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La nébuleuse mimétique anglo-chrétienne

par Jacques Halbronn

    Parler la langue de l’autre, c’est indiscutablement permettre, délibérément ou non, qu’une certaine ressemblance s’établisse, voire, de fil en aiguille, une certaine confusion.

   Quand on parle de langue, cela vaut autant au niveau des mots qu’à celui d’une certaine terminologie, propre à une certaine culture.

   La langue donne accès à ce que nous avons appelé le signifiant social, c’est-à-dire certaine marques d’appartenance propres à un groupe donné, ayant une certaine Histoire et éventuellement assumant une certaine fonction, doué de certaines compétences.1

   Mais précisément; l’accès à un certain signifiant social par le truchement de la langue n’implique pas pour autant que nous puissions nous approprier le signifié social correspondant. C’est comme quelqu’un qui se déguiserait en pompier mais ne saurait pas pour autant éteindre un incendie.

   Si l’on veut bien admettre que de telles pratiques mimétiques puissent être dangereuses non seulement pour le groupe visé mais pour tous ceux qui sont susceptibles de compter sur lui, de faire appel à lui, il est souhaitable d’en limiter l’impact, puisque tout cela n’est pas innocent ni inoffensif.

   Cela dit, le signifiant social est également responsable : en se figeant, il facilite l’imitation, en ne correspondant plus à un signifié social évident, il ne permet plus guère de mise à l’épreuve. Un signifiant social qui se contente de se perpétuer est nécessairement à terme menacé par le mimétisme et impuissant à s’en protéger. Imaginons que tel signifiant social se réduise à un certain folklore, ne corresponde plus à une quelconque responsabilité précise, on ne s’étonnera pas à terme qu’il soit envahi par des individus n’appartenant pas à l’origine au signifié social correspondant, ce qui implique généralement une transmission héréditaire.

   Parmi les exemples historiques de mimétismes à l’égard de signifiants sociaux et de la part de signifiants sociaux, dans la mesure où tout être humain appartient, d’une façon ou d’une autre à un voire à plusieurs signifiants sociaux, on citera le christianisme par rapport au judaïsme, l’anglais par rapport au français.

   Dans un cas comme dans l’autre, on ne saurait parler de filiation, sans jouer sur les mots. Le christianisme n’est pas dérivé du judaïsme, tout comme l’anglais n’est pas dérivé du français. Cette façon de présenter le mimétisme comme une dérivation est de bonne guerre mais doit être dénoncée. Il est souhaitable de constituer un mimétisme comparé.

I - Christianisme et Judaïsme

   C’est à travers la personne de Jésus, réputé juif, que les Chrétiens en viennent à revendiquer non pas seulement le signifiant mais aussi le signifié juif et par conséquent de s’inscrire dans une filiation double, celle du signifiant au niveau d’un certain langage, d’une certaine terminologie mais aussi au niveau du sang, comme si le sang versé de Jésus avait transmis le signifié juif aux non juifs.

   Mais quelles sont à l’origine les motivations des non juifs adoptant un signifiant social qui n’est pas le leur ? Il faut probablement chercher en Palestine même, chez des populations non juives qui y étaient nombreuses. Volonté de leur part, on le conçoit, de s’assimiler certains traits propres à un groupe dominant, envié, jouissant d’un certain prestige. Il convient d’y voir, au départ, une affaire interne à la Palestine antique à moins qu’également hors de Palestine, certaines diasporas juives, du temps de Jésus, n’aient également fait l’objet de convoitises et n’aient suscité aussi un certain mimétisme à leur égard pour ne pas dire à leur encontre.

   Mais à partir du moment où le christianisme allait envahir l’ensemble de l’Europe, il faut bien reconnaître qu’une telle démarche ne pouvait que confiner à l’absurde car alors il n’y aurait plus que des juifs à moins que seuls les “vrais” juifs ne soient devenus, par un étrange renversement, les seuls non juifs !

   D’un point de vue anthropologique, en effet, devenir l’autre, c’est renoncer à son propre signifié social ou alors prétendre assumer plus d’un signifié social, quand bien même les dits signifiés sociaux seraient incompatibles et exigeraient d’être assurés par des populations distinctes.

   Car de deux choses l’une, ou bien je deviens l’autre en cessant d’être ce que j’étais auparavant mais est-il plus aisé de devenir autre que de ne plus être ce qu’on fut ou bien je suis les deux à la fois et là encore cela ne semble guère évident.

   On est dans une situation du type : ce qui est à toi est à moi et ce qui est à moi reste à moi.

   Cela dit, comme nous le laissions entendre au début, si un tel processus mimétique a pu avoir lieu, c’est probablement en raison d’une certaine crise du signifiant / signifié social ainsi en passe d’être imité, reproduit. C’est un peu comme une OPA (Offre publique d’achat), cela ne se produit pas par hasard, cela tient à certains dysfonctionnements de la cible, de la victime. Or, le mimétisme, c’est bien une OPA, pour employer le langage de la Bourse.

   Il est clair aussi que l’on ne va pas imiter une population impopulaire. Quel intérêt y aurait-il alors de s’exposer ainsi à toutes sortes de vexations, de diffamations ? Le mimétisme serait plutôt en quête de retombées flatteuses.

   On nous objectera que l’antijudaïsme a prospéré dans le monde chrétien, ce qui pourrait sembler un paradoxe. On peut se demander si l’existence d’un tel phénomène conduisant à leur marginalisation, n’est pas l’aveu d’un échec mimétique, c’est-à-dire si cela n’est pas l’aveu que l’on a bel et bien besoin des juifs, au niveau de leur signifié social quand bien même leur aurait-on emprunté au niveau du signifiant social.

   Or, c’est bien ce qui semble être reconnu de nos jours : les chrétiens semblent disposer à renoncer à certains aspects de leur mimétisme à l’égard du signifiant social juif, dès lors qu’ils sont plus ou moins contraints que le signifié social juif leur échappe.

   Il semblerait plus sage de renoncer carrément à un tel mimétisme et d’accepter une relation d’altérité, de complémentarité, où chaque signifiant social maintienne sa spécificité et assume les contraintes propres à son statut anthropologique de signifié social.

II - Anglais et Français

   Passons à un autre cas, moins connu, à titre de comparaison. Tous les historiens de l’anglais connaissent l’ampleur des emprunts de l’anglais au français mais cela ne signifie nullement que le public anglophone, notamment, en ait pris la mesure ou soit disposé à le faire. On notera que dans la mesure où l’anglais est devenu une langue extrêmement diffusée, la comparaison avec le christianisme se soutient et que là encore on est passé d’un enjeu local à un enjeu de civilisation, quasiment planétaire, dont certains événements récents, au niveau politique, pourraient être l’expression, on pense à la crise entre la France et le monde anglo-saxon, à propos de l’Irak (2003).

   De la même façon que l’on ne peut raisonnablement opposer radicalement judaïsme et christianisme du fait des similitudes entre les deux religions, il est bien malaisé d’opposer le français et l’anglais, tant ces deux langues ont fini par se ressembler, ce qui est d’ailleurs caractéristique d’une relation mimétique.

   Mais au moins dans le cas de l’anglais, chacun admet que l’anglais a d’abord été une langue germanique avant de se placer dans la sphère d’influence du français alors que les Chrétiens n’admettent pas forcément, pour leur part, que le christianisme, idéologiquement parlant, ait préexisté à sa rencontre avec le judaïsme et lui ait simplement emprunté certains traits.

   En réalité, l’on cherche souvent à introduire une certaine confusion en ce qui concerne le mimétisme de l’anglais par rapport au français. Au fond, on voudrait que l’anglais soit influencé par le latin tout comme les langues latines que sont le français, l’espagnol, l’italien, le roumain, le portugais, le catalan et j’en passe. Or, en affirmant cette filiation directe de l’anglais par rapport au latin, le moins que l’on puisse dire est que l’on cherche, ce faisant, à minimiser l’influence directe du français sur l’anglais.

   Quand on sait que le monde anglo-saxon est de surcroît très marqué par le christianisme, on peut admettre que la conjonction de ces deux mimétismes et des discours qui les accompagnent n’est pas sans une certaine pesanteur relevant peu ou prou d’une certaine psychanalyse sociale et de ce que nous tendrions à appeler une pathologie de l’altérité.

   Si en effet le rapport judéo-chrétien s’origine selon nous dans le voisinage des populations juives, le rapport franco-anglais fut d’abord circonscrit en Angleterre, à une relation entre deux populations en présence, la franco-normande et la saxonne.

   A la suite, au XIe siècle de notre ère, de la conquête normande2, la population locale saxonne, parlant un dialecte germanique voulut s’approprier la langue de la caste dominante, d’expression française, ce qui impliquait moult emprunts visant le signifiant social.

   D’où une métamorphose de la langue anglaise qui n’eut rien à voir avec une filiation directe avec le latin, même si certaines apparences pouvaient le laisser accroire. Or, alors que les langues latines ont fini par se différencier sensiblement les unes des autres, au point de ne partager qu’un nombre relativement limité de mots absolument identiques, la situation est bien différente si l’on compare l’anglais et le français, où l’on trouve énormément de mots s’orthographiant strictement de la même façon, compte tenu de l’évolution du français au cours des siècles. Citons en passant queue, source, table, age etc., etc. Il n’est donc pas besoin d’être grand clerc ni grand linguiste pour appréhender ici le processus mimétique intervenu au cours du dernier millénaire.

   En effet, le mimétisme implique une certaine fixation qui ne permet guère d’évoluer par rapport au modèle. Le français est beaucoup plus éloigné du latin voire de l’italien que l’anglais ne l’est du français, en ce qui concerne le nombre de mots identiquement orthographiés.

   Il serait évidemment souhaitable qu’une telle dette mimétique fût reconnue de la part de l’anglais et fut mieux revendiquée de la part du français, d’autant que, ne l’oublions pas, par delà les langues, il y a des signifiants sociaux que sont les populations anglophones et francophones et au moyen de la langue, il s’agit bien, ni plus ni moins, pour un signifiant social de se confondre avec un autre.

   Faudrait-il constituer des “amitiés” franco-anglaises sur le modèle des “amitiés” judéo-chrétiennes aux fins de régler certains litiges et de rétablir certaines vérités ?

   En fait, c’est l’ensemble du monde non romain qui est marqué par un tel mimétisme à l’égard du français car les emprunts au français concernent également l’allemand ou le néerlandais parmi d’autres langues germaniques que l’anglais ou le russe, parmi les langues slaves, le français apparaissant comme la langue de la romanité, en lieu et place du latin, au fond le français c’est la langue de la modernité latine, le latin ayant fini par devenir une langue morte, détrônée par sa progéniture. Et en ce sens, l’on comprend mieux la formule : la France, fille aînée de l’Eglise. Car est-ce la langue française que l’on a voulu imiter ou la France au travers de la langue française ? Il ne semble pas que l’on puisse dissocier une langue du signifiant social auquel elle se rapporte.

   On nous objectera peut être qu’alors que le clivage entre chrétiens et juif fait sens, dans notre propre représentation du monde3, on voit mal ce qui différencie encore le signifié français et le signifié anglais. L’enjeu ontologique, en effet, ne semble pas le même. Est-ce à dire qu’il n’existe pas pour autant un certain signifié français ?

   Il n’en existe pas moins des différences non négligeables entre les peuples initialement confrontés et il importe que celles-ci ne soient pas occultées par le mimétisme linguistique en question. Le paradoxe, c’est que précisément, de nos jours, on tend à faire abstraction d’un tel mimétisme, ce qui devrait donc relativiser le risque d’une confusion entre les signifiants sociaux visés. Il n’en reste pas moins que l’on est en droit de se demander ce qui a permis à l’anglais d’atteindre le statut de langue mondiale tout comme le christianisme est parvenu à contrôler une très large population. Est-ce l’élément français qui a permis à l’anglais d’accéder à la position qui est la sienne, est-ce l’élément judaïque qui a permis au christianisme de rayonner comme il l’a fait ? Dans ce cas, il s’agirait d’une forme d’imposture.

   Or, à l’échelle mondiale, le christianisme pourrait apparaître minoritaire et comme assumant un signifié social qui n’est pas le sien et ce faisant revendiquer une fonction qu’il est incapable de remplir. De même, et cela concerne notamment les Etats Unis, à la fois chrétiens et anglophones, double attribut qui leur conférerait moralement au fond comme une sorte de légitimé à la domination mondiale, fondée sur un double mimétisme.

   Quelque part, l’intérêt que les Anglais manifestèrent - notamment avec la Déclaration Balfour de 1917, à l’égard de l’établissement des juifs en Palestine ne relève-t-il pas de la perpétuation d’un certain mimétisme à l’endroit du signifiant juif ?

   En face de cette nébuleuse anglo-chrétienne pourrait se profiler un ensemble franco-judaïque, qui existe déjà potentiellement du fait que la population juive en France est, de nos jours, la plus importante d’Europe mais qui est loin d’avoir pris conscience de sa signification. Comment contester, en tout cas, ce qu’il peut y avoir de factice dans la nébuleuse anglo-chrétienne et ce qu’il y a de plus originel dans l’ensemble franco-judaïque ?

   Le mimétisme n’est pas sans comporter ses stigmates, en ce qu’il est par définition en porte à faux. Les Etats Unis, terre d’immigration s’il en est, sont marqués, par desssus le marché, par un mimétisme propre à tout déracinement. No comment !

Jacques Halbronn
Paris, 19 mai 2003

Notes

1 Cf. notre étude sur le Site Ramkat.free.fr “Du signifiant au signifié juif : les limites du mimétisme”. Retour

2 Cf. notre étude sur le parallèle avec l’empire ottoman, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

3 Cf. notre texte “science, conscience, inconscience“, sur le Site Faculte-anthropologie.fr. Retour



 

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