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Le handicap des étrangers :
la catégorie des mal parlants

par Jacques Halbronn

    Sauf à rêver d’une communication parfaite, dépourvue de toute ambiguïté, il y a toujours un certain risque de malentendu, au propre comme au figuré. En règle générale, un tel risque est assez faible du fait que le signifiant est appréhendé à l’aune d’un signifié consensuel, c’est-à-dire où une grande part de l’information est déjà connue, ce qui permet, heureusement, de rétablir ce qui aurait été mal dit par notre interlocuteur ou mal compris par nous, en tant que récepteur. Il y a là un précieux garde-fou qui évite bien des tensions et des incertitudes et que l’on pourrait qualifier de sens commun. Quelqu’un qui manquerait de sens commun - de “bon sens” - serait une personne qui serait prête à attribuer à ce qu’elle entend ou croit entendre une signification décalée et fort improbable, dans le contexte, sur la base de ce que l’on sait déjà de l’autre personne ou du domaine abordé. Or, force est de constater que certaines personnes paraissent singulièrement manquer de ce “bon sens” dont parlait Descartes, dans le Discours de la Méthode. A l’opposé du bon sens, il y a le contresens. Et une société qui vit dans la hantise du contresens est fragilisée: quel cauchemar, en effet, que de se dire que l’on ne nous comprendra pas bien et que cela dépendra de la moindre imprécision de notre part; qu’est ce que cette société qui exigerait de nous, à chaque instant, une expression parfaite, tant dans la forme que sur le fond, qui exigerait que nous n’omettions aucun détail, le moindre iota, bref que nous pensions à tout ? Sans quoi, la communication s’en trouve parasitée. On est alors loin de se comprendre “à demi mots” et il faut tout le temps “mettre les points sur les i”.

   Or, où trouve-t-on ce type de société sinon dans les milieux brassant des populations très différentes, n’ayant pas le même vécu, les mêmes références ? Ces sociétés là vont être amenées à se segmenter pour que les gens se retrouvent entre personnes “qui se comprennent”, ce qui va bien au delà de la pratique d’une même langue - condition non suffisante - mais qui en est souvent le corollaire et la condition.

   En pratique, une personne qui comprend mal ce qu’on dit, ce qui se dit - ce qui est inter-dit - va se marginaliser car elle freine le processus de communication. Et cela vaut aussi d’une personne dont l’expression fait problème parce qu’elle sort des sentiers battus. Autrement dit, la communication, tant pour le récepteur que pour l'émetteur, peut faire problème soit par le bas, soit par le haut, soit de la part de personnes qui n’ont pas un bagage suffisant, soit qui ont un bagage au dessus de la normale, de la moyenne.

   Si l’on prend la société française, aujourd’hui, on peut dire que celle-ci est à 80% constituée de gens qui se comprennent et qui ont affaire avec 20% de gens qui ont des problèmes de compréhension du fait de leurs origines étrangères ou de certaines pathologies. Ce pourcentage n’implique ici qu’un ordre de grandeur. Ces 20% de la population française font baisser la qualité générale de la communication ; dans d’autres pays, le pourcentage de cette population peut être bien plus élevé, dans d’autres plus faible.

   Avec ces personnes, nous ne savons pas précisément ce qu’elles vont ou non comprendre ; il nous faut donc nous appliquer. Or, quand on est entre gens qui se comprennent, on n’a pas à s’appliquer parce que la part de la valeur ajoutée est faible. En revanche, quand l’autre ne sait rien, il faut tout lui expliquer tant et si bien d’ailleurs qu’il y a de fortes chances qu’il ne perçoive même pas ce qui a été ajouté, c’est-à-dire le nouvel apport qui donne sa raison d’être à notre communication car pourquoi parler pour répéter ce que tout le monde est censé déjà savoir ? Sauf à régresser dans la pédagogie la plus élémentaire qui n’est plus une relation entre égaux, entre pairs. Dans ce cas, les personnes auxquelles on s’adresse ne connaissent de la question abordée que ce qu’on veut bien leur en dire, ce qui ne correspond pas vraiment à un débat équilibré dans lequel chaque protagoniste aurait ses propres sources d’information et ses moyens de recoupement. Pas question que l’autre lise “entre les lignes”, décode les allusions, devine ce à quoi nous voulons en venir. On est dans le tout ou rien.

   Celui qui se met en situation, en position d’étranger n’est guère autorise ni en mesure à corriger le discours d’autrui. Or, il n’y a pas de bonne communication sans correction, étant entendu que corriger exige une certaine maîtrise de l’ensemble des données en jeu.

   Plus généralement, la condition d’étranger conduit à une perception approximative en ce sens que l’on n’est jamais tout à fait sûr d’avoir bien compris ou d’avoir été bien compris alors qu’au contraire la communication entre natifs confère un certain sentiment de sécurité, dès lors que l’on se fie à l’autre pour donner, aménager, du sens aux propos tenus.

   On dira que l’étranger est à la merci d’un lapsus qui peut le diriger vers une voie totalement fausse et extrêmement improbable. La moindre faute commise, qui aurait du normalement ne pas même être relevée peut prendre des proportions considérables et l’on peut ainsi parler d’une précarité, d’une hésitation, de la communication.

   Le fait de bien connaître une langue n'empêche aucunement un tel dérapage. Bien au contraire, c’est souvent le caractère hypercritique de l’écoute de l’étranger qui l’empêche de rétablir le “vrai” sens de ce qui est dit alors que celui qui connaît mal une langue sera invité à deviner ce qui est dit et paradoxalement comprendra mieux le sens général du propos tenu que celui qui s’arrête à chaque mot. Le stade intermédiaire au niveau cognitif est souvent le plus problématique : on en sait trop et pas assez.

   Dès lors se pose la question de la participation des étrangers aux instances de discussion. Un groupe plus homogène parviendra plus facilement à s’entendre qu’un groupe hétérogène en ce qu’il ne partage pas le même signifié, chacun risque de s’enfermer dans un monologue et l’on aura bien du mal à aboutir à un processus collégial.

   La possibilité pour un groupe de se mettre d’accord non seulement sur des discours mais également sur des personnes, notamment en cas d’élection, tant sur le plan politique qu’universitaire, décroît avec la présence d’étrangers dès lors que ceux-ci ne bénéficieront pas de réflexes leur permettant en un très court laps de temps, et sans trop de peine, de capter la spécificité de chacun au travers de sa communication et de partager un consensus à ce sujet. L’étranger est menacé d’être victime d’une certaine idiosyncrasie qui tend à l’isoler dans sa perception des situations.

   La langue maternelle est celle des automatismes, de la seconde nature, elle permet d’accéder sur un mode subconscient à une forme d’infaillibilité. Quand il y a incompréhension entre un étranger et un “natif”, la faute en incombe, presque invariablement, à l’étranger qui a mal su doser son comportement ou mal apprécié celui de son interlocuteur. Etre étranger, c’est un peu comme conduire une voiture en état d’ivresse, avec des réflexes émoussés. Il y a toujours un élément qui échappe à l’étranger et qui conduit à un résultat mal anticipé à la façon d’un mal voyant buttant tôt ou tard sur un obstacle qu’il n’a pas vu venir.1

   La vision de l’étranger est rarement juste, il pèche trop souvent par optimisme ou au contraire par pessimisme. Les autres lui semblent avoir des comportements bizarres qui l’amusent ou qui l’attristent alors que c’est surtout lui qui ne suit pas. Les étrangers prennent un certaine plaisir à se retrouver entre eux, cela les rassure et ils peuvent ainsi casser du sucre sur les “natifs”. Entre eux, ils fonctionnent, au ralenti, mettant leurs hésitations sur le compte de la sagesse, selon des codes simplifiés et assez primaires, un peu comme lorsque l’on lit un texte en français facile. Au lieu d’accepter leurs limites, ils préfèrent considérer les “natifs” comme anormaux.

   Il est bien entendu que nous sommes tous susceptibles de nous retrouver en situation d’étrangers quand nous nous trouvons “à l’étranger” et alors nous ressentons que tout est un peu flou, imprécis dans notre perception des choses. Nous ne savons jamais de façon certaine ce qui se dit ou ne se dit pas, se fait ou ne se fait pas, qui est qui, quelle attitude avoir avec les gens que nous ne connaissons pas. On a alors l’impression que les gens réagissent trop vite, sans raison apparente, qu’ils ne prennent pas le temps de s’écouter alors que c’est nous, étrangers, qui captons, décryptons mal les messages qui circulent. Il est bon pour cette raison que l’on ne reste pas trop longtemps à l’étranger et que l’on se replonge dans le “vrai” monde, celui auquel nous correspondons, pour faire la différence ou en tout cas, il est souhaitable que nous fréquentions notre communauté, notre “colonie” à l’étranger plutôt que d’aller retrouver d’autres étrangers avec lesquels nous n’aurons ni les relations que nous avons avec les natifs, ni ceux que nous avions avec nos semblables. On en arrive alors à prétendre à l’existence d’une sorte de société universelle, qui transcenderait les frontières et qui est un leurre. Au nom d’une telle société, nous croyons alors avoir accès à une sorte d’évidence basique quant à des comportements qui vaudraient sur toute la planète, ce qui ferait que nous ne serions étrangers nulle part. On pourrait en vérité avoir la catégorie des mal parlants, comme il y a celle des mal voyants ou des mal entendants, sans parler des handicapés physiques ou mentaux. Catégorie d’handicapés sociaux qu’il faut accepter dans nos sociétés et qui représentent un pourcentage loin d’être négligeable.

   On sera peut-être scandalisé par notre proposition de prendre en compte les mal-parlants, on y verra la marque d’une xénophobie. Mais il ne s’agit pas ici de pratiquer la politique de l’autruche. Les étrangers font problème dans les sociétés où ils se trouvent et par étrangers, nous entendons les personnes qui, sans considération de race ou de religion, captent mal les codes sociaux en vigueur et souhaitent une sorte de relation sociale au ralenti, où leur ego serait protégé. C’est comme si des mal entendants voulaient nous imposer le langage des signes ou les mal voyants nous interdire de nous servir de nos yeux pour observer le monde.

Jacques Halbronn
Paris, 14 avril 2005

Note

1 Cf. notre étude “Psychanalyse de l’étranger”, sur le Site Hommes-et-faits.com. Retour



 

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