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JUDAICA

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(Saint) Paul : entre conversion et filiation

par Jacques Halbronn

    La présence de juifs non pratiquants nous semble, à terme, devoir faire problème à la fois pour les juifs orthodoxes (shomreï mitswoth) et pour les Chrétiens. En effet, ils ne respectent pas la Loi juive et pourtant revendiquent leur appartenance au monde juif, sans pouvoir, au vrai, expliciter clairement leur démarche, probablement en raison d’un tabou concernant les écrits néo-testamentaires et singulièrement les Epîtres de Paul, qui nous semblent bel et bien les concerner, ou en tout cas devoir les interpeller.

   On peut en effet considérer les juifs laïques comme les descendants de ceux auxquels s’adressait Paul, en dépit de son surnom d’ “Apôtre des Gentils”, il y a un peu moins de 2000 ans.

   Selon nous, en effet1, on voit mal ce que St Paul pouvait avoir à dire aux non juifs. Pour nous, il serait donc plutôt l’apôtre des Juifs laïcs, dont on a parfois déclaré d’ailleurs qu’ils n’étaient plus juifs.

   Il nous semble en tout cas que cette mouvance juive laïque ne peut qu’embarrasser les Chrétiens et on peut d’ailleurs se demander si l’antisémitisme ne vise pas avant tout les juifs laïcs à la différence de l’antijudaïsme qui, lui, s’attaquerait aux juifs orthodoxes. Un antisémite comme le chanoine Chabauty, par exemple, s’intéressera longuement, dans la seconde moitié du XIXe siècle, à ces Juifs laïques, lesquels d’ailleurs crurent trouver dans le sionisme, pour certains, une expression spécifique.2

   Nous proposerons donc ici une nouvelle lecture du discours paulinien en en montrant les logiques et les incohérences, en précisant d’ailleurs que sa pensée a pu fort bien être infléchie dans les textes sous la forme où ils nous sont parvenus. Au fond, la question est de savoir si Paul a pu dire / penser ce qu’on lui fait dire. Comment est-il devenu cet apôtre des Gentils, exportant ainsi le judaïsme, certes sous une forme particulière, hors de ses limites historiques et diachroniques ? Fut ce là le résultat d’un mimétisme de certaines populations non juives à l’égard des Juifs ?

   Il faudrait, d’ailleurs, distinguer chez Paul ce qui concerne les juifs - et quels juifs, ceux qui pratiquent ou ceux qui ne pratiquent pas ? - et ce qui concerne ceux qui ne le sont pas, en tout cas pas de naissance.

   Il semble que si Incarnation il y a eu, les juifs puissent passer à un autre stade qui est celui de la Foi et non plus de la Loi. Mais qu’est ce ici que la Foi ? Toute la question est là !

   Cette nouvelle étape ne justifierait-elle pas la dispersion des Juifs au milieu des nation, des Gentils plutôt que l’accès des Gentils au judaïsme ? En tout état de cause, l’Incarnation de la Loi impliquerait un changement du rapport des Juifs au reste du monde.

   St Paul, selon nous, serait celui qui à la fois justifierait les juifs laïcs et le judaïsme diasporique face à un judaïsme de l’observance et à un judaïsme du rassemblement à Sion ou ailleurs.

   En effet, à partir du moment où le juif porte désormais la Loi en lui-même, qu’elle y est incarnée, il n’a plus besoin de vivre avec d’autres Juifs, il n’a plus besoin de rester en certains lieux, il peut aller vers les non Juifs sans crainte de se perdre. Et c’est d’ailleurs ce que fait Paul par ses voyages et par sa présence au milieu des “Gentils”.

   De là à affirmer qu’il n’y a plus de différence entre Juifs ayant la Loi incarné en eux et ces populations non juives, païennes, il y a plus qu’un pas à franchir. Plus de différence, certes, au niveau spatial, puisque les Juifs peuvent vivre au milieu des non Juifs et que la Loi est en eux, à l’intérieur, qu’elle se transmet à leurs enfants par d’autres voies que la parole. Mais par quel raisonnement cela signifierait-il que quiconque puisse devenir Juif puisque cela ferait précisément appel à cette parole ne serait-ce que pour la transmettre ? Or, divulguer la Parole n’a rien à voir avec l’idée d’incarnation qui est justement le dépassement de la dite Parole !

   Paul oppose la Chair et l’Esprit mais l’incarnation n’est-elle pas précisément du côté de la Chair, étymologiquement parlant ? C’est parce que la Loi est passée dans la Chair que l’Esprit est libéré.3

   Paul reste très sensible à la notion de filiation et il oppose le fils à l’esclave, qui, lui, ne fait qu’emprunter, se conformer à un modèle qui lui est étranger et qu’il ne porte pas en lui :

   “Ainsi, tu n’es plus esclave, mais fils et si tu es fils, tu es aussi héritier.”4

   On ne saurait mieux exprimer la nécessité, dans cette logique d’Incarnation, de passer par la filiation laquelle remplace précisément la transmission orale. D’où l’importance extrême, chez les Juifs, jusqu’à nos jours, de maintenir intacte cette filiation, en évitant tout mariage mixte, toute conversion, règle à laquelle une grande partie des juifs dits laïques se conforme.

   Mais toujours au chapitre IV de la même Epître, on lit :

   “Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave, ni libre; il n’y a plus ni homme, ni femme car tous vous êtes en Jésus Christ. Si vous êtes à Christ , vous êtes donc la postérité d’Abraham, héritiers selon la Promesse” (verset 28).

   Nous n’inventons rien, par conséquent, quand nous insistons sur le fait que l’Incarnation de la Loi privilégie la Filiation. Mais, c’est alors que, par ce qui peut évoquer un tour de passe passe, Paul reformule la Filiation pour la vider de son sens en ajoutant “héritier par la grâce de Dieu” (verset 7).

   Pourquoi donc parler de filiation pour conférer à ce mot, immédiatement, un sens en quelque sorte symbolique, figuré ? Il y a là signe d’embarras. Car, précisément, à partir du moment où la Loi s’incarne, elle n’est plus transmissible que par la Filiation et non plus par la Tradition, laquelle rendait encore possible la conversion. A partir d’Abraham, on était entré dans le temps de la conversion, puisque lui-même quitte le paganisme pour adopter le monothéisme. Or, les païens auxquels Paul s’adresse ne sont-ils pas exactement dans la situation qui fut celle d’Abraham ? A partir de Jésus on est passé du temps de la conversion au temps de l’Incarnation et donc de la Filiation. Et d’ailleurs, on associe à Jésus, le nom de “fils” (Ben, en hébreu) : fils de Dieu, fils de l’Homme (Ben Adam), ce qui n’est pas non plus innocent ni indifférent, quelle que soit l’interprétation qu’on veuille bien donner à ce mot.

   Curieusement, alors qu’à tel endroit de l’Epître aux Galates, Paul déclare qu’il n’y a plus ni homme, ni femme, on trouve de nombreux développements sur ce qui distingue l’homme et la femme.5 On retiendra cette formule assez frappante : “C’est ainsi que les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps (...) Car jamais personne n’a haï sa propre chair, mais il la nourrit et en prend soin, comme le Christ le fait pour l’Eglise”6, ou encore : “Je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de prendre de l’autorité sur l’homme, mais elle doit demeurer dans le silence. Car Adam a été formé le premier, Eve ensuite.”7

   Pour Paul, c’est l’homme et non la femme qui est créé à l’image de Dieu. Paul ne confond nullement homme et femme dans un tel schéma. Il semble bien que dire que l’homme et la femme, “c’est pareil” revient au même que de confondre Juif et non Juif mais pourquoi dans ce cas insister sur ce qui distingue les deux sexes ?

   Paul met l’accent sur la circoncision, distinguant entre circoncis et incirconcis mais il nous semble que cela concerne dans un cas comme dans l’autre les Juifs. Qu’est en effet le sens d’être incirconcis pour celui qui n’a pas à l’être ? Qu’est-ce que l’inceste pour celui qui n’a pas de rapport avec sa famille ? Les juif incirconcis, ce sont les juifs laïques - encore que de nos jours, la circoncision soit souvent de rigueur même chez eux, en rappelant que celle-ci ne vise que les hommes. Les juifs circoncis sont ceux qui restent fidèles à une lecture traditionnelle et non incarnationnelle de la Loi.

   Quand Paul oppose ce qui est “selon la chair” et ce qui est “selon l’Esprit”, il ne nous semble pas que son propos soit très cohérent et nous y voyons même un aspect syncrétique, rapprochant des signifiants issus de contextes très différents. Paul semble certes annoncer une libération, un affranchissement de l’Esprit du fait de l’Incarnation du Verbe mais dans ce cas ce verbe incarné, c’est celui qui est “en nous”, que nous recevons par voie de filiation et non plus de tradition. Or, quand Paul parle de “chair”, il semble parfois qu’il se réfère au contraire à la lettre de la Loi par opposition à son esprit. Il y a là un paradoxe8, car c’est précisément l’Incarnation qui émancipe, dégage l’Esprit d’un certain fardeau. En ce sens, la chair ne s’est elle pas spiritualisée du fait même de l’Incarnation, c’est-à-dire de l’imprégnation de la chair par l’Esprit ?

   Plus qu’un mystère juif, plus que la question de Jésus, il y a un mystère chrétien : par quelle opération du Saint Esprit, des non juifs, ceux qui ne relèvent pas d’une filiation juive, seraient-ils assimilés à des Juifs, religieux et surtout laïques ? Pour un juif, c’est un tel glissement qui fait problème dans le christianisme; c’est le chrétien plus encore que le Christ (terme grec pour désigner le Messie, le Mashiah). Et on pourrait imaginer un christianisme sans non juifs qui posent la Filiation contre, face à la Tradition, ce qui caractérise précisément le judaïsme laïque.

   Et c’est pourquoi nous pensons que la percée du judaïsme laïc, notamment à la suite de la Révolution Française, a pu généré l’antisémitisme, qui vise plus la Filiation que la Tradition. Ce n’est en effet point le Juif religieux qui fait problème pour le Christianisme puisqu’il est celui là même que veut dépasser Paul - ces Juifs de la lettre de la Loi, de la Tradition plombant l’Esprit. Ce qui interpelle le Chrétien, c’est le Juif émancipé par rapport à cette Loi, tout en affirmant jalousement sa filiation. Car ce Juif laïque, qui recherche sa judéité dans la Filiation et non plus dans la Tradition, ressemble énormément au Juif tel qu’annoncé par la révolution christique, laquelle était avant tout interne au monde juif. Et dans ce cas, le Retour / émergence du Juif Laïque place le Chrétien non juif par sa filiation dans une situation fausse. Est-ce que le judaïsme laïque ne serait pas l’avènement de ce nouveau Juif annoncé par Paul et dont le Chrétien non juif aurait occupé, provisoirement, la place, de façon à assumer une certaine dialectique ? Le nazisme, par son caractère racial, déjà mis en avant dans le terme même de sémite, ne s’en prend-il pas à ces juifs laïcs, diasporiques, qui ne sont juifs généalogiques que par leurs grands parents ? Sous cet angle, le nazisme serait l’expression d’un christianisme voulant éradiquer un judaïsme éloigné de la Tradition et cependant bien présent parmi les Gentils.

   On peut se demander enfin si le propos paulinien ne serait pas marqué par la destruction du Second Temple, en 70, dont il est contemporain, et par l’accentuation de la dispersion juive. Ne serait-il pas une idéologie permettant aux juifs de maintenir leur conscience juive - qui est avant tout conscience d’une filiation - en se retrouvant parmi les Gentils, incapables de respecter rigoureusement la Tradition ? Que ce propos ait été détourné de sa vocation première nous semble assez patent. Paul, au fond, ne serait-il pas l’apôtre d’un certain marranisme ?

   Il serait peut être souhaitable, tout compte fait, de repenser le rapport des Juifs à Paul plutôt que d’en faire un tabou. Tout juif laïc lisant Paul se sent interpellé, comme si Paul était le prophète du laïcisme juif, au nom d’un basculement de la Tradition vers la Filiation, ce qui correspond à la fin de l’ère de la conversion, celui d’Abraham, et le passage vers l’ère de la dispersion, celui de Paul. Un Abraham, faut-il le rappeler, une fois de plus, qui tout converti qu’il ait été, préféra, selon la Genèse, marier son fils avec une fille de son lignage, quand bien même serait-il marqué par l’idolâtrie, plutôt qu’avec une fille du voisinage palestinien, quand bien même convertie à la religion de son époux. Car, sans ce respect, dès l’origine du principe de filiation, comme sous-tendant l’instauration d’une Tradition, on ne serait jamais passé au stade de l’Incarnation, qui exige une fidélité du sang, imprégné de la pratique au point que celle-ci soit devenue subconsciente et léguée par le corps et non plus par le Livre.

   La Foi à laquelle fait référence Paul, serait précisément en ce Juif “libre”, libéré du poids de la Tradition et qui assume désormais pleinement son Histoire, au travers d’une filiation non pas spirituelle, comme le revendiquent les Chrétiens non juifs, mais spiritualisée. Le Juif laïque serait “circoncis en son coeur” (Epître de Paul aux Romains) - en prenant le mot ici comme symbole de toute pratique / observance juive parce que ses ancêtres le furent au nom de la Tradition. Le Juif laïque quelque part est Juif malgré lui, sans le savoir, sans le vouloir. Le temps de la Tradition a laissé la place à celui de la Filiation. Le Juif est “libre” face à la Tradition, il n’a plus à charger sa mémoire mentale d’un enseignement reçu dans les écoles, mais cette liberté, en surface, a pour corollaire, qu’il est Juif viscéralement, dans tous les sens du terme. Comment, dès lors, pourrait-on parler, en cette ère de filiation, ouverte par Paul, d’une quelconque conversion des non juifs à l’héritage juif ? Le temps / droit de la conversion est forclos !

   Or, qu’est-ce que le Chrétien sinon un converti au judaïsme et cela explique peut-être pourquoi le judaïsme est si réticent à l’égard des conversions. Paul lui-même n’écrivait-il pas : “Si quelqu’un aspire à la charge d’évêque (...) il ne faut pas qu’il soit un nouveau converti, de peur qu’enflé d’orgueil, il ne tombe sous le jugement du diable” ?9 A qui s’adresse Paul quand il écrit sinon aux juifs de la filiation objective et non de la conversion subjective : “Frères, je ne veux pas que vous ignoriez que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé au travers de la mer; qu’ils ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer” ?10

Jacques Halbronn
Paris, 31 juillet 2003

Notes

1 Cf. notre article sur “Incarnation & Tradition” sur E.H., Ramkat.free.fr, rubrique Hypnologica. Retour

2 Cf. notre ouvrage, Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat. Retour

3 Cf. notre étude “Incarnation et Tradition”, op. cit. Retour

4 Cf. Epître de Paul aux Galates, Ch. IV, verset 7 Retour

5 Cf. Première Epître aux Corinthiens, II, 5-13. Retour

6 Cf. Epître aux Ephésiens, chap. V, verset 28-31. Retour

7 Cf. Première Lettre de Paul à Timothée, ch. III, 12-13. Retour

8 Cf. notre étude “Incarnation et Tradition”, op. cit. Retour

9 Cf. Première Epître à Timothée, ch. III, verset 6, trad. Française d’après le texte grec, par Louis Segond. Retour

10 Cf. Première Epître aux Corinthiens, X, 1-2. Retour



 

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