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19

Pour une linguistique
au service de la langue française

par Jacques Halbronn

    Le débat sur la place du français dans le monde est faussé, nous semble-t-il, par une définition inadéquate de ce qui constitue une langue. Comment peut-on, demanderons-nous, opposer aussi radicalement le français et l’anglais quand on sait les proximités existant entre l’une et l’autre de ces langues ?

   En cette année 2005 qui est celle du référendum, en France (en Mai) et ailleurs, autour de la Constitution de l’Union Européenne, il apparaît que les représentations linguistiques pèsent assez fortement dans le débat.

   Or, débattre autour de problématiques linguistiques est fonction d’un certain nombre de paramètres portant sur les critères de vitalité de telle ou telle langue :

   Les deux plus familiers sont les suivants :

      - combien de locuteurs dans le monde en général, en Europe en particulier s’expriment-ils en une langue donnée ?
      - combien de personnes apprennent cette langue dans des établissements adéquats ?

   Mais il nous en faut ajouter d’autres :

      - combien de mots sont empruntés dans le monde à telle langue ?
      - combien de mots telle langue emprunte-t-elle à d’autres langues ?
      - à quelle famille linguistique telle langue appartient-elle ?

   Selon la philosophie des langues que l’on a développée, le diagnostic risque fort de varier considérablement et il nous est apparu souhaitable de repenser certaines définitions qui risquent de figer le débat.

   Or, dans le cas de la francophonie, la stratégie linguistique optimale à adopter est fortement tributaire de certains obstacles épistémologiques. Il est souhaitable que la linguistique ne soit pas à la botte du politique. On ne saurait notamment comparer une langue à un Etat, avec des frontières bien délimitées. Bien au contraire, les langues s'interpénètrent et certaines sont plus perméables, d’autres plus envahissantes. Même si - encore est-ce là une simplification - le cadre morphologique et phonologique est peu ou prou spécifique à chaque langue, son lexique ne lui est pas toujours propre.

   Notre position est la suivante : le français et l’anglais ne sont pas deux langues synchroniquement distinctes mais correspondent en quelque sorte à des états successifs d’une seule et même langue. On serait ainsi passé de l’ancien français au français moderne et de là à l’anglais moderne, qui est un néo-français grammaticalement simplifié mais mâtiné d’un fonds germanique.

   Il nous semble dès lors d’intégrer l’enseignement de l’anglais au sein de celui du français ou mieux encore des langues françaises, incluant l’ancien français dont l’anglais moderne dérive en grande partie. La meilleure façon de combattre l’anglais, serait donc de l’inclure dans le champ du français.

   Il n’est donc pas question de considérer l’anglais comme une langue étrangère mais comme relevant du monde francophone avec ses apports spécifiques.

   Mais pour renforcer et souligner ce qui rapproche le français moderne de l’anglais moderne, il convient d’introduire une certaine dose d’iconicité. Autrement dit, il importe de déverbaliser dans les échanges tant oraux qu’écrits toute une série de mots qui différent d’une langue à l’autre alors que le lexique, pour sa part, est beaucoup plus récurrent d’une langue à une autre. L’intercompréhension entre locuteurs francophones et anglophones sera largement renforcée si l’on iconise les pronoms personnels par exemple mais aussi les temps, les genres, comme on l’a fait depuis longtemps pour les chiffres arabes ou les chiffres romains. D’ailleurs, l’acte de compter est fortement iconisé : on compte sur ses doigts, on peut annoncer une somme par des gestes ou bien l’on peut inscrire sur un papier ou sur le sol un montant que chacun traduira dans sa propre langue, comme c’est le cas pour une date, une année, quand celle-ci est signalée en chiffres.

   Nous prévoyons donc un panachage de lexique commun entre l’anglais et le français et d’iconisation muette de tout l’encadrement morpho-phonologique.

   On voit donc à quel point s’impose un rapprochement franco-anglais alors même que nombreux sont ceux qui conseillent de situer le français dans le camp de la cause du multilinguisme. Le français, en réalité, est tout intérêt à s’entendre avec l’anglais sur le dos des autres langues et de renforcer un axe linguistique vieux de mille ans.(1066 conquête de Angleterre par les Normands). Cet avatar du français évacuerait les éléments germaniques.

   Il est encore temps d’obtenir que la langue mondiale se présente comme un franglais, d’un tout autre type de celui prophétisé par René Etiemble, dans son Parlez-vous franglais ? Il ne s’agit, en effet, nullement ici de se lamenter sur la présence d’un millier de mots anglais en français mais bien de souligner la proximité entre les deux langues, après iconisation.

   Il convient de renoncer à des stratégies frileuses, sur la défensive et de prendre le taureau par les cornes et de revendiquer non pas un droit à la différence par rapport à l’anglais mais au contraire d’en affirmer la frappante proximité avec le français, inversant les termes d’Etiemble, c’est-à-dire en prônant l’existence d’un franglais mais non pas comme signe d’une invasion du français moderne par l’anglais mais bien de l’anglais médiéval par le français.

   Il faut bel et bien se féliciter de la fortune de l’anglais qui ne peut que renforcer la présence du lexique français dans le monde, tant il est vrai que l’anglais moderne véhicule des milliers de mots français. On s’attendra bien entendu à un certain combat épistémologique sur la notion de langue, sur l’évolution des mots, la linguistique étant souvent une arme mise au service d’une culture. On nous rappellera certainement que les mots français sont d’origine latine. Mais nous répondrons alors que l’anglais offre la particularité de ne pas avoir transformé le lexique ainsi emprunté au français, de l’avoir préservé et conservé tel quel, souvent sous la forme propre à l’ancien français d’ailleurs. On ira jusqu’à nous déclarer que le lexique n’est pas l’essentiel, le génie, d’une langue. Enfin, il faut s’attendre à un tir de barrage avec des arguments ad hoc. La guerre des langues n’est pas terminée et elle se place sur le plan scientifique, chaque école linguistique défendant, en fait, une certaine politique de la langue. En ce sens, il est urgent de développer une linguistique française sachant affirmer la prédominance de la langue française dans le monde.

   Claude Allègre avait raison quand il déclarait en 1998 que “l’anglais ne doit pas être considéré en France comme une langue étrangère”. Deux stratégies s’offrent au français : celle de se faire l’avocat du multilinguisme au nom de la francophonie et que nous rejetons et celle qui est de prôner une domination bicéphale franco-anglaise sur le monde et c’est notre position, qui est celle de la francologie. La véritable légitimité de la domination du français, c’est paradoxalement son emprise prolongée et massive sur l’anglais. La francophonie, qui se situe sur un plan culturel, ne peut en effet déboucher que sur un statut minoritaire du français alors que la francologie, qui se situe sur un plan scientifique, est une discipline linguistique qui constate que l’anglais et le français appartiennent depuis des siècles à une seule et même sphère, le français puis l’anglais ayant été le ciment des nations depuis des siècles, non pas en se substituant aux différentes langues mais en servant de supralangue. La force du français n’est pas tant d’avoir remplacé d’autres langues, du fait de la conquête, mais bien d’être entré dans le patrimoine d’un très grand nombre de langues, dont l’anglais n’est d’ailleurs que la manifestation la plus marquante. Un dictionnaire des mots français présents dans l’ensemble des langues du monde nous apparaît d’ailleurs comme une entreprise nécessaire. S’il est bien de réaliser une carte de la francophonie, il nous semble plus important encore de réaliser un atlas des langues où serait indiqué la proportion de mots empruntés au français. La superposition de ces deux documents remettrait les pendules à l’heure. Un troisième atlas mettrait l’accent sur le poids des langues latines dans le monde tant au niveau du nombre de locuteurs qu’en ce qui concerne les emprunts. Et l’on comprendrait alors que le franco-anglais est finalement l’aboutissement d’un très ancien processus de latinisation du monde.

   Si l’on parle du monde judéo-chrétien, pourquoi ne serait-il pas question d’un monde franco-anglais ? De la même façon que le judaïsme a essaimé et fécondé diverses formes de christianisme (catholicisme, protestantisme, culte orthodoxe) la langue française aura, selon nous, marqué tout un ensemble de langues européennes (depuis l’anglais jusqu’au russe en passant par l’allemand). Si le judaïsme apparaît comme une source majeure de spiritualité pour l’Occident, l’on peut dire que le français se manifeste comme une source décisive d’intellectualité pour ce même Occident. Si l’on ne peut comprendre le christianisme sans le judaïsme, on ne peut pas davantage appréhender l’anglais sans passer par le français. Il est grandement temps, en ce début de XXIe siècle, que l’on rende à César ce qui est à César et que l’on se décide à accepter l’existence de ces deux grands pôles à double détente de l’ordre mondial, l’un religieux et éthique, l’autre linguistique et esthétique. Il ne s’agit pas là, on l’aura compris, de juger de la valeur du judaïsme actuel pas plus que du français actuel mais bien de prendre conscience de leur apport historique, étalé sur de nombreux siècles, apport qui ne saurait être nié ou évacué tant il se situe inextricablement au coeur même du legs que l’Occident transmet au monde.

   Le français se trouve aujourd’hui face à un choix stratégique: soit de revendiquer un certain pluralisme linguistique contraire à sa vocation universelle et donc de passer de l’autre côté de la barrière, soit de maintenir sa vision universelle de la langue comme transcendant les diversités culturelles et dans ce cas faire alliance avec l’anglais, dans des termes qui soient acceptables tels que nous avons précisés.

Jacques Halbronn
Paris, 16 avril 2005

Bibliographie

    - “L’avenir s’écrit aussi en français”, dir. Marc Favre d’Echallens, Panoramiques, 69, 2004
    - A. Gilder, A. Salon, Alerte francophone. Plaidoyer et moyens d’action pour les générations futures, Paris, Arnaud Franel Ed., 2004
    - S. Arnaud, M. Guillou, A. Salon, Les défis de la francophonie. Pour une mondialisation humaniste, Paris, Alpharés, 2002



 

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