest / honestly etc et il est probable que l’anglais ait emprunté d’abord les adjectifs, ce qui explique l’absence du -ment pour la finale adverbiale. Bien entendu la finale en -ly n’est nullement réservée aux adjectifs d’origine française alors que la finale -ment sert exclusivement pour les substantifs verbaux empruntés aux français, autrement on utilisera la forme -ing. La réciproque n’est pas vraie : certains verbes empruntés au français forment en anglais leur substantif en -ing, comme list / listing.

   On notera qu’en français, on ne peut pas placer -ment après n’importe quel verbe, l’usage suffixale est moins systématique qu’en anglais : on dira mange et mangeant mais pas mangement alors qu’en anglais le participe présent devient substantif dès lors qu’il est précédé d’un article défini ou indéfini. En français, l’infinitif peut parfois servir de substantif : manger, le manger, déjeuner, le déjeuner. L’anglais a d’ailleurs emprunté le substantif sous sa forme infinitive dans : dinner, supper etc sans pour autant emprunter la forme infinitive du français même pour les verbes d’origine française. Pas davantage, l’anglais va-t-il conjuguer ces verbes dont il utilise l’infinitif : on ne dit pas I sup en anglais mais I had supper. L’anglais use souvent du participe présent là où le français préfére l’infinitif : “c’est payer cher” est souvent traduit par it means paying a high price.

   Sur la base de ces observations, il ne saurait y avoir de substantif formé à partir d’un nom : encouragement vient du verbe encourager et non pas directement du mot courage. On ne passe du nom au substantif qu’en formant un verbe qui sert d’interface. Or, dans le cas d’emprunt d’une langue à une autre, il se peut fort bien qu’un élément de la chaîne fasse défaut, ce qui trahit précisément l’existence d’une structure étrangère ainsi empruntée.

   Mais parfois, l’adjectif emprunté est systématiquement recyclé comme adverbe comme c’est le cas en anglais où chaque adjectif français emprunté existe aussi sous une forme adverbiale en -ly. En revanche, en franglais, un adjectif d’origine anglaise ne conduit pas nécessairement à une forme adverbiale. Cool ne donne pas, à notre connaissance, “coolement”, ou Clean “cleanement”, pas plus que speed n’autorise “speedement” etc. De même, la présence d’un substantif en franglais comme shopping n’implique pas l’usage du verbe avec des formes comme “je shoppe” (du français échope) ; on se contente de “faire du shopping”, ce qui est une façon d’élargir le champ d’utilisation du mot. L’anglais, pour sa part, face à un emprunt au français, remonte plus systématiquement du substantif vers le verbe.

   On relèvera en anglais la possibilité de transformer un participe présent en adverbe comme dans surprising /surprisingly à l’instar du français où étonnant donnera étonnamment. En fait, le participe présent a à la fois une fonction de verbe et d’adjectif, ce qui expliquerait pourquoi le suffixe -ment sert aussi bien pour le verbe en formant un substantif que pour l’adjectif en formant un adverbe. Verbe et adjectif communiquent par l’interface du participe présent.

   De même, nombre d’adjectifs sont eux-mêmes dérivés de noms : courage a donné courageux / courageuse qui conduit à courageusement, tout comme mystère donne mystérieux et mystérieusement ou prix, précieux / précieusement, intelligence / intelligent / intelligemment etc. La plupart du temps, l’anglais a récupéré toute la série française : courage / courageous / courageously ; price / precious / preciously.

   On constate donc que les emprunts de l’anglais au français sont généralement sensiblement plus articulés, étendus et systématiques dans leurs applications que les emprunts du français à l’anglais qui nous semblent plus ponctuels et limités.

   Ajoutons que le français a bien d’autres façons de former des substantifs que le suffixe masculinisant en -ment. C’est ainsi que le verbe souffrir donne souffrance, probablement à partir du participe présent souffrant et non souffrement tout comme espérer donne espérance à partir d’espérant et non espérement. On utilise aujourd’hui gouvernance parallèlement à gouvernement.

   Nous avons voulu montrer par cette brève étude l’ampleur de la dette de l’anglais au français non pas comme on le soutient parfois à un niveau de langage sophistiqué mais dans une pratique langagière au quotidien. Il y a des quantités d’adverbes anglais forgés à partir d’adjectifs français et recouvrant la communication la plus usuelle et également bien des susbtantifs dits anglais dissimulent des verbes d’origine française.

   La forme -ing a certes, de son côté, beaucoup essaimé en français, ces derniers temps mais elle est souvent associée avec des verbes français dans la mesure même où l’influence anglaise est largement fonction d’une empreinte française préalable. On peut regretter que le -ing ne se prononce pas à la française (comme dans shampooing, qui a donné le verbe shampooiner ) car cette forme existait en ancien français pour des mots qui ont depuis perdu le g final : comme dans poing ; loin, qui s’écrivait autrefois loing, le g étant d’ailleurs resté, au prix d’une permutation ng / gn dans le substantif éloignement, à partir du verbe éloigner, tout comme poing donne empoigner. Autres exemples: soin/soigne, besoin/besogne, Signalons aussi l’adjectif long passé en anglais dans les formes long time, long way etc. Signalons aussi les formes en ign (e) : le français ligne devient en anglais line perdant son g - un g qui ne figure d’ailleurs pas dans l’adjectif français linéaire. Vin/vigne ont donné l’anglais wine. Le mot anglais design est d’origine française tout comme sign. Il faudrait aussi attirer l’attention sur les mots français en ange, comme grange, mange, rang(e), change, passé tel quel en anglais, e(s)trange donnant strange (r), ou encore danger.

   Le verbe français quand il se constitue à partir de certains adjectifs introduit la forme gn et non la forme ng. On peut se demander si le ing anglais ne trouverait pas son origine dans certaines formes verbales du français qui auraient été généralisées et inversées.1 Il est possible que l’on ait vu un suffixe dans une telle finale qui en réalité est fonction de la présence d’un n dans l’adjectif, ce qui serait le résultat d’un mauvais découpage morphologique. N’oublions que le français est coutumier des formes voyelles + n , qu’il nasalis, ce qui constitue un système phonologique qui lui est propre, alors que l’anglais refuse pour le ing la diptongue qu’il accepte en revanche dans chance, France, mais pas dans French, du moins en anglais actuel. Idem pour point qui n’est pas prononcé en anglais à la française. Rappelons aussi la finale français en -ion, très fréquente en anglais pour des mots d’origine française (attention, nation, passion etc). C’est dire que les finales en n n’ont rien de bien spécifiquement anglais à l’origine, sans parler de la présence systématique du an pour la formation du participe présent du français.(parlant, devant etc). Or, on l’a vu la forme progressive de l’anglais comporte toujours un in.

   Il existe par ailleurs toute une série de mots anglais d’origine française, adjectifs parfois devenus des noms (servant, lieutenant) se terminant en ant, soit la forme du participe présent : comme dormant, extravagant, pregnant, avec la forme nominale en ancy.

   On voit combien il est difficile de déterminer ce qui est spécifiquement anglais, le ing, contrairement aux apparences, n’est pas une forme particulièrement typique de l’ancien anglais antérieur à la pénétration française.

Jacques Halbronn
Paris, 12 novembre 2003

Note

1 Cf. loin / éloigner / éloigné / éloignement. Retour



 

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