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JUDAICA

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Des juifs en quête de repères

par Jacques Halbronn

    La question de l’immigration est relativement facile à cerner lorsqu’elle concerne un Etat bien précis ou du moins un certain territoire sur lequel une population bien définie demeure de longue date. Elle est déjà plus délicate quand elle concerne l’immigration vers une minorité ou vers un pays sous domination étrangère. Or, les Juifs sont confrontés à des configurations migratoires assez complexes et qui exigent de penser une stratégie cohérente.

Le cas israélien

   L’émergence de l’espace palestino-israélien à partir de la fin du XIXe siècle a évidemment à la fois complexifié et simplifié, en tout cas quelque part enrichi, la problématique migratoire juive.1

   De nos jours, l’Alya vers l’Etat d’Israël place le juif dans une situation singulière : est-il un étranger en Israël, est-il même stricto sensu un immigré ou bien quelqu’un qui est dans une problématique de “retour” comme la loi du même nom semble l’indiquer? En pratique, cet Olé - l’immigrant juif vers Israël - va bien devoir s’adapter, apprendre ou perfectionner son hébreu, dans un oulpane (qui vient de la lettre Aleph) et bien d’autres choses. En outre, cet Olé a fait un choix qu’il va devoir assumer.2 Mais en même temps, puisqu’il est déjà juif, et pas moins juif qu’un autre, ne peut-il tout simplement rester lui-même ?

   Ce qui contribue à maintenir un certain état d’hétérogénéité au sein de la population juive en Israël est l’absence d’un référentiel extérieur non juif dès lors que le monde arabe environnant se voit dénier ce rôle. Alors que la stratégie d’intégration des Juifs depuis des siècles a toujours été de s’acclimater à une culture majoritaire, ce statut est dénié aux Arabes et il est possible que cela soit là un problème dans la mesure où les juifs au cours de leur présence séculaire au sein du monde arabo-musulman s’étaient imprégnés de la langue et de la culture du dit monde. Et voilà que les règles du jeu changent.

Le cas français

   En ce qui concerne l’immigration juive en France, elle n’est pas sans offrir, somme toute, certaines similitudes avec le cas israélien. En effet, une partie non négligeable des immigrés juifs étaient déjà peu ou prou francisés, du fait de l’implantation de l’Alliance Israélite Universelle, fondée en 1860, en divers pays du bassin méditerranéen, sans parler de ceux demeurant dans des colonies françaises ou des pays sous mandat français. Ces juifs francophones mais non français ou en tout cas non métropolitains, issus d’un contexte plus souvent musulman que chrétien, allaient retrouver une communauté juive française locale.3

   Là encore, le processus d’immigration n’a pu fonctionner dans des conditions claires en raison de certaines ambiguïtés. Nous pensons notamment que les juifs immigrés en France n’ont pas cherché à se conformer au moule des juifs de souche française, opposition qui est celle des Israélites et des Juifs.4

   Refus donc dans un cas du référentiel arabo-musulman chez les juifs vivant en Israël et du référentiel judéo-français voire judéo-chrétien chez les juifs venant s’installer en métropole.

   Il reste que la minorité juive en France trouve son ciment moins en elle-même que dans son rapport à la société non juive dominante, ce qui n’est évidemment pas le cas en Israël et on ne sait si cela le sera jamais. C’est plutôt l'inverse qui se produit, les arabes israéliens parlant hébreu. Ainsi, deux attitudes, l’une d’intégration face au monde chrétien, l’autre de ségrégation face au monde arabe. Il est probable que cette situation soit en partie le fait des colons juifs, notamment ceux issus de Pologne et de Russie, arrivant en Palestine, société en grande partie agraire et en outre placée sous domination ottomane avant la Première Guerre Mondiale. En d’autres termes, la société où arrivait l’immigré juif ne faisait pas le poids. A cela s’ajoutait évidemment le sentiment pour les Juifs de revenir sur la terre de ses ancêtres, sans parler d’un certain équilibre démographique qui empêchait l’immigration juive de se percevoir comme minorité. Tout cela allait interférer avec des conditions normales d’intégration.

   En France, également, il allait être difficile pour les immigrés juifs de reconnaître pour modèle les Juifs de souche française, dès lors que ceux-ci n’étaient plus qu’une minorité, du fait de l’affluence étrangère, au sein même de la communauté juive de France.

Le cas des juifs laïcs

   Vient encore compliquer les perspectives l’importance des Juifs dits laïcs. Signalons en passant que le marranisme annonce le laïcisme, qui tend à faire de la religion une affaire privée et que le statut de dhimmi des juifs en pays musulman annonce la condition du marrane, de par l’interdiction de la pratique publique du culte juif.5 Comment peut-on adhérer à un judaïsme qui n’offre aucune prise, qui ne se définit pas en termes de pratiques voire de langues. Comment pratiquer le mimétisme avec une population mal différenciée de la population non juive ? Bien plus, est-ce que ce ne serait pas à ces Juifs laïcs d’immigrer vers la religion juive et dès lors ne tendrait-on pas à inverser les rôles, faisant du juif immigré en France celui qui sait et de celui qui est de souche française celui a tout à apprendre ? Il est possible que certains juifs immigrés en France aient jugé que les juifs de souche française ne sauraient servir de référence, du fait de leur carence en matière de judaïsme. Parfois, ils ont pu être tentés de leur dénier jusqu’à leur qualité de juifs.

   Ce faisant, c’était oublier qu’être juif quelque part, c’était vivre dans un certain environnement non juif et que cela les juifs immigrés en France auraient bel et bien à l’apprendre de la part de ces juifs de souche française, descendants en ligne directe de ces Juifs émancipés sous la Révolution.

   Etre juif en France, c’est-à-dire être juif pour le non-juif, relevait d’une tradition de la présence juive, d’une Histoire et surtout de l’évidence que le juif n’était pas un étranger car ce n’est pas en tant qu’étranger que le juif est lié à la France. Il ne faudrait pas jouer sur les mots. Les juifs avant 1791 n’étaient pas des étrangers, ils avaient certes un statut à part, n’avaient pas les mêmes droits mais ils n’étaient pas considérés comme des immigrés. C’est l’arrivée d’immigrés juifs qui a brouillé l’image des Juifs français, notamment à partir des années 1880, lors des persécutions juives en Russie.6 La venue par la suite de juifs d’Afrique du Nord n’arrangea pas les choses du fait précisément de leur francité.

L’instrumentalisation de l’immigration

   Il faut quand même parler d’une certaine incurie de la stratégie d’immigration et cela à plusieurs niveaux. On sait ainsi que pour la France, l’immigration apparut comme une compensation pour les pertes dues à la Première Guerre Mondiale, par l’idée que la France ne pouvait décliner démographiquement et qu’il fallait trouver des solutions, quitte à ce qu’il s’agisse d’expédients. Il n’est pas non plus impossible que les Juifs de France eux-mêmes aient encouragé une politique permettant d’augmenter leurs effectifs. C’est bien entendu ce qui s’est passé avec le décret Crémieux de 1870 - Adolphe Crémieux étant un juif comtadin - faisant des juifs algériens des citoyens français - décret qui sera rapporté sous Vichy. Il s’agissait de compenser la perte de l’Alsace-Moselle, un des lieux les plus marquants de la présence juive en France. Comme si l’on pouvait échanger des juifs d’Alsace, placés au coeur même de l’Europe, entre la France et l’Allemagne, contre des Juifs d’Algérie, issus d’une société orientale.

   Mais en Israël également, que penser d’une politique d’immigration qui conduisit à la venue massive de Juifs de l’ex URSS au cours du dernier quart du XXe siècle ? Comment une telle présence n’aurait-elle pu déstabiliser la société israélienne et surtout l’image de cette société aux yeux du monde arabe ? Est-ce une coïncidence si les deux Intifadas sont contemporaines d’un tel afflux migratoire, lié à une évidente course démographique combinée avec des considérations dues au régime parlementaire israélien, avec à la clef la crainte de se retrouver minoritaires à la Knesset. Là encore, le recours à l’immigration semble en partie inspiré par la situation militaire et notamment par l’occupation, à partir de 1967, de la Cisjordanie introduisant à terme un déséquilibre en faveur des arabes.

   Le dialogue israélo-palestinien est en définitive probablement une bonne chose, en ce qu’il pourrait contribuer à permettre à la société israélienne de trouver enfin ses marques dans la région car il est évident qu’à terme Israël perdra son caractère de centralité et ne sera plus qu’un des grands pôles de la vie juive, avec un statut nécessairement minoritaire, quand bien même y maintiendrait-on la fiction d’un Etat Juif. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’en France, les juifs obtiennent, au cours du XXIe siècle, des garanties particulières sans qu’il faille basculer dans une sorte de ghetto.

Avenir de l’immigration juive en France

   Mais cette communauté juive de France devra, de toute façon, s’organiser et ne plus faire n’importe quoi.7 et ce notamment face à une présence musulmane préoccupante, susceptible de lever certains tabous.

   Il est essentiel que les juifs de France ne soient point considérés comme issus de l’immigration mais comme étant venus rejoindre un noyau juif très ancien. En ce qui concerne le décret Crémieux, il faut expliquer que si les arabes d’Algérie n’ont pas été concernés, c’est que la présence arabe en métropole était à peu près inexistante et qu’il n’y avait donc aucune raison de favoriser leur installation de l’autre côté de la Méditerranée. Evidemment, aujourd’hui les choses ont changé et favorisent la venue de maghrébins en France du fait notamment de l’adoption d’une loi du sol (jus solis à la place du jus sanguinis, en 1889) ayant permis le phénomène beur. C’est dire que les arabes ne peuvent plus être ignorés tant en France qu’en Israël et que l’on ne peut plus faire comme s’ils n’existaient pas.

   Autrement dit, désormais la présence juive en France doit se situer tant par rapport à la majorité d’origine chrétienne que par rapport à la minorité d’origine islamique (arabe et kabyle), chacun de ces interlocuteurs posant des problèmes bien spécifiques au niveau de la communication et se faisant une image bien différente des Juifs, les musulmans, comme on l’imagine, étant particulièrement sensibilisés par ce qui se passe en Israël et par les affaires d’immigration.

   Il nous semble en tout état de cause opportun que la communauté juive de France se recentre sur ses racines historiques et sur les descendants des juifs ayant vécu l’Emancipation de 1791, étant donné que ce sont ces juifs là qui ont su obtenir les droits concernés, ce qui impliquait un certain climat de confiance. Les juifs de souche française sont porteurs d’une certaine idée de la présence juive en France qui s’est forgée sur des générations voire sur des siècles et cela doit être respecté. Comme nous l’avons écrit par ailleurs8, l’intégration de l’élément féminin est plus facile que celle de l’élément masculin, ce dernier entrant difficilement dans un projet cohérent d’immigration, du fait de racines plus profondément enfouies dans la culture d’origine. Il importe donc de conférer aux femmes juives un rôle essentiel dans la cimentation de la communauté juive de France de façon à étoffer le poids des juifs de souche française. Le fait que ceux-ci sont minoritaires est une anomalie, largement due à une certaine carence des mariages “mixtes“, c’est-à-dire entre juifs issus de l’immigration et juifs de souche. En effet, s’ils sont minoritaires, c’est bien parce que les juifs issus de l’immigration n’ont pas eu une politique cohérente d’intégration et n’ont pas recherché systématiquement des alliances avec eux. Il y a donc bien là échec de leur part. On nous dira que les torts sont partagés. Nous ne le pensons pas : c’est à celui qui fait un choix de l’assumer et de payer le prix pour que ses enfants soient intégrés non seulement en tant que français mais en tant que juifs français et surtout sans que cela vienne perturber la communauté minoritaire à laquelle on a décidé de s’associer.

   On nous rétorquera que l’immigration juive vers la France ne visait pas spécialement à rejoindre les juifs qui s’y trouvaient. Voilà donc des juifs qui seraient venus en France en pensant que c’est un pays sans juifs tout comme en Israël, des juifs seraient venus s’installer dans une terre sans peuple ! Il est pourtant évident que ces juifs n’auraient pu venir en France s’il n’y avait pas déjà eu des Juifs. Et d’ailleurs, tous les Juifs de France, immigrés compris, n’hésitent pas à célébrer l’héritage de la Révolution et de l’Emancipation comme étant le leur. Il y a là un double langage.

Le lien avec Israël

   L’Histoire a montré que lorsque l’on esquive des problèmes, ils ne sont pas résolus pour autant. En Israël, on s’attelle à des problèmes qui datent de la création même de l’Etat en 1947 / 1948. En France, il va falloir, également, reprendre des questions que l’on avait cru bel et bien réglées et qui ne le sont pas. Il y a, il est vrai, aussi étrange que cela puisse paraître quelques similitudes entre la situation des juifs de souche française et celle des arabes palestiniens. On a voulu les ignorer, les marginaliser, les déloger. On a cru qu’au bout du compte, vu le rapport de force, ce serait les nouveaux venus qui feraient la loi. On comprend dès lors qu’il puisse y avoir quelque complicité entre juifs immigrés en France et juifs israéliens, du fait d’une certaine mauvaise conscience.

   On aurait ainsi un clivage au sein de la communauté juive entre les pro-Israéliens qui se retrouveraient parmi les juifs de France issus de l’immigration et les pro-Palestiniens qui, quant à eux, se situeraient plutôt chez les juifs de souche française. Représentation extrêmement caricaturale mais dont il importe de prendre la juste mesure. Une façon de dire que le rapport à Israël doit être maîtrisé et ne saurait être la séquelle d’une immigration mal conduite et dont les effets se manifesteraient plus ou moins subconsciemment selon un processus d’identification.

   Il conviendrait donc de psychanalyser le rapport des juifs de France avec Israël et d’étudier de quelle façon il se raccorde avec le destin des juifs immigrés en France dans des conditions selon nous problématiques. Une clarification conduirait d’ailleurs à apaiser les relations entre juifs et musulmans en France. La fixation sur Israël des juifs issus de l’immigration serait un substitut et une fuite en avant, conséquence d’un refus de jouer loyalement le jeu de l’immigration juive en France, ce qui passe inévitablement par une nouvelle attitude avec les juifs de souche française.

   Qu’est-ce à dire ? Ne pas affirmer qu’ils n’existent pas. Ne pas souligner le fait qu’ils sont minoritaires car à qui la faute ? Ne pas mettre en cause leur façon de vivre le judaïsme car ils font référence historiquement et leur façon de faire a quand même conduit à l’Emancipation, ce qui a été un modèle pour les autres communautés juives de par le monde. Accorder aux juifs de souche française une prééminence dans les instances représentatives. Les laisser gérer la communication par rapport à Israël et par rapport aux Musulmans vivant en France. Refuser cet aggiornamento, c’est adopter la politique du pire.

   Toute société a besoin de repères fixes, inaltérables. En règle générale, c’est la terre qui joue ce rôle d’où l’importance accordée au jus solis (droit du sol). Sur quels repères se sont appuyé les juifs au cours de leur histoire, privés de leur terre, longtemps restée virtuelle comme une sorte de Jérusalem Céleste ? Peut-être sur leur religion dans la mesure où l’on pouvait s’y convertir ou y revenir (Teshouva) comme on peut se faire naturaliser pour être autorisé à vivre sur une certaine terre ? Mais sans cette terre et sans cette pratique religieuse, sans une langue spécifique, sur quoi peut s’appuyer le judaïsme laïc sinon sur ceux qui incarnent objectivement - à l’encontre des fantasmes identitaires qui font croire que l’on peut devenir ce que l’on veut, par un simple processus d’identification - la continuité historique de la présence juive, à savoir sur les juifs de souche ?

Jacques Halbronn
Paris, 4 novembre 2003

Notes

1 Cf. le dossier du colloque “La condition migratoire des juifs” in Cahiers du CERIJ, Site Cerij.org. Retour

2 Cf. notre article “La rhétorique de l’immigré”, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour

3 Cf nos travaux “La problématique identitaire chez les Juifs Français”, in Hier juifs progressistes, aujourd’hui juif... ? Quelle identité juive construire ?, Actes du Colloque de Février 1995, Paris, Amis de la CCE. Retour

4 Cf. R. Bensadoun, Les Juifs de la République en Algérie et au Maroc, Paris, Publisud, p. 89. Retour

5 Cf. R. Bensadoun, Les Juifs de la République en Algérie et au Maroc, op. Cit. Pp. 162 - 163. Retour

6 Cf notre ouvrage Le sionisme et ses avatars au tournant du XX siècle, Feyzin, Ed; Ramkat, 2002. Retour

7 Cf. “Judaïsme et laïcité, les pièges de la représentation”, Site www.col.fr/judeotheque/archive.web/Judaisme%20et%20laicite.htm. Retour

8 Cf. “La rhétorique de l’immigré”, sur E. H. Retour



 

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