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JUDAICA

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Les juifs comme signifiants de la conscience humaine

par Jacques Halbronn

    Tout ce qui se dit ou veut conscientiel ne l’est pas ipso facto. Comment distinguer la vraie de la fausse conscience ? Comment reconnaître un progrès de la conscience ? La philosophie n’est-elle pas avant tout une quête conscientielle ?

   Notre vision du monde n’est pas foncièrement optimiste en ce sens qu’elle est consciente du poids de l’illusion. Toute science n’est pas conscience de ce qui est, elle peut être dans l’erreur. Tout savoir n’est pas par définition vrai pour la seule raison qu’il existe. Tout être, individuel ou collectif, n’a pas, du seul fait qu’il soit, conscience de ce qu’il est, quand bien même aurait-il adopté un discours à ce propos. Comment distinguer celui qui est conscient par lui-même et celui qui a reçu la conscience d’autrui ? Une fois que l’on m’a donné quelque peu de conscience, est-ce que je ne peux désormais envisager de me passer de l’autre ? Si je n’ai pas accès à la conscience, comment saurai-je si la conscience m’est donnée ? Puis-je être conscient qu’il y a conscience si cette conscience ne jaillit pas de moi ? Comment savoir que je suis conscient de ce que je suis ou de ce qu’est l’autre ?

   Quelque part, nous ne pouvons être conscients de ce que quelque chose de l’ordre de la conscience est en jeu que si nous reconnaissons en l’autre une certaine fonction conscientielle. Il en est comme de la naissance comme de la connaissance : je sais que la femme est celle qui devra accoucher. Le signifiant femme précède le signifié femme par une femme, il n’y aura pas naissance, même si moi-même je ne suis pas femme et ne participe pas, au delà d’un certain seuil, du processus de la naissance. La femme se reconnaît comme telle avant même d’agir en sa fonction de femme.

   Mais nous savons que la fonction de la femme ne se réduit pas à mettre des enfants au monde, il est d’autres fonctions qui lui sont assignées et qui sont également associées au signifiant femme, c’est-à-dire à son corps de femme, perçu en tant qu'icône.

   De la même façon, je reconnais une machine avant même de l’avoir vu fonctionner, cela me permet de prévoir ce qu’elle fera, ce que je pourrai faire d’elle. Je sais d’avance que sans telle machine, je ne pourrai atteindre un certain objectif et ce serait folie de ma part de penser le contraire. Sans fusée, je n’irai pas sur la Lune et si j’ai le sentiment d’y être quand même allé, je sais que ce n’était qu’un rêve ou une supercherie.

   Je sais que si telle chose n’est pas faite par l’homme de l’art, elle sera mal faite, même si cela n’apparaît immédiatement. Il y a là un rapport de cause à effet, du signifiant vers le signifié. De la même façon que je sais que, sans femme, il ne naîtra pas d’enfant et qu’il serait illusoire de croire le contraire, même si l’on essaie de m’en persuader par quelque tour de passe-passe.

   Pour en revenir à la question de la conscience, quel signifiant incarne l’assurance qu’on est bien dans la conscience ? Qu’est ce qui m’assure que je vais pouvoir accéder à la conscience alors que j’admets que cela ne tient pas qu’à moi ? A quoi ressemble ce signifiant conscientiel par lequel je dois passer et dont je reconnaîtrai les effets tout comme je peux constater qu’un enfant est né de cette femme, même si je ne suis pas femme, mère de cet enfant ? Et quelle sagesse me dissuade de me prendre pour une femme alors que je sais que je n’en suis pas une ? Ce serait donc qu’il y aurait un respect du signifiant qui constitue comme une sorte de garde-fou et m’évite de m’égarer. Qu’est ce que cet homme qui prétendrait être arrivé à faire ceci ou cela sans le recours au signifiant adéquat, qui croirait en une sorte de miracle ?

   Mais comment savoir s’il y a un signifiant de la conscience et pourquoi, d’ailleurs, en faudrait-il un ? Dans l’absolu, certes, on n’a besoin de rien, on peut tout faire par soi-même, revenir au stade de l’androgynat, par exemple mais il semble bien que le fait de sous-traiter certaines fonctions soit un atout majeur de l’évolution des espèces, cela relève des avantages de la division du travail. J’ai besoin d’un comptable pour faire ma comptabilité mais celui-ci a besoin de disposer d’un certain nombre de données qu’il saura traiter adéquatement parce qu’il connaît son affaire et se présente comme comptable. Quelque part, je lui fais confiance ou plutôt je fais confiance au signifiant qu’il incarne pour parvenir à un certain signifié que je convoite mais que je sais que je n’atteindrai que par son intermédiaire.

   Je sais aussi que si mon corps est en dysfonctionnement, j’aurai du mal à manger, à digérer, à respirer et ainsi de suite selon l’organe atteint. C’est parfaitement prévisible et le résultat ne se fera pas attendre si je ne tiens pas compte de mes carences. Je sais ce qu’est le signifiant x, je sais ce qu’est le signifié y mais je ne sais pas comment l’on passe de l’un à l’autre car si je le savais vraiment je n’aurai pas besoin du dit signifiant ni même de le reconnaître en tant que tel, dans la mesure même où je n’en aurais pas l’utilité.

   Il y a des êtres qui se savent en tant que signifiants mais ne savent pas à quel(s) signifié(s) ils correspondent, ce qui ne les empêche pas pour autant d’accomplir leur mission de passage vers le signifié convenable. Ils ne sont simplement pas conscients de leur mission, de leur mode de fonctionnement et cela est chose singulièrement fréquente, nullement extraordinaire.

   Quand nous observons le ciel, il est possible que nous ayons le sentiment que par son truchement nous puissions accéder à une certaine forme de signifié mais le ciel ne nous dira pas quel est son mode d’emploi, il n’est pas conscient de ce qu’il est. Certains prétendront pouvoir le savoir à sa place. Comment, cependant, pourraient-ils savoir mieux que lui, à sa place, ce que le ciel est pour l’homme. Or, en tant qu’hommes, nous concevons volontiers qu’il nous soit possible de connaître des choses qui ne sont pas nous, dont nous ne sommes pas et ce faisant leur apporter de la conscience. Mais nous pouvons aussi nous tromper et lui assigner un signifié inadéquat, mal le décrire. Comment distinguer la vérité de l’erreur ? Est-ce que, autour de nous, nous disposons de signifiants objectifs, clairement identifiables a priori, qui puissent nous aider à accéder à la conscience - signifié - non seulement de nous-même mais de ce qui ne l’est pas ? Et comment savoir qui fait quoi ?

   Si l’autre n’est pas porteur d’une fonction qui nous manque, dont nous faisons l’économie, à quoi sert-il ? Il est alors un signifiant ne renvoyant pas à un signifié. Et cependant, il nous interpelle par sa différence comme un mot - un signifiant donc - dont nous ignorerions le sens - le signifié - et qui reviendrait souvent dans la conversation.

   Prenons le cas des Juifs. Ils se différencient mais à quoi servent-ils ? Ils correspondent à un signifiant mais pour quel signifié ? Il y a ainsi des signifiants sans signifiés mais aussi des signifiés sans signifiants et cela est fâcheux. Selon nous, rien n’est gratuit, il n’est pas de signifiant sans signifié et vice versa.

   Or, nous vivons dans un monde où l’on cherche à se / nous persuader que deux signifiants différents correspondent à un même signifié, d’où une pléthore de signifiants par rapport au nombre de signifiés identifiés. La crise de la monarchie est aussi une crise du signifiant, du signe annonciateur. L’élection, a contrario, est le déni du signifiant mais élit-on n’importe qui ? Il nous semble donc de bonne méthode de rajuster signifiants et signifiés car l’Humanité ne s’est pas structurée de façon irrationnelle et ce qui s’est ainsi joué perdure dans l’Inconscient. Car précisément, l’intérêt de la conscience c’est de permettre dialectiquement l’inconscience. Plus je sais que l’autre veille au niveau conscientiel, plus je puis me permettre de m’éloigner de la conscience.

   Nous avons dans d’autres écrits1 associer les Juifs à la consciencialité, entendant par là qu’ils assureraient cette tâche pour le compte de l’Humanité. Pour reprendre la terminologie que nous venons d’exposer ici, les juifs seraient les signifiants conduisant au signifié conscientiel, dans toute sa diversité phénoménologique. On peut être évidemment choqué par une telle représentation tant la conscience semble être propre à chacun mais Freud a déjà apporté un bémol à une telle représentation flatteuse des choses, en insistant sur le rôle de l’autre pour nous permettre d’accéder à une certaine conscience de ce que nous sommes, de ce qui se passe, de ce qui se joue, en nous.

   On nous objectera que l’Humanité n’a pas nécessairement besoin des Juifs pour accéder à la conscience. Admettons que tel ne soit pas le rôle des Juifs mais dans ce cas ce serait le rôle de qui ? Mais alors quel serait le rôle des Juifs, à quel signifié le signifiant juif correspond-il, sinon à celui-là ? On remarquera que la mise en évidence du signifiant juif, sa visibilité, par exemple par des pratiques, par des coutumes / costumes, sont nécessaires pour que l’on puisse lui accorder un signifié. On dira qu’il y a des juifs qui sont plus dans le signifiant et d’autres plus dans le signifié. Rares, d’ailleurs, sont ceux qui relient, en pleine connaissance / conscience de cause, un plan à un autre.

   La question de la conscience est autrement plus délicate que celle de la naissance dont nous parlions plus haut et se prête à bien des contorsions. Qu’est ce à dire que d’affirmer que les juifs sont en quelque sorte la conscience du monde et qu’est ce que vivre sans conscience ? Il s’agit avant tout d’un déficit du discours : une société peu conscientialisée, au sens où nous l’entendons, ne sait pas vraiment ce qu’elle fait, ce qui ne l’empêche pas d’exister et de disposer d’un certain discours peu en prise sur sa réalité sous-jacente et qui peut avoir été emprunté mimétiquement à un autre domaine, tout comme un individu peut tenir un propos qui n’est pas stricto sensu le sien, ce qui l'aliène. Cette consciencialité concerne tout aussi bien les sciences dures que les sciences molles, puisqu’il s’agit du rapport de l’Homme au monde tel qu’il est mais aussi tel qu’il est devenu au contact de l’Homme.

   Insistons sur le fait que la consciencialité n’est pas statique, acquise une fois pour toutes, qu’elle est en mouvement, en recherche, faute de qu/i elle se sclérose ; en ce sens, la consciencialité nous semble en analogie avec le progrès des sciences, c’est un processus qui n’est jamais censé s’arrêter, qui s’entretient.

   On peut donc poser que la présence de juifs conditionne / garantit une certaine consciencialité par rapport aux multiples activités propres à la société dont ils sont membres. Pour cela, chaque juif doit intégrer le champ qui lui incombe: il doit, notamment, se franciser ou s’arabiser, acquérir une pleine compétence de membre à partir de laquelle il sera en mesure de percevoir, à chaque génération, les lignes de force conscientielles. La comparaison entre les domaines forts d’une présence du signifiant juif et ceux qui en manquent, est assez édifiante. Les époques ou les cultures où l’Humanité s’est privée des juifs ont été marquées par un certain obscurantisme, soumis à l’empirisme.

   Il importe bien entendu que les juifs soient eux-mêmes dans la consciencialité de leur fonction, de leur rôle et il s’agit là aussi d’un champ à approfondir et à repenser mais qui n’a pas pour autant à éclipser la question de leur regard sur le monde et pas seulement sur eux-mêmes. Il y a quelque part une pédagogie de la judaïté à pratiquer, à expliciter pour que le rapport du monde au signifiant juif soit optimal.

   Un tel processus n’est nullement nouveau, mais on ne peut le suivre que sur une durée relativement récente alors que de tels clivages sont probablement aussi vieux que le monde et ont été nécessaires pour que le monde soit ce qu’il est. En ce sens, il y a un décalage entre anthropologie et Histoire, cette dernière, marquée par la contingence tant des événements que des informations disponibles au niveau de la transmission culturelle classique, ne devant pas imposer ses lois à la première qui touche à des lois plus fondamentales et irréversibles. Autrement dit, ce que nous observons synchroniquement de nos jours a certainement existé dans un passé très ancien et ne saurait se réduire aux chroniques historiques. Le présent signifiant renvoie diachroniquement, à un passé signifié que nous ne pouvons connaître qu’indirectement.

   Les Juifs ont certainement contribué de façon marquante à la consciencialité historico-politique ainsi qu’à la consciencialité sociétale et juridique mais ils ont aussi participé fortement à une consciencialité du corps économique et commercial et du corps physico-médical qui ne valait pas que pour eux mais qui concernait le monde, par sa portée universelle, du fait même qu’ils étaient immergés dans le monde. Cependant, cette histoire connue ne saurait épuiser la question de leur rôle certainement bien antérieur à ce qui nous est narré, de façon somme toute mythique, dans la Bible (Ancien Testament). C’est somme toute à une certaine pérennité de la présence juive au monde que nous adhérons : le monde moderne n’a pas façonné le juif et ce pour une raison très simple, c’est que les structures sociales dans lesquelles nous vivons ont une origine extrêmement ancienne et qu’il ne faudrait pas surestimer notre aptitude à les changer et cela est une prise de conscience qu’il est urgent d’assumer : le présent révèle et éclaire notre passé, ni plus ni moins.

Jacques Halbronn
Paris, 6 mai 2003

Note

1 Cf. le Site Ramkat.free.fr et à paraître dans les Cahiers du Cerij, novembre 2003. Retour



 

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