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Editions RAMKAT




GALLICA

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La carence (hypnologique)
du réseau étymologique en anglais

par Jacques Halbronn

    Il est des langues dans lesquelles on circule plus ou moins bien, qui facilitent ou non l’activité de leurs utilisateurs.1 C’est ainsi que l’anglais, du fait de sa politique, consciente ou non, d’emprunts massifs, comporte un médiocre réseau de signifiants, en comparaison notamment avec le français.

   A l’époque où il est tant question de réseaux (networks), force est de constater que la communication entre mots anglais est défectueuse. Autrement dit, il s’agit de se demander comment un locuteur circule au sein de sa langue, d’une façon que l’on pourrait qualifier d’hypnologique et de subconsciente.2 On comprend pourquoi un Jacques Lacan est francophone et non pas anglophone : l’anglais ne favorise pas l’association des mots du moins pas de manière optimale. Si le lecteur, à ce stade de notre exposé, ne comprend pas à quoi nous voulons en venir, c’est bien qu’il y a un problème de prise de conscience dans son rapport au langage.

   Qu’entend-on ici par la dimension hypnologique d’une langue ? Il s’agit de la faculté d’une langue donnée, définie ici d’un point de vue purement sociolinguistique, utilitaire, englobant tous les emprunts, tous les clonages, qui sont devenus, à un certain niveau, constitutifs de la dite langue, de nous aider à penser, par le jeu des signifiants.

   Non pas que les locuteurs d’une langue mieux organisée soient nécessairement toujours conscients des avantages dont ils jouissent mais ces avantages n’en sont pas moins là, facilitant les associations d’idée, guidant la réflexion. Au fond, la question qui se pose ici est celle du contenu, du substrat philosophique des langues.

   Certes, les mots d’une langue s’harmonisent nécessairement au niveau sémantique, au niveau du signifié, voire au niveau phonétique mais cela ne saurait remplacer la carence du réseau de signifiants, que l’on pourrait appeler le niveau étymologique.

   Le coût de l’emprunt linguistique concerne en effet cette dimension étymologique (d’un mot grec qui signifié vérité). En effet, un mot étranger est un mot qui ne comporte pas de filiation dans la langue emprunteuse, ce mot renvoie à un signifié bien spécifique, ni plus, ni moins, sans s’inscrire dans un réseau de signifiants et donc de signifiés auquel il est connecté de par le processus étymologique.

   Bien sûr, l’anglais dispose d’un certain nombre de particules, qui sont aussi des prépositions, et qui lui sont fort précieuses du type up et down, qui ont des significations opposées et se greffant à la suite de divers verbes ; généralement il ne s’agit d’ailleurs pas d’emprunts (get, go etc). Il partage cet avantage avec d’autres langues germaniques. Le locuteur anglais a donc en stock, dans sa mémoire des verbes se combinant avec un certain nombre de particules qui confèrent sa signification ponctuelle à tel ou tel verbe. Subconsciemment, on peut supposer qu’il peut ainsi associer tous les sens qui peuvent être reliés à un verbe donné, du fait de toutes les particules avec lequel il s’articule.

   En revanche, en est-il de même pour les mots empruntés ? Nous ne pensons pas par exemple qu’un locuteur anglophone fasse le lien, consciemment voire subconsciemment, entre souvenir et avenue, qu’il sache que ces deux mots sont construits autour du verbe venir ou du moins qu’il soit amené à y penser, que cela soit vrai ou faux, d’ailleurs. Il est en effet évident que ce qui importe ici ce n’est pas tant la pertinence du lien linguistique qu’un ressenti linguistique intersubjectif.

   L’anglais serait ainsi composé de milliers de mots, d’expressions, sans lien subjectif entre eux, ce qui est, on l’avouera, assez appauvrissant et ce notamment sur le plan de l’activité subconsciente qui fonctionne fortement au niveau des signifiants. L’anglais ne permet pas une bonne circulation entre les mots, dans la mesure où c’est par les signifiants que les signifiés sont liés. On peut certes faire des jeux de mots entre signifiants qui se ressemblent plus ou moins mais cela n’a guère à voir avec une philosophie sous-jacente de la langue, s’articulant sur une étymologie pertinente.

   C’est pourquoi il est toujours préférable pour une langue d’éviter les emprunts, sauf s’il s’agit de racines existantes ; c’est ainsi que lorsque le français emprunte à l’anglais des usages nouveaux de mots d’origine française, cela ne saurait faire problème - pas plus que si cela venait du québécois dans la mesure où l’anglais participe de la sphère francophone - en revanche, l’emprunt de week end en “franglais” conduit à la formation d’une sorte d’enclave.

   On pourrait donc dire que les langues nous apprennent à penser, à raisonner, non pas seulement, comme on le dit généralement, par la construction de la phrase, du discours qu’implique tout propos, mais aussi parce qu’elles balisent le champ des signifiés à leur façon et induisent, par leur réseau étymologique plus ou moins obvie, un certain nombre de rapprochements qui impliquent ipso facto autant de distinctions.

   Qu’est-ce qui conduit en effet à organiser autour d’une racine tout un champ sémantique comportant des notions à la fois fort variées voire contradictoires mais qui n’en sont pas moins, littéralement, reliées, par la dite racine commune ? On pourrait d’ailleurs parler d’une sorte de déclinaison sémantique de la racine, jouant sur un tout un système de suffixes lesquels permettent de nombreuses variations.

   Pour apprécier la qualité de la circulation des locuteurs en une langue donnée, on peut faire passer des tests d’ergonomie linguistique : il s’agirait de demander à des groupes de locuteurs, constitués chacun autour d’une langue donnée, d’associer une liste de cent mots avec le reste du lexique existant, non point par synonymes ou homonymes mais d’après les racines. On observerait ainsi la médiocrité des résultats propres au groupe des locuteurs anglophones, tant sur le plan quantitatif (c’est-à-dire du nombre de mots ainsi mobilisés) que qualitatif (c’est-à-dire de la pertinence étymologique). On peut s’attendre à ce que les locuteurs arabes, par exemple, aient de bons résultats - du moins ceux qui savent lire et écrire - en raison de l’usage du schème consonantique, dépourvu de voyelles, qui rend les étymologies plus transparentes, étant entendu que dans la liste type choisie, une certaine proportion serait constituée d’emprunts à d’autres langues. La difficulté consiste à dresser, pour chaque langue, des listes à peu près équivalentes.

   Cette difficulté à circuler dans la langue ne tient pas tant, soulignons-le, à l’incompétence des locuteurs qu’au fait que les emprunts linguistiques sont toujours partiels et appauvris, dans un rapport ponctuel avec l’original ; de nombreux chaînons y font défaut qui ne facilitent guère le transit étymologique et ne permettent pas au locuteur de maîtriser sa propre langue, d’en tirer un enseignement intrinsèque, d’en recevoir un héritage sémantique.

   Mais par delà de telles expériences, il convient de comprendre que les langues sont porteuses d’une certaine sagesse, qui est celle de ceux qui les ont élaborées et qu’une langue comme l’anglais n’est pas un bon exemple de la dite sagesse sous-jacente, en raison de son opacité lexicale, sauf sur de brefs segments qui peuvent faire illusion.

   Ce dont il est question ne se réduit pas à ce que l’on nomme généralement le champ sémantique d’un mot ; il s’agit de bien plus que cela : on parle ici d’un ensemble de mots qui sont étymologiquement reliés, comme articulés sur un même radical et constituant, cumulativement, un discours complexe et dialectique.

   Reprenons l’exemple du “radical” venir. L’ensemble constituable autour de “venir” comporte outre la conjugaison du verbe venir et de tous les autres verbes comportant la forme venir à l’infinitif, et qui comporte déjà un certain rapport à l’espace social, la “déclinaison” de tous les préfixes : convenir, prévenir, devenir, provenir etc, mais aussi de tous les substantifs (noms) : avenir, avenue, avènement, aventure, souvenir, provenance, convenance etc. On conçoit que la circulation entre mots d’un même ensemble constitue ce que nous appelons un hypno-savoir, c’est-à-dire quelque chose que l’on sait sans savoir qu’on le sait et qui n’en fonctionne pas moins, sur un plan ou sur un autre, probablement de façon plus déterminante qu’on veut bien le croire. La psychanalyse, notamment, semble avoir pressenti l’existence d’un tel hypno-savoir linguistique, notamment à partir de l’allemand (Freud) et du français (Lacan). La phonologie, également, ne se définit-elle pas par un besoin de distinguer des mots qui se ressemblent, encore que son objet soit à mi-chemin entre la phonétique et la sémantique et ne prennent peut -être pas assez en compte les enjeux morphologiques ? Nous pensons, en effet, que le champ que nous décrivons ici pourrait être qualifié de morpho-sémantique. Il est probable qu’une réflexion linguistique se constituant à partir de l’anglais risquerait fort de conduire à des conclusions atypiques, du moins au regard de la mise en évidence d’un tel processus hypnologique. Il faudrait parler d’un ethno-hypno-savoir linguistique pour mettre en évidence de telles différences d’une langue à l’autre.

   Parmi les hypno-savoirs dont nous disposons, en d’autres domaines, il conviendrait de signaler tous les processus corporels qui fonctionnent en quelque sorte à notre insu, en dépit de notre ignorance anatomique ou du moins dont l’efficience n’est pas fonction de notre culture en biologie ou en médecine. Il y aurait donc entre les êtres humains une plus grande égalité qu’il n’y paraîtrait. Ce point est essentiel à considérer lorsque l’on porte un jugement sur les inégalités culturelles et autres, en ne tenant compte que des savoirs acquis, reçus dans le cadre d’institutions, de formations. La théorie de l’hypno-savoir met en évidence le fait que nos connaissances astronomiques3, linguistiques, anatomiques et autres, sont à peu près équivalentes et fort bien réparties, beaucoup mieux qu’on ne le pensait jusqu’à présent. Cela tient au fait que nous savons mieux nous informer et nous diriger qu’on ne l’avait cru et que ce sont les lacunes dans le domaine des hypno-savoirs qui sont plus rédhibitoires que celles existant au niveau des savoirs conscients, du logos.

   Certaines maladies, notamment celles qui touchent au cerveau, au patrimoine génétique, nous apparaissent comme relatifs à nos hypno-savoirs et d’une façon générale, les maladies, les infirmités (cécité, surdité) sont les causes les plus graves d’inégalité, bien avant les carences éducatives, éducationnelles, socio-économiques. Ce sont aussi nos hypno-savoirs qui conditionnent en partie notre plaisir du fait des sensations que nous sommes en mesure de dégager de notre environnement visuel, sonore, olfactif, gustatif etc. Ce sont nos hyno-savoirs qui nous facilitent l’existence et économisent notre énergie quant au décodage d’un certain nombre de signes et en ce sens, d’ailleurs, à un niveau intermédiaire, plus superficiel, le déracinement culturel, l’émigration, constituent un handicap plus grand que le fait, même dans des conditions parfois précaires, de rester au sein d’une culture à laquelle nous sommes habitués et par rapport à laquelle nous bénéficions d’automatismes.

   Autant de coefficients à prendre en compte, selon nous, pour apprécier équitablement le fonctionnement d’une société donnée. Critères certes, probablement plus complexes à mettre en oeuvre de par leur dimension subconsciente ou non-consciente, mais qui se révèlent cependant indispensables pour mener à bien un tel projet d’évaluation.

Jacques Halbronn
Paris, 31 juillet 2003

Notes

1 Cf. notre article sur l’ergonomie des langues, Hommes & Faits, Faculte-anthropologie.fr. Retour

2 Cf. notre travaux sur Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr, rubrique Hypnologica. Retour

3 Cf. nos travaux sur l’astrologie, sur E. H., rubrique Astrologica. Retour



 

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