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JUDAICA

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Les Juifs et le refus de la contingence

par Jacques Halbronn

   Si le Juif est l’étranger structurel, encore convient-il de préciser comment s’organise la dualité entre cet étranger là et l’autre pôle par rapport auquel il est précisément supposé étranger. Nous proposerons d’appliquer à cette dualité une grille relativement simple, celle de la nécessité et de la contingence.

   L’étranger échappe d’une certaine façon à la contingence si on définit celle-ci comme une superstructure comme le sont les clivages linguistiques, culturels notamment. Par le fait même qu’il n’est pas intégré, il n’a d’autre recours que de revendiquer une humanité sous-jacente, plus ou moins universelle. Certes, en un certain sens, une telle attitude est-elle régressive dans la mesure où elle fait abstraction de tout un acquis existentiel. Mais elle n’en a pas moins le mérite d’en revenir à l’essentiel et d’échapper aux mirages de la contingence. Et c’est au demeurant ce qui est demandé à l’étranger structurel que de prendre quelque distance par rapport à la dite contingence.

   Car le lieu de la contingence fait parfois oublier les fonctions primordiales au profit de l’anecdote, des découpages fortuits qui ne font pas fondamentalement sens, au niveau d’une anthropologie générale. En ce sens, l’approche de l’étranger au monde, au sens où nous l’entendons, nous apparaît comme assez semblable à la démarche scientifique, laquelle, également, a besoin de se démarquer par rapport au contingent. Le fait de passer d’une culture à une autre développe le comparatisme, exige des descriptions jugées inutiles a priori par ceux qui vivent en son sein.

   Dans notre premier volet, nous avons présenté le Juif en tant qu’étranger structurel, ce qui signifie qu’il a un regard autre sur le monde, comme c’est le cas de l’étranger que nous avons qualifié de conjoncturel mais que sa présence n’est pas épisodique, vouée à des fluctuations aléatoires mais qu’il fait partie intégrante du système.

   L’aptitude du Juif à se situer au delà du contingent et à fonctionner dans un autre registre, celui de la fonctionnalité, est manifeste dans le cas des pratiques religieuses. La pratique des rites, dès lors qu’elle ne dépend pas des événements « extérieurs », qu’elle se perpétue, quoi qu’il arrive, correspond selon nous, par la régularité immuable qu’elle implique, à une volonté d’émancipation par rapport à la contingence.

   En ce sens, ce qu’on appelle le judaïsme laïque est beaucoup plus en proie à la contingence, ses manifestations sont le plus souvent liées à l’actualité politique ou sociale. On comprendra mieux ainsi ce qui oppose judaïsme laïque et judaïsme orthodoxe, à savoir le rapport au contingent. L’activité de l’un est scandée par des événements qui lui sont, en quelque sorte extérieurs, qui ne dépendent guère de lui, tandis que l’activité de l’autre relève d’une programmation non négociable : le Shabbat, c’est le Shabbat et il doit être célébrée en toute circonstance.

   Deux images du Juif, par conséquent, singulièrement distinctes tout comme le sont, sur un autre plan, celle du juif errant, déraciné face au juif de souche - qui a pris souche en une culture donnée et dans la longue durée.

   Deux manières donc d’être juif : l’une tourmentée par des changements inopinés, non intégrés ni intégrables dans un projet cohérent et se déroulant sans accroc et l’autre installé dans une stabilité tant spatiale, le lieu de vie que temporelle, l’événementialité des pratiques liées au respect du calendrier.

   Ces deux voies ne font que refléter la dualité de la condition humaine oscillant entre deux pôles : le nécessaire et le contingent. Et force est de constater que la communauté juive en France tout comme en Israël est marquée par un tel clivage.

   En ce qui nous concerne, nous pensons que le véritable être juif se situe en opposition avec les réalités contingentes. Si l’étranger conjoncturel bascule du côté de la contingence, en revanche, l’étranger structurel se placerait du côté d’une fonctionnalité caractérisée par une organisation récurrente et cyclique du temps, obéissant à une certaine rationalité, éminemment prévisible.

   Ce Juif orthodoxe, en tout cas pratiquant, n’accorde à la contingence que la portion congrue, la réduisant à un épiphénomène. Il est selon nous plus « évolué » que le juif laïco-errant qui en est encore à vivre le monde de façon sauvage et aléatoire, au gré du hasard de la vie. L’importance accordée à Israël et à ce qui s’y passe correspondrait, en quelque sorte, à un besoin de trouver une événementialité que le judaïsme laïque serait incapable de faire émerger en lui-même, du fait de l’absence de références bien définies.

   En ce sens, entre le juif orthodoxe et le juif de souche française - pour ne parler que de la France, il semble qu’il y ait possibilité d’une certaine synergie, d’une coopération, face à l’autre pôle juif, non orthodoxe et issu d’une immigration relativement récente. Et de fait le milieu juif laïque français comporte fort peu de juifs de souche française et nous apparaît fortement marqué par un judaïsme issu d’Europe centrale et orientale, et singulièrement des territoires de culture polonaise.

   On pourrait d’ailleurs associer à ce premier pôle « orthodoxe - souche française », l’ensemble des grands penseurs juifs lesquels eux aussi se situent au delà de la contingence et sont ancrés non point dans une culture nationale mais dans un secteur de la connaissance scientifique. En ce sens, un Marx, un Einstein ou un Freud se situeraient bel et bien dans la sphère d’un judaïsme « fonctionnel », par leur aptitude à dépasser et à mettre en perspective le monde des contingences.

   A l’origine de l’être juif, il y aurait donc le besoin de certaines sociétés d’apprivoiser l’Histoire, de mettre sa dynamique en équation, comme on canalise l’énergie thermodynamique ou celle générée par l’atome.

   Le génocide perpétré, il y a une soixante d’années, par le nazisme nous semble donc, à la lumière de telles analyses, d’autant plus monstrueux qu’il concerne le mode même d’organisation interne, structurel de la civilisation occidentale et la volonté de remonter à un état antérieur où le contingent régnait en maître. En ce sens, le Juif symbolise ce que nous appelons la civilisation, c’est-à-dire une volonté de contrôler les forces élémentaires, de les modéliser.

   Notre civilisation n’a pas en effet mis fin à l’état antérieur qui se perpétue à ses marges et qui tente de reconquérir le terrain perdu. Il serait en tout cas fâcheux que le judaïsme en vienne à incarner des valeurs qui lui sont devenues foncièrement antagonistes : errance, contingence, dépendance de secousses extérieures. Face au Shabbat qui manifeste une cyclicité régulière, nous avons affaire à des joies et à des peines fonctions de l’actualité. Il est donc temps que le judaïsme contemporain retrouve ses marques et cesse de flirter avec de vieux démons. Il est temps, pour les Juifs, de mettre fin à une philosophie du déracinement qui met l’homme à la merci de l’aléatoire et du technologique pour s’inscrire dans une géographie et dans une histoire bien circonscrites, dans un cadre immuable mais comportant sa propre dynamique dans son mode de fonctionnement. Le rôle d’Israël, tel que l’avait pensé un Théodore Herzl (cf. notre ouvrage Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Editions Ramkat, 2002), avant de se rallier aux thèses sionistes qui préexistaient, n’était pas tant de déraciner les Juifs de leurs diasporas, mais de créer un espace d’attente pour les Juifs en délicatesse avec leur écosystème, ce qui impliquait la perspective, au bout de quelques années voire de quelques décennies, d’un retour une fois l’orage passé. Herzl craignait en effet plus que tout les migrations d’une communauté juive diasporique vers une autre, pensant, à juste titre, que cela brouillerait l’image du juif en tant qu’étranger structurel et non pas conjoncturel.

   On peut espérer, sans tomber dans l’utopie, que le XXIe siècle verra se mettre en place une organisation comportant des communautés juives de par le monde, renforçant leur présence structurelle et se démarquant de la conjecturalité qui a été trop souvent leur lot au XXe siècle. Dans ce cadre, on l’a dit, Israël serait avant tout un espace d’attente, un refuge, un « asile », en cas de pression trop forte sur telle ou telle communauté. De la même façon, le renoncement aux pratiques religieuses qui relève d’une forme de marranisme ne saurait se justifier qu’en cas de persécution. Au juif d’assumer à nouveau et dès que possible une dualité privilégiée au sein de la culture qu’il a investi et dont il est, pleinement, un élément constitutif.

   Concluons sur le cas de l’Etat d’Israël : on sait à quel point le clivage entre religieux et laïques y est exacerbé, et il est un fait que le caractère dramatique des événements renforce le poids de la contingence : quoi de plus contingent, en effet, qu’un attentat suicide ? La vie juive en Israël, et par ricochet ailleurs, est marquée au sceau de la contingence la plus prégnante, ce qui n’était probablement pas ce qui avait été envisagé à l’origine. D’où l’urgence de définir l’être juif.

   Il ne faudrait pas que le Juif, par les clivages qu’il introduit tant dans le temps que dans l’espace, soit récupéré, alibi d’une politique manipulatoire visant à persuader quiconque qu’il peut, du jour au lendemain, changer de catégorie.

   Il importe de distinguer, catégoriquement, changement structurel et changement conjoncturel. L’un ne porte pas atteinte aux clivages synchroniques, il ne prétend aucunement les transformer, au nom de quelque modernité, tandis que l’autre - d’ordre conjoncturel - se complaît dans l’imprévisible, dans le non programmé et relativise considérablement la permanence des clivages structurels existants ; en fait, le changement conjecturel introduit une sorte de précarité et d’incertitude, théorisant ainsi quelque malaise existentiel.

   Le changement structurel contrôle le temps en le pliant à une cyclicité à court terme qui ne permet aucune aventure à long terme, ni aucune linéarité qui poserait une sorte d’avant et d’après. C’est précisément grâce au changement cyclique, qui introduit des pauses, des parenthèses, que l’équilibre entre les divers protagonistes sociaux est respecté et supporté / supportable. Sans une certaine dynamique historique, nécessairement dialectique, on fraie la voie au changement conjecturel et donc à la remise en question des structures existantes.

   Entre le structurel et le conjoncturel, il y a comme un jeu de miroirs : le conjoncturel précède certes le structurel, comme un état premier devenu caduc mais il continue à le menacer, il n’a pas renoncé à prendre sa revanche ; le conjoncturel nourrit une tentation / tentative subversive : le problème, c’est que les mirages qu’il propose sont des leurres aliénants du fait que l’homme, pour le pire et pour le meilleur, est désormais inscrit / circonscrit dans le système qu’il a élaboré et qui n’a rien à voir avec la Nature, à moins que l’Homme ne soit la Nature se (re)pensant elle-même. Au nom du changement structurel, fait de régularité et de récurrence, en jouant sur les mots, on veut légitimer le changement conjoncturel, qui ne respecte pas les clivages millénaires institués. En ce sens, le XXe siècle nous apparaît comme radicalement subversif.

   Or, aujourd’hui, le Juif lui-même, au lieu de donner l’exemple d’une fidélité à ce que l’Histoire a fait de lui, s’est engagé dans le défi, à savoir l’aventure palestinienne / israélienne (cf. notre étude sur l’Europe et la Palestine). Comment pourrait-il dès lors, ce Juif, captif de chimères et de sirènes, servir de référence morale, lui qui, comme le lui avait promis Herzl, en est à vouloir que les légendes (Haguadoth) deviennent réalité. Mais à quel prix ? Il n’est que les faux prophètes qui prétendent que nous sommes à la fin des temps et qu’il nous faut tout changer, tout effacer, faire table rase du passé. Les vrais prophètes, pour leur part, savent que, comme dans l’Ecclésiaste, il n’est « rien de nouveau sous le soleil » et que tout autre discours n’est que « vanité des vanités » ; la seule prophétie authentique est dans la conscience de la cyclicité et du retour des choses.

Jacques Halbronn
Paris, le 24 janvier 2003



 

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