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Sociolinguistique et didactique des langues |
L’intégration culturelle dans un pays donné passe, pour l’étranger, par deux voies exigeantes : l’apprentissage de la langue et l’acquisition d’un certain bagage culturel. Le plus souvent, seule la première voie est empruntée par l’étranger et nous n’y reviendrons pas. Quant à la seconde, elle fait problème et souvent vient contredire le sens de l’investissement linguistique, venant ainsi sensiblement relativiser la portée de l’intégration. Tout se passe, dans beaucoup de cas, comme s’il y avait une sorte de clivage, dans la conscience de l’étranger, qui trouvait à se manifester par un traitement fortement différencié des deux voies susnommées.
Au demeurant, la culture générale n’est-elle pas, peu ou prou, le signifié du signifiant linguistique correspondant, ce à quoi ce dernier renvoie et réfère ? Adopter le signifiant sans se soucier du signifié qui va avec, est-ce bien raisonnable ?
Cette culture générale, comme son nom l’indique, est un ensemble de connaissances, souvent éparses, et qui sont en fait autant de repères permettant de situer les propos tenus par les uns et par les autres. Ces connaissances sont communes à une large portion de la population dite cultivée et ne sont pas réservées à quelques spécialistes, ces derniers, dans leur domaine, développant des savoirs bien plus pointus. Il n’y a certes pas de gloire à avoir de la culture générale mais il y a scandale ou en tout cas signal de non intégration, dans tous les sens du terme, à ne pas en avoir.
Certes, on pourrait soutenir la thèse selon laquelle l’étranger a maintenu la culture générale propre à son pays d’origine, une sorte de culture maternelle qu’il n’aurait pu évacuer ou à laquelle il ne serait pas parvenu à substituer alors qu’il y serait parvenu, à peu près bien, au niveau linguistique. Soulignons le fait qu’il n’y a pas de culture générale universelle, celle-ci dépendant d’un pays donné et de celui là seul, ce qui ne signifie pas que la culture générale ne comporte pas d’éléments étrangers, comme en musique.
L’absence de culture générale est un élément fragilisant dans la mesure où celui qui offre un tel symptôme ne sera pas en mesure d’exercer ce que l’on pourrait appeler un Surmoi culturel ; il risque fort d’être de temps à autre placé en face de ses trous, de ses absences et combien d’énergie passera-t-il à les dissimuler plutôt qu’à les combler ?
Comment expliquer ce qu’il faut bien appeler un manque ? Ce manque est d’autant plus remarquable que l’on vit dans des villes, notamment à Paris, dont les noms de rue, les stations de métro, les hôpitaux, qui les combinent et en dérivent; renvoient à la dite culture générale. Comment vivre ainsi dans la capitale en ignorant tout d’un Richelieu ou d’un Mazarin ? N’est ce pas une façon d’être, de rester étranger à / dans la Cité ?
Que l’on nous comprenne bien : ce qu’on appelle culture générale n’est pas un but en soi : comme on dit, c’est ce qui reste quand on a tout oublié. C’est un peu comme des souvenirs de voyage. Ce qui est important, c’est le voyage mais tout voyage laisse des traces. Il y a des choses que l’on sait quand on a fréquenté certains lieux. Imaginons quelqu’un se déclarant très mélomane et n’ayant jamais entendu parler de la Cinquième Symphonie de Beethoven. Autrement dit, la culture générale n’est que le sommet de l’iceberg mais sans culture générale, y a-t-il présence d’un iceberg ?
On sait à quel point le fait d’apprendre l’anglais n’implique nullement qu’on ait même de très vagues notions de l’Histoire de l’Angleterre ou de celle des Etats Unis. Il y a donc bien des gens qui parlent une langue sans avoir le bagage qui normalement va avec. Et nous y voyons là une expression emblématique de la démarche mimétique, en son caractère superficiel. Est-ce mauvaise volonté, indifférence ou impuissance que cette incapacité à partager des connaissances même éparses - des souvenirs - avec une certaine population que l’on est supposé fréquenter et y a-t-il intégration quand la culture générale propre à la dite population nous fait défaut ? Est-ce que les tests de culture générale ne permettent pas de mesurer, en quelque sorte, le degré d’intégration des personnes au sein d’une société donnée ?
La culture générale est un tout. Il ne suffit pas de savoir quelque chose sur un segment étroit mais d’avoir une appréhension globale. Le manque de culture générale fait que l’on vit, que l’on se complaît, dans un certain flou artistique, que souvent l’on fait semblant de savoir. Est-ce qu’une telle lacune est ressentie comme telle ou s’imagine-t-on que tout le monde est logé à la même enseigne ? Nous pensons que l’on pourrait parler d’un certain renoncement à comprendre face à l’énormité de la tâche. On bascule du tout au rien ou au presque rien.
Culture générale faite de noms propres alors que la connaissance de la langue est constituée de noms communs. Cette culture occupe le second volet du Dictionnaire Larousse et certains ne le fréquentent guère, se contentant de pratiquer le premier, proprement linguistique. Il y a là comme une césure radicale dont on peut se demander, en passant, si elle ne correspondrait pas, peu ou prou, à celle des deux hémisphères cérébraux.
Ces noms propres qui donc n’évoquent pas grand chose pour celui qui est fâché avec la culture générale, et qui en plus, par eux-mêmes, souvent ne signifient rien, ne relevant qu’accessoirement du système lexical stricto sensu. Car là est toute la question: on devine le sens d’un mot commun, d’après le contexte, d’après d’autres mots qui lui ressemblent et qui renseignent quelque peu sur sa signification probable tandis que c’est une toute autre affaire avec les noms propres dont le réseau est en quelque sorte enfoui dans la mémoire collective. Autrement dit, face à un élément de culture générale, on n’a d’autre recours que d’aller se renseigner dans les livres ; on ne peut se contenter de les retourner dans tous les sens, ils ne se suffisent pas à eux-mêmes. D’où un fossé qui ne cessera de se creuser entre la maîtrise des noms communs et celle, extrêmement médiocre et peu fiable des noms propres que l’on pourrait quasiment appeler noms muets, puisqu’ils ne parlent pas, n’évoquent rien qui puisse aider à les cerner un tant soit peu, notamment sur le plan chronologique. On dira d’ailleurs que les noms communs s’inscrivent dans la synchronie et les noms propres dans la diachronie. Et le déficit diachronique nous semble bien caractéristique du manque de culture générale, à savoir la difficulté de certains à pouvoir classer chronologiquement une série de noms propres, ce qui est un élément qui nous semble manquer dans les tests de Quotient Intellectuel (QI). C’est que la culture générale est tout de même le signe d’une certaine intelligence, dans tous les sens du terme.
On aurait donc d’un côté un univers rassurant et familier de mots qui se laissent, à force, assez facilement deviner les uns par rapport aux autres et de l’autre des mots que l’on ressent comme isolés, idiosyncratiques, les noms propres, et qui apparaissent comme autant d’énigmes que l’on a vite fait de cataloguer comme ne méritant pas la peine de s’y attarder ce qui montre bien comment le locuteur circule dans une langue et ce qui fait qu’une langue, comme l’anglais, qui comporte trop de mots orphelins, c’est-à-dire seuls de leur espèce, fait problème.1 L’anglais est une langue encyclopédique qui, en dépit de sa facilité de maniement, sur le plan strictement grammatical, est très élitique voire hermétique sur le plan lexical. Le mot étranger a d’ailleurs un statut intermédiaire entre le nom commun et le nom propre. Il renvoie à une autre langue que celle du locuteur comme le nom propre renvoie à un autre corpus que l’on n’a pas nécessairement envie ou le temps d’aller consulter. Les personnes ayant du mal avec les mots étrangers - mais aussi, dans une moindre mesure, avec les termes techniques - et avec les noms propres nous semblent donc présenter certains symptômes de l’autisme.
On nous fera peut-être remarquer que certains pans du savoir sont faiblement associés avec ce qu’on appelle culture générale. On pardonne plus facilement une lacune en science qu’en littérature, en géographie, en art ou en Histoire. La culture dite scientifique ne tient pas vraiment le haut du pavé en matière de culture générale, peut être en raison de son caractère universel. En effet, on ne saurait trop insister sur le caractère local de la culture générale, ce qui montre bien son caractère de marqueur d’intégration à un milieu donné. La culture générale n’est pas passe-partout comme la culture scientifique et donc ne fait pas signe de la même façon. Il y a du particulier dans la dite culture générale si bien que celui qui en sait trop sur un sujet et pas assez sur un autre trahit son appartenance à un autre groupe que le groupe de référence. C’est dire que le balisage de la culture générale de quelqu’un est des plus révélateurs de ses origines. D’ailleurs, au sein d’un ensemble culturel donné, un juif français risque fort d’avoir, par rapport à ses concitoyens chrétiens, quelque lacune en matière d’Histoire Sainte Chrétienne et quant à sa connaissance des Evangiles. Ce que l’on sait nous trahit tout autant que ce que nous savons et d’ailleurs une force peut faire pendant à une faiblesse et vice versa.
Ce qui nous semble assez caractéristique est le fait que les lacunes en matière de culture générale soient amenées à persister indéfiniment, quelle que soit la durée du séjour dans lequel la personne étudiée évolue. Au bout de 20 ans de séjour en France, telle personne d’origine iranienne, en est toujours à croire que Mazarin est une femme à cause du prénom de la fille de Mitterrand, Mazarine ! Tel ressortissant du Cameroun, vivant depuis fort longtemps en France, nous décrit le 14 Juillet comme la Fête de l’Indépendance ! Il semble qu’alors le langage des noms communs est voué à se corriger; interactivement et mimétiquement, à l’usage, celui des noms propres échappe à un tel processus d’amendement probablement parce que le contrôle social s’effectue prioritairement au niveau des signifiants et non à celui des signifiés, lequel relève davantage du non-dit.
Ces réflexions visent à souligner le distinguo à effectuer entre intégration linguistique et intégration culturelle. Etre francophone n’implique nullement l’acquisition d’une même culture générale et encore moins être anglophone, d’ailleurs. Le terme de culture générale est à entendre comme culture commune, partagée par une certaine population. Au fond, un tel bagage serait le gage d’une appartenance culturelle, pour employer autrement le terme culture. Il est vrai que ce terme revêt plusieurs sens : un homme cultivé est quelqu’un qui a une certaine culture mais c’est aussi quelqu’un qui est marqué par une culture donnée, les deux significations sont en fait indissociables. La notion de culture générale est parfaitement relative, et donc révélatrice. Souhaitons que ces réflexions contribuent à mieux cerner l’idée quelque peu galvaudée d’intégration et à dissocier langue et culture, langue et appartenance.
Il y a bien là une société à deux vitesses, celle des marginaux, des profanes, qui ne connaissent les choses que de loin et celle des initiés qui sont capables de mettre un nom propre sur une activité, par delà les généralités.2 Il est vrai qu’il est des sociétés où la quantité de noms propres caractérisant le consensus culturel est très faible et d’autres où elle est considérable. La culture française est riche en personnalités de premier plan, connus du plus grand nombre, disons d’une certaine classe moyenne, d’autres cultures - on songe aux pays de l’Islam - le sont moins et s’imaginent qu’il en est ainsi ailleurs, que la culture est le privilège de quelques savants, de spécialistes. Cette culture des noms propres est celle qui permet de mettre un nom sur un visage, sur une peinture, sur une musique, c’est elle qui personnalise alors que les noms communs caractérisent un monde dépersonnalisé, envahi par la grisaille. Les noms propres font partie intégrante d’une langue, ils sont d’ailleurs souvent accommodés à cette langue, parfois au prix de déformations, comme ce fut longtemps le cas pour la géographie (Roma devenant Rome, par exemple). Ces noms propres ce sont aussi des noms de lieux, de rues qui nous permettent de nous orienter, de communiquer et ce sont autant de sonorités qui viennent enrichir la langue. Si les noms communs ont des équivalents d’un pays à l’autre, il n’en est en revanche pas de même pour les noms propres lesquels s’enracinent dans une Histoire, dans une société. Napoléon est Napoléon, il n’a pas d’équivalent ailleurs, ce n’est pas traduisible. D’ailleurs, il arrive que la toponymie soit porteuse des traces les plus anciennes, témoignant d’une langue à peu près disparue. Par delà donc le niveau grammatical, qui permet de parler sommairement dans une langue, il nous faut considérer celui du lexique, parfois immense, des noms communs mais aussi celui souvent très copieux des noms propres. C’est ainsi que certaines villes ont de nombreux monuments célèbres et d’autres beaucoup moins. D’ailleurs, on repère assez vite celui qui est étranger à une ville moyenne, à sa petite histoire que tous les habitants connaissent plus ou moins mais dont le nouveau-venu n’a pas la moindre idée. Comment suivrait-il les conversations, les conciliabules, si tel ou tel nom propre ne lui disait rien ?
Vouloir réduire une langue à ses noms communs - communs aux autres langues le plus souvent - n’est certainement pas lui faire justice. Il serait bon que dans les dictionnaires, selon une approche sociolinguistique, l’on fît une place non négligeable aux noms propres, par exemple dans un ouvrage visant à familiariser des étrangers avec la langue et la culture française. On y ajouterait un bon millier de noms propres particulièrement usités et qu’il faudrait traduire, illustrer, photos à l’appui. Il en est de même pour les titres d’ouvrages, comme A la recherche du temps perdu, qui ne saurait se réduire aux noms communs qui le constitue mais deviennent des noms propres ou un hymne comme La Marseillaise. Inversement, il est des noms propres qui finissent par devenir des noms communs, comme le gaullisme; le lait pasteurisé, la poubelle etc. D’ailleurs, ces noms propres sont susceptibles de favoriser l’importation de termes étrangers ayant une sonorité proche de celle à laquelle on a fini par se familiariser, comme les chanteurs de jazz américains. Le nom propre peut donc apparaître comme le prémisse d’une évolution du lexique des noms communs, dans la mesure où nombre de noms propres sont aussi des noms communs comme dans le cas de Jimmy Carter (du français charretier), ce qui favorisera l’usage de mots anglais se terminant en -er. Il faudrait aussi éviter de prendre un nom propre pour un nom commun comme quand je dis : j’ai rencontré Dupont, ce que l’étranger encore hésitant dans la langue française peut comprendre comme le fait d’être allé sur un pont. Les noms propres nous parlent de l’excellence, de la rareté, de la spécificité des êtres et des lieux, notamment, tandis que les noms communs, comme leur nom l’indique, vise avant tout le vulgum pecus. Celui qui veut être parmi les meilleurs doit connaître les noms de famille des membres vifs ou morts les plus célèbres de la culture, de la profession, dans laquelle il ambitionne de pénétrer. Ces noms propres sont la mémoire d’un pays. En fait, ce que l’on appelle les noms communs, ce sont ceux qui sont traduisibles d’une langue dans une autre tandis que les noms propres sont précisément, eux, intraduisibles ou plus exactement n’ont pas d’équivalent, parce que liés à des contextes socio-historiques difficilement comparables. Le terme même de nom commun signifierait en fait ce qui est commun aux diverses langues tandis que celui de nom propre concernerait ce qui est propre à chacune d’entre elles. Si le nom commun relève d’une logique du collectif et du général, le nom propre rend compte de dimensions plus spécifiques, plus singulières et de fait plus individuelles. Le nom commun est porteur de cette illusion d’un passage aisé d’une culture à l’autre, le nom propre introduit un sérieux bémol. C’est dire que l’étranger a du pain sur la planche pour parvenir au niveau des membres du village auquel il ambitionne d’appartenir et il convenait de le (lui) rappeler en montrant ce qu’avait de démagogique et d’idéologique l’enseignement ordinaire des langues.
Jacques Halbronn
Paris, 11 décembre 2003
Notes
1 Cf. nos travaux sur Enyclopaedia Hermetica, rubrique Gallica et sur le Site Hommes & Faits. Retour
2 Cf. notre Guide astrologique, Paris, O. Laurens, 1997. Retour
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