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Editions RAMKAT




GALLICA

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La crise actuelle du langage :
l’aveugle et le paralytique

par Jacques Halbronn

    Quelle est la (première) fonction du langage ? Quelle emprise exerce le langage sur nous ? Quel est le rôle social du langage ? Que signifie et implique le fait d’apprendre une (nouvelle) langue ? Nos réponses feront apparaître un dépérissement du langage qui pourrait s’articuler sur le distinguo entre écouter et entendre.

   Il nous semble que les mots tendent à perdre de leur poids, qu’ils n’ont plus l’effet qu’ils avaient autrefois, qu’ils se sont dévalué et cela a des conséquences graves sur l’ordre de nos sociétés.

   Car la première fonction du langage est l’institution d’un ordre, dans tous les sens du terme : à la fois agencement et commandement. Ordonner (ordre donner), c’est faire en sorte que la volonté d’une personne s’étende à d’autres, ce qui est à coup sûr vecteur d’homogénéisation donc d’harmonisation. Dire qu’un jardin est bien ordonné, cela indique qu’il obéit à un plan cohérent.

   Au demeurant, le langage n’est-il pas lui-même l’expression d’un ordre ; qu’est ce qu’un langage qui ne serait pas ordonné ? Apprendre à parler, acquérir les règles de grammaire, l’ordre des mots d’une langue donnée, c’est s’initier à un ordre, à l’ordre.

   Par dépérissement du langage, nous voulons dire que les mots ne sont plus aussi signifiants qu’ils l’étaient auparavant, qu’ils n’ont plus le même impact, le même effet, qu’ils engagent moins ceux qui les emploient tout comme ceux auxquels ils sont supposés s’adresser. Ce ne sont plus que… des mots, comme on dit sur un ton parfois méprisant.

   Quel est de nos jours le statut des mots ? Ils expriment plus un état d’âme qu’une véritable relation à autrui. Il y a là nous semble-t-il l’effet d’une certaine féminisation de la société d’une part, de l’immigration de l’autre, deux facteurs qui tendent à édulcorer le langage, à lui enlever de sa portée.

   Nous avons déjà exposé dans de précédents textes ce que nous ressentons comme une forme de perversion du langage chez certaines populations au sein d’une société donnée ; cela vaut probablement aussi pour l’enfance et le point commun à ces différents groupes nous semble être le mimétisme, lequel tend à déresponsabiliser celui qui y recourt. L’irresponsabilité ne se définit-elle pas comme le fait de ne pas avoir à répondre de ses actes, de ses gestes, de ses propos, de ne pas être engagé par eux ? La perte du sens, c’est aussi, la perte de l’action qui détermine la direction, le sens, le but à atteindre, le dirigeant étant celui qui donne le sens, la direction en question. Quelque chose de significatif, qui fait sens, n’est pas innocent, n’est pas léger, n’est pas fortuit.

   On voit donc que le champ sémantique de termes comme ordre ou comme sens est révélateur d’un rapport de la parole à l’action. Si je dis “fais-le”, celui qui entend cet ordre impératif doit le faire, va le faire de façon que l’on pourrait qualifier de réflexe, à moins, précisément - et c’est là ce qui fait problème - que cette parole entendue ne soit pas littéralement comprise, c’est à dire assumée, c’est à dire acceptée, reçue comme s’imposant et en quelque sorte comme allant de soi. Cette compréhension implique et suppose cependant une certaine complicité, une certaine confiance en l’autre, à la fois celui qui parle et celui qui entend et qui pour donner son accord dira “c’est entendu”, ce qui est tout dire.

   Une société normalement organisée respecte des interdits, c’est à dire ce qui est dit entre ses membres. Ceux qui ne respectent pas ces interdits ou sont susceptibles de ne pas les respecter, s’en excluent ipso facto. Or, dans nos sociétés, il y a de plus en plus de personnes qui font semblant d’appartenir aux dites sociétés et qui, en réalité, entretiennent avec elles des liens très lâches, ils en respectent les règles ou non, à leur guise, et comme bon leur semble. On peut dire que ces personnes donnent le change, c’est à dire simulent une forme d’appartenance mais ce n’est là qu’une apparence.

   On en arrive ainsi à une question majeure qui est celle de distinguer le vrai du faux : comment démasquer ceux qui se font passer pour ce qu’ils ne sont pas ? Quels sont les tests permettant de débusquer l’imposture, littéralement le fait de prendre la place de quelqu’un d’autre ? Nous dirons que tout est une question de réflexes, de vitesse de réaction. On détecte le faux locuteur au fait qu’il ne semble pas comprendre ce qu’on lui dit, qu’il répond à côté, qu’il ne tient pas compte de nos propos, à condition bien entendu que celui qui opère ne soit pas lui-même quelqu’un qui maîtrise mal la langue concernée, qui ne sait pas la faire correctement vibrer, chez qui cette langue sonne faux, dont on capte mal le discours. Mais c’est aussi la réception qui fait problème : la personne qui fait semblant d’appartenir ne partage pas un même Surmoi, c’est à dire que lorsque je lui parle, elle croit que c’est en mon nom que je m’adresse à elle, alors que je parle aussi en son nom à elle, en ce que je lui rappelle ce qu’elle a appris et qui nous est commun. Autrement dit, on n’est pas ici dans le toi et moi mais dans le “on”, dans le “nous”, la parole est par essence de l’ordre du nous, étant donné que nous n’en avons pas, individuellement, le monopole, que c’est un bien commun..

   Le problème de l’étranger, c’est qu’on le comprend mal et qu’il comprend mal ce qu’on lui dit, ou qu’il le prend mal. Quand on demande à quelqu’un “est-ce que vous comprenez le français”, cela signifie pas que l’on mette en doute sa connaissance de cette langue mais qu’apparemment le courant ne passe pas avec lui au travers de la dite langue. L’étranger qui parle notre langue le plus souvent la trahit, la malmène, la maltraite mais, en plus, il ne la perçoit pas comme quelque chose de vivant, qui l’envahit, qui le transforme, au niveau subconscient, qu’il ressent en profondeur. Quand il parle, cela ne signifie pas qu’il entende.1 En ce sens, on dira qu’il n’a pas de parole parce que les mots ne sont pas dits dans sa (vraie) langue. L’étranger - qui vit à l’étranger - se coupe à la fois de sa langue maternelle que personne ne parle plus autour de lui que de la langue du pays d’accueil et à laquelle il reste insensible, qui “ne lui fait rien” : cela ne “rentre” pas, cela ne lui parle pas. Il est ainsi devenu un électron libre, détaché du carcan du Verbe, laissé, livré à lui-même. Or, le langage ne nous isole pas, il est censé nous relier en tant que nous sommes des “animaux politiques”, selon la formule d’Aristote. Mais curieusement, dans de nombreuses sociétés, il est divers groupes qui ne parlent pas la même langue - au sens propre comme au sens figuré - de façon précisément à ne pas être compris par l’autre, c’est à dire par celui qui n’appartient pas au même groupe, ce qui conduit à des sociétés fragmentées en sous-cultures qui n’obéissent pas aux mêmes codes. C’est notamment le cas lorsque l’immigration est importante.

   Il ne faudrait donc pas s’imaginer que l’on passe impunément d’une langue à une autre, sans déperdition. Celui qui quitte sa langue maternelle est en quelque sorte appauvri et finalement privé de sa mère symbolique, celle qui lui a appris à obéir, à respecter les interdits sans avoir à prendre le temps de la réflexion. La langue de substitution n’aura pas les mêmes vertus, n’exercera pas la même emprise, au fond, celui qui est placé hors du cadre de sa langue maternelle est comme abandonné.

   La prise de décision est fonction du maintien de cette dimension opérante du langage qui transcende l’individu car il ne faudrait pas inverser comme on le fait le processus : ce n’est pas le langage qui est au service de l’individu mais l’individu qui, par le langage, se soumet au groupe. En effet, il y a bel et bien quelque chose de contraignant dans le langage, qui contribue à souder le groupe, c’est à dire à le faire marcher comme un seul (étymologie possible de souder) homme ; il ne s’agit pas là de la solitude individuelle mais de la solidarité au sein du groupe et il est remarquable que de nos jours, on définisse avant tout le langage comme un mode d’expression individuel, ce qu’il ne saurait être ne serait-ce que parce qu’il constitue un bagage commun, ce qui permet précisément la communication car on ne peut communiquer qu’au travers ce qui est commun, tant comme signifiant que comme signifié, opposition d’ailleurs assez factice étant donné que le langage est au départ constitué d’objets dont il serait la dimension virtuelle.

   Pour qu’un groupe s’entende sur un sujet donné, il faut que le groupe ne soit constitué que de personnes ayant la même sensibilité au langage et que la “vérité” s’impose en quelques sorte d’elle-même par la dynamique même de la parole qui circule à condition de comprendre que la circulation de la parole ne consiste pas en des propos juxtaposés mais à un vrai travail mené en commun (de cum avec en latin), d’où se dégage une formulation/solution évidente, qui l’emporte, qui fasse sens, c’est à dire qui permette de progresser.

   En revanche, dès que le groupe accepte en son sein des éléments allogènes, un tel processus consensuel (le sens en commun) s’en trouvera compromis et le langage perdra de sa faculté de rassembler et d’ordonner, laissant à terme la place à d’autres procédés : violence, corruption, affect, tirage au sort, auxquels certains sont plus sensibles et le choix risque de se porter sur une solution médiocre et sur des représentants qui ne seront pas les meilleurs. Or, selon nous, le langage a vocation, collégialement, à faire émerger le meilleur possible, à un moment donné du fait que l’humanité est en quelque sorte programmée pour rechercher l’excellence par le jeu de la communication laquelle revêt en quelque sorte une dimension oraculaire. Le personnage de l’oracle incarne l’importance de la parole mais il y a là un dévoiement car la parole doit être avant tout collective, chorale, le soliste étant en dialectique avec l’orchestre. C’est l’occasion de souligner à quel point la musique, qui est une forme de langage, est fonction d’une harmonie mais d’une harmonie en mouvement, se déployant dans la durée. Il n’y a pas de place pour la fausse note, pour celui qui n’a pas le bon rythme.

   Il faut éviter que dans le groupe appelé à délibérer, il y ait des personnes qui soient prisonnières d’un discours qui n’est même pas le leur et qu’elles se contenteront de répéter sans pouvoir d’ouvrir à de nouveaux points de vue. Celui qui n’est pas responsable de ses propos, c’est à dire qui ne sait pas les défendre, et surtout qui n’est pas en mesure d’en changer parce qu’il ressent quelque obligation, quelque dette envers son “maître”, risque de faire obstruction. Or, la femme est très souvent porteuse d’un discours qu’elle ne maîtrise pas vraiment et c’est pour cela qu’elle ne peut s’en émanciper quand elle est confrontée à discours plus performant. Seul celui qui est maître de son discours est capable d’en changer, sinon il est possédé par le dit discours et cela bloque l’échange.

   C’est pour cela que celui qui n’entend pas bien, qui a du mal à saisir ce qui se dit - ce qui est souvent le cas de l’étranger auquel manquent certains automatismes de compréhension - va casser la dynamique du groupe du fait qu’il ne se laisse pas vraiment imprégné par le discours de l’autre. L’étranger a un coefficient personnel trop lourd et n’est pas branché sur une forme d’inconscient collectif propre à la société dans laquelle il prétend entrer. Non pas, certes, qu’il faille le rejeter mais on ne saurait l’accepter dans certaines instances, ce qui explique notamment qu’on ne lui donne pas le droit de vote et qu’on ait refusé longtemps ce droit aux femmes. Nous avons signalé2 l’effet pernicieux que pouvait avoir une proportion importante de femmes dans un milieu donné, qu’elles soient productrices ou consommatrices.

   Le monde scientifique est un des rares domaines où l’excellence s’est maintenue et où l’on évacue les idées dépassées ou qui ne tiennent plus la route. Le chercheur qui se respecte doit être capable de reconnaître la supériorité du discours de l’autre de sorte que ce discours ne soit plus celui de l’autre mais celui de tous.

   En bref, nous dirons que celui qui ne vibre pas à la parole de l’autre, qui ne la ressent pas intensément, a une attitude castratrice par rapport au langage car le langage est un vecteur d’action, de progrès qui nous transcende et dépasse nos enjeux individuels. La vraie communication est celle qui nous fait agir au service du groupe.

   On nous objectera que nous défendons là un certain mimétisme. Or, il convient de distinguer entre le mimétisme de celui qui veut ressembler au groupe sous sa forme figée perçue de l’extérieur et celui qui est véritablement en phase avec le groupe, qui ne fait qu’un avec le groupe. En ce sens, nous avons suggéré de ne pas laisser les étrangers à eux-mêmes mais de les encourager à vivre entre eux, de façon à maintenir une certaine qualité authentique de sociabilité. Et dans ce cas, ils s’exprimeraient au travers de leurs propres groupes au lieu de perturber le fonctionnement de groupes qui leur restent foncièrement étrangers. En fait, que les étrangers incarnent l’étranger, tout simplement. A vrai dire, le seul fait de recourir à des mots étrangers ou inconnus de la génération précédente, nous apparaît comme l’expression d’un processus d’émancipation, de déconnection, par rapport à l’autorité, en raison même de la mise en circulation de mots échappant à l’emprise sociétale ; on remplace ainsi des mots qui enchaînent à un certain ordre par d’autres mots qui s’y substituent.

   Quant aux femmes, nous leur avons déjà consacré d’amples développements (sur Encylopaedia Hermetica) en insistant notamment sur le fait qu’elles n’étaient pas douées pour une activité de réflexion collégiale, exigeant une grande écoute de l’autre, sans chercher simplement quelque prétexte pour placer un propos souvent digressif et peu pertinent, risquant de casser la dynamique de la discussion. Mais surtout la femme s’accroche d’autant plus aux propos qu’elle tient que ce ne sont pas les siens et qu’elle n’en peut disposer à sa guise. Là encore, il faut que les choses soient claires et que l’on nous dise au nom de qui l’on parle quand on ne parle pas en son propre nom, si tant est que l’on en soit conscient. Rien n’est pire que les épigones qui répètent religieusement la parole du maître alors que celui-ci aurait déjà avancé et n’en serait plus là, son discours étant sensible aux nouvelles formulations quand bien même n’émaneraient-elles pas de lui. Là encore, on nous objectera que nous faisons l’apologie d’un certain mimétisme. Or adopter, suivre - comme lorsque l’on dit “je vous suis” ou “je ne vous suis pas” - le point de vue d’autrui est un acte nécessaire quand ce point de vue est meilleur que le nôtre, cette reconnaissance de la supériorité, de l’autorité de l’autre est bien différente d’une attitude qui consiste à vouloir imiter l’autre en croyant que l’on peut devenir comme lui. Il est vrai que dans l’idée de communauté, il y a cette idée d’être “comme” et de faire les choses “en commun” mais cela n’a rien à voir avec l’étranger qui singe une langue qui n’est pas la sienne ou des coutumes qui ne sont pas les siennes. On voit que le mimétisme de l’étranger ou de la femme ne sont en fait que l’imitation d’un authentique mimétisme, qui serait issu des profondeurs, qui fonctionnerait viscéralement. Le faux mimétisme, a contrario, n’est fait que d’apparences, il ne confère pas une véritable intégration au groupe et génère, fabrique des individus socialement frigides, qui n’ont pas les moyens de contribuer au renforcement du groupe, ici et maintenant, en lui permettant d’exploiter en lui-même ses ressources les plus précieuses; le faux mimétisme et figé, caricatural, plus royaliste que le roi, il nous enchaîne au passé, à ce qui est déjà mort comme la lumière de certaines étoiles qui ne nous parvient que lorsque la source de l’émission n’existe déjà plus.

   Il faut redouter ceux qui docilement nous imitent, répètent nos propos machinalement, mais encore plus ceux qui imitent servilement des tiers, appartenant à un passé, à moins qu’ils ne s’imitent eux-mêmes car, dans tous les cas de figure, ces gens là ne sont pas des interlocuteurs à part entière, mais des miroirs ou des cassettes qui ne sont plus vierges, parfois d’ailleurs bien utiles. Ces gens là peuvent être de bons exécutants mais ne sont pas admissibles dans les débats concernant l’avenir de la Cité. Ils ne rayonnent pas par eux-mêmes à l’instar de “la Lune (qui) ne génère pas de lumière (et qui) ne brille que par celle que réfléchit son hémisphère braqué vers le Soleil”.3

   On aura donc compris qu’il n’y a pas de miracles : le langage ne fonctionne pleinement qu’au sein de groupes parfaitement homogènes, chez qui et pour qui une langue n’est pas seulement un vernis, c’est alors qu’il est une véritable source d’ordre, d’entente spontanée, qu’il redevient une force qui nous conduit à un dépassement de l’ego ; faute de quoi, il n’est plus qu’un mode superficiel d’échange, cause perpétuelle de malentendus et succession de monologues au travers desquels chacun veut faire entendre sa musique, ce qui n’aboutit qu’à une cacophonie stérile. A partir du moment où l’individu n’est pas en phase avec le milieu dans lequel il est censé vivre, cet individu voit individualité se charger d’aspérités, du fait d’un manque de régulation, son idiosyncrasie - ce qui a donné le mot idiot (du village) - s’accentue : nous dirons que le mimétisme est à la fois une cause et une conséquence d’un certain état individuel : il cherche à pallier un certain décrochage et en même temps il génère un comportement contrefait. Il y a ainsi dans notre société une foule d’individus livrés à eux-mêmes, c’est à dire ne sachant pas canaliser l’énergie du groupe en eux-mêmes mais n’étant capables que de la refléter, voués à des tâches mécaniques de reproduction et de répétition (on parlait autrefois de répétiteurs). Le problème, c’est que l’on ait désappris à distinguer entre l’excellence de celui qui est à la pointe du progrès et la médiocrité de celui qui imite gauchement et caricaturalement, on l’observe notamment dans le domaine de l’art et singulièrement en musique. Nous avons ici affaire à des personnages étranges, curieux - en ce qu’ils suscitent notre curiosité - qui comprennent mais qui n’entendent pas4 si bien que le seul plan où il puisse y avoir une véritable communication est sensoriel; d’ailleurs, dans certaines pathologies, le contact cesse d’être verbal pour se situer, se cantonner, sur le plan sexuel ou en tout cas physique (danse, combat, sport, etc), ce qui peut conduire à une forme d’autisme non pas tant chez celui qui n’entend pas que chez celui qui n’arrive pas à se faire entendre par l’autre, quand celui-ci parle mais n’écoute pas ce qui est dit. Nous sommes entourés d’objets qui émettent mais ne reçoivent pas, telle une statue, un monument, des feux de signalisation, un film, un sandwich, que sais-je ? Dans le cas des émissions enregistrées, il est évident qu’il a bien fallu que les supports concernés reçoivent la matière à émettre, qu’on puisse les charger comme on charge un magnétoscope mais une fois chargés ces supports vont conserver le même message jusqu’à ce qu’on puisse les décharger afin de les rewriter, comme on fait pour certains DVDs mais pas tous : une cassette peut être recyclée, pas un disque enregistré, vendu dans le commerce. On dira que ces supports - humains ou mécaniques - ne sont réceptifs qu’à certains moments et ce non pas pour moduler ou modifier leurs messages mais pour en changer radicalement, à moins de procéder à un savant et délicat (re)montage : il sont tout d’une pièce ; ils ne se prêtent pas à des évolutions en douceur, touche par touche, sur le mode socratique car, en tout état de cause, les dits supports préfèrent acquérir un “prêt à penser”, clefs en mains que de se lancer dans un processus voué à se modifier, toujours en progrès (work in progress). En outre, dans le cas des êtres humains, appartenant à la catégorie en question, le vieillissement constitue une variable importante et l’on sait que les êtres jeunes (cf. infra) sont plus réceptifs, mais cela vaut surtout pour la gent féminine, les hommes, eux, préservant plus longtemps une certaine souplesse mentale.

   Mais, outre les étrangers et les femme, l’importance accordée, de nos jours, à une autre population fait problème, celle des enfants, des adolescents, fortement, eux aussi, marqués par le mimétisme et auxquels est dévolu souvent un rôle exorbitant, conduits à prendre des responsabilités qu’ils ne peuvent sérieusement assumer, les divorces ne faisant que leur conférer une importance accrue, qui les fait, peu ou prou, échapper à la tutelle des parents. Ces enfants qui sont “initiés” par leurs mères à une caricature de langage, à un langage où chaque mot aurait un sens bien à lui et qui ne dépendrait pas du contexte. Il y a certes une progression dans le mimétisme et qui n’a pas grand chose à voir avec le progrès, lequel est dépassement et avancée vers l’inconnu, c’est à dire l’inimitable.

   Il y a, en vérité, une crise des rites de passage, à tous les niveaux ; on passe trop vite et trop tôt d’un statut à un autre et cela vient de la magie du langage ; on ne comprend pas que celui qui parle dans une langue ne comprend pas pour autant ce qui se dit dans cette langue autour de lui. Il faudrait bien davantage s’intéresser à la compréhension de la langue qu’à l’expression dans cette langue et l’apprentissage de la langue maternelle a cet avantage de faire primer la compréhension sur l’expression tandis que les autres formes de mimétisme sont axés sur l’expression aux dépens de la compréhension, laquelle se note et se mesure plus difficilement.5 Une société bien organisée a d’abord besoin de personnes qui écoutent, qui obéissent séance tenante, que d’individus exprimant leur avis alors qu’ils ne savent pas de quoi il retourne. On a ainsi une large population de gens qui sont sourds mais non muets alors qu’on aurait besoin avant tout de muets qui ne sont pas sourds. Dans un cas, chacun parle sans comprendre, dans l’autre, on comprend sans faire de commentaire. Seuls ceux qui ont fait la preuve qu’ils comprenaient parfaitement ce qui se disait, ce qui se passait autour d’eux- avec zéro erreur d’interprétation - ce qui implique la maîtrise d’une certaine culture - peuvent avoir le droit à la parole pour exprimer leur avis et être des citoyens à part entière mais il ne s’agit pas de répéter ou de traduire ce qui a été dit, comme le ferait un machine, mais bien de montrer que l’on a cerné ce qui fait réellement l’objet de la discussion. La capacité réceptive doit précéder la capacité émettrice car il est bien plus urgent qu’un message soit diffusé qu’il ne l’est que chacun répète à tour de rôle et de façon redondante les mêmes propos; il s’agit de faire avancer la réflexion et non de se lancer dans des digressions ou des descriptions purement factuelles qui cassent le rythme de l’échange. Bien des enfants qui ont appris à s’exprimer ne comprennent pas pour autant ce qu’on leur demande et n’exécutent pas les tâches qui leur sont imparties et ne saisissent pas les vrais enjeux, n’ont pas les moyens de décoder les messages, car il leur manque de nombreuses clefs. Le manque de culture générale est un symptôme assez sûr de ce rapport biaisé au monde extérieur et il convient d’élaborer des batteries de tests pour mesurer la qualité d’entendement, de décryptage, et notamment la perception immédiate et la correction spontanée des anomalies, des erreurs, ce qui évite d’être victime de certains aléas de la transmission. Le décalage, chez toute une partie de la population, entre émission et réception est typique de ce dysfonctionnement social, étant bien entendu que répéter littéralement ce que dit l’autre n’implique pas pour autant qu’on l’a compris; un magnétophone ne comprend pas, pour autant, ce qu’il enregistre. Une autre population à problèmes, dans cette société du début du XXIe siècle, est effectivement celle des machines dont le mimétisme et le déficit de compréhension pèse également lourdement. Certes, la machine est-elle vouée à exécuter mais elle le fait à partir d’un mode de compréhension extrêmement rudimentaire, minimal, si on le compare avec son mode d’expression souvent fort sophistiqué, dont le symbole est probablement le poste de télévision, processus presse-bouton. Qui irait s’imaginer que ce qui passe par l’appareil en question, en matière de programmes, permet d’apprécier sa capacité d’entendement de ce qui se déroule autour de lui ? Il convient donc de jauger l’aptitude à anticiper, à deviner ce qui se dit, ce qui se prépare et déjà le fait de répondre à des questions va dans ce sens, car on comprend d’autant mieux une question que l’on est à l’écoute de la pensée d’autrui, par un processus qui parfois s’apparente à de la télépathie et en tout cas à de l’empathie. En conclusion, c’est l’intervention prématurée et mal dosée et mal gérée de quatre populations marquées chacune par un certain mimétisme propre à des acteurs ne présentant que certains attributs de la citoyenneté et qui seraient, selon nous, cause d’un dysfonctionnement du consensus social : les femmes, les étrangers, les enfants, les machines, populations “intelligentes”, ayant une certaine faculté d’adaptation et de substitution et par rapport auxquelles une grande vigilance s’impose.

   Ces populations “malentendantes”, “malvoyantes”, ne perçoivent que des aspects limités du réel, que certains signaux, certains ordres, certaines informations, s’adressant spécifiquement à elles - comme le fait de presser sur un bouton ou de mettre une carte dans une fente, enclenchant ainsi un processus ; elles tendent à se focaliser sur quelques stimuli lesquels une fois perçus et interceptés provoquent des automatismes. Le rapport de ces populations avec un environnement donné est donc peu performant et beaucoup de choses peuvent leur échapper ou être mal interprétées, mal vécues.

   Il nous paraît donc essentiel que ces quatre populations, à des titres divers, aient conscience de leurs insuffisances et que leur mimétisme ne les amène pas à imaginer qu’elles sont à égalité avec la population masculine adulte et autochtone.6 Leur mimétisme n’a pas en effet pour objectif de créer de la confusion mais de se situer dans une certaine orbite autour d’un centre, ce sont des populations satellites qui partagent des éléments avec le noyau central sans pour autant en faire partie ; elles sont dans un rapport de gravitation.

   Soulignons le fait que les enfants et les étrangers sont en situation provisoire : les enfants peuvent grandir, les étrangers - souvent en situation d’esclaves - peuvent repartir chez eux, être affranchis, ou se libérer d’une puissance occupante car il convient de moduler nos propos au regard d’une certaine cyclicité.7 Les sociétés passent en effet, alternativement, par des périodes de cloisonnement et de décloisonnement, ce qui correspond à des comportements sociaux assez sensiblement différents. En phase de cloisonnement -ce qui est le cas en ce moment - les clivages tendent à se multiplier, à se creuser, chaque groupe ou sous-groupe tendant à résister face à un modèle dominant mais cette résistance n’a qu’un temps car les sociétés sont programmées pour parvenir à terme, en phase de décloisonnement, à un certain consensus s’imposant de gré ou de force à tous leurs membres, comme ce fut le cas en 1685, lors de la Révocation de l’Edit de Nantes. Le problème, c’est que l’on ne sait pas toujours à l’avance quel modèle va triompher à l’issue de l’épreuve de force. En résumé, il est des phases décloisonnantes qui favorisent le syncrétisme et l’assimilation d’éléments exogènes, notamment en facilitant les procédures de parité, de discrimination positive, d’immigration, de naturalisation, l’application d’un droit du sol, et d’autres, cloisonnantes, qui font ressortir, plus ou moins nettement, le clivage, la différence radicale, entre les deux strates que nous avons déterminées.

   Quel modus vivandi ressort d’une telle modélisation ? Si la machine peut se perfectionner indéfiniment, la femme, quant à elle, est dans un état définitif de limitation, elle doit appréhender l’homme comme celui qui fait mieux la synthèse des informations qu’elle - laquelle voit souvent les choses par le petit bout de la lorgnette - et qui, globalement, comprend mieux ce qui se passe réellement qu’elle, laquelle n’en perçoit que des bribes, un peu selon la parabole de l’éléphant dont chacun croit qu’il s’agit d’un animal différent parce qu’il n’en saisit qu’un membre : la trompe, une oreille, une défense etc. Cette insuffisance dans la synthèse aboutit à des diagnostics et à des pronostics souvent erronés, trompeurs, d’où cette hantise d’être trompés, d’avoir été trahis dans sa confiance mais s’exprimer ainsi, c’est bel et bien reconnaître une situation de dépendance. Celui qui trompe l’autre le fait éventuellement pour lui démontrer ses limites surtout si l’autre ne s’en aperçoit que tardivement ou par hasard. Celui qui domine est un peu à l’image de Dieu, auréolé d’un certain mystère, et les réponses qu’il donne, les signes qu’il envoie aux populations “mineures”, faisant preuve d’une certaine infériorité cognitive, n’ont qu’une valeur relative et ponctuelle et ce n’est pas à force de poser des questions que les dites populations échapperont à leur condition puisque par les dites questions, elles reconnaissent leur dépendance, d’autant que les réponses peuvent changer, évoluer comme la Science. En effet, le monde est si complexe que la quête de l’Homme ne s’arrête jamais et que toute description ne peut qu’être partielle et adaptée à un temps donné et à un interlocuteur donné.

   La fable de l’aveugle et du paralytique nous semble fort bien illustrer la situation ; la population satellitaire est atteinte de cécité (mentale), elle ne sait pas se diriger, elle voit (entend, perçoit) mal alors que la populations dominante est paralysée, elle doit déléguer, elle ne peut pas tout faire par elle-même ; l’homme a besoin de la machine pour le relayer, le soulager, de la femme pour se reproduire, de l’enfant pour lui succéder et se multiplier, de l’étranger pour étendre son emprise sur le monde. Bref, ces quatre populations permettent à l’Homme (dominant) d’asseoir pleinement son pouvoir et son rayonnement solaire. On dira que la Science est paralytique et la technique aveugle ; la Science est un regard inquisiteur posé sur ce qui nous entoure de près ou de loin tandis que la Technique est une application mimétique, un élargissement du champ d’action. En ce sens, la guerre s’inscrit pleinement dans une démarche technicisante : par les moyens matériels qu’elle déploie, par les populations qu’elle mobilise, qu’elle sacrifie - ce qui exigera à terme leur renouvellement - et qu’elle asservit, du fait des combats et des conquêtes. En ce sens, la guerre serait féminine si par féminin l’on décrivait ces populations “aveugles” tandis que la paix “paralytique” serait masculine, moins au niveau de la manifestation, du résultat clair et net du genre ça marche ou ça ne marche pas. Quand il y a carence du point de vue scientifique, on ne s’en aperçoit pas immédiatement, sur le plan technique ; c’est comme une source qui se tarit mais dont l’eau continue à s’écouler quelque temps, ce qui permet de donner le change jusqu’à ce que l’on constate la stagnation, tout comme une femme qui ne vit plus avec un homme mais qui est enceinte ; provisoirement, le processus technique suivra son cours jusqu’à l’accouchement mais cette femme, sans homme, ne pourra plus faire d’autres enfants. Il en est de même pour la parole : quand on entend quelqu’un parler pour la première fois, on ne se rend pas compte à quel point il se répète et s’il est privé de ses sources d’informations, à quel point il est condamné à une certaine inertie mentale, sauf s’il est suffisamment autonome intellectuellement. C’est pourquoi il faut du temps pour distinguer celui qui ne fait que répéter ou se répéter et celui qui est à la pointe de la recherche et sait se repérer sans qu’on le prenne par la main ; et distinguer le vrai du faux comme un anticorps sait détecter un virus, un intrus. Quant on emploie de nos jours le mot “faux”, l’on croit que cela est synonyme d’erreur par inadvertance alors que cela signifie avant tout ce qui est délibérément contrefait et se fait passer pour vrai - comme la fausse monnaie (André Gide a signé les Faux monnayeurs) - ce que les anglo-saxons appellent fake. Ce qui fait problème avec le faux, c’est qu’il ressemble étonnamment à son modèle ; ce serait si simple si ce qui était faux ne risquait pas de se faire passer pour vrai ! Voilà pourquoi les pires affrontements ont lieu entre des positions semblant très proches - l’original et sa copie - car quand le faux n’a rien à voir avec le vrai, à quoi bon s’inquiéter ?

   Les tableaux illustrant notre parabole - qui nous semble avoir une valeur heuristique certaine - représentent l’aveugle portant le paralytique, l’aveugle est l’interface entre le paralytique en amont et qui est de l’ordre de l’universel, du signifié et ce qui est en aval, et qui est de l’ordre de l’application et de l’imitation et donc du signifiant si l’on admet que le langage est une transposition du réel, que le mot bol permet de ne pas avoir à traiter d’un bol en particulier et à être en sa présence. Celui qui vit au niveau du signifiant se nourrit de symboles qu’il ne peut que réinterpréter alors que celui qui a accès au signifié peut relativiser le poids des mots qui ne sont qu’un outil d’analyse du réel, qu’il importe de distinguer du contingent. Tant l’aveugle que le paralytique ont un certain rapport avec le réel mais celui de l’aveugle est fait d’ombres portées, au sens de la caverne de Platon tandis que celui du paralytique est celui qui se situe hors de la caverne. L’aveugle est isolé, son champ de vision est par définition très faible tandis que celui du paralytique est intact même s’il ne peut agir par lui-même. Si le paralytique ne peut pas se passer de l’aveugle pour le prolonger, pour le relayer, en revanche, l’aveugle a souvent tendance, refusant son statut subalterne, à penser qu’il n’ a besoin de personne et cela tient notamment à son mimétisme qui lui donne le sentiment que rien ne peut l’arrêter, qu’il peut devenir ce qu’il veut et que l’élève peut tôt ou tard dépasser le maître. On objectera à notre interprétation de cette parabole que l’aveugle peut difficilement imiter puisqu’il ne voit pas mais en revanche, il n’est pas sourd et peut s’imprégner ponctuellement de ce qui se dit sans pour autant avoir une vision d’ensemble du fait de sa cécité.

   Nous voudrions conclure par une réflexion concernant ce que l’on pourrait appeler une psycho-anthropologie, venant compléter une psycho-sociologie: la culture psychanalytique ambiante tend à dévier vers une importance excessive conférée aux individus alors que, paradoxalement, le modèle freudien est extrêmement général et à caractère anthropologique, le problème étant simplement de déterminer comment il s’applique à chaque cas. De nos jours, on cherche à expliquer les conflits et les difficultés par des considérations personnelles : c’est ainsi que s’il y a affrontement entre un homme et une femme, cela est lié nécessairement, nous dit-on, à leur histoire personnelle, à leur immaturité propre - ce qui constitue, nous apparaît-il, une sorte de terrorisme intellectuel - alors qu’il s’agirait d’abord et avant tout de resituer les tensions et autres frictions au niveau anthropologique du clivage homme / femme, avant d’appréhender des facteurs individuels qui risquent de masquer ou de relativiser en tout cas le dit clivage.

Jacques Halbronn
Paris, 20 mars 2003

Notes

1 Cf. nos précédentes études dans les rubriques Hypnologica et Gallica, Encyclopaedia Hermetica. Retour

2 Cf. notre article sur les femmes et l’astrologie, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour

3 Cf. G. Cornelius et P. Devereux, Le langage des étoiles. Un guide illustré des mystères célestes, Paris, Gründ, 2003, pp. 25-26. Retour

4 Sur comprendre comme contenir voir “Méthodologie des études consacrées à l’influence du français sur l’anglais”, Encyclopaedia Hermetica. Retour

5 Cf. nos études dans la rubrique Gallica, Encyclopaedia Hermetica. Retour

6 Cf. nos articles “Tselem” et “Zar” sur Encyclopaedia Hermetica et sur www.Hommes-et-faits.com. Retour

7 Cf. “Obstacles épistémologiques en astrologie mondiale”, Encyclopaedia Hermetica. Retour



 

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