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Cloisonnement & décloisonnement des langues

par Jacques Halbronn

    Notre propos est de mettre en évidence l’obstacle épistémologique constitué par des définitions trop rigides des catégories linguistiques en en abordant les aspects sociologiques et cognitifs.

Sommaire :

1 - Tropismes de cloisonnement
2 - Relativité des limites linguistiques


1

Tropismes de cloisonnement

    Le comportement mimétique consiste à se reconnaître en l’autre. Ce que dit et fait l’autre est approprié dans le cadre d’un processus d’identification. Comment convient-il donc de gérer les relations que nous entretenons avec des personnes en phase mimétique ? Comment repérer les dits comportements mimétiques, c’est-à-dire qui visent à nous mimer, le mime étant celui qui imite ? On pourrait parler d’un mimant pour désigner celui qui pratique un tel exercice d’imitation. Une chose est d’ailleurs de réciter sa leçon dans un registre très étroit qui fera illusion et une autre d’être pleinement en phase avec ce qui se passe autour de soi et de pouvoir gérer de nouveaux questionnements. Celui qui a bien appris sa partition va tôt ou tard se trouver débordé par des éléments qui lui échappent, qui ne sont pas dans son “texte”, il sera au bout de son rouleau. Prenons le cas d’un chercheur qui ne saurait que ce qu’il publie et qui n’est jamais que la partie immergée de l’iceberg de toutes les investigations qu’il a du mener pour parvenir à tel ou tel résultat et dont on s’apercevrait qu’il n’y a pas d’iceberg, on pourrait se demander comment il est parvenu aux connaissances qu’il exhibe et prétend s’approprier. Ce qui est dit est nécessairement plus limité que ce qui est compris, que le champ que nous devons couvrir, balayer, pour construire un discours spécifique. Le background comme le back office sont la partie cachée d’une activité et si cette partie n’existe pas, c’est qu’il y a quelque part escroquerie et que le produit fini offert vient d’ailleurs, a été importé, emprunté, plagié, copié, bref imité.

   Le mimant est déterminé à nier ou du moins à minimiser ce qui le distingue de son modèle, c’est-à-dire de celui avec lequel il communique dans un but d’intégration. Le mimant a du mal à avouer qu’il ne comprend pas, car ce faisant il aurait le sentiment de s’exclure. Il fait volontiers mine de comprendre, d’avoir compris et d’ailleurs en disant qu’il a compris, il met fin aux tentatives de la part de l’autre à se faire comprendre. Je vous ai compris signifie souvent : j’en ai assez de vos explications, passons à autre chose. Il est si facile de faire semblant de comprendre ou d’être d’accord. Le mimant appréciera donc l’obscurité, la nuit quand tous les chats sont gris, où les détails s’estompent, les formes se confondent et où l’écart entre les uns et les autres diminue : la nuit, celui qui a une mauvaise vue se fait moins remarquer puisque même ceux qui ont une bonne vue voient leurs facultés fléchir. Le mimant dépense beaucoup d’énergie à ne pas se faire remarquer et à passer pour ce qu’il n’est pas vraiment; il prendra plaisir, jubilera du fait de certains quiproquos qui laisseront de marbre ceux qui ne sont pas concernés par de tels enjeux.1

   Dans nos entretiens avec des mimants - notamment des maghrébins, juifs ou musulmans, hommes ou femmes - nous avons pris conscience de la nécessité de précision que ce type de relation impliquait. Cela peut sembler paradoxal mais il faut être plus précis quand on s’adresse à des étrangers - c’est-à-dire précisément à des personnes qui à la fois se perçoivent comme telles et se nient comme telles - que lorsque l’on a affaire à des personnes qui sont familières avec le contexte et ne prennent pas des vessies pour des lanternes et qui surtout ne cherchent pas à tout prix à nier les différences entre les uns et les autres.

   Tout déficit de précision se paie quand on a rapport à des mimants. Si on ne précise pas chaque chose, l’on s’expose à des surprises et à des malentendus plus ou moins délibérés. C’est ainsi que la fréquentation de mimants entraîne à un surcroît de précision et c’est ce qui fait son intérêt et son caractère formateur, cela implique une certaine discipline à moins, évidemment, que l’on se complaise dans les faux semblants. Autrement dit, notre intellect va générer des anticorps pour se protéger contre un certain type d’intrusion.

   Par définition, avec le mimant, rien ne va de soi : l’autre ne cherche pas à se différencier et à rester à sa place mais au contraire à considérer que vous ou lui c’est pareil, cela revient au même. Il faut donc apprendre à ne pas tomber dans certains pièges qui nous sont tendus par une certaine population, et ce dans l’intérêt de tout le monde.

   Le mimant a des arrière-pensées, fait des restrictions mentales qui hypothèquent la communication. Tout ce qui restera dans l’ombre sera sujet à une certaine forme d’esquive, de dissimulation. En ce sens, on peut parler de malhonnêteté intellectuelle. Pour simuler et pour ressembler voire pour s’assimiler, il faut dissimuler.

   Communiquer avec un mimant est une excellente façon de prendre conscience des limites du langage. On peut d’ailleurs penser que les langues se sont complexifié au contact de l’étranger. En effet, celui qui vit avec nous, partage notre vie, sait de quoi nous parlons, complète aisément nos allusions ou nos signes tandis que celui qui “débarque” n’en est pas vraiment capable, il faut donc à son intention forger une langue plus explicite et qui n’aurait pas eu de raison d’être en l’absence de l’étranger, tout comme d’ailleurs les grammaires et les dictionnaires sont rédigés d’abord à son intention, à celle de celui qui veut s’initier. Plus un peuple est confronté avec des éléments étrangers et plus il est conduit à enrichir son lexique, de façon à éviter au maximum les ambiguïtés. En revanche, un peuple replié sur lui-même, peu exposé à des intrusions, pourra se contenter d’un lexique plus étroit. Il en est de même au niveau individuel : le recours à un lexique sophistiqué s’impose à celui qui fréquente des étrangers. Il y a là au demeurant quelque paradoxe dans la mesure même où l’étranger est supposé disposer d’un vocabulaire limité. Mais confronté à des mots qu’il ne connaît pas, l’étranger est ainsi incité à ne pas exagérer son niveau d’assimilation qu’il a pu atteindre.

   Si l’on compare le français et l’anglais, on remarquera que l’anglais a un lexique plus étendu que celui du français, ce qui convient mieux à la gestion des éléments étrangers, en leur évitant un accès trop rapide. Contrairement à la représentation de l’anglais comme étant une langue facile, nous pensons que s’il est aisé de s’y faire comprendre en tant qu’étranger, c’est une autre affaire que de comprendre ce qui se dit dans cette langue chez ceux qui en ont une parfaite connaissance. Nous dirons que les étrangers s'intègrent plus facilement par le truchement de l’anglais mais ils s'intègrent, si l’on peut dire, en conservant le statut d’étranger. Le mot intégration est un de ceux que chacun comprend à sa guise.

   L’anglais est une langue qui cultive une certaine univocité des mots, chaque mot devant être appris comme une sorte d’idéogramme alors que le français2 est une langue plus fluide, où les champs sémantiques autour d’un même radical sont plus vastes.

   L’étranger se reconnaît en pays anglophone par sa méconnaissance du lexique, de la forme exacte à employer tandis qu’en pays francophone, il est repéré par les contresens qu’il commet, par le fait qu’il comprend mal ce qu’on lui dit ou se fait mal comprendre, du fait qu’il ne recourt pas et ne perçoit pas certaines nuances dues moins au choix des mots qu’à leur combinatoire et à leur agencement.

   Le langage, face à une présence étrangère, et dans un souci de défense, tendra donc à devenir plus alambiqué ou à se faire plus abstrait, de façon à prévenir tout sentiment prématuré de compréhension, en fait pour garder les distances.

   Certes, il existe des méthodes pour apprendre des langues étrangères mais celles-ci sont souvent démagogiques en ce qu’elles présentent les choses de façon simplifiée, encourageant l’approche mimétique, en faisant commerce. Rappelons que la langue est au delà de la description qui en est donnée : la carte n’est pas le territoire ! Il faudrait éviter de réduire une langue à certaines descriptions qui en sont faites: toute langue est susceptible d’être reformulée selon de nouveaux modèles et ce n’est pas à l’étranger, tout frais émoulu, à peine sorti de son catéchisme, de nous apprendre comment parler notre langue. Nous avons signalé ailleurs à quel point les étrangers maîtrisaient mal la catégorie des noms propres, lesquels ne sont pas considérés généralement comme faisant partie du bagage nécessaire. Ce faisant, ils ne peuvent qu’être des citoyens de seconde zone.

   Parler avec un étranger est assez angoissant car on se demande s’il a bien compris ce qu’on lui a dit, s’il n’a pas compris de travers, du fait d’un certain manque de ce que l’on pourrait appeler le bon sens ou plutôt le sens commun (en anglais common sense).

   Précisons que nous prenons le terme étranger au sens large, c’est-à-dire que nous incluons sous ce vocable des personnes fortement marquées par l’immigration, quand bien même celle-ci aurait eu lieu au niveau des parents voire des grands parents - c’est tout le problème du modèle parental, de la culture familiale souvent schizoïdique - et quand bien même ces personnes seraient de nationalité française, pour quelque raison que cela soit, notamment du fait du mariage, en application du code de la nationalité. Et bien entendu cela vaut pour les étrangers en tout pays.

   Il y a une culture de l’étranger, du mimant, c’est-à-dire de l’étranger ne s’assumant pas comme tel et voulant entrer dans une société qui n’est pas la sienne, notre propos ne visant évidemment pas l’étranger qui reste chez lui ou qui passe en touriste en en assumant le statut et l’image.

   Cette culture mimante vise à relativiser les frontières, les clivages, à gommer ou à ne pas voir ce qui sépare, à éluder les obstacles, en pratiquant un certain culte des apparences. Nous pourrions citer de nombreux cas de personnes mimantes qui, à la façon des enfants, jouent à faire comme des adultes et se complaisent dans des simulacres dérisoires : pseudo-savants, pseudo-éditeurs, pseudo-directeurs de ceci ou de cela, sans qu’il y ait un véritable répondant, amateur de filières parallèles, notamment dans le secteur associatif. En fréquentant ces mimants, on risque fort de s’orienter sur une voie de garage, et de ne pas être véritablement en prise avec une véritable dynamique sociale, aboutissant en réalité à une situation marginale, décalée. Car le mimant, ne l’oublions pas, est foncièrement un marginal, quand bien même donnerait-il peu ou prou le change, donnant des gages d’intégration, ce qui est au demeurant son obsession.

   La création de rites / rituels et autres pratiques ésotériques vise probablement à réagir contre de telles attitudes mimétisantes. On pourrait se demander ainsi si la complexité des préceptes judaïques ne tiendrait pas à une réaction face à des tentatives de pénétration au sein de l’ensemble juif3 face à des processus d’intégration mal venus. Selon notre modèle, en effet, toute complexification socioculturelle serait fonction d’une volonté de se protéger face à une population envahissante désireuse de se mêler au monde juif, en raison d’une certaine fascination dont on ne précisera pas ici les raisons.

   Cette complexité entraîne bien évidemment des erreurs d’interprétation de la part des non membres. Ils se forgent souvent une fausse idée du fonctionnement de la langue qu’ils souhaitent appréhender.4 Et les décalages ne sont pas tant dus à une projection du système qui leur est familier et auquel ils resteraient fidèles qu’à une mauvaise analyse de la situation qui se présente à eux. De nombreuses différences entre le français et l’anglais sont fonction d’une erreur de décryptage du système du français. Par exemple l’adjectif anglais difficult est dérivé du français difficulté tout comme la plupart des verbes anglais se terminant en “ate” le sont des mots français se terminant en “ation”. On ne peut pas parler ici d’une volonté d’innover ou d’angliciser l’emprunt français mais avant tout d’un certain échec cognitif.

   En bref, l’on peut percevoir des comportements de défense face aux pratiques d’ingérence ou d’intrusion. On rappellera ainsi la présence de populations dans des régions montagneuses pour se protéger des invasions, notamment venant de la mer. Ces villages perchés en hauteur - on pense notamment à la Méditerranée - symbolisent assez bien, croyons-nous notre propos, du fait d’un accès rendu ainsi difficile, tortueux, et somme toute décourageant.

   La tendance à l’hermétisme socioculturel serait ainsi à un refus des processus mimétisants. Une société qui ne serait pas menacée ne développerait pas de tels mécanismes et maintiendrait des modes organisationnels très simples. Cette complexité n’est donc pas une nécessité en soi de la part de la société concernée mais une réaction face à un péril et il convient de faire la part de ce paramètre, d’un point de vue anthropologique. Quelque part, l’ennemi occasionnel constitue moins un danger que le mimant, aux intentions “amicales”, en ce qu’il ne cherche pas à s’intégrer, à se confondre et ce faisant ne risque pas de générer de la confusion au niveau de la lisibilité sociale. La complexification serait ainsi fonction d’une volonté d’éloigner ceux qui voudraient se joindre ou du moins de contrôler leur présence. On citera le cas du thème astral, en astrologie, dont le caractère foisonnant et alambiqué - grille tout autant que grillage - serait, selon nous, due à la volonté de souscrire à l’ exacerbation de l’individu face à une société perçue comme envahissante voire inquisitrice et cela quitte à se saborder plus ou moins sciemment. A l’inverse, l’aptitude à simplifier démontrerait l’ouverture à l’autre sans crainte de le voir s’incruster en s’appropriant les apparences de l’appartenance. Dans un monde comme le nôtre, aujourd’hui, où nous sommes constamment harcelés par la présence de l’autre, du fait des brassages, comment parvenir à une telle sérénité sinon en s’appuyant sur des comportements hérités d’un autre âge, échappant ainsi aux affres et aux stigmates de la modernité ?

   On sait à quel point ce sont nos réactions qui sont souvent pires que le mal. Nous toussons pour nous débarrasser de quelque chose, pour mettre fin à une gène, nous nous grattons pour mettre fin à une sensation externe pénible et c’est ainsi que nous développons des fortifications, des citadelles qui viennent alourdir un mode de fonctionnement social qui pourrait s’en passer. D’ailleurs, il arrive que le danger passé ou le rempart jugé dérisoire on supprime, comme à Paris, les “fortifs”. Le problème résiderait donc dans le maintien de systèmes de défense ne correspondant plus à la réalité telle qu’elle se présente désormais. D’où les débats qui ont traversé l’Histoire, notamment religieuse - on pense en particulier à la Réforme ou à des modes de laïcité / laïcisation - sur le caractère caduc de certaines traditions. Mais inversement, il est des sociétés qui sont mal équipées pour se protéger contre certaines menaces. Il semble qu’il y ait là la marque d’une cyclicité, d’une alternance d’ouverture et de fermeture.5

Jacques Halbronn
Paris, 26 décembre 2003

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2

Relativité des limites linguistiques

    Il convient de dénoncer ceux qui présentent les langues comme des ensemble cloisonnés alors qu’elles partagent tant entre elles. Il est étonnant qu’en ce début de XXIe siècle, on en soit encore à des représentations aussi naïves. Certes, en apparence, chaque langue peut-elle apparaître comme un monde clos dans lequel on ne peut pénétrer que progressivement. Mais est-ce que, cependant, la langue ne serait pas l’aspect le plus accessible entre différentes cultures, tant la langue est dépositaire d’un extraordinaire brassage à l’oeuvre au cours des siècles ? S’il importe de reconnaître sur certains plans l’irréductibilité de certaines entités6, en revanche, la langue constitue par excellence un vecteur de communication. Et cette volonté de complexifier l’accès aux langues nous semble, avant tout, un réflexe défensif ou corporatiste. Tout bien réfléchi, dès lors que l’on dispose, comme entre le français et l’anglais, d’un considérable lexique commun, il suffit de ce que nous appellerons des icônes d’encadrement pour comprendre le sens d’un discours : ces icônes sont des marqueurs et nous en énumérons trois principaux, articulés sous forme de dialectiques : passé & futur, moi & l’autre, positif & négatif et qui relèvent en réalité d’un métalangage. En tant qu’historien des textes, nous savons à quel point un texte peut-être retourné, réassigné, recyclé de façon très économique. Est-ce que si je dis “il pleut ce soir” et “il ne pleut pas ce soir”, j’ai affaire à deux textes différents ? Pour notre part, nous pensons qu’il s’agit d’un seul et même texte et le reste n’est plus qu’affaire d’aménagement.7 De la même façon qu’un homme habillé comme ceci ou comme cela reste le même homme.

   La méthode iconique nous semble être porteuse d’une certaine valeur heuristique : encore faut-il distinguer, pensons-nous, le mode oral et le mode écrit. Il est fâcheux d’essayer d’ajuster ces deux modes de façon rigide. Il convient donc de repenser le mode écrit de façon à ce que le lecteur qui ne souhaite pas ou ne peut pas accéder à la langue au niveau oral puisse le faire au niveau écrit. On sait à quel point Internet a revalorisé, depuis deux décennies, l’écrit par rapport à l’oral.

   On pourrait ainsi préserver la richesse de la langue au niveau oral et simplifier sa formulation au niveau écrit un peu comme on le fait avec les chiffres qui s’écrivent dans un très grand nombre de langues de la même façon (y compris en hébreu moderne, par exemple) et quel que soit l’alphabet utilisé par ailleurs, et que chacun prononce dans la langue considérée. Il y a cent façons de prononcer les chiffres 2004.

   Prenons le cas du français : on pourrait convenir que si l’on écrit : “manger, première personne du singulier au futur”, il faille lire je mangerai mais on n’a pas à écrire, pour autant en toutes lettres “je mangerai”. Il suffirait d’écrire le verbe à l’infinitif ou à la première personne du singulier, par exemple, puis d’y adjoindre certains icônes selon un standard international indiquant la première personne du singulier et le futur et ainsi de suite. On s’apercevrait alors que la différence entre le français et l’anglais au niveau écrit est très faible, puisqu’elle réside dans le mode orale et dans la restitution des icônes. Un même texte écrit pourrait ainsi être lu successivement en français et en anglais. Cette présentation contribuerait bel et bien à relativiser les clivages entre les langues en en délimitant plus précisément et plus topiquement les spécificités, au point d’ailleurs de contester dans nombre de cas qu’il s’agisse de plusieurs langues, seul le mode oral introduisant des particularismes marqués.

   Il s’agirait en fait d’un découplage de l’oral et de l’écrit en phase avec l’évolution technologique actuel laquelle développe, de plus en plus sur le même appareil, écrit et oral, tout en préservant la spécificité de chaque mode. Une chose est d’envoyer un message (SMS), une autre de le laisser sur une boîte vocale. Ces deux processus ne sont pas redondants et d’ailleurs, il est désormais proposé de nombreux icônes pour les messages, plus universellement compréhensibles que les messages verbaux.

   Par ailleurs, notre travail sur Nostradamus8 est révélateur du caractère très relatif de la matière textuelle. Au sein du corpus nostradamique, nombre de quatrains comportent des variantes selon les éditions sans que l’on puisse affirmer pour autant qu’il ne s’agit pas à la base du même texte. A la limite, même les additions, les permutations de mots au sein d’un verset, et les interpolations voire les suppressions ne changent pas cet état de choses. La question de l’auteur ou des auteurs apparaît au demeurant comme une question assez secondaire. Bien entendu, il convient également de prendre en compte les sources, les emprunts, ce qui peut rattacher un texte donné, du moins en partie, à un ensemble encore plus vaste, il faut donc faire la part des intersections entre plusieurs champs.

   Dire : “il fait beau” ou “il ne fait pas beau” ou “il fera beau”, ou “elle est belle”, est fondamentalement le même texte si l’on fait la part des modulations iconiques qui viennent se greffer sur le terme “beau”. Au niveau écrit, il suffit d’indiquer “beau” et de l’accompagner des icônes appropriés. Dès lors, une fois l’acquisition universelle des icônes effectuée, le seul problème n’est plus que strictement lexical - est-ce que oui ou non je comprends le mot “beau” ? On pourrait inverser l’analyse, en disant que “beau” est une variable à entrer dans un ensemble iconique bien délimité et réduit à quelques formes.

   On nous objectera probablement que nous privons ainsi le mode oral de son support écrit mais précisément telle n’est pas la véritable vocation de l’écrit de jouer un tel rôle. L’écrit, certes, doit permettre le passage à l’oral mais il ne s’agit pas non plus d’en rester à une conception phonétique primaire, qui contribue à compartimenter de façon aberrante, le champ interlinguistique. Reconnaissons que notre projet tend à bouleverser le rapport écrit / oral et donc certaines habitudes mais certaines langues fonctionnent déjà ainsi ou du moins en partie comme le chinois et l’on pourrait trouver en fait dans la plupart des langues des éléments de la méthode ainsi esquissée. Que l’on songe aux abréviations utilisées à l’écrit et qui ne doivent pas à l’oral être rendues de la sorte. Le français d’ailleurs écrivait autrefois Henri II pour qu’on lise Henri Second, et le fait que l’on dise désormais Henri “Deux” est une aberration qui caractérise un déclin de la conscience des locuteurs francophones quant à la fonctionnalité de l’écrit.

   Il y a actuellement, dans la plupart des langues européennes un certain dysfonctionnement de la dialectique oral / écrit. Si l’on admet que l’écrit est un stade peu ou prou métalinguistique par rapport à l’oral, force est de constater que son usage principal, à l’heure actuelle, se réduit à une sorte d’enregistrement de l’oral, comme un magnétophone avant la lettre. Avec le développement d’autres modes de reproduction de la parole, il nous apparaît nécessaire de repenser et de recadrer la fonction de l’écrit pour en faire une radioscopie de la langue orale, c’est-à-dire une représentation structurée, balisée, synthétique, intelligente, et somme toute scientifique de l’oralité. Cela implique une déphonétisation de l’écrit au profit des techniques modernes d’enregistrement.

   La langue ainsi écrite sera d’un accès bien plus aisé du moins pour des locuteurs de langues proches, notamment entre francophones et anglophones, mais également au sein des ensembles slaves, germaniques ou latins, entre autres. Ces locuteurs ne pourront pas pour autant “parler” la langue mais ils la comprendront et entre deux locuteurs ayant des pratiques langagières différentes, la communication écrite en sera sensiblement facilitée. Par ailleurs, on sait pertinemment que la langue maternelle s’acquiert oralement avant tout accès à l’écrit, lequel n’apparaît que dans un deuxième temps. Il est possible qu’il faille recourir, dans certains cas, en parallèle avec l’écrit à des transcriptions phonétiques. On aurait alors trois modes : l’oral, l’écrit iconique et l’écrit phonétique, comme c’est déjà le cas notamment lorsque l’on a affaire à des alphabets différents ou / et ne comportant pas de voyelles comme pour les langues sémitiques.

   Il nous semble essentiel que le français adopte un tel système tripartite pour maintenir sa place dans le monde voire pour l’étendre, en facilitant son accès à partir d’autres langues ou du moins considérées autres, à tort ou à raison. L’usage d’un tel système rapprocherait sensiblement le français et l’anglais et on ne reprocherait plus, dès lors, au français sa difficulté du moins en terme de compréhension du texte écrit iconique, lequel est porteur en soi d’un métalangage explicite au lieu que celui-ci soit enfoui dans la langue. On voit l’apport qui peut être celui d’une représentation moins figée des langues et du renoncement à poser des barrières entre langues ou entre textes au prix d’une extrême segmentarisation du champ linguistique. Les formules comme “je parle telle langue” sont des pièges : en fait, il faut préciser son niveau d’accès à une langue: parlé, écrit, actif, passif etc. On encourager ainsi la communication entre locuteurs se situant respectivement dans de pratiques langagières différentes, et ce notamment sur le mode de l’écrit iconique (E. I.) qui devrait se révéler comme une solution d’avenir notamment au niveau du Web.

   A partir d’un bagage lexical commun - les milliers de mots partagés par l’anglais et le français par exemple - mais pouvant être rendu, restitué avec des modulations différentes et d’un corpus iconique que chacun prononcera à sa façon mais qui ne s’en présentera pas moins sous une seule et même forme, unique, nous aboutissons à une convergence très forte au niveau de l’écrit, donc à un décloisonnement, à un processus centripète tandis que l’oral correspondrait à un processus centrifuge, donc à une forme de compartimentage, d’entropie. L’effort intellectuel accru pour aborder l’écrit iconique ne pourra au demeurant qu’être formateur et tonifiant; notre pratique de l’hébreu nous incite en effet à penser que le déchiffrement du français écrit, par comparaison, ne constitue guère un exercice fortifiant pour les facultés cognitives des locuteurs et nous proposons de ne conserver la pratique écrite traditionnelle du français en tant qu’écriture phonétique, interface entre le niveau oral et l’écriture iconique. Nous pensons ainsi pouvoir parvenir à une écriture iconique commune au français et à l’anglais, avec des rendus phonétiques distincts à partir d’une base écrite identique. L’iconisation des différences linguistiques débouche inévitablement sur un rapprochement entre les langues en évacuant ou en relativisant les éléments de différenciation, en les reportant au seul niveau oral. Il importe que l’idée selon laquelle à partir d’un même écrit puissent dériver une grande variété de modulations fasse son chemin, celles-ci apparaissant en quelque sorte comme des dialectes, un peu comme dans le champ de la langue arabe. Révolution copernicienne que pourrait constituer une linguistique iconologique laquelle considère ce qui fait la spécificité des langues - du moins lorsqu’elles offrent un dénominateur commun lexical important - comme un épiphénomène et ce qui les rapproche comme la référence. La pensée linguistique, tout en classant les langues par familles - avec d’ailleurs les implications que l’on sait à propos des langues sémitiques, conduisant à l’expression d’antisémitisme - ne semble pas en effet jusqu’à présent être parvenue à déboucher sur une praxis satisfaisante dans la gestion des dites langues, et ce du fait de l’oralisation de l’écrit, empêchant celui-ci de jouer son véritable rôle métalinguistique, à savoir le fait de mettre l’accent sur les marqueurs et sur les structures du discours, au moyen d’une signalisation pertinente, facilitée par la banalisation du recours à l’informatique, autorisant notamment un recours aisé aux icônes de type “&” que chacun prononce à sa convenance, l’écrit pouvant ainsi renvoyé à une pluriprononciation / restitution. En réalité, ce n’est pas en accédant au seul texte écrit que l’on peut savoir comment rendre oralement un texte et ce d’autant qu’un même texte peut être appréhendé de diverses manières. Si l’on prend, par exemple, le cas des liaisons, en français, cette règle ne s’impose pas au locuteur anglophone confronté au même texte que le locuteur francophone. Le fait que l’écrit français ne soit pas en soi porteur de liaisons tout comme il n’indique pas davantage les consonnes qui ne sont pas supposées s’entendre, montre à quel point le niveau de l’écrit est dépouillé et quelque part simplifié par rapport au niveau de l’oral. C’est, en effet, bel et bien la vocation de l’écrit que d’atteindre à une certaine abstraction, seule garante de certains rapprochements. Ceux qui sont étrangers à une langue et à un certain milieu social et procèdent en autodidactes risquent fort de ne pas traiter correctement le texte écrit, du fait même qu’ils se méprennent sur son rôle.

   Puisque imitation, il y a et il y a eu, qu’au moins on en profite pour tenir compte des similitudes et des convergences ainsi générées en sachant que cette stratégie, si elle est acceptable sur le plan de la communication ne saurait être transposée sans risque au niveau de catégories ancrées génétiquement car la linguistique peut constituer un modèle contestable pour l’anthropologie, il serait fâcheux de l’une vers l’autre comme on a pu le faire notamment au XIXe siècle en définissant les races sur des critères linguistiques : des populations partageant une même langue ou une même famille de langues ne sont pas pour autant, ipso facto, parentes par ailleurs et pour notre part, le fait que juifs et arabes aient parlé des langues proches ne saurait justifier la thèse selon laquelle les juifs ne seraient qu’une branche du monde sémitique, sinon sur un plan superficiel.

Jacques Halbronn
Paris, 3 janvier 2004

Notes

1 Cf. la rubrique Hypnologica, sur Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr et nos études sur le Site www.hommes-et-faits.com. Retour

2 Cf. nos études sur E. H., rubrique Gallica. Retour

3 Cf. nos récents travaux sur E. H., rubrique Judaica. Retour

4 Cf. nos mémoires inédits : Linguistique de l’erreur et épistémologie populaire (1987) et Essai de description critique du système du français à la lumière des relations interlinguistiques (1989). Retour

5 Cf. nos travaux sur E. H., rubrique Astrologica. Retour

6 Cf. nos travaux sur la question juive, rubrique Judaica, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour

7 Cf notamment notre étude sur les Protocoles des Sages de Sion, in Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, diffusion Priceminister, sur le Web. Retour

8 Cf. sur Encyclopaedia Hermetica, rubrique Nostradamica. Retour



 

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