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JUDAICA

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Les juifs et l’alphabet conscientiel

par Jacques Halbronn

    Dès lors que nous avons introduit la notion de consciencialité1 en ce qui concerne le rôle des Juifs dans le monde, il nous est évidemment demandé de préciser ce que nous entendons par là au regard de l’Histoire de l’Humanité.

   Un cas remarquable et particulièrement frappant concerne l’alphabet.2 Il se trouve que la zone où les juifs ont été les plus présents est celle qui a adopté un certain type d’alphabet, ce qui n’est pas rien. On notera que le mot alphabet est un des rares mots hébraïques utilisés couramment de nos jours dans la plupart des langues. En dehors de cette zone, on trouve une autre façon, pictographique3, de rendre les langues (Chine, Japon, notamment) que l’on peut, selon nous, considérer comme sensiblement moins achevée au niveau conscientiel.

   Si par consciencialité, en effet, nous entendons une meilleure description d’un système, d’une structure, l’alphabet constitue une avancée considérable qui n’aura été possible qu’au prix d’un progrès dans la conscience des processus linguistiques, permettant de réduire toute langue à une série fort limitée de signes, sans se polariser sur la spécificité de chaque mot, comme tend notamment à le faire l’écriture chinoise, qui est également en usage au Japon. Alors que dans la zone de présence juive soutenue, on représente les sons, dans la zone qui lui échappe, on représente les objets quitte à les nommer diversement, ce qui signifie que lorsqu’un aborde un pictogramme, on sait ce qu’il signifie mais on ne sait pas comment il se prononce, puisque cela varie selon qu’on est en Chine ou au Japon.. En revanche dans la zone de présence juive (ZPJ), on ne sait pas ce que signifie un mot mais on sait comment il se prononce, l’inconnue n’est plus la même. On assiste donc là à une véritable révolution conscientielle dont il est difficile d’exagérer la portée et les retombées.

   On ne s’étonnera donc pas que les Hébreux / Juifs aient accordé tant d’importance à la langue - ce qui aurait selon nous débouché sur l’élaboration de l’alphabet - à ses correspondances numériques, comme dans le domaine de la Kabbale (Sefer Yetsira), de la guématrie.4 Au vrai, il nous semble5 que la numérotation est fortement liée sinon dérivée de l’alphabet, comme en témoignent encore de nos jours les chiffres romains, encore en usage en France notamment dans certains domaines, qui reprennent certaines lettres de l’alphabet latin. Dans l’ouvrage cité plus haut, Mathématiques Divinatoires, nous avons montré de quelle façon la cursive hébraïque recoupait le dessin de ce qu’on appelle les chiffres arabes.

   Signalons que le zodiaque, apparu dans cette même zone, n’est en soi qu’une façon de situer un objet au sein d’une série, en lui attribuant un symbole qui correspond à un numéro d’ordre. Les signes du zodiaque se suivent selon un ordre constant tout comme les lettres de l’alphabet. C’est qu’en effet, l’invention de l’alphabet ne consiste pas seulement en un mode de restitution des sons mais aussi en un ordre des lettres fixé une fois pour toutes et qui peut servir comme mode de classement des documents selon un principe alphanumérique, en dehors de toute application proprement linguistique.

   Or, cet alphabet a des origines sémitiques bien connues, comme il ressort du nom des lettres qui renvoient à des mots appartenant aux langues dites sémitiques. Ce qu’on appelle l’alphabet grec porte la marque d’une telle origine, alpha étant à rapprocher d’aleph, beta de beith, gamma de guimel, delta de daleth, pour prendre comme référence le nom hébraïque des lettres. Or, par exemple, beth, c’est la maison, daleth, la porte et ainsi de suite.

   Certes, si l’on ne conteste guère l’origine sémitique de l’alphabet le plus universellement en usage et connu sous le nom d’alphabet latin, il n’a pas été démontré que les Hébreux en étaient plus spécifiquement les auteurs, on attribue volontiers la paternité de cet alphabet aux Phéniciens, qui demeuraient au Nord de la Palestine, vers l’actuel Liban. Mais, le rapprochement entre Hébreux et alphabet nous semble probable, à la lumière de notre théorie de la consciencialité considérée comme propre à la fonction juive.

   C’est dire que la contribution juive à la consciencialité ne date pas de l’époque moderne et qu’elle ne se situe pas dans le seul registre religieux (monothéisme) dont il conviendrait la dimension conscientelle. Encore que les Dix Commandements pourraient être perçus comme une sorte d’alphabet éthique ou sociétal, mettant en évidence les principales articulations de l’organisation spatiale (respect de l’autre, sous diverses formes) et temporelle (respect du Shabbat) de la Cité; un tel code est d’ailleurs toujours largement en usage.

   L’alphabet est emblématique de l’idée de consciencialité en ce qu’il est une reformulation de la langue, il est au service de toute langue, il ne se l’approprie pas. Au fond, le rapport de l’alphabet à la langue serait l’exemple idéal de la dialectique, ainsi le Pentateuque, pour ne pas parler des autres volets de l’Ancien Testament, fut écrit avec un tel alphabet et ce n’est peut être pas sans importance.

   Epistémologiquement, tout travail de conscientisation se doit d’aboutir à l’élaboration d’un code et on le voit actuellement avec le décodage génétique. Les recherches chronologiques, les questions de datation, font aussi partie de cette entreprise consciencielle.

   Cette démarche alphabétisante - sorte de radioscopie - nous semble particulièrement juive en ce qu’elle ne consiste nullement en une culture au milieu d’autres cultures mais en une sorte de supervision de l’ensemble des cultures et en ce sens, elle se situerait dans la diachronie, en une forme d’avant-garde et non dans la synchronie.6

   On perçoit donc la filiation entre la contribution juive dans l’Antiquité autour de l’alphabet tant comme référence aux signifiants (possibilité de les transcrire commodément) qu’aux signifiés (possibilité de compter et de ranger des objets).et la contribution moderne des grands penseurs juifs qui, eux aussi, introduisent une forme d’alphabétisation de la connaissance, qui fournissent des grilles de lecture.(Marx, Freud, parmi les plus connus).

   C’est bien entendu au travers de l’écrit que cet apport est le plus manifeste et il conviendrait d’étudier d’autres étapes - encore plus anciennes que l’alphabet - de la consciencialité. Sait-on si le recours à des objets pour s’exprimer a précédé ou suivi l’oralité? Nous pensons pour notre part que l’on est passé de l’objet symbole à sa désignation orale, ce qui évitait d’avoir à transporter toutes sortes d’objets pour communiquer, en leur assignant à chacun un son, un nom. L’oralité est présence de l’absence plus encore que l’objet, ancêtre de l’écrit, qui peut lui aussi renvoyer à autre chose qu’à lui-même. Là encore, on perçoit la charge de consciencialité qu’un tel passage a exigé et toujours selon notre hypothèse concernant les juifs, nous pensons que ceux-ci ont pu jouer un rôle décisif dans la mise en place du verbe. La consciencialité est de l’ordre de la re-présentation, au sens de nouvelle présentation.7

   On voit, selon nos réflexions, que l’écrit n’est nullement la transcription de l’oral, qu’il est issu d’une forme plus ancienne de représentation, qui est celle du recours à des objets symboles. Ensuite l’oral éclipsera les objets, par sa facilité de maniement, jusqu’à ce que l’écrit prenne sa revanche grâce précisément à l’invention de l’alphabet. Ce rapport de force entre l’écrit et l’oral se manifeste, comme ce fut le cas lors de l’invention de l’imprimerie au XVe siècle et encore de nos jours : avec l’Internet, où l’écrit se maintient pour le moins face à l’oral, alors que l’on aurait pu penser, un peu vite, que le téléphone, le disque et le cinéma avaient surclassé le texte écrit.

   A contrario, on peut observer que les branches du savoir dont les juifs sont absents de nos jours sont souvent fort mal représentées au niveau universitaire. On pense ainsi à l’astrologie, à la fin du XXe siècle, qui recruta fort peu de juifs en comparaison avec d’autres domaines où ils sont beaucoup plus nombreux. Or, l’astrologie souffre à l’évidence d’une carence de consciencialité qui n’est pas pour peu dans sa marginalisation. Le fait que beaucoup de femmes s’intéressent à ce domaine pourrait précisément être du à une telle carence. Il suffit donc de comparer l’épistémé astrologique8 et l’épistémé de sciences reconnues pour se faire une assez bonne idée de ce qui se passerait si les acteurs de la consciencialité disparaissaient. On pourrait ajouter que l’absence de chercheurs juifs dans ce domaine tend aussi à isoler l’astrologie alors que leur présence permettrait une certaine communication avec les chercheurs juifs travaillant dans d’autres domaines, ce qui pose le problème de la place des juifs dans la Cité scientifique. Il conviendrait de se demander comment on en est arrivé là9 alors qu’au Moyen Age, leur contribution était encore significative - on pense à Abraham Ibn Ezra (1089 - 1164) dont nous avons traduit certains traités encore qu’un Maimonide ait condamné sa pratique.

   En tant que juif oeuvrant précisément dans la recherche astrologique, nous sommes bien placés pour constater les dégâts épistémologiques de l’absence de Juifs et la sclérose de la tradition astrologique. Nous avons d’ailleurs été choisis, à plusieurs reprises, pour représenter l’astrologie, notamment avec Clefs pour l’astrologie (Seghers, 1976) et l’article “Astrologie” de l’Encyclopaedia Universalis (1993) Nous sommes certains que l’ “importation” de juifs dans ce champ serait des plus bénéfiques et contribuerait à le désenclaver et à remédier à une incurie chronique. Mais en même temps, le retard considérable pris dans ce domaine a valeur de témoignage et d’avertissement.

Jacques Halbronn
Paris, 22 avril 2003

Notes

1 Cf. notre texte: pour un judaïsme conscientiel, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

2 Cf. nos travaux de linguistique, sur le Site faculte-anthropologie.fr. Retour

3 Cf. Marshall Hodgson, L’Islam dans l’histoire mondiale, Paris, Sindbad Actes Sud, 1998, p. 46. Retour

4 Cf. la rubrique Kabbala, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

5 Cf. notre étude dans nos Mathématiques Divinatoires, Paris, Trédaniel, 1983. Retour

6 Cf. notre étude “Les juifs bâtisseurs du temps”, Site Faculte-anthropologie.fr. Retour

7 Cf. notre étude “les juifs comme ambassadeurs”, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

8 Voir notre rubrique “l’astrologie, pathologie d’une épistémé”, sur le Site Faculte-anthropologie.fr. Retour

9 Cf. notre ouvrage Le Monde juif et l’astrologie, Milan, Arché, 1985. Retour



 

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