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Emprunts et formation d’une nouvelle langue |
L’anglais a emprunté massivement au français au point de donner naissance à une nouvelle langue qu’il conviendrait normalement d’appeler franglais si Etiemble n’avait utilisé ce terme pour désigner les maigres emprunts du français à l’anglais et qui ne sauraient, pour leur part, un état nouveau du français.
Toutefois, les emprunts anglais au français ne sont pas tous du même ordre.1 Il en est qui n’opèrent aucun changement et d’autres qui conduisent à des formes quelque peu nouvelles.
En tout état de cause, un emprunt n’est jamais transféré sans subir quelque changement, à un niveau ou à un autre, ne serait-ce que par son environnement sémantique ne sera plus tout à fait le même, se trouvant en concurrence notamment avec d’autres termes existant dans la langue emprunteuse. En outre, l’emprunteur ignore le plus souvent certaines acceptions, certains usages du mot considéré et ne retiendra donc que ceux dont il a eu connaissance. Le décalage est donc ici lié à une méconnaissance des signifiés associés à ce signifiant ou bien à un besoin limité de ce mot pour un sens bien précis, les autres sens important peu.
Qu’est-ce qui justifie un emprunt ? Si l’on emprunte un mot pour désigner une notion n’existant pas dans une langue, n’est-il pas possible de faire évoluer les mots déjà existants de façon à leur assigner de nouvelles significations, plutôt que d’avoir à introduire un nouveau signifiant ? Cela peut certes s’envisager pour un nom propre, et encore sous certaines conditions, nettement moins pour un nom commun. Il n’est certes pas innocent, pour parler du français, d’emprunter le mot leader, comme si l’on n’y disposait pas de mots adéquats.
On s’intéressera ici, tout particulièrement, aux décalages apparents entre le mot emprunté et son traitement dans la langue prêteuse. Il convient d’insister sur le point suivant : le fait que l’usage diffère n’annule pas pour autant l’emprunt. En revanche, le changement de forme fait la différence entre un emprunt littéral et un emprunt retravaillé. C’est pourquoi il faut se méfier des dictionnaires.
C’est ainsi qu’une forme féminine de l’adjectif vaudra en anglais tant pour le féminin que pour le masculin, parce que l’anglais ne distingue pas les genres au féminin, pour des raisons que nous expliciterons à l’occasion. Si l’emprunt restitue une forme existante dans la langue d’emprunt mais dans un sens différent, on ne saurait en règle générale parler d’une véritable réélaboration du mot (ex. l’anglais positive, pour le français positif / positive).
Cependant, de fait, de tels décalages peuvent dessiner durablement le profil de la nouvelle langue en gestation, ou du moins d’un nouvel état de langue, et ce tant pour la langue emprunteuse que pour la langue d’accueil. Autrement dit, les emprunts massifs et d’une certaine façon systématiques au français auraient produit une nouvelle langue qui ne serait ni le français ni l’anglais mais une sorte de langue hybride, une néo-langue - un franglais - qui est la langue actuellement considérée comme internationale par excellence.
Dans notre précédente étude sur la coloration des langues, nous distinguions les bons et les mauvais emprunts, à savoir ceux qui étaient passés par le creuset (melting pot) de la langue d’accueil et ceux qui étaient restés peu ou prou tels quels, constituant un Etat dans l’Etat. Or, on peut dire que l’anglais a échoué dans sa politique d’emprunt mais que cet échec lui aura précisément permis, à terme, de concurrencer efficacement le français. Mais quels sont les critères de l’échec au niveau de l’emprunt linguistique ? L’anglais aura ainsi donné un nouveau visage au français sans pour autant l’angliciser. L’anglais aura conduit, en définitive, à une mutation du français, ce qui ferait en fait sa modernité. En effet, cette mutation ne s’est pas opérée de la façon habituelle et c’est au fond peut être ce qui la distingue et fait son charme. En tout état de cause, il serait abusif de désigner cette néo-langue sous le nom d’anglais, d’abord parce qu’elle n’a plus grand chose à voir avec l’anglais antérieur à la phase d’emprunt au français et ensuite parce que cette langue est parlée sur toute la planète et n’est pas, depuis longtemps, le monopole d’une population spécifique qui serait celle des Anglais. On pourrait dire que les Anglais ont été la mère porteuse de cette langue dont le père est le français. La comparaison peut être filée davantage : cette néo-langue est le fruit d’une mixité franco-anglaise, d’un accouplement, d’un mariage linguistiques. Comme tout enfant, cette langue fut d’abord associée à sa mère dont elle sort, en quelque sorte physiquement, sans que l’on sache toujours qui en est le père. La recherche de paternité, grâce à l’ADN linguistique, renvoie de façon évidente au français qui a le droit de lui donner son nom et d’ailleurs l’enfant ressemble fortement à son père, il en a de nombreux traits.
On peut dire sans exagérer que l’anglais a simplifié le français, sans le vouloir cependant mais il ne l’a pas pour autant rendu à sa propre image, même si ce qu’on appelle anglais ressemble sur certains points à l’ancien anglais, celui du premier millénaire. La comparaison entre l’anglais et l’allemand est édifiante et montre à quel point cette langue s’est dégermanisée. Il n’est pour cela que de rappeler le marqueur du pluriel dans la néo-langue en s, inconnu en allemand. A noter, d’ailleurs, que l’allemand, lui aussi, aura été fortement marqué par le français mais la comparaison montre que cela n’a pas pris tout à fait les mêmes proportions, non pas tant d’ailleurs au regard du lexique qui sont considérables2 qu’au niveau syntaxique et morphologique voire phonologique.
Car contrairement à ce que l’on pourrait croire un peu vite, la question lexicale n’est pas au coeur du débat ou du moins pas de la façon que l’on imagine. Nous avons déjà signalé qu’un emprunt maladroit pouvait conduire à introduire dans la langue emprunteuse la morphologie de la langue prêteuse.
C’est ainsi que la construction de la phrase anglaise se rapproche plus de celle de la phrase française que de la phrase allemande, la question du cas possessif mise à part. Cela peut tenir au fait que l’anglais ait emprunté des phrases entières au français comme le fameux honni soit qui mal y pense, devise des rois d’Angleterre.
La simplicité de la formation de l’adjectif anglais n’a nullement son pendant en allemand - lequel en outre recourt à une déclinaison. Certes, le français n’a pas neutralisé ses adjectifs mais il n’en comporte pas moins de nombreux adjectifs qui ne se distinguent pas au masculin et au féminin, comme par exemple riche. Mais si on va plus loin, vu que le français n’utilise pas des marqueurs de genre lourds comme en italien et en espagnol, l’on peut aisément croire qu’il n’en utilise pas. C’est le type même d’erreur de description face à une morphologie linguistique trop subtile qui aura conduit, peu à peu, à agir sur la morphologie de la langue emprunteuse, et ce bien au delà des limites de l’emprunt lexical stricto sensu. Notre conception de l’emprunt linguistique est donc relativement plus large que celle admise coutumièrement.3
En ce qui concerne la conjugaison, et le marqueur du pluriel qui n’existe qu’au niveau du prénom personnel (they), on notera que le français peut fort bien avoir servi de modèle : quelle différence, à l’ouïe, entre il chante et ils chantent ? Là encore, le français se distingue nettement des autres langues latines. L’allemand, quant à lui, marque bien plus nettement qu’en anglais moderne le passage du singulier au pluriel du verbe. Certes, l’anglais a-t-il été plus royaliste que le roi et a encore renforcé certains traits du français mais c’est à partir du français et non de son propre génie germanique qu’il aura procédé.
Le français se prête à ce type de simplification en raison de son système phonologique très fin. C’est ainsi que l’on pourrait même être amené à confondre le présent et le passé, dès lors qu’un étranger distinguerait mal à l’oreille je chante, j’ai chanté ou je chantais, du moins chez des autodidactes qui ne sont pas passé par l’écrit. En fait, le français est une langue qui semble très compliquée à l’écrit et parfois trop simple et n’introduisant pas assez de nuances, au niveau des marqueurs, à l’oral. Mais le néo-anglais semble présenter en gros le même profil et il semble bien difficile d’opposer le néo-anglais au français, tant la philosophie de la langue est proche, du fait précisément de l’influence du français.
Donnons quelques exemples de termes anglais dérivés du français tout en offrant des particularités qui ne s’expliquent nullement par l’idiosyncrasie de l’anglais d’origine.
- le verbe français conquérir a donné le néo-anglais, conquer par suppression du suffixe ir à moins que conquer ne dérive du futur, je conquerrai ou que conquer dérive du présent conquiers. De même souffrir devient suffer, par suppression du ir. Mais le problème, c’est que la finale er caractérise aussi l’infinitif d’une catégorie de verbes français. On peut donc penser que conquer et suffer étaient perçus comme des infinitifs et que ce qui est supprimé est considéré par les emprunteurs comme le suffixe du futur en ir, ce qui trahit une certaine méconnaissance de la construction du futur français.
- l’adjectif néo-anglais difficult est dérivé de difficulté (difficulty) et n’est nullement une anglicisation de l’adjectif français difficile. Le t final de difficult est donc du à une partie du suffixe nominal ! L’anglais a formé beautiful à partir de beauty, additionnant ainsi deux suffixes, ti / ty et full, ce qui est tout de même assez lourd. Il semble donc que l’anglais ait eu des problèmes avec ses emprunts adjectivaux qui ne sont pas une pleine réussite.
La formation de l’adverbe en néo-anglais est également assez étrange : il semble que l’on ait pensé supprimer le suffixe français en -ment, probablement considéré comme substantival (ex. government). Ex : généralement devient generally mais cette finale en ly - qui rend la finale le - qui est propre aux mots se terminant en al, semble avoir été assignée à toutes les formes adverbiales, comme par exemple definetely. Sans le rapport au français, aussi biaisé soit-il, peut-on comprendre le suffixe adverbiale en ly du néo-anglais ? Quant à la finale en y, elle est censée rendre le e accentué, comme dans beauty mais aussi probablement le e non accentué. Ajoutons qu’en français c’est l’adjectif au féminin qui sert à former l’adverbe, ce qui pourrait également expliquer l’usage des adjectifs féminins du français en néo-anglais. Exemple : positively serait dérivé de positivement.
Il reste que l’anglais a bien su faire usage des finales en e muet comme dans because, qui vient de à cause ou change. Mais on retrouve ce e muet à la fin de mots germaniques comme l’adjectif white, ou le verbe write, ce qui montre bien la francisation du système morpho-phonologique de l’ancien anglais, y compris dans le lexique non français. L’allemand ignore le e muet en finale tout comme les autres langues latines que le français.
On peut même penser que la façon anglaise d’avaler les r en finale (ex. a writer) viendrait du français dont on sait qu’il ne prononce guère les consonnes finales et particulièrement les infinitifs en er. (je veux manger) à la différence des infinitifs en ir.
Parfois l’anglais introduit des suffixes qui différent de la forme française, comme dans poetry ou rivalry au lieu de poésie et rivalité mais le suffixe ry est lui-même fort fréquent en français comme dans chevalerie qui a d’ailleurs donné chivalry.
Dans de nombreux cas, le mot en néo-anglais est simplement dérivé du substantif : exemple digest vient de digestion, impress vient de impression et ainsi de suite.
Concluons donc que dans la rencontre de l’ancien anglais avec l’ancien français, il semble que le premier n’ait pas été de force pour digérer le second. Nous dirons que le néo-anglais a fait ainsi évoluer le français et qu’il se situe bel et bien dans le cadre des études de linguistique française, en raison même du faible poids de l’encadrement germanique. On pourrait ainsi parler de la seconde conquête de l’Angleterre, après celle de Guillaume le Conquérant.
Il est probable que ce néo-anglais qui est aussi un néo-français ait quelque avenir devant lui. Au fond, tout s’est passé comme si l’on avait voulu simplifier le français, sans plaquer par dessus les catégories d’une autre langue qui eut interféré. Le cadre germanique se réduit à bien peu de choses qui pourraient à la rigueur être tolérées, quelques pronoms personnels qui, d’ailleurs, ne sont pas si éloignés du français : le ou de you est très proche de celui du vous français, le he est phonétiquement accordé au il français et la première personne du singulier, I, est définitivement apparentée avec le Je français, qui s’écrit J (anciennement I) devant une voyelle. On pourrait multiplier les exemples de convergence même pour les prépositions comme pour at et à , parfois dues au fait que l’on a affaire à deux langues indo-européennes, d’où notamment des similitudes dans la numération : one et un , two et deux, three et trois. On relèvera en particulier many qui correspond au maint français et le any au aucun / aucune. Même le nom des mois a un côté français comme pour le mois de Mai, qui se prononce à la française (May) sans parler des mois en er (september, october etc. sur le modèle de center pour centre). Même des formes comme what>, which, when, why, who, where sont proches du français ou du latin dès lors qu’on ajoute au début un q : quoi, qui, quand, quia, quo.
Autrement dit, le français avec le néo-anglais est plus que toute autre langue en terrain de connaissance et l’opposition entre les deux langues nous semble assez vaine. Une entente linguistique franco-anglaise, prochainement, nous semble éminemment désirable.
Le néo-anglais, nous le disions, est une langue d’une autre génération, elle a été retravaillée voire repensée artificiellement au lieu d’évoluer normalement. Le français, laissé à lui-même, on ne peut que le constater a évolué autrement, il n’est pas vraiment parvenu à se simplifier, ne pouvant dès lors rivaliser avec le néo-anglais fruit de ses amours occultes, sinon morganatiques, avec l’ancien anglais.
Jacques Halbronn
Paris, 15 juillet 2003
Notes
1 Cf. notre étude sur la coloration des emprunts, Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr, rubrique Gallica. Retour
2 Cf. notre étude sur les mots français dans le Judenstaat de Th. Herzl (1896), in Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ramkat, 2002, pp. 83 et seq. Retour
3 Cf. notre bibliographie, dans l’étude de la guerre des langues à la guerre des mots, Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr, rubrique Gallica et notamment nos études sur Hommes & Faits, Site Faculte-anthropologie.fr. Retour
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