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JUDAICA

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Israël, du retour à la réinsertion

par Jacques Halbronn

    Il y a désormais un certain nombre de priorités : il importe de préciser non pas tant ce que sont les juifs mais de quelle catégorie ils relèvent : est-ce une religion, une race, une nation ? Il convient aussi de préciser ce que signifie Israël pour les juifs de France. Encore eut-il fallu que les Juifs de France le sachent pour eux-mêmes avant de pouvoir communiquer à l’intention d’autres populations et notamment des Musulmans en France, toutes générations et toutes nationalités confondues.

   Sur le premier point, un élément important est celui de la conversion. Si on peut se convertir au judaïsme, si on a pu le faire dans le passé, en diverses occasions, n’est-ce pas qu’il s’agit là d’une religion, interrogent certains. On pourrait dire aussi bien : puisque l’on peut se faire naturaliser français, n’est-ce pas la preuve qu’être français est une simple question d’ordre juridique ?1 C’est dire le risque que l’on prend à élaborer des processus de conversion ou de naturalisation, dans la mesure où cela tendrait à dévaluer les appartenances les plus vénérables. Le converti et le naturalisé sont les maillons faibles de toute identité collective, ils en sont aussi le cheval de Troie, ils démontrent la porosité des frontières et des clivages.

   Sur le second point, les relations qui existent entre les juifs de France et Israël apparaissent comme la preuve que leur appartenance à la France est relative sinon suspecte.

   On comprendra à quel point ces divers arguments génèrent de l'ambiguïté et du flou : on ne sait plus bien distinguer l’intérieur et l’extérieur d’un groupe: tout bouge, dit-on. Tout se brouille.

   Or, une grosse proportion des juifs de France sont à la fois marqués familialement par l’immigration et idéologiquement par le sionisme. Et d’ailleurs, qui un jour a immigré, un autre jour émigrera, fera son Alya, n’est-ce pas ?

   Comment répliquer à de tels arguments ? Il y en a de pur bon sens : si je colle une affiche sur un mur, est-ce que cela change la nature du mur, est-ce que celui-ci soudain est fait aussi de papier ? Est ce que cette affiche est devenue ipso facto “du” mur ? Est-ce que si je mets des petits pois dans une assiette, cette assiette est désormais faite de petits pois ? Or, est-ce que celui qui se convertit ou se fait naturaliser est dans une autre situation que des petits pois servis dans une assiette ? Les petits pois sont dans l’assiette, ils ne sont pas l’assiette. Est-ce que celui qui est accueilli dans une famille fait désormais partie de celle-ci au même titre que les enfants de cette famille ? Il semble donc qu’il faille repréciser les notions liées au fait d’accueillir et de recueillir et tout simplement de cueillir. Si je cueille une fleur, cette fleur ne devient pas moi, quand bien même je la mettrai sur moi ou l'emmènerai chez moi. Convertir ou naturaliser quelqu’un, est-ce autre chose que l’accueillir, faute de quoi n’y a-t-il pas abus d’un côté ou de l’autre ? Car le fait d’accueillir quelqu’un ne signifie pas non plus qu’il est désormais mien. Que chacun reste à sa place !

   On nous objectera que tôt ou tard, on risque de confondre le contenant et le contenu, celui qui accueille et celui qui est accueilli, du fait d’un certain mimétisme, les petits pois se confondant peu à peu avec l’assiette.

   Sur la question des rapports avec Israël, il faut également savoir argumenter. Israël a lancé une OPA (Offre publique d’achat) sur les juifs du monde entier mais est-ce que les juifs sont à vendre ? Imaginons que quelqu’un décide d’acheter ma voiture, est-ce à dire que celle-ci ne m’appartient plus ou que je n’y tiens plus ? Est-ce que parce que quelqu’un déclare vouloir m’adopter qu’un lien se crée automatiquement avec cette personne ? Le concept d’instrumentalisation est utile ici : instrumentaliser quelqu’un c’est se servir de lui sans se préoccuper de ce qu’il est en soi. Si Israël déclare vouloir m’accueillir, au nom d’une certaine idéologie; somme toute discutable, est-ce à dire que je deviens ipso facto et virtuellement israélien ? Est-ce que si une femme déclare vouloir m’épouser alors que je suis marié, est-ce que c’est de ma faute ?

   On voit donc qu’il y a là une dualité mal appréhendée où l’on confond l’émetteur et le récepteur, le contenant et le contenu et qui, quelque part, tient au fait qu’on ne sait plus penser le rapport masculin / féminin et en conséquence l’altérité.

   Il y a deux rapports d’altérité : le mimétique qui veut devenir l’autre et le complémentaire qui reconnaît à l’autre une position radicalement différente. L’approche féminine est plutôt d’ordre mimétique, mais elle déborde largement de nos jours le monde des femmes, elle est très marquée chez les étrangers et singulièrement chez les homosexuels. Selon une telle logique, le désir est déjà une réalité puisque, ici, la réalité sociale ne relève que de la volonté. Il n’y a pas de distinguo entre le réel et l’imaginaire et bien entendu l’on projette sur l’autre un tel schéma. Il suffit de vouloir. Tout est subjectif. Voilà ce que l’on entend.

   Pour revenir à la parabole des petits pois, se pose le problème de l’incrustation. Combien de temps faudra-t-il pour que les petits pois fassent partie intégrante de l’assiette, collent à celle-ci au point qu’on ne puisse les enlever sans casser l’assiette ? Dans toute société, y compris la société israélienne, il faut distinguer les “petits pois” et l’assiette. Quand je vide l’assiette, que je la passe à l’eau chaude, les petits pois s’en détachent. Ils étaient bien dans l’assiette mais c’était à titre provisoire, ils relèvent de la fonction de l’assiette, ils lui donnent même sens, mais ils n’en sont pas un élément constitutif dans la mesure même où une assiette qui ne pourrait pas être nettoyée pour recevoir des mets successifs serait une bien drôle d’assiette.

   On peut en revanche admettre qu’à terme telle assiette ait des petits pois incrustés, ce qui n’empêcherait pas celle-ci de jouer son rôle d’assiette à l’égard d’autres aliments, sans que les petits pois, dès lors, soient pour autant menacés.

   Prenons le cas des juifs de souche française, leur présence n’a pas empêché l’immigration, dans l’assiette française de diverses populations, juives ou non, et notamment maghrébines. Cela signifie donc, en quelque sorte, que ces juifs de souche française font partie intégrante de l’assiette française. En revanche, les juifs immigrés en France constituent une population plus problématique qui s’apparenterait plutôt à des petits pois qui ne sont pas incrustés et qui par conséquent voudraient que l’assiette leur soit réservée, empêchant ainsi un fonctionnement normal de la dite assiette, qui implique un certain renouvellement.

   En ce qui concerne Israël, la question est la même : celle de l’incrustation. On sait l’importance de la question démographique dans cette région. On pourrait même dire que le sionisme est avant tout une affaire de démographie, tant il s’associe avec une comptabilité propre aux régimes démocratiques pour fonder sa légitimité. Car apparemment, la légitimité de cet Etat passerait par le fait que la majorité des électeurs doivent y être d’origine juive. Ce qui n’est pas exactement ce que dit la Déclaration Balfour qui considère qu’il faut un Foyer Juif en Palestine sans préciser que les Juifs doivent y être les plus nombreux. On oublie en effet que dans une logique caritative, d’aide sociale, on n’exige pas de celui qu’on aide qu’il soit fort et c’est même d’ailleurs parce qu’il ne l’est pas qu’on pense devoir l’aider. L’esprit de la Déclaration Balfour (1917) est de permettre aux Juifs qui sont dans le besoin de trouver protection en Palestine quand ils ont des problèmes ailleurs, du fait des vagues d’antisémitisme. Ni plus ni moins. Par conséquent, on ne saurait reprocher aux juifs de France ou d’ailleurs d’accorder quelque importance à l’Etat d'Israël en ce qu’il constitue un recours au cas où. L’évolution du sionisme vers une autre dimension, celle d’une centralité, celle d’une majorité juive, de juifs en Israël voire, comme on l’entend souvent, d’une majorité des Juifs en Israël, vient interférer avec une telle problématique sociale. L’attachement des Juifs à Israël tient avant tout à ce qu’il est en quelque sorte par sa création la reconnaissance par les nations d’une certaine volonté de maintenir, de préserver le peuple juif, voire de le protéger, ce qui ne signifie pas que l’on veuille le mettre dans une réserve. En fait, Israël n’est peut-être même pas la meilleure solution possible. Pour nous le mot Israël symbolise une volonté des nations de gérer au mieux la question juive et l’Etat d'Israël tel qu’il est n’est qu’une des réponses à cette question. Si cette réponse ne convient pas, il faudra bien en trouver une autre pour servir de soupape de sécurité aux tensions engendrées par la présence juive au monde, ne serait-ce que par le fait que les juifs constituent une infime minorité de personnes que d’aucuns ont eu la tentation d’exterminer. Mais résoudre la question juive, ce n’est pas déraciner les juifs de là où ils se sont implantés profondément, c’est au contraire préserver autant que possible cette implantation car qu’est ce qu’un arbre sans terre et les nations sont la terre des Juifs. On notera que pour désigner le monde, les juifs utilisent un pluriel - les nations (goyim) - goy ne désigne pas au départ quelqu’un qui n’est pas juif mais un des peuples non juifs - car en chaque nation il y a un destin juif spécifique. Rassembler en un seul lieu les juifs issus de toutes les nations est un contresens absolu et ne peut d’ailleurs générer qu’une cacophonie. On peut même penser que si la politique israélienne est ce qu’elle est, cela tient à l’hétérogénéité de la population juive d’Israël qui ne trouve de pseudo-consensus que par la voie des urnes, ce qui constitue, en fin de compte, un processus de décision bien dérisoire.

   Israël a été conçu pour être un réceptacle pour la misère juive dans le monde, pas pour que les mêmes juifs s’y incrustent, en dehors d’une équipe d’accueil, il faut que la présence juive s’y renouvelle, qu’il y ait un roulement. Entendons qu’Israël est une bouée de secours pour les juifs mais il ne faudrait pas que le remède fût pire que le mal. Comme dans toute aide sociale, il faut un volet réinsertion. Or, nous voyons bien une agence pour faire venir les juifs en Israël, mais y a-t-il une agence pour les réinsérer en dehors d’Israël ? Il est vrai que nombre de juifs quittent Israël et cela n’a rien en soi de scandaleux, même si on appelle ces gens là des yoredim, en quelque sorte ceux qui “tombent” ou “laissent tomber” (littéralement, qui descendent). Le terme alya (montée) semble d’ailleurs tout aussi abusif : le juif qui vient en Israël, on l’a dit, est en situation de démission : il quitte un lieu ou il en est expulsé. Rien en cela vraiment de très réjouissant !

   Tant que l’on n’aura pas lancé l’idée d’une “agence de réinsertion des juifs d’Israël” (ARJI), il y aura un malaise. Nous pensons que c’est l'intérêt de l’humanité que les Juifs puissent vivre au milieu des nations au lieu de rester entre eux, dans un processus de concentration qui nous semble tout simplement aberrant, selon cette logique de réinsertion dont il est question. Veut-on faire d’Israël une Nouvelle Calédonie, où fut envoyée de 1873 à 1880 une Louise Michel, où l’on enverrait les personnes indésirables en évitant qu’elles puissent revenir ? Est-ce un goulag où une nouvelle société de bannis doit s’organiser et s’incruster ? Est-ce que la réinsertion passe par l’établissement d’une société de laissés pour compte qui se débrouilleraient entre eux sans espoir de retour. Or, s’il y a une Loi du Retour, cela vaut autant pour les Juifs qui vont en Israël, qui y “retournent”, selon la fiction qu’ils en seraient partis mais aussi pour les Juifs qui désirent “retourner” dans le pays dont ils sont partis pour venir en Israël ou en tout cas s’installer à nouveau au sein d’un monde qui ne serait pas uniquement peuplé de Juifs. La logique de la ré-insertion, c’est une logique du retour à la normale. En hébreu, le “retour” désigne aussi la conversion (Teshouva), la question étant de savoir où est la norme et où est l’exception.

   Tant que les juifs de France n’auront pas mis en place des structures d’accueil à l’intention des Israéliens qui souhaitent se réinsérer, pèsera une grave ambiguïté sur leur rapport à Israël. Symétriquement aux structures d’accueil israéliennes, il est impératif que soient aménagés dans chaque communauté juive dans le monde des structures d’accueil pour ressortissants israéliens. Et cela est d’autant plus évident quand on sait les conditions psychologiques dans lesquels les Israéliens et notamment les jeunes israéliens en Israël. Structures qui pourraient notamment encourager les mariages avec des juifs “locaux”, dans la mesure où selon nous c’est là le meilleur mode d’intégration.

   Certes, ne sommes-nous pas là en train d’encourager un nouveau flux d’immigrants juifs en France ? Nous ne condamnons pas, faut-il le préciser, la présence d’une immigration juive en France dès lors qu’elle sait rester à sa place et ne remet pas en question le rôle des juifs de souche française, lesquels constituent, faut-il le rappeler, le principal vecteur de légitimité de la présence juive en France. Ces juifs de souche française dont on peut dire qu’ils sont bel et bien incrustés dans la longue Histoire de la France et qui n’en sont pas dissociables.

   Entre ces juifs de souche française et ces Israéliens en voie de réinsertion, il y a évidemment la masse des juifs issus de l’immigration en provenance du Maghreb et de l’Europe centrale et orientale. Ces juifs là se sont-ils réinsérés en France ? Sont-ils toujours des petits pois qui vont à la poubelle quand on lave les assiettes ou qui ne veulent pas qu’on lave celles-ci ou bien font-ils désormais pleinement partie de la vaisselle ? That is the question !

   Car, parler de réinsertion vaut aussi, par extension, pour tous les juifs qui arrivent en France, d’Israël ou d’ailleurs. Cf. notre étude sur les “juifs francisés”, sur E. H. Il convient de réfléchir plus qu’on ne l’a fait jusqu’à présent aux conditions et au problèmes de cette insertion juive en France étant entendu qu’il existe bel et bien un noyau juif “incrusté”, autour duquel cette réinsertion fait sens. Jusqu’à présent, on a assisté une réinsertion sauvage et cela depuis un demi-siècle au moins, ce qui fait que face à la présence musulmane en France, le judaïsme français est fragilisé et désorganisé, avec une communication catastrophique.

   Pour en revenir à la notion de conversion ou de naturalisation, elle concerne avant tout un processus d’accueil qui n’implique nullement que l’on devienne ipso facto identique à celui qui nous accueille, mais signifie que l’on est invité à partager le même espace et à profiter de certains avantages propres à ceux qui vivent ainsi ensemble.

   Etre juif ne saurait se réduire à une religion parce que précisément la dimension religieuse est celle de l’accueil, c’est la loi qui s’impose à tous ceux qui veulent vivre avec des juifs. Comme dirait Spinoza, à la suite de Saint Paul, dans son Traité théologico-politique, à priori la loi est en nous et cette loi exprimée s’adresse précisément à ceux qui n’ont pas cette loi en eux. Et c’est pour cette raison que celui qui veut se convertir doit connaître cette Loi, sans que cela le rende juif, disons que cela le judaïse, que cela en fait un judaïsé et être judaïsé ce n’est pas être juif tout comme être francisé ne veut pas dire qu’on est Français. Autrement dit, les juifs religieux se comportent comme des non juifs voulant se judaïser, se convertir, et ce faisant ils donnent une fausse image du judaïsme puisqu’ils laissent entendre qu’il suffit de pratiquer comme eux pour devenir juif à part entière. L’étranger au judaïsme n'accède pas au monde juif par le biais de juifs non pratiquants, n’exposant pas les lois qui sont les leurs mais bel et bien par le biais des juifs pratiquants. C’est tout dire. L’apprentissage de l’alphabet hébreu et non pas de la langue hébraïque elle-même montre bien le caractère superficiel d’une telle initiation. Mais ce qui est tolérable pour le novice l’est-il encore pour celui qui est né dans cette religion et qui se prête à de tels expédients ?2 Il importe de ne pas confondre les pratiques initiatrices exigées de l’étranger voulant se faire adopter et les qualités inhérentes à la filiation et qui sont d’un autre ordre et ne relèvent pas d’un choix mais d’un être à assumer. La langue maternelle incarne cette présence en nous d’un savoir qui nous a pénétré, qui est entré dans nos veines à notre insu, sans que nous le voulions alors que l’apprentissage d’une langue étrangère passe par d’autres voies autrement laborieuses et où l’on nous promet abusivement une maîtrise qui ne sera jamais celle de celui qui est né avec la dite langue.

   Nous ne pensons pas qu’il soit sain de décrire l’être juif comme de caractère religieux car ce qu’on nomme religion n’est qu’une façon de s’approcher, dans tous les sens du terme, de l’être juif. Mais nous savons ce qu’il en a coûté aux juifs de se présenter comme une religion, dès lors que l’on a instrumentalisé leur Dieu pour les désavouer et pour leur substituer, soi disant, de nouveaux juifs plus méritant devant le dit Dieu. Et cela a marché pour les Chrétiens et à nouveau, 600 ans plus tard, pour les Musulmans, ces gens se voulant plus juifs que les juifs.

   Il en est d’ailleurs de même pour toute sorte de règlement mis en place pour régir un groupe. Normalement, les règles auxquelles obéit un groupe sont dans le non dit mais à l’intention des étrangers qui veulent se rapprocher, on compose des dictionnaires de langues, on fixe un certain nombre de normes supposées permettre aux nouveaux venus de ne pas être complètement perdus puisqu’ils ne peuvent s’appuyer sur un certain atavisme. Mais très vite, un tel processus présente des aspects pervers et ceux qui assimilent ces règles se croient désormais parfaitement intégrés et même capables d’en remontrer à ceux qui les accueillent, oubliant qu’il ne s’agit là que d’expédients, de pis allers.

   On ne saurait assez répéter3 que la Loi est faite pour les étrangers, que c’est pour eux qu’on a inventé des formulations qui leur permettent de communiquer et de se conformer grosso modo au milieu d’accueil. On sait que plus un groupe est hétérogène, plus il a besoin de lois pour fonctionner. Le fait de voter peut donner l’illusion d’une appartenance à une nation alors que c’est le type même de rituel initiatique auquel tout citoyen indistinctement a droit. C’est ainsi que le passage par l’armé est apparu comme un élément essentiel du creuset israélien, mais pouvant être ressenti comme un carcan insupportable4 dès lors que l’on se sentait déjà intégré par ailleurs.

   Mais les étrangers eux-mêmes, quand on les observe, savent très bien ce que ces lois ont d’artificiel et à quel point elles n’épuisent nullement la réalité de ceux qui les accueillent et c’est pour cela qu’ils éprouvent un soulagement chaque fois qu’ils peuvent revenir à leurs propres automatismes, dans leur langue maternelle, dans leur milieu naturel, c’est-à-dire quand ils se retrouvent entre personnes de même origine. A contrario, des étrangers de diverses origines qui se rencontrent au sein d’une même société se rendent bien compte du caractère artificiel des lois. La loi n’est jamais que du signifiant tentant laborieusement d’accéder à du signifié. La loi est l’interface entre l’étranger et celui qui appartient naturellement au milieu d’accueil. D’ailleurs, les espagnols ne s’y sont pas trompés qui ne considéraient pas les conversos ou les nouveaux Chrétiens pour de “vrais” chrétiens “de sang”. C’est une telle représentation que l’on retrouve précisément chez Baruch Spinoza issu de ce milieu hispanique d’Amsterdam. Or, face à ce fossé entre le contenant et le contenu, entre l’extérieur et l’intérieur, on voudrait que Dieu ou l'Etat - Léviathan accomplissent des miracles et abolisse les distances de temps et d’espace. La civilisation chrétienne comme la civilisation musulmane se sont construites sur l’idée d’un tel miracle, d’une telle transmutation. Il serait bon que les Juifs ne se livrent pas à une telle aberration en croyant pouvoir passer d’une nation à une autre, à leur guise et en déclarant prématurément leur intégration au sein de la communauté juive qui les accueille.

   Pour les juifs laïcs, il y a un être juif qui ne s’instaure pas autour de la Loi mais auquel on accède quand on en est privé, dépourvu, par la Loi. Einstein n’est pas Einstein parce qu’il a obéi à la Loi juive des convertis et cela montre bien le décalage qu’il y a entre le contenu de la Loi telle que chacun peut en prendre connaissance et la réalité infiniment plus riche de l’être juif dont la Loi n’est que le sommet de l’iceberg. Une Loi, d’ailleurs, dont Spinoza disait qu’elle était bien imparfaite, souvent corrompue par les siècles, qui n’est que ce que les hommes ont pu décrire d’une réalité intérieure qui les dépassait eux-mêmes. Ce qu’on appelle la Loi juive est une tentative déjà obsolète de décrire l’être juif, il faut la resituer dans le cadre de l’Histoire des sciences sociales.

   Il existe certes des moyens de s’intégrer dans un groupe, de vivre dans une certaine vicinité, en respectant quelques règles de base. Que par syncrétisme, on en arrive à confondre populations juives et populations judaïsées, le sacré et le profane - littéralement celui qui reste aux portes du temple mais n’entre pas dans le sanctuaire - est probablement une des principales causes de la crise de l’ontologie juive.

Jacques Halbronn
Paris, 10 octobre 2003

Notes

1 Cf. notre étude sur “la question juive, Dieu et l’Etat”, sur Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr. Retour

2 Cf. le film Le Tango des Rashevski de Sam Garbarski. Retour

3 Cf. notre ouvrage Le Monde Juif et l’astrologie, Milan, Arché, 1985. Retour

4 Cf le dernier film d’Amos Gitai, Alila. Retour



 

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