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JUDAICA

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La véritable émancipation du Juif :
manifeste pour un judaïsme conscientiel

par Jacques Halbronn

    L’hébreu est une langue qui a été étudiée sous toutes les coutures, peut-être trop. Tout se passe en effet comme si cette hyper-analyse de l’hébreu s’était faite aux dépends d’autres activités et, plus généralement, nous dirons que les juifs se sont peut-être trop intéressés au Judaisme et que les choses ont changé quand ils s’en sont émancipé, c’est-à-direquand les juifs ont découvert d’autres centres d’intérêt qu’eux-mêmes.

   Selon nous, les juifs ont affaire avec la consciencialité, la lucidité, ont un devoir, une éthique de la conscience et en ce sens, ils s’inscrivent dans une exigence épistémologique et ontologique.

   Mais, ipso facto, cela signifie que les juifs s’appliquent nécessairement à quelque chose qui est de l’ordre du monde, des nations, dont ils seraient la conscience, c’est en cela que réside leur altérité.

   C’est ainsi que le juif ne peut être concerné que par l’autre auquel il est censé apporter la conscience. Ce qu’on appelle judaïsme ne saurait donc être réservé aux seuls Juifs.

   Comment en est-on alors arrivé à une telle confusion ? L’hypothèse que nous considérons comme la plus probable dans notre tentative de conscientisation du Juif - conscience de la conscience en quelque sorte - est celle du juif en représentation à l’extérieur.

   Selon nous, en effet, le juif est voué à représenter - c’est-à-dire à présenter autrement - - sinon le monde du moins un monde, culturel, intellectuel ou autre. En tant que porteur de cette conscience d ‘un certain monde, il est possible qu’il soit identifié à ce monde et que ce monde ainsi représenté par lui soit perçu, à tort, comme juif. Si j’émigre, je serai porteur de culture française et là où je serai on pourra éventuellement croire que puisque je suis juif, cette culture que je porte en moi est judaïque, définissant le contenant par le contenu.

   Il peut arriver que le juif oublie les origines du monde qu’il représente ou qu’il en soit, pour quelque raison, le (seul) survivant tout comme il peut perdre la conscience de ce qu’il est, s’identifiant au monde dont il est porteur - ce qui correspond à une forme d'idolâtrie.

   Il importe de prendre du recul par rapport à ce monde qu’il véhicule et qui quelque part fait obstacle à sa mission d’être la conscience du monde, sous ses multiples facettes et non pas d’un seul monde. Il doit donc s’ouvrir au monde, s’émanciper de ce monde avec lequel il est identifié.

   En Israël, on se rend bien compte de ce que différents mondes y sont représentés par des juifs issus des horizons les plus divers mais ce fut déjà le cas, sur cette même terre, dans l’Antiquité, quand les juifs y apportèrent la conscience des diverses cultures dont ils étaient issus.(Mésopotamie, Egypte) En ce sens Freud eut raison de faire du monothéisme une religion non juive.1

   La fierté des juifs, c’est précisément non pas de constituer une culture parmi d’autres mais d’être la conscience de chacune d’entre elles et ce n’est qu’ainsi, que les Juifs seront en dualité avec le monde dans son ensemble, en tant que pôle de consciencialité.

   D’ailleurs, le rapport laborieux et bancal que tant de juifs encore entretiennent de nos jours avec l'hébreu - lisant des mots sans les comprendre et sans même les identifier - est caractéristique de ce dépassement. Ils n’évoluent dans ce domaine que bien maladroitement, ils sont devenus étrangers à cette langue qui de toute façon n’est pas leur en ce sens que les juifs n’ont pas de langue qui leur soit propre. Or, il n’est pas de conscience hors de l’excellence. Visiblement, les juifs ont d’autres chats à fouetter que de se cantonner dans un judaïsme qui appartient au passé et qui n’en est un qu’au prix d’un certain amalgame.

   Parler de l’émancipation des Juifs signifie pour nous que les juifs échappent à leur judaïsme pour renouer avec le monde et en (re)devenir la conscience et c’est ce qui s’est passé quand dans tant de domaines - non judaïques - ils ont apporté une certaine lucidité, une certaine conscience de ce qu’il en était. En sortant de leurs ghettos, les juifs au lieu de surconscientiser un champ qui était toujours le même, et étiqueté comme juif, allaient s’ouvrir à tant de champs nouveaux en y appliquant les aptitudes qu’ils avaient développées et aiguisées en se focalisant sur le “judaïsme”. En ce sens, ce que l’on appelle le judaïsme laïc répond à cette tendance mais sans être parvenu à définir ce qui pouvait être vraiment juif en dehors du “judaïsme”.

   Entre un judaïsme orthodoxe qui continue à se polariser sur le “judaïsme” et un judaïsme laïque qui n’aboutit qu’à un certain folklore, parmi d’autres folklores, il y a place pour un judaïsme conscientiel qui respecte vraiment la différence radicale du juif au monde.

   Ce faisant, il n’est pas question d’entrer dans un communautarisme qui placerait les juifs sur le même plan que les “nations” puisque chaque nation a ses juifs qui en sont la conscience et qui la représentent, alors que les non juifs, chrétiens, musulmans, français, russes etc., ne représentent que leur culture.

   Il semble par ailleurs envisageable qu’il puisse exister une instance suprême qui ne comporterait que des juifs, chacun représentant - au plus haut niveau - un monde différent. L’ensemble de ces juifs seraient bel et bien la conscience non plus de mondes mais du monde.

   Non pas, pour autant, que chaque juif puisse exceller dans cette mission de consciencialité, même chez les juifs il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus et d’ailleurs c’est aussi bien, car le monde n’a besoin que d’une poignée d’entre eux. Insistons encore une fois sur le fait qu’un juif ne peut donner le meilleur de lui-même que lorsqu’il s’est enraciné dans un monde et non en tant qu’étranger à tout monde, ce qui est le cas des juifs déracinés, pris dans un processus mimétique, une quête de reconnaissance aux antipodes de la consciencialité qui est maîtrise de l’intérieur.

   “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme”, dit-on, ce qui est la remise en cause de tout empirisme, de toute pratique qui ne sait pas se définir, se décrire. Mais il n’y a pas non plus de conscience sans science, c’est-à-dire sans maîtrise pleine et entière du domaine à conscientiser. L’étranger qui se situe par rapport à une “science” (en fait une culture) qu’il ne connaît que de l’extérieur ne saurait avoir accès à la conscience de celle-ci et c’est en cela que nous pensons que le juif est un émigré bien plus qu’un immigré. Entendons par là qu’il peut porter au loin la conscience de la science qu’il a investie de l’intérieur, mais il ne peut aller vers une nouvelle science sauf à renoncer à contribuer à sa conscientisation, ce qui conduit à ne pas lui permettre d’être juif à part entière, à se dévaluer en renonçant à un certain héritage, au sein d’une culture donnée et celui-ci passe par une certaine généalogie familiale, ancrée en celle-ci.

   Ce mimétisme n’est pas une bonne chose : le juif n’a pas vocation à imiter mais à représenter, il est là pour incarner la culture dont il vient, pour la mettre certes au contact de la culture qui l’accueille mais en n’en restant pas moins fidèle à ses origines. Un juif, selon nous, ne peut se couper de son passé familial, du legs de ses aïeux et qui ne renvoie pas tant au judaïsme qu’à un monde donné. Il y a une transmission juive d’une certaine conscience au sein d’un certain monde. Le juif de Turquie, par exemple, a des choses à nous dire sur la Turquie, sur la société ottomane, il ne nous intéresse pas qu’il se dise / veuille “français”, car sa faculté de représentation concerne la Turquie et non la France.

   Quand nous avons fondé le CERIJ (Cercle d’Etude et de Recherche sur l’Identité Juive), en 1978, nous dénoncions2 les modelés religieux et sioniste qui pesaient sur l’identité juive et qui détournaient les juifs de leur intégration au sein des diverses cultures lesquelles devenaient ipso facto “non juives”. Ces modèles faisaient en réalité de nombreux juifs des étrangers du fait même et face à cette culture “juive” dans laquelle ils n’étaient pas nés, ce qui passait notamment par le vecteur de l’hébreu, tant sur le mode liturgique qu’israélien. Face à ces modèles qui se présentaient comme la “solution” logique pour toute “conscience” juive, nous avons été longtemps sans pouvoir apporter de véritable alternative: il y avait certes un vécu juif en dehors de ceux-ci, dans une “diaspora laïque” mais qui ne parvenait pas à se penser. Et cette réponse nous semble désormais à portée de main : c’est l’idée de consciencialité juive.

   Selon le judaïsme conscientiel que nous souhaitons fonder, par le présent manifeste, il importe que chaque juif trouve son espace d’excellence, en devienne l’ambassadeur éclairé, par un retour sur lui-même car l’avenir du juif est dans sa relation au passé, non pas un passé biblique mais un passé existentiel et éminemment divers. En ce sens, les juifs sont censés cultiver leurs différences les uns par rapport aux autres, puisque chacun incarne la conscience de mondes distincts.

   Qu’on ne se leurre pas, ce rôle de conscientiseur que nous assignons au juif ne se réduit pas à être conscient mais implique, par une sorte de septième sens, d’empathie, de rendre conscient; il ne suffit nullement que le juif se contente d’adopter les discours en vigueur, quand bien même prétendraient-ils traiter de la conscience, il s’agit pour lui de contribuer au progrès conscientiel de l’Humanité, car il est clair qu’une telle tâche n’est jamais achevée, les domaines à explorer étant infinis. Encore faut-il être en mesure de repérer dans une société donnée les savoirs qui la constituent à approfondir à un moment donné et pour cela il importe d’appréhender de façon transdisciplinaire, la dite société dans sa globalité pour en cerner les éventuels dysfonctionnements, ce que l’immigré n’est pas en mesure de faire et ce d’autant qu’il tend à figer le champ auquel il souhaite s’assimiler : il est plus en mesure de s’intégrer à cette culture qu’à l’intégrer. Or la vocation juive est bien plus d’intégrer que de s’intégrer, d’où l’énorme perte d’énergie que constitue toute polarisation vers des cultures réputées juives en soi (religieuse ou / et israélienne) et qui, sous couvert de judaïsation, ont abouti à l’inverse, c’est-à-dire à une déconscientisation.3

   Les juifs ont été, il est vrai, au XXe siècle, manipulés par les uns et par les autres - juifs comme non juifs, soumis à diverses expériences qui les ont déplacés, déportés, ce qui est la meilleure façon de détruire leur potentiel, leur “âme” et parfois cela est pire que la mort : un juif qui meurt en restant fidèle au monde qu’il connaît ne trahit pas pour autant sa mission alors qu’un juif qui cherche à s’intégrer ailleurs, sans rester en phase avec la culture qu’il représente - et nous ne parlons évidemment pas ici d’une culture “juive” mais d’une consciencialité juive - se disqualifie et passe ipso facto du stade de pionnier à celui de novice.

   On conclura, d’ailleurs, que l’espace de communication entre juifs est fort limité, puisque chacun parle d’un lieu autre. Les juifs ne sont pas faits pour vivre ensemble - sinon pour se reproduire - à chacun son territoire. Certes, on l’a dit, on ne saurait exclure des rencontres entre juifs pour approfondir ensemble leur consciencialité qui est la vraie judéité.

   Cela dit, il était temps - les cordonniers sont les plus mal chaussées - que les juifs eux-mêmes ne se contentent plus de conscientiser - sans le savoir comme Monsieur Jourdain faisait de la prose - mais aient aussi conscience de ce faire, c’est ce que l’on pourrait appeler l’enjeu de la double conscience. Ce serait quand même un comble de ne pas avoir conscience de cette vocation juive à donner conscience. Herzl s’est essayé, à la fin du XIXe siècle, à cet exercice de conscientisation des juifs par eux-mêmes, il semble que l’on puisse faire mieux.

Jacques Halbronn
Paris, 18 avril 2003

Notes

1 Voir son Moïse et le monothéisme. Retour

2 Cf. notre plateforme dans les premiers textes, repris dans les tout premiers Cahiers du CERIJ, en 1991. Retour

3 Cf. G Friedman, Fin du peuple juif ?, Gallimard , 1965. Retour



 

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