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GALLICA

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Modulations préfixales et suffixales :
une nouvelle approche

par Jacques Halbronn

    On a coutume, dans les grammaires usuelles, de limiter les notions de préfixe et de suffixe à des éléments n’ayant pas d’autonomie et n’existant pas par eux-mêmes, et qui doivent donc se greffer avant (préfixe) ou après (suffixe) le mot. Or, dans certaines langues, ce qui tient lieu de préfixe ou de suffixe est assuré par des termes indépendants : on pense à la construction du futur en anglais, par le recours à un verbe dit auxiliaire ou au fait que dans les langues sémitiques l’article défini soit collé au mot (cf. infra). Pour notre part, nous proposons une acception sensiblement élargie du préfixe et du suffixe et qui dépasse les spécificités propres à telle ou telle langue. Pour nous, est pré ou suffixe tout ce qui vient moduler un nom ou un verbe, étant entendu que par nom et par verbe, nous entendons, à la base, des formes non pré ou suffixées. Il ne faudrait donc surtout pas se fier aveuglément aux définitions en vigueur de ce qu’est un pré ou un suffixe. Il est dommage que l’on ait opté traditionnellement pour un critère impliquant la transformation du mot et pas seulement son environnement. Notre définition, pour sa part, on l’aura compris, est environnementale.

   Le français est une langue qui tend à sacrifier ses finales et à privilégier le recours aux préfixes. On sait en effet qu’une règle encore largement appliquée prévoit de ne pas prononcer une consonne à la fin d’un mot quand celle-ci n’est pas immédiatement suivie d’une voyelle, ce qui est le cas notamment des adjectifs au masculin ou au pluriel. C’est ainsi que le français ne comporte pas de marqueurs suffixaux oraux pour le pluriel. Ne parlons pas de l’absence de déclinaison suffixale en français.

   En revanche, le français semble largement pourvu au niveau préfixal et c’est là que réside sa complexité en comparaison de la simplicité voire de la simplification au niveau suffixal.

   Nous prendrons deux exemples : la préfixation du verbe et ce que nous avons appelé la déclinaison préfixale.

   Alors que dans les langues germaniques, les verbes comportent souvent une désinence suffixale (par exemple : to go out), le français, pour sa part, s’est attaché à caractériser le verbe au niveau préfixal, notamment en créant des verbes à partir de noms (par exemple : encourage).

   Or, nombre d’emprunts au français concernent précisément ces verbes préfixés à commencer par le préfixe de répétition : re, là où d’autres langues useraient d’un suffixe (Do it again).

   La préfixation en français va jusqu’à privilégier le recours aux pronoms personnels là où d’autres langues se passent de ces formes, considérant que le verbe stricto sensu se suffit à lui-même.(Quiero, quieres en espagnol, sans Yo, Tu), ce qui permet ainsi au français de ne pas différencier à l’oreille le verbe, la différenciation résidant dans le préfixe. On retrouvera le même phénomène avec le rôle assigné à l’article placé devant des noms non différenciés.

   Certes, les déclinaisons ont-elles disparu en français mais encore faudrait-il s’entendre sur les définitions. Nous soutiendrons, pour notre part, l’existence en français d’un assez lourd système de déclinaisons “préfixales”, c’est-à-dire se plaçant devant le nom.

   Quand on dit en français “je veux de l’eau” ou tout simplement “de l’eau”, ce qui précédé le mot “eau” sera ainsi, de notre point de vue, qualifié de déclinaison préfixale, c’est-à-dire précédant le mot en question. Une approche comparative fait ressortir la spécificité d’un tel phénomène puisque là où le français dit “de l’eau”, d’autres langues européennes se contentent d’indiquer le mot signifiant “eau” sans “préfixe” : water, agua etc. Dans certains cas, le mot comportera une déclinaison postfixale, comme en russe, vodou.

   Ainsi, là où de nombreuses langues se dispensent d’un tel appareillage devant le nom, le français, pour sa part, en maintient l’usage, lequel tournera le plus souvent autour de formes de type de/du/de la (singulier) des (pluriel) généralement associé à l’idée d’un génitif alors que cela couvre également l’accusatif. Cela explique notamment l’absence de cas possessif en français, forme fort répandue dans les langues germaniques.

   Dire “donnez-moi du pain” - forme accusative- est à mettre en parallèle avec “la forme du pain” - forme génitive mais dans un cas cela s’articule directement sur un verbe, dans l’autre, ce n’est pas le cas. Or, ce qui nous intéresse ici concerne essentiellement la déclinaison du mot associé à un verbe, lequel peut être sous entendu comme dans “du pain, s’il vous plaît”, avec une ellipse de formes comme “j’en veux”, “donnez m’en” etc.

   On peut d’ailleurs accorder à l’article défini un tel rôle de préfixation, d’autant qu’en français, c’est souvent le seul facteur de différenciation, du moins oralement, en raison de la non réalisation des marqueurs suffixaux de pluriel.
Ex : La femme/Les femmes, le pont/les ponts etc.

   On pourrait donc parler d’une véritable déclinaison préfixale qu’il conviendrait de décrire comme telle dans l’enseignement du français.

   Bien entendu, le datif sera représenté préfixalement par la préposition “à” : je parle à mon père, ce qui est une forme assez répandue dans nombre de langues européennes, à la différence de l’accusatif préfixal ou du génitif préfixal.

   On notera que l’anglais a quelque peu suivi le modèle français quand il fait précéder les noms de “some”, “any”. Par exemple : give me some water.

   En fait, le français préfixe les noms dans les formes positives alors que nombre de langues réservent la préfixation aux formes négatives : no quiero agua. (espagnol) et restrictives (un peu) : quiero un poco (poquito) de agua.

   Il y a donc des langues préfixantes et d’autres qui sont suffixantes, certaines comportant des marqueurs préfixaux et d’autres des marqueurs suffixaux. On notera cependant qu’en hébreu ou en arabe, le futur est préfixé (par rapport au radical consonantique) tandis que le passé, lui, est suffixé. Dans ces langues sémitiques, la suffixation concerne d’ailleurs le marqueur du possessif (en hébreu haBen shéli, littéralement : le fils qui est à moi) alors qu’en français, on marque la possession par un préfixe (ex : mon fils), ce qui est carrément impossible dans les langues sémitiques. De même en hébreu, le démonstratif est-il suffixal à la différence de nombre de langues européennes : Hasefer Hazé, ce livre. En arabe en revanche, autre langue sémitique, le démonstratif est préfixal.

   On observera que la préfixation en arabe a souvent été mal analysée, ce qui explique que nombre d’emprunts à l’arabe (alcool, par exemple) comportent l’article défini : Al, lequel normalement aurait du être abandonné. Le non repérage d’une situation préfixale peut donc aisément conduire à un mauvais découpage morphologique avec maintien du préfixe de la langue prêteuse alors que le dit préfixe aurait du être remplacé par un équivalent propre à la langue emprunteuse.

   Une des particularités du français réside bel et bien dans la difficulté à faire abstraction du préfixe pour appréhender le mot “nu”. Il est vrai que certaines préfixations vont jusqu’à se réduire à une seule lettre comme dans “j’aime” ou “l’oiseau”. On notera une certaine similitude entre le J’ français et le I anglais, pour la première personne du singulier.

   Notons que dans les langues latines comme l’italien et l’espagnol, à la différence du français, le pronom personnel est souvent évacué, ce qui allège d’autant la suffixation: no puedo plutôt que Yo no puedo, en espagnol.

   Dans le cadre du système préfixal français, on observera une lacune en ce qui concerne les pronoms personnels qui ne comportent pas de marqueur de genre, à la différence notamment des langues sémitiques, où existe une flexion du pronom, à toutes les personnes. (tu, neutre , en hébreu, ata (m), at (f). Il est remarquable que dans des sociétés où la marque du masculin et du féminin devrait être déterminante, on s’adresse en français de façon quasi identique à un homme et à une femme, du moins pour la construction du verbe.

   Ce problème n’est d’ailleurs pas limité au français, les langues germaniques et latines restant morphologiquement dans le vague au niveau verbal alors qu’au niveau adjectival, elles établissent clairement une différence. Le phénomène est d’autant plus remarquable que la répartition des mots en masculin, féminin (le français, le et la) voire neutre (cf. cas de l’allemand, das) confirme une certaine tendance à fixer des marqueurs de genre.

   On notera qu’en français, dans nombre de cas le marqueur ne concerne pas le sujet s’exprimant en tant qu’homme ou femme mais le genre de l’objet traité : ma maison n’indique pas que celui qui parle est une femme mais que le mot maison est féminin. En anglais et en allemand, le recours à la troisième personé désigne bien le genre du locuteur, ce qui n’est pas le cas en français : His child, son enfant à lui, Her child, son enfant à elle. En allemand, Sein (m) et Ihr (f) jouent le même rôle. Dans les langues latines, l’identité du sujet parlant n’a pas d’incidence préfixale mais uniquement suffixale : je suis surpris (e), tu es surpris(e). C’est probablement cette flexion suffixale qui pourrait expliquer le déficit préfixale en la matière mais cela suppose que le verbe était initialement suffixé selon le genre, ce qui n’est vrai que pour le passé composé : sono perduto/a (en italien). Le problème, c’est qu’en français, la marque suffixale du féminin au niveau du passé composé, visible à l’écrit est devenue généralement inaudible à l’oral, sauf si le passé composé se termine par une consonne : je suis perdu(e), je suis enchanté(e), alors que la distinction orale suffixale se maintient pour nombre d’adjectifs : je suis grand(e) mais je suis maudit (e).

   On observe donc que le système des marqueurs de genre en français est dans son état actuel assez défectueux, que le préfixal ne compense pas toujours les manque du suffixal et vice versa. La désuffixation n’a pas débouché sur une préfixation rigoureuse.

   Il reste qu’au niveau de la didactique des langues, il nous semble qu’il est urgent de mettre l’accent sur ces questions de préfixation et de suffixation, notamment quand il s’agit d’opposer la langue d’origine de l’élève de la langue cible. Préfixes et suffixes doivent être présentés comme des manières de préciser le contexte spatio-temporel - synchronique/Diachronique - dans lequel le mot est employé.

   Encore faudrait-il se demander à quoi sert de dire “du pain” plutôt que “pain”, comme on le fait dans tant de langues européennes. Encore faudrait-il observer le recours fréquent à un marqueur quantitatif devant le mot : un peu (d’eau), beaucoup (d’eau). Ce qui est étonnant en français, c’est justement que l’on ne dise pas seulement : donnez moi un peu d’eau ou beaucoup d’eau mais donnez-moi de l’eau, ce qui génère d’ailleurs souvent chez les élèves la confusion : un peu de l’eau au lieu d’un peu d’eau, un peu du pain au lieu d’un peu de pain. L’usage de du (pain) au lieu de de (pain) introduit ici une notion de défini par opposition avec l’indéfini. On peut dire en français donnez-moi un peu de l’eau qui est dans la carafe, un peu du pain qui est sur la table, ce qui implique de préciser de quelle eau et de quel pain il est question. Mais que signifie : donnez -moi de l’eau, sans autre précision ? On ne peut pas parler de génitif, puisque ce serait “d’eau” et non pas “de l’eau”, comme dans “un verre d’eau”.

   On pourrait également considérer comme un préfixe la marque de la négation encore qu’en français, on ait un régime mixte, puisque les éléments de la négation entourent le mot concerné : je ne veux pas alors qu’en anglais la négation est préfixale : I do not (don’t) want. Dans la plupart des langues d’ailleurs (comme en russe ou en arabe) la négation est exclusivement préfixale. Bien plus en français parlé, la préfixation négative est sautée, le poids étant mis sur la suffixation négative.

   Paradoxalement, le français, dont la morphologie reste essentiellement préfixale, aura surtout exporté ses constructions suffixales comme en témoigne en anglais une très longue série de mots français signalés par leurs finales, en ot, et, ine, ure, etc.

   En conclusion de cette brève étude, on aura compris que nous avons adopté une conception extensive des termes préfixes et suffixes, ne réservant pas cet emploi à ce qui est collé devant ou après le mot, à l’écrit, mais incluant, dans cette acception, les formules qui précédent ou suivent le mot, quand bien seraient-elles isolées spatialement du mot considéré. De même avons-nous assimilé préfixe et suffixe à un régime flexionnel, au même titre que les déclinaisons et les conjugaisons. On notera cependant qu’un préfixe peut aussi être dans ces conditions appréhendé comme un suffixe : quand je dis “je veux de l’eau”, est-ce que “de” est préfixal par rapport à “l’eau” ou suffixal par rapport à “je veux” ? Selon notre approche, nous préférons y voir un préfixe.

   On ne saurait qualifier, pour autant, le français de langue préfixale : c’est ainsi que la marque du futur en français est suffixale et non préfixale, à la différence des langues sémitiques : je chanterai, (ani) Ashir (hébreu). Il reste que le français tend fortement à se désuffixer, non seulement par l’absence des déclinaisons, mais aussi par des conjugaisons peu différenciées oralement : ex : il chante/ils chantent, ce qui entraîne la nécessité d’un renforcement de la préfixation, d’où la notion de déclinaison préfixale que nous suggérons, si bien que l’on ne saurait affirmer que la suppression de la déclinaison suffixale allège nécessairement une langue. Signalons également le cas de la préfixation adjectivale dans nombre de langues, comme l’allemand qui ne place jamais l’adjectif après le nom, pas plus d’ailleurs que l’anglais alors que l’italien et l’espagnol optent pour une position suffixale de l’adjectif. En français, le régime est mixte avec des nuances sémitiques : un homme grand et un grand homme.

   Dans le cadre de nos travaux sur l’influence du français sur l’anglais et sur le rôle du français comme vecteur de convergence entre langues européennes, ce qui peut leur conférer une impression trompeuse d’unité, comment la suffixation du français se manifeste-t-elle sur l’anglais ? L’anglais n’a pas emprunté aux langues latines la préfixation des formes posssessives comme dans je te parle alors que l’anglais est suffixant puisqu’il donne I speak to you. I shall tell you, la forme suffixale étant emphatique en français, je te le dis à toi. En revanche, on l’a vu la négation verbale en anglais (don’t, doesn’t) est bien différente de celle de l’allemand et paraît somme toute plus se rapprocher du français, par sa préfixalité comportant le ”ne” préfixal. En revanche, la formation du futur en anglais et en allemand est préfixale (I shall pray, je prierai) encore que cela puisse se rapprocher de formes françaises du type je vais prier.

Jacques Halbronn
Paris, 23 juin 2004



 

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