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JUDAICA

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Les études astrologiques et nostradamiques
en manque de chercheurs juifs

par Jacques Halbronn

    Quand on constate le piètre itinéraire de l’astrologie au cours du dernier millénaire, on peut essayer d’en comprendre les causes, d’en tirer quelques enseignements dont nous pensons qu’ils pourraient avoir trait à la place des juifs dans le monde. Quel rapport demandera-t-on entre ces deux phénomènes, l’astrologique et le judaïque ?

   Pour comprendre ce lien, il convient de prendre connaissance de nos études sur ce que nous avons appelé la consciencialité juive qui pose le problème de la contribution des juifs à l’histoire des sciences, le terme science étant ici pris dans le sens le plus large de savoirs.

   Nous pensons que la meilleure façon de faire apparaître cette contribution juive est de comparer les sciences qui ont réussi et celles qui ont stagné puis d’examiner la répartition des juifs entre ces différents domaines.

   Assurément, l’astrologie peut apparaître comme un domaine sinistré, qui n’a pas su trouver son assise ou si l’on préfère qu’il l’a trouvée du côté féminin plutôt que du côté juif. On sait que nous opposons ces deux populations quant à leur rôle dans l’économie du monde.1

   Il existerait en effet trois approches du savoir :

         - une approche phénoménologique
         - une approche fonctionnelle
         - une approche ontologique

   L’approche phénoménologique (le phénomène-apparence s’oppose au noumène, l’en soi) consiste à étudier un savoir tel qu’il est devenu, comme s’il tendait irrésistiblement vers son devenir. Au fond, ceux qui vont dans ce sens nous font penser au Candide de Voltaire pour qui “tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles”.

   L’approche fonctionnelle consiste à appliquer ce savoir dans tout ce qui dans ce savoir se prête à une pratique.

   L’approche ontologique consiste à rechercher le projet qui sous-tend ce savoir en le démarquant des scories qui ont pu le parasiter.

   Le phénomène est de l’ordre de la mort, en ce qu’il privilégie ce que les choses sont advenues, c’est-à-dire ce qu’il en reste à voir tandis que le noumène est ce qui est en puissance, en projet.

   Or, il nous apparaît que ce qui a le plus manqué à l’astrologie au cours des cinq ou six derniers siècles, pour ne pas remonter plus haut, c’est la troisième approche qui accède en quelque sorte au noyau dur.

   En effet, faute de l’approche ontologique, une science ne peut qu’aller à la dérive, elle est menacée de pléthore et est incapable d’éliminer. Or, l’astrologie, telle qu’elle nous apparaît, est atteinte d’obésité, est devenue une sorte de bazar, de bric à brac, au nom de la modernité ou au nom de l’utilité.

   Il semble que les sciences aient besoin d’une certaine cyclicité - dont l’astrologie a précisément à traiter - .qu’elles doivent passer par des périodes de décantation et c’est ce qui a le plus manqué à l’astrologie, comme il ressort de l’étude de sa littérature.

   Nous disions que l’apport des femmes à un certain essor de l’astrologie - notamment à partir du XVIIIe siècle - avait été considérable et de fait il nous semble que l’astrologie a ainsi basculé vers une approche utilitariste qui nous semble être caractéristique de la psyché féminine dont nous avons souligné les affinités avec le monde technologique.

   A contrario, la contribution juive à l’astrologie, pendant la même période, fut des plus modestes et cela tient en partie à un certain rejet de l’astrologie dans les milieux juifs, craignant de se voir accusés de superstition.2 Par leur absence du domaine en question, les juifs, selon nous, n’auront pas permis à l’approche ontologique de jouer son rôle dans le développement de la dite astrologie. Cela est d’autant plus frappant si l’on compare la place des juifs en sociologie (comme Karl Marx, Emile Durkheim) ou en psychanalyse (comme Sigmund Freud, Wilhelm Reich). Les pionniers de la “recherche” astrologique à la fin du XIXe siècle ne sont pas juifs et l’astrologie, peut-on observer, n’a pas alors décollé. L’astrologie n’est pas une “science juive” comme on le disait à une certaine époque de telle ou telle discipline.

   Mais s’il peut sembler prématuré de faire le bilan de la recherche astrologique, en ce début de XXIe siècle3, il semble en revanche plus tangible de s’arrêter sur la recherche nostradamique dont on peut plus aisément apprécier l’évolution et la progression, en considérant le coefficient juif.

   Le milieu de la recherche nostradamique est en effet autrement plus rigoureux que celui de la recherche astrologique où chacun tend à rester sur ses positions, d’où une multitude de points de vue, liés à des cheminements et à des expériences personnels.

   Il semble que bien des errements propre à la recherche nostradamique - dans un domaine dont le caractère labyrinthique est assez patent - soient typiques de certaines limites propres aux chercheurs eux-mêmes.

   Il y avait et il y a encore chez nombre de chercheurs du champ nostradamique une dépendance extrême par rapport aux contingences et aux aléas des éditions datées et conservées4, ce qui est caractéristique d’une approche que nous avons qualifiée de phénoménologique (cf. supra).

   L’ouvrage du regretté Pierre Brind’amour, Nostradamus astrophile. Les astres et l’astrologie dans la vie et l’oeuvre de Nostradamus (Presses Universitaires d’Ottawa, éditions Klincksieck, 1993) se contente de prendre le corpus nostradamique comme un ensemble d’un seul tenant dont on étudiera les éléments récurrents, exercice apparemment peu concluant : on peut, en effet, trouver un dénominateur commun à n'importe quel corpus, aussi disparate soit-il. Brind’amour, dans ses sections “collages et plagiats” et “contrefaçons” (pp. 488 - 492), qui s’oppose à celle intitulée “ouvrages authentiques” (pp. 474 et seq) ne recense aucune édition des Centuries. Il garde tout, y compris les sixains. Tout se passe comme si cet auteur ne savait pas comment s’y prendre pour fixer une chronologie qui ne lui serait pas imposée par les dates complaisamment indiquées. Certes, Brind’amour repère des sources mais il ne signale pas celles qui pourraient être nettement postérieures à la vie de Michel de Nostredame. A force de prudence, il tombe forcément, à la longue, dans certains pièges. Brind’amour n’a pas vraiment le sens de la genèse des textes et en tout cas pas des éditions et ne repère pas certaines invraisemblances pourtant assez grossières. Et au bout du compte il ne parvient pas à nous restituer le vrai Michel de Nostredame, il reste prisonnier du mythique et de la mystification. En bref, Brind’amour procède comme s’il n’y avait pas de problème centurique. Il cite pourtant les Présages Merveilleux pour l’an 1557. Dédiées au Roy treschrestien, Henri deuxiesme de ce nom etc (p. 477), mais cela ne le conduit pas à s’interroger sur l’authenticité de l’Epître à Henri II, figurant dans le canon des Centuries tel qu’il se formalise au XVIIe siècle. Brind’amour ne nous propose aucune argumentation, aucune théorie permettant de mettre en perspective le corpus et notamment d’en faire ressortir les ombres et les manques. Tout se passe comme si tout avait été conservé, comme si aucun chaînon ne faisait défaut, comme si tout était là où cela devait être. Et ce faisant, Brind’amour ne parvient pas à fonder une véritable science nostradamique. Même lorsqu’il prend en compte la compilation de 1572 de Crespin, il n’ose en tirer la moindre conséquence concernant l’état des éditions des Centuries à cette date, dans son édition critique de 1996. Disons le carrément, il manque dans son travail une certaine forme d’intelligence, dans tous les sens du terme.

   Si on compare son travail avec le nôtre, quels que soient les défauts que ce dernier puisse présenter, l’on perçoit qu’il s’agit d’une approche sensiblement différente, d’une autre quête, d’un autre regard que nous pensons pouvoir qualifier de judaïque, par delà toute considération d’ordre purement culturel, étant donné que Brind’amour, chercheur chrétien, relève peu ou prou d’une même formation livresque que la nôtre.

   Nous sommes conscient de ce qu’un tel jugement peut avoir de choquant voire de scandaleux mais ceux qui suivent nos travaux, lesquels abordent conjointement diverses questions5, savent que notre démarche est transdisciplinaire et qu’elle n’évacue pas de tels questionnements que l’on pourrait qualifier d’anthropo ou de socio-épistémologiques qui à notre avis marqueront la philosophie du siècle qui s’ouvre.

   Il nous apparaît également qu’un chercheur juif isolé ne peut guère imposer son travail à une cité scientifique nostradamique par trop dépourvue d'éléments juifs et risque fort de se trouver incompris et marginalisé. Cependant, ce combat entre approche phénoménologique et approche ontologique ne peut que se révéler à terme fécond, au fur et à mesure que notre argumentation se resserre, que le puzzle se complète de façon de plus en plus indiscutable, mais les résistances existent et elles ne peuvent s’expliquer, selon nous, que par des psychismes différents et complémentaires.

   Pour en revenir à l’astrologie, nous observons la même dialectique entre nous et un certain nombre de chercheurs non juifs dans ce domaine. Nous pensons notamment à Patrice Guinard, auteur non juif d’un Manifeste qui a fait couler beaucoup d’encre.6 Les positions de cet auteur, comparées aux nôtres - celles de l’astrologie axiale - conduisent à accepter grosso modo l’astrologie telle qu’elle est devenue et telle qu’elle nous est parvenue au cours des siècles. L’Histoire de l’astrologie ne serait que le récit d’un tel parcours et il n’est pas question, dans cette optique, de revenir en arrière, de faire ressortir une pathologie de l’épistémé à psychanalyser. Il y a là, nous le disions, la manifestation d’un certain optimisme propre à Candide. Au fond, la démarche juive tendrait à remonter vers l’amont, vers la source pour ensuite en percevoir le cheminement et l’errance / erreur tandis que la démarche non juive se situerait en aval, selon une logique hégélienne, notamment dans la Phénoménologie de l’esprit (1807), qui voudrait que les choses deviennent ce qu’elles doivent être. Quant à la démarche féminine, elle se situerait encore plus en aval, au niveau des applications. On conçoit en tout cas, à la lumière de cette présentation des choses, les causes profondes de l’antisémitisme. En fait, toute Cité scientifique qui se respecte devrait être le théâtre d’une telle conflictualité et c’est pour cette raison que nous pensons que l’absence d’éléments juifs, jouant pour le moins le rôle de catalyseurs, au sein une communauté intellectuelle, quelle qu’elle soit, peut être cause d’un certain déclin ou d’une difficulté à prendre son envol parmi d’autres disciplines mieux loties en matière de ressources juives. Une telle carence contribue au demeurant à un certain isolement du domaine concerné dans la mesure où une certaine communication s’établit spontanément entre chercheurs juifs de disciplines différentes. Dans son ouvrage Non Jewish Zionism, Londres, 1983, Regina Sharif rappelle (pp.25 - 26) que la raison qui conduisit Oliver Cromwell, au milieu du XVIIe siècle, à accueillir assez massivement des juifs en Angleterre tint au fait que les juifs, orthodoxes ou convertis, étaient très actifs en Espagne, au Portugal et dans les Provinces Unies (actuels Pays Bas) au niveau commercial. On sait à quel point, par la suite et jusqu’à nos jours, la présence juive dans les secteurs scientifiques s’avéra déterminante.

   Il est clair que par delà notre contribution aux questions astrologiques et nostradamiques, nous pensons que le modèle que nous avons exposé concerne un champ beaucoup plus vaste, qui est celui d’une réflexion sur les vecteurs qui sous-tendent l’Histoire de l’Humanité. Là aussi, il faut s’attendre à des résistances; à un refus de remonter aux origines et de se mettre en situation de diagnostiquer des dysfonctionnements, à une tentation phénoménologique consistant en une sorte de religion de l’Histoire à assumer telle qu’elle se manifeste, telle qu’elle se déroule, ce qui aboutit à une sorte d'idolâtrie de l’Histoire selon laquelle il n’est pas de contingence, pas de hasard, et dont les juifs seraient les adversaires déclarés, ce qui explique probablement la différence d’approche entre un Hegel, fataliste, et un Marx, plus volontariste, en ce qui concerne la philosophie de l’Histoire. N’avons-nous pas écrit ailleurs7 qu’il y avait aussi maille à partir avec le diable ? Sans vouloir dramatiser, nous pensons en effet que le danger existe que des pans du savoir humain basculent du côté obscur de la force, pour recourir à la phraséologie de Star Wars (la Guerre des Etoiles) et c’est une grave défaite pour Lucifer8 quand on parvient, au contraire, à déjouer / dénoncer les mirages et les trompe l’oeil.9 En ce qui nous concerne, le domaine nostradamique est parfaitement caractéristique des ruses de Satan.10 Il est probable que c’est dans le champ que l’on appelle ésotérique, propre à une certaine contre-culture dont les femmes ne sont nullement absentes, que les batailles les plus décisives se jouent et se joueront.

   Il ne faudrait pas que les juifs tombent dans un cercle vicieux et fuient un domaine abandonné ou négligé par eux, dont ils sont absents ou dont ils se sont retiré. Il est au contraire urgent qu’ils s’y rendent comme en terre de mission, faute de quoi on risque fort d’assister à la constitution d’un “autre monde” radicalement fermé et hostile à la présence juive, dans la ligne de ce qui a conduit, dans le passé, à la Shoa.11 On peut se demander si le nostradamisme n’est pas devenu occulte du fait même qu’il était mal étudié comme si, finalement, c’était l’absence d’une approche ontologique, qui conférait à un domaine son caractère magique. A ce titre là, tout domaine serait voué, à terme, à l’occulte dès lors que le garde-fou judaico-ontologique en serait évacué. Est-ce que finalement, l’approche phénoménologique ne se caractériserait pas par une sorte de prédilection / fascination pour le mystère non pas à neutraliser mais à étaler voire à inventer, en une sorte de défi provocateur du genre Credo quia absurdum ?

Jacques Halbronn
Paris, 10 mai 2003

Notes

1 Cf. notre texte “science, conscience, inconscience”, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

2 Cf. Le Monde juif et l’astrologie, Milan, Arché, 1985 et notre article “Astrologie et judaïsme”, sur le Site Ramkat.free.fr. Voir aussi notre ouvrage Le sionisme et ses avatars au tournant du Xxe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

3 Cf. nos études dans la rubrique Astrologica, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

4 Cf. ce que nous écrivions déjà, il y a douze ans, in “Récentes bibliographies autour de Nostradamus”, Politica Hermetica, n° 5, 1991. Retour

5 Cf. le Site Ramkat.free.fr mais aussi Faculte-anthropologie.fr. Retour

6 Cf. le Site Cura.free.fr. Retour

7 Cf. “Science, conscience, inconscience”, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

8 Cf. aussi la série de Tolkien, Le Seigneur des anneaux (1954 - 1955). Retour

9 Cf. dans ce sens, à partir de 1999, la trilogie cinématographique de science fiction Matrix des frères Wachowski, dont le deuxième volet Matrix reloaded sort en ce moment. Retour

10 Cf. Le Diable, Colloque de Cerisy, Cahiers de l’Hermétisme, Paris, Dervy, 1998. Retour

11 Cf. notre étude “Antisémitisme et occultisme en France aux XIXe et XXe siècles”, Revue des Etudes Juives, 1993. Retour



 

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