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Editions RAMKAT




JUDAICA

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Les Juifs, individus au coeur des nations

par Jacques Halbronn

    La question juive se pose dans la mesure où le problème est mal posé et que dès lors on tombe sur ce qui semble être des paradoxes, à savoir le fait que les Juifs sont à la fois complètement impliqués dans telle ou telle société et à la fois qu’ils sont présents dans les sociétés les plus diverses. Mais dans un cas il s’agit de l’individu juif et dans l’autre de la population juive considérée dans son ensemble. A l’échelle individuelle, en effet, il faut bien que le juif soit quelque part, il ne peut pas être partout à la fois, tout comme une femme doit s’unir à un homme et non à tous les hommes en un moment donné, il y a là une problématique d’incarnation, d’enracinement. A l’échelle du collectif, on peut certes observer que les juifs sont un peu partout mais cela ne fait pas des individus juifs pour autant des êtres cosmopolites, loin de là. En définitive, c’est dans l’articulation entre l’individuel et le générique, entre l’ontogenèse et la phylogenèse, qu’il convient de se situer pour se faire une idée cohérente du phénomène juif.

Sommaire :

1 - Les Hébreux et l’Egypte
2 - Les Juifs et la Droite
3 - Une nouvelle idée de l’Etat Juif
4 - Les Juifs et la laïcité expérimentale


1

Les Hébreux et l’Egypte

    Le grand mérite de l’ouvrage de Messod et Roger Sabbah, Les Secrets de l’Exode. L’origine égyptienne des Hébreux (Paris, Ed. J. C. Godefroy, 2000) est de dénoncer un certain nombre d’arrangements du texte biblique qui faussent gravement notre représentation de l’Histoire du peuple juif.

   Cet ouvrage, qui se situe dans la ligne du célèbre livre de Freud, Moïse et le monothéisme, nous interpelle et nous donne l’occasion de valider notre modèle, tel qu’exposé dans de précédentes études (sur le site Ramkat.free.fr).

   Nous sommes d’abord séduits par certaines explications proposées par les frères Sabbah concernant une babylonisation des représentations historiques :

   “Les Babyloniens n’auraient jamais toléré une religion ennemie dans leur propre pays. (…) Pour protéger leur vie, les prêtres yahouds firent en sorte que l’Egypte, leur pays d’origine, devienne la nation “détestable”, responsable de tous les maux (...) En se faisant passer pour d’anciens esclaves hébreux en Egypte, ils se ralliaient à la cause de leur ennemi (...) Pour leur survie et celle de leurs traditions, écrivent-ils, les Yahouds introduisirent (des) anachronismes dans l’histoire des Patriarches, mettant en évidence sa formation à l’époque de l’exil babylonien, au VIe s. av. J. C. Ils apportent ainsi la preuve que la Bible fut remaniée en grande partie à cette époque probablement sous la contrainte.” (pp. 261 et seq)

   Selon ces auteurs, le moins que l’on puisse dire est que le judaïsme doit énormément à l’Egypte et les rapprochements proposés sont dans l’ensemble assez saisissants, tel que le parallèle entre le Déluge et la crue périodique du Nil.

   Néanmoins, il ne nous semble pas que les Sabbah aient poussé assez loin leurs thèses. Ce qu’ils font ressortir des rapports entre judaïsme et civilisation égyptienne nous évoque, pour notre part, tout ce que les Juifs ont intégré au cours de leur Histoire, ce qu’ils ont véhiculé du fait des exils notamment. Ce fut le cas, par exemple, pour les Juifs d’Espagne ou pour ceux d’Allemagne, bien au delà des frontières de l’Espagne ou de l’Allemagne.

   Est-ce que l’exode d’Egypte ne correspondrait pas en fait à une expulsion plutôt qu’à une fuite ? Cela a en tout cas un air de déjà vu au regard de l’Histoire des Juifs.

   En insistant sur ce que le judaïsme doit à l’Egypte, les auteurs nous permettent, en fait, de libérer les Juifs du dit héritage lequel n’est qu’un parmi d’autres. Il est d’ailleurs bien possible que ce que les Hébreux ont reçu des Egyptiens ait été spécialement marquant mais cela reste, en tout état de cause, un épiphénomène.

   Entendons par là que les Juifs n’appartiennent à aucune culture et qu’en même temps ils sont voués à être partie prenante de chacune. Rien d’étonnant donc à ce que les Hébreux aient pu véhiculé la culture égyptienne au delà de l’Egypte comme ils l’ont fait, on l’a dit, pour les culture espagnole ou allemande, entre autres.

   Est-ce à dire pour autant que les Juifs, les Yahouds comme les appellent nos auteurs, ne soient pas égyptiens et ne relèvent pas des siècles durant de l’Histoire de l’Egypte ? Selon nous, en effet, les juifs participent pleinement des diverses cultures dans lesquelles ils sont immergés et on peut les qualifier pleinement d’Egyptiens, d’Espagnols ou d’Allemands. Quand ils émigrent, ils emportent avec eux des langues, des chants, des pratiques propres à ces lieux qui les ont si longuement marqués, des générations durant.

   Il y aurait donc eu, selon nous, une Expulsion des Juifs d’Egypte avec toutes les conséquences qui en découlèrent quant au rayonnement de l’Egypte à ses marges, c’est-à-dire en Palestine, de la même façon que, par la suite, les Juifs permirent d’exporter certaines cultures en de nouveaux horizons, comme ce fut le cas des Juifs allemands accueillis en Pologne ou des Juifs espagnols reçus en Turquie.

   Ce qui nous a toujours gêné avec la religion juive, c’est bien justement le fait qu’elle était porteuse d’une culture qui n’était pas stricto sensu juive du fait même que probablement une telle culture juive n’existe pas. C’est ainsi que même le monothéisme ne serait pas tant un trait juif qu’un trait égyptien et encore propre à l’ Egypte à un certain moment de son Histoire (c’est l’influence d’Akhenaton). Les Juifs ont ainsi tendance à basculer dans un certain anachronisme en perpétuant des éléments qui auront pu disparaître dans les pays dont les dits éléments sont issus. On pense à cet habillement des juifs religieux emprunté à l’ancienne Pologne et qui sont à tort considérés comme spécifiquement juifs. Cette religion juive ne peut faire obstacle à la symbiose que les Juifs ont à constituer avec les pays où ils se trouvent et qu’ils doivent investir pleinement. Nous avons assez souvent reproché aux Juifs d’arriver en France avec les traces de leur présence et leur rôle en d’autres cultures mais cela vaut bien entendu pour la dimension égyptienne du religieux juif. Mais comme l’ont démontré Messod et Robert Sabbah, cette dimension égyptienne a fini par être présentée de manière faussée du fait de la Captivité de Babylone qui aurait conduit à désegyptianiser leur tradition et à la mésopotamiser. En fait, un tel processus est assez classique, est-ce que les Juifs vivant en France et originaires de tel ou tel pays n’ont pas été amenés à forger leur identité sur la présence séculaire juive en France, bref à franciser peu ou prou leur identité ?

   Mais est-ce vraiment un “peuple” qui est sorti d’Egypte comme le laissent entendre nos auteurs ? Nous pensons que ce terme est assez impropre.1 Car comment les Juifs pourraient-ils avoir été, pendant 4 siècles, un peuple séparé au sein du monde égyptien ? Là encore les parallèles ne manquent pas avec le XXe siècle. Tout en étant parfaitement assimilés au sein d’une nation donnée, les Juifs dès lors qu’ils restent identifiables en tant que population spécifique sont à la merci d’une expulsion ou de mesures à leur encontre. Certes, au moment où ces Juifs sont en train de partir, ils constituent une société spécifique d’émigrés. Mais est-ce là vraiment une société à part entière ? Ne jouons pas sur les mots “société” ou “population”, lesquels peuvent revêtir une signification des plus vagues.

   Les Hébreux qui durent quitter le coeur de l’Egypte pour s’installer sur ses marches car la Palestine était largement dépendante de l’Egypte lors de la Sortie d’Egypte, étaient certainement fortement imbriqués dans la société égyptienne tout en restant identifiables en tant qu’Hébreux, ils constituaient si l’on veut une sorte de fil bleu au sein du monde égyptien. Et l’on sait que cette imbrication n’a jamais empêché les Etats de tenter plus ou moins soudainement de les expulser ou de leur interdire l'accès à certaines professions.

   Ce faisant, cette population de personnes ainsi mises à part était bien obligée de s’organiser ou du moins de tenter le faire. C’est d’ailleurs ce qui se passe de nos jours en France, par exemple, avec le mouvement associatif juif, par ce qu’on appelle une certaine vie communautaire. Et c’est aussi ce qui se passe en Israël quand les Juifs se retrouvent “entre” eux.

   Mais, pour autant, cela suffit-il pour constituer un peuple, ce qui supposerait une grande diversité de composantes et une forte complémentarité entre elles ? Or, selon nous, les Juifs se situent dans l’horizontalité et non dans la verticalité, sur le plan sociétal. Or, seule une structure verticale est vouée à se présenter comme une totalité impliquant une forte diversité interne, encore qu’en tout état de cause, tout groupe humain comportant une répartition assez équilibrée entre hommes et femmes, comporte un minimum de complémentarité. C’est pourquoi, pensons-nous, la dimension juive est perçue plus nettement en l’absence de femmes, comme c’est le cas, symboliquement, de la prière en commun, laquelle exige la présence d’au moins dix hommes juifs majeurs religieusement, c’est-à-dire âgés de treize ans révolus et ayant accompli leur bar mitzwa. C’est qu’en effet, la femmes, selon nous, incarne l’élément non juif, quand bien même serait-elle née d’un père juif. Le fait que les êtres humains génèrent indifféremment des hommes et des femmes, est la garantie que la génération suivante ne sera pas faite de clones.

   Autrement dit, chaque groupe humain, quelle que soit sa spécialisation, est en mesure à terme de s’organiser sur une base autonome, du fait de l’émergence programmée de femmes en son sein. D’où une certaine difficulté de l’analyse.

   En définitive, il faut évacuer de notre analyse l’élément féminin, lequel introduit une pseudo-complémentarité, sans lequel d’ailleurs une société “fermée” comme l’est peu ou prou Israël ne serait pas gérable, si nous voulons comprendre quel est le rôle social des Hébreux / Juifs. Pour cela, il convient de se retrouver entre hommes.

   Selon nous, les juifs n’ont pas à se différencier culturellement des mondes dans lesquels ils se trouvent et du fait que la religion juive soit si fortement marquée par l’Egypte, c’est une raison, pour les Juifs, de plus pour ne pas l’accepter au sein d’une société non égyptienne et singulièrement d’une société moderne et non celle qui était en vigueur en Egypte il y a quelques millénaires.

   Comme nous l’avons écrit ailleurs, l’identité juive ne se construit pas sur la nostalgie d’un judaïsme étranger mais sur une implication totale dans une société donnée, y compris d’ailleurs quant à la dimension religieuse qui peut caractériser et marquer la dite société en ce que précisément l’être juif n’a pas à adhérer à autre chose que ce qui caractérise le temps présent en un espace donné : le Juif est dans la modernité. En pratique, seul le juif de souche, indigène, autochtone, est en mesure de ne pas se mettre en porte à faux avec la société considérée, et d’éviter les interférences avec les stigmates de l’immigration.

   Le rapport des Juifs à une société donnée se doit d’être avant tout fonctionnel. Le Juif doit trouver sa place au sein de celle-ci, en tant qu’individu. On sera peut-être surpris que nous insistions sur le rôle de chaque individu juif mais nous avons déjà souligné le fait que toute approche qui confère une certaine importance à la transmission héréditaire accorde ipso facto toute son importance à l’individu, pour le pire (la Shoah avec sa politique d’extermination systématique de tous les Juifs, quel que soit leur âge) ou le meilleur.

   C’est bel et bien, en effet, à chaque individu juif de faire ses preuves et de trouver la place qui lui permettra d’épanouir son potentiel, au sein d’une société donné et c’est ainsi qu’il sera pleinement juif. Prenons un exemple trivial: quelqu’un qui pense être un bon soldat doit s’engager dans une armée et à la limite peu importe laquelle, étant entendu qu’il devra s’habituer à la spécificité de l’armée ainsi choisie. Si l’on admettait comme hypothèse que les Juifs sont de bons soldats, il faudrait s’attendre à ce qu’ils constituassent l’élite au sein des diverses armées en présence à telle enseigne que les meilleurs soldats, de par le monde, auraient toute chance d’être juifs. On est Juif par le bagage génétique que l’on reçoit individuellement des ses ancêtres - ce qui caractérise l’horizontalité - et non par une transmission orale impliquant la participation à une certaine société porteuse de valeurs et qui est le propre de la verticalité.

   Selon nous, en effet, la seule façon d’appréhender le fait juif concrètement est de s’intéresser à l’excellence, c’est-à-dire l’aptitude à permettre à une société de se dépasser dans un domaine donné étant donné qu’un élément d’excellence irrigue toute une société. Inversement, la médiocrité - celle notamment qui est générée par le mimétisme - n’est pas juive; si elle est le fait de juifs, cela tient à des interférences, à des empêchements.

   Pour des questions de lisibilité et de visibilité, importe-t-il que l’on sache a priori qui est juif ou bien suffit-il de le constater a posteriori, c’est-à-dire en situation ? Est-ce à dire qu’il importe que les enfants mâles nés de pères juifs doivent être désignés comme tels ? Il nous semble que cela est somme toute souhaitable, sans que cela passe par une pratique religieuse judaïque, au sens traditionnel du terme. Nous avons signalé ailleurs ce que nous pensions de ce que serait une véritable religion juive laquelle passe, nous semble-t-il, par une certaine forme d’astrologie.2 On nous fera remarquer que cette astrologie pourrait bien être un legs de quelque civilisation ancienne, et singulièrement babylonienne. Mais ce serait là réduire l’astrologie à quelque croyance alors que pour nous il s’agit d’une astrologie pleinement opérationnelle, fonctionnelle.

   Nous ne pensons pas que les juifs aient commencé à exister en tant que tels en Egypte ou que l’Egypte ait eu le monopole des Juifs. Mais apparemment ce sont les juifs d’Egypte qui ont le plus fortement imposé, une fois partis d’Egypte, leur bagage à l’ensemble du monde juif y compris en Israël. Même la langue hébraïque - sorte de judéo-égyptien - ne saurait être considéré comme juive ou du moins pas plus que le yiddish, qui est un judéo-allemand. Le paradoxe, c’est que cette judaïsation de tel ou tel bagage culturel ne prend toute sa mesure que de façon décalée, c’est-à-dire en cas de départ par rapport à l’aire concernée et cela tourne à une sorte de nostalgie assez malsaine qui fait obstacle à un nouveau projet en une nouvelle aire culturelle. On comprend mieux dès lors le rejet de ce judaïsme égyptien anachronique d’autant qu’il n’éclaire nullement sur ce que c’est vraiment que l’être juif et il serait bon qu’on y réfléchît sans l’assimiler à une façon d’être propre à un certain pays. En tout cas, le cas égyptien illustre bien à quel point les juifs sont capables d’être partie prenante de telle ou telle culture au point d’y rester attachés et de la considérer - à tort - comme leur même quand ils doivent la véhiculer dans un autre espace, comme des ambassadeurs de la dite culture à l’extérieur de celle-ci. Cela montre aussi ce qu’il y a de négatif, selon nous, à ce que les Juifs se retrouvent entre eux car ils restent alors imprégnés par les bagages culturels qui ont été les leurs au cours des générations précédentes sans pouvoir s’accorder sur une nouvelle culture au sein de laquelle ils pourraient s’ancrer. D’où le retour en force de l’hébreu en Israël, d’où le poids du religieux au sens égyptien du terme, faute d’avoir pu ou voulu prendre à bras le corps la présence d’Israël au sein du monde arabo-musulman, du fait probablement de l’image trop dévalorisante qui était la sienne au début du XXe siècle, à savoir un monde à coloniser et non pas à intégrer. La grande erreur du sionisme se situe à ce niveau: ne pas avoir compris que les juifs ont besoin de vivre au sein d’une société et d’une culture fortes, et non pas dans un espace vide ou réputé tel, avec des populations jugées, à tort ou à raison, arriérées, ne pouvant servir de modèle ou de ciment. Il suffit de comparer l’évolution de la présence juive en Israël, en France ou aux Etats Unis, trois grandes destinations de l’émigration juive aux XIXe et XXe siècles pour comprendre de quoi il retourne.

   Les Juifs nous l’avons dit n’ont pas à avoir de culture qui leur soit propre et chaque fois qu’ils pensent que c’est le cas, ils se trompent. Ils ont certes, en revanche, besoin de développer une certaine conscience juive quant à la place des Juifs dans le monde, mais il leur faut chaque fois relativiser et contextualiser toute pratique culturelle, religieuse, voire linguistique. Faute de quoi, on risque fort de les assimiler à la masse des immigrés alors qu’il est essentiel que les juifs ne développent pas une mentalité d’immigré et pour ce faire, quand ils parviennent dans un nouvel espace, ils doivent se conformer aux comportements des juifs vivant depuis longtemps sur place.3 Le modèle juif s’applique de façon spécifique à chaque époque et à chaque culture et il n’est transposable que dans ses très grandes lignes d’une de ses manifestations à l’autre. En ce qui concerne la présence juive dans la France du début du XXIe siècle, il nous apparaît qu’elle s’inscrit au sein d’une culture européenne essentiellement chrétienne. Nous ne pensons pas que les juifs doivent se laisser instrumentaliser par les Musulmans pour justifier un pôle non chrétien en France. Les juifs ne sont pas en concurrence avec les Chrétiens sur le plan religieux tout simplement parce que le judaïsme n’est pas une religion mais une fonction au sein d’un ensemble, en l'occurrence chrétien. Quant à la question de la présence juive dans le monde musulman, elle obéit selon nous à un certain parallélisme avec ce qui devrait se passer dans le monde chrétien en tenant compte des paramètres spécifiques liés à l’existence de l’Etat d’Israël, à la décolonisation et aux moeurs sociopolitiques propres à l’Orient arabo-musulman. Contrairement, donc, à ce que de nombreux philosophes du judaïsme ont écrit, les juifs n’ont nullement vocation à affirmer une dualité - le Juif n’a pas à être un autre culturel mais à affirmer une certaine complémentarité fonctionnelle ; cette population est au contraire vouée à cimenter les sociétés dans lesquelles elle s’inscrit, ce qui est le rôle de tout leadership politique, scientifique, artistique.

   Nous pensons que l’Histoire des Juifs ne se reflète que très médiocrement dans la Bible et qu’elle ne peut être appréhendée que dans une perspective anthropologique, c’est-à-dire selon les constantes manifestées au cours de la dite Histoire. La Bible n’est pas la clef du modèle juif, elle serait plutôt source de contresens à son endroit. Nous pensons que la présence juive est inhérente au bon fonctionnement des sociétés et qu’une société sans juifs, identifiés ou non comme tels, correspond à un état archaïque antérieur à un certain processus de structuration et d’organisation sociale dont le facteur juif constituait, selon nous, un élément déterminant. C’est dire que ceux qui veulent placer les Juifs sur un lit de Procuste et le faire cadrer avec des catégories inadéquates - religieuse, nationale, raciale - n’arrivent à rien. Les Juifs constituent une catégorie en soi, ce que nous n’avons pas hésité, à qualifier de caste héréditaire qui n’a aucune vocation à constituer une société en tant que tel mais bien plutôt à jouer un rôle actif au sein des diverses sociétés qui divisent le monde. En cela, contrairement à ce que certains imaginent, les juifs constituent un élément non pas de dissolution des cultures et des empires mais bien au contraire de leur maintien. Un chercheur en turcologie nous faisait récemment remarquer que les meilleurs défenseurs du maintien de l’empire ottoman avaient été les Juifs. Nous pensons en effet que les Juifs sont bel et bien un élément conservateur et quelque part peu favorable à l’immigration. Double visage donc qui pourra sembler contradictoire. Plutôt que d’attendre ce qui pourrait venir d’un apport extérieur - ce qui correspond à une conception féminine du progrès - les Juifs préfèrent engager une transformation de la société de l’intérieur, au moyen d’un approfondissement -ce qui correspond à une conception masculine du progrès. Plus un domaine avance de par sa propre dynamique, moins il a besoin d’emprunts. Le cas de la vie des langues est emblématique: une langue n’emprunte des mots étrangers que parce qu’elle est incapable de renouveler et de redynamiser son propre capital lexical. La France a mené depuis la fin du XIXe siècle une politique d’immigration assez malheureuse, notamment au lendemain de la Première Guerre Mondiale et des suites de la décolonisation, ce qui a d’ailleurs grossi sensiblement sa population juive dont il importe que celle-ci, venant rejoindre les juifs de souche française, cesse d’adopter un profil par trop semblable - en se désimmigrisant - à ceux d’autres populations immigrées, notamment par son attachement à des cultures non françaises, y compris par le biais d’un religieux exotique dans le temps et dans l’espace. En réalité, la présence des juifs dans le monde chrétien comme dans le monde musulman, de par l’influence exercée par l’Egypte sur ces différents mondes par le truchement des juifs eux-mêmes, ne saurait être particulièrement dépaysante.

   Force est de constater à quel point ce qu’on appelle la religion juive ne fournit pas de clefs pour saisir l’être juif, même les antisémites s’en rendent compte. Et cela se comprend dans la mesure où ce qu’on appelle traditionnellement la religion juive, comme l’a montré l’ouvrage Les secrets de l’exode, n’a rien à voir avec les juifs en tant que tels mais appartient à la société égyptienne, à un moment donné de son Histoire, celle où le monothéisme était parvenu, très provisoirement d’ailleurs, à s’imposer.

   Affirmer avec Freud que Moïse était égyptien comme si on ne pouvait être et juif et égyptien nous apparaît donc comme un grave contresens. Le juif ne peut pas être seulement juif et l’égyptien seulement égyptien. Ces deux catégories ne s’excluent nullement. Etre juif est de l’ordre du découpage social horizontal et être égyptien se situe dans la verticalité et un des paramètres de la verticalité est la langue. Un juif peut parler n’importe quelle langue sans cesser d’être juif. Et pour nous, la langue s’étend à la culture et à la religion. Inversement, une société sans juifs s’épuise à terme, bascule dans l’imitation d’autres société; selon la formule consacrée, les juifs seraient “le sel de la terre” : qu’est-ce qu’un plat de légumes sans sel mais en même temps on peut ne pas y mettre du sel. Le sel est donc à la fois un élément constitutif du plat et à la fois avant de s’y fondre, il est distinct. Il y a des régimes sans sel.

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Les Juifs et la Droite

    Les étrangers divisent pour régner. Ils vous demandent de quelle religion vous êtes pour oublier qu’ils sont des étrangers. Car les religions n’ont pas de frontières et qu’elles sont a priori placées sur un même pied. On comprend bien comme il peut être profitable pour un étranger de se référer au religieux qui abolit sa différence en tant qu’étranger. En ce sens, il nous semble que les Musulmans jouent à un tel jeu articulé sur les communautés religieuses pour qu’on ne songe pas à leur étrangeté radicale par rapport à la France. En ce sens, l’interdiction de porter le voile à l’école nous semble une bonne parade contre un tel calcul qui voudrait cacher la différence culturelle et nationale derrière une différence religieuse. Si les Musulmans en France sont si attachés au religieux, c’est qu’il leur confère, paradoxalement, une légitimité d’appartenance par le biais du particularisme religieux.

   Nous pensons donc qu’il est déplacé de la part d’un musulman, en France, de s’enquérir de la religion de son interlocuteur et en quelque sorte de l’instrumentaliser. La France est un tout qui n’a pas à être disséqué par un étranger. Chaque membre de l’ensemble France a un rôle à jouer, à sa place et, quelque part, il en est indissociable du moins vu de l’extérieur, tant il est vrai que tous les Français sont solidaires les uns des autres, dans le même bateau.

   Recourrons à quelques images : pour celui qui me regarde, mon corps est un; il n’a pas à savoir ce qui se passe à l’intérieur de ce corps pas plus qu’il n’a à connaître de quelle couleur sont mes sous-vêtements du jour ; c’est mon affaire, pas la sienne.

   Etre juif en France ne saurait de même intéresser que les Français dont je suis, pas les étrangers qui pourraient avoir leur idée à eux de ce qu’est être Juif ici ou là mais en quoi cela nous intéresse-t-il ? La façon dont les juifs vivent dans tel ou tel pays étranger ne concernent que les ressortissants des pays concernés.

   Etre juif en France, c’est comme être une femme en France ; on sait, certes, que les juifs ne vivent pas uniquement en France, pas plus que les femmes mais il nous importe peu que l’on nous parle des Juifs ou des femmes en général à propos d’une situation concrète. En tant qu’anthropologue, je peux réfléchir sur le rôle social des Juifs ou des femmes dans le monde. Mais face à l’étranger vivant en France, la seule chose qui compte est bien : telle ou telle personne est-elle ou non partie prenante du pays France ou bien en est-elle à la marge, en spectateur-touriste ou en imitateur-immigré ?

   Les Juifs de France sont avant tout des gens qui participent des activités existant dans ce pays, qui y contribuent d’une façon ou d’une autre; ils n’y défendent pas spécialement une quelconque pratique religieuse mais revendiquent une identité spécifique parce que dans un organisme social ou vivant, chaque pièce a son rôle à jouer. Mais, on l’a dit plus haut, c’est là une affaire interne dans laquelle l’étranger n’a pas à entrer et auquel on n’a pas à rendre des comptes.

   Il ne faut donc pas entrer dans le jeu des musulmans mais refuser de faire passer le clivage religieux avant le clivage entre nationaux, locaux et étrangers. La judéophobie des Musulmans en France est donc particulièrement insupportable parce que précisément elle émane d’étrangers qui visent, en fait, à déstabiliser la nation française en essayant, par tous les moyens, de la cliver ou de la disloquer en tentant de s’intercaler tel un corps étranger, de la désintégrer, c’est à dire de lui faire perdre son intégrité, sa complétude.

   Or, les Juifs sont les gardiens des domaines auxquels ils ont affaire et dont ils participent. Les musulmans résidant en France ne semblent pas l’avoir compris ; ils croient que les Juifs sont le ventre mou de la France alors qu’ils en sont le noyau dur. Ce serait une grave erreur que de croire que les Juifs pourraient justifier la présence musulmane en France, non pas en tant que corps étranger toléré en tant que tel mais en tant que composante de la société française. Il n’est pas question pour les Juifs de servir de telles fins, d’où l’importance qu’il y a à revendiquer un statut d’horizontalité face à la verticalité musulmane qui n’a pas de légitimité en France, chaque entité verticale étant vouée à un certain cloisonnement qui est sa raison d’être.

   On croit trop souvent qu’on ne peut être juif et d’extrême droite en France et si c’était là un contresens à dissiper. Car affirmer que ce sont là deux choses incompatibles, c’est se faire une bien curieuse idée des Juifs en France, c’est les placer d’entrée de jeu du côté des immigrés, des populations à la légitimité précaire.4 Nous pensons, au contraire, que les Juifs sont peut-être les plus hostiles à toute tentative de mimétisme facile, d’appropriation à peu de frais de ce qui a été chèrement gagné, et singulièrement au niveau de la compréhension des choses. Certes, nous l’avons souligné, dans de précédentes études, bien des Juifs, au XXe siècle, ont été aussi mis ou se sont mis en situation d’étrangers et ceux là n’entrent pas stricto sensu, à nos yeux, dans la catégorie des Juifs français au même titre, en tout cas, que les Juifs de souche française.5 En fait, rien ne saurait être plus opposé à un étranger en France, et en particulier à cet étranger radical qu’est le musulman, venu d’un autre monde, qu’un Juif français. L’étranger est au comble du féminin, le juif incarné dans la culture dont il est fonction, non pas la “juive” mais la française, est à l’extrême du masculin. Le juif qui est juif parce qu’il est de sang juif et qui est français parce qu’il est en osmose avec la France, par sa famille, depuis des générations face à l’étranger qui se pare des plumes du paon et essaie pathétiquement de s’intégrer, c’est à dire d’être toléré en dépit de son étrangeté, parce qu’on suppose qu’il saura se plier, sans bien les comprendre, à certains codes. Le juif, à l’inverse, est, disons-le révolutionnaire, il perçoit si bien le monde qui est le sien qu’il en perçoit les lignes d’évolution et de transformation. Non pas comme le ferait un profane qui se permettrait de critiquer ce qu’il ne comprend pas mais comme celui qui est à l’avant-garde, avance en éclaireur.

   Oui, nous le savons, nombreux sont les musulmans, aux approches souvent par trop schématiques, qui analysent les choses bien différemment et qui ne veulent voir dans les Juifs que des étrangers servant d’alibi à leur propre présence et qui ne se privent pas de chercher tous par les moyens à les mettre en porte à faux avec la France, quitte à rappeler qu’arabes et juifs sont des sémites venus un jour d’Orient. Ils oublient que nous vivons dans une civilisation dite judéo-chrétienne et que toute opposition entre les deux pôles est inconcevable. Ils oublient que ce monde dit occidental dans lequel nous vivons est aussi marqué par la présence juive, dans tous les registres. On ne saurait en fait dissocier ces deux plans, le judéo-chrétien et l’occidental. Le Juif français est inévitablement christianisé et occidentalisé et c’est pourquoi on ne saurait opposer le juif au non juif.

   Il importe de s’arrêter sur le concept de non - opposabilité et donc d’indissociabilité. Prenons le cas des rapports entre le français et l’anglais. Peut-on opposer ces deux langues ? Ne s’agit-il pas en effet de langues ayant chacune sa spécificité ? Il suffit pour certains que l’on puisse qualifier deux objets de noms identiques pour affirmer ipso facto leur différence radicale. Il y a là comme une aporie logique, c’est le problème des artefacts propres au langage. On croit ainsi que tout classement conduit à une description viable du réel. Dès lors que j’inclus au sein d’une même catégorie des éléments, ces éléments sont supposés être identiques et dès lors que je classe ces éléments selon tel ou tel critère, ils sont supposés distincts. Une telle représentation des choses est pernicieuse car elle ne prend pas en compte une réalité le plus souvent bien plus complexe et intriquée. On bascule ainsi aisément dans le sophisme : l’Islam est une religion, le judaïsme est la religion des Juifs donc être juif, c’est appartenir à une certaine religion. Mais qui a dit que l’être juif était d’abord religieux au sens où l’on est chrétien ou musulman ? Autre exemple, il y a une minorité juive en France, il y a une minorité musulmane en France donc Juifs et musulmans constituent des communautés qu’il faut traiter pareillement mais qu’est ce que le fait minoritaire juif a à voir avec le fait minoritaire arabo-kabyle ? La magie du verbe ! On confond intersection entre deux ensembles avec leur superposition.

   Ainsi, en ce qui concerne le cas du français et de l’anglais, il suffirait de dire que ce sont deux langues pour impliquer qu’elles ont le même statut, qu’elles sont des entités parfaitement autonomes l’une par rapport à l’autre. Ce qui revient à occulter tout ce que l’anglais doit au français, au niveau lexical notamment à tel point qu’on ne peut plus parler anglais sans recourir continuellement à des mots français, le qualificatif d’anglais pour désigner cette langue nous semblant désormais et depuis longtemps impropre, il vaudrait mieux parler de franglais tout comme on parle de civilisation judéo-chrétienne. Le franglais est la langue de l’Occident. En utilisant ce mot, on se démarque évidemment de l’utilisation de cette expression, chère à René Etiemble, pour désigner les quelques malheureux emprunts du français à l’anglais.

   L’immigré a tendance à revenir aux origines puisque lui-même se place dans une position originelle de par son propre cheminement le conduisant à “refaire” sa vie. Il voudrait en fait effacer des siècles voire des millénaires d’Histoire de façon à se retrouver à égalité; il souhaiterait abolir le temps qui est le capital qui lui manque le plus en niant son importance, son poids. Alors, cet immigré de soutenir que les Juifs ont bien du un jour eux aussi immigrer comme lui et peu importe si c’était il y a mille ans, c’est du pareil au même soutient-il. Là encore, on voit à quel point une telle approche est réductionniste : si les juifs et les musulmans et autres africains ont les uns et les autres un jour immigré, qu’est-ce qui pourrait bien, on se le demande, les distinguer ? Nous considérons qu’il s’agit là d’une pratique perverse du langage propre à des sociétés qui ont surinvesti la parole sur le savoir et le réel, et qui souffrent d’une certaine pénurie culturelle voire historique. Le rapport au monde se réduit le plus souvent dans ce cas à un bricolage langagier. Le problème, c’est que le langage est cloisonnant, il fonctionne par oui ou par non, ce qui conduit assez facilement à une impasse, surtout quand on l’utilise de façon rigide, confondant notamment les mots qui désignent des objets que l’on peut percevoir et les concepts qui ne sont que des outils pour la réflexion, éventuellement des repères, servant à structurer une réalité complexe et non univoque. Dès qu’on est en face d’un processus ne correspondant pas à une catégorie apprise, il y a chez certains le sentiment qu’on cherche à esquiver les problèmes, à tout embrouiller.

   Est-ce d’ailleurs parce que quelqu’un dit qu’il est Juif, se dit “Juif”, que cela signifie que tout ce qu’il fait relève nécessairement de cette judéité et dans ce cas en quoi l’est-il ? Ce n’est pas faire la part du mimétisme et des divers paramètres susceptibles d’interférer. Question un peu trop ardue apparemment pour beaucoup. Il faudrait qu’un seul attribut épuisât toute la richesse de l’individu et en résumât tous les aspects.

   Le juif a vocation à incarner dans l’excellence les valeurs de la société dans laquelle il s’inscrit et cela doit se faire sans aucun cloisonnement religieux de sa part, qui le conduirait à s’en démarquer. Par là même, le juif en tant qu’individu doit s’attendre à affronter d’autres juifs, lors de conflits entre entités verticales; il n’est pas question de collusion entre juifs appartenant à des camps opposés mais il peut y avoir une certaine qualité de la conflictualité. Il revient au Juif de bien faire comprendre qu’il est parfaitement loyal au camp qu’il sert et qu’il ne fera pas de merci au Juif étranger à son camp. Le Juif doit se distinguer par la qualité “horizontale” de son engagement et non par sa spécificité “verticale”. Dans la société de l’Ancien Régime, les tensions entre les différents statuts sociaux ne remettaient nullement en cause l’appartenance de tous à un même pays, depuis les Grands jusqu’au simple paysan. Il s’agissait là de clivages horizontaux. Il semble que l’on tende à vouloir mélanger le vertical et l’horizontal et cela ressort particulièrement quand on met en parallèle le juif et le musulman, qui sont des catégories totalement différentes : une société a besoin de diversité horizontale, pas de diversité verticale. Les Juifs ont vocation à se pérenniser dans les sociétés où ils se trouvent tandis que les Musulmans immigrés ont vocation à disparaître dans le creuset national vers lequel ils ont immigré ou à repartir dans les sociétés qui sont les leurs et dont ils devront apprendre à gérer la structure horizontale, non sans, d’ailleurs, l’aide des Juifs et vraisemblablement des Israéliens. Ces immigrés musulmans auraient donc bien tort de se référer, sur la base de quelques similitudes superficielles et contingentes, au modèle juif pour nourrir les représentations de leur avenir.

   En refusant de reconnaître une différence radicale, ces immigrés selon nous s’inscrivent dans une attitude que l’on peut qualifier d’antisémite car pour nous est antisémite ceux qui nient à gauche la spécificité juive tout comme ceux qui, à droite, la diabolisent et quelque part nous préférons encore l’antisémitisme de droite parce que rien n’est pire que la négation et l’instrumentalisation de l’autre, qu’un mimétisme de mauvais aloi qui vise à chercher vainement à prendre sa place. Rien n’est plus risible que ce réductionnisme, que cette prétention des arabo-musulmans en France à s’identifier au phénomène juif au nom d’un certain sémitisme qui n’est chez les juifs, selon nous, que la marque d’une certaine époque de leur Histoire, qui n’est en fait qu’une de leurs Histoires, en un temps et en un lieu donné. Les Juifs, selon nous, sont fondamentalement dans l’universel tout en s’incarnant en profondeur au sein de chaque culture. Ne confondons pas une réflexion sur l’essence de la présence juive au monde et le constat de ses multiples manifestations dans le monde.

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Une nouvelle idée de l’Etat Juif

    Une meilleure représentation de ce que constitue le phénomène juif ne peut que contribuer à mieux gérer leur rôle au sein des sociétés. En cette année du centenaire de la mort de Théodore Herzl (1860 - 1904), il convient, à la lumière de nos analyses, de repenser ce que pourrait être un espace idéal pour les Juifs ou en tout cas pour des Juifs, tant il est vrai qu’il n’est nullement souhaitable que ceux-ci se rassemblent en un seul point du globe, au nom d’on ne sait quel nationalisme juif selon une logique “verticale” que nous avons réfutée.

   Israël pourrait-il prétendre à terme à incarner cette société pilote, conférant aux Juifs leur juste place et qui correspondrait à l’idée même d’Etat Juif - pour reprendre le titre de l’ouvrage majeur de Herzl en 18966 - c’est à dire accordant aux Juifs un rôle déterminant mais nullement exclusif tout comme on ne saurait imaginer une société idéale pour les femmes sans pour autant qu’il y ait des hommes et vice versa.

   Un tel Etat Juif conférerait aux Juifs un rôle dominant mais pour qu’il y ait domination, il faut bien qu’il y ait des dominés non Juifs lesquels pourraient à terme constituer la majorité de la population du dit Etat. Par définition, une élite n’est-elle pas vouée à être minoritaire ? On sait que la question de maintenir les Juifs majoritaires au sein de l’Etat d’Israël constitue une préoccupation assez obsessionnelle et a pu générer des obstacles à l’intégration des populations arabes se plaçant, à différents stades et à différents titres, sous contrôle israélien. Si l’on considère les régimes démocratiques, on sait fort bien que l’exécutif est minoritaire par rapport au législatif, le gouvernement par rapport au Parlement. Nous pensons qu’un Etat Juif est un Etat où les postes de pouvoir doivent être aux mains des Juifs mais où le corps électoral, sous ses divers modes de représentation, peut parfaitement inclure des non Juifs et cela de façon majoritaire, faute de quoi un tel Etat Juif se verrait singulièrement limité dans ses perspectives d’expansion et d’extension.

   Il nous semble donc que les problèmes que rencontre l’Etat Hébreu mettent en évidence la nécessité de repenser certains aspects du Droit, dans le champ constitutionnel notamment, dans une logique qui n’est pas sans évoquer, du moins formellement, le modèle libanais mais aussi celui de bien des Etats arabes - on pense ainsi à la Syrie, à l’Irak - ou africains dominés par une ethnie ou une secte souvent minoritaire. Or, c’est précisément dans un tel environnement géographique que se situe l’Etat d’Israël.

   Ce qui distingue le modèle néo-israélien du modèle libanais tient au fait (cf. supra) que nous ne considérons pas les Juifs comme membres d’une religion qui devrait cohabiter, plus ou moins bien, avec une autre mais comme une caste ayant héréditairement développé des talents particuliers et nécessaires au bon fonctionnement des sociétés et dont la dimension religieuse n’est qu’un facteur que l’on pourrait qualifier d’arbitraire et relevant plus du signifiant que du signifié.

   En d’autres termes, un Etat Juif serait un Etat qui respecterait l’équilibre des pouvoirs, au sens de Montesquieu, chacun de ces pouvoirs étant attribué à une population particulière, juive dans certains cas (exécutif) , non juive dans d’autres (législatif). Un Etat Juif, c’est selon nous un Etat qui respecte pleinement le fait Juif et qui le garantit dans sa constitution, non pas dans le cadre d’une cohabitation religieuse mais dans celui d’une complémentarité fonctionnelle qu’il ne s’agit pas de qualifier, faute de mieux, au moyen de concepts inadéquats à moins de s’entendre sur de nouvelles définitions et acceptions de termes comme “race”. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas opposé à l’expression “race juive”, si celle-ci désigne un processus héréditaire quel qu’il soit et non pas une question de couleur de peau. Tout citoyen israélien, juif ou non juif, ancien ou futur, devraient accepter une telle division du travail.

   En fin de compte, un Etat Juif - et il pourrait, à terme, pourquoi pas, en exister plusieurs dans le monde - serait un Etat qui n’évacue pas la question juive en la niant ou en la minimisant mais qui non plus ne considère pas les Juifs comme un élément inassimilable et suspect, à l’abri donc de ce que nous avons appelé un antisémitisme de gauche et un antisémitisme de droite. Tout Etat qui aborde de front la présence juive au sein de sa population de façon constructive, c’est à dire en plaçant les Juifs en haut et non en bas, pourrait être qualifié d’Etat Juif. Mais en ce sens, peut-on dire que l’Etat d’Israël actuel est bien un Etat Juif ? Nous pensons qu’il y a un équilibre à trouver et qui aurait pu se mettre en place dès les années Vingt, Trente du XXe siècle si les sionistes socialistes, à la suite de David Ben Gourion, n’avaient pas imposé leur idée d’une société juive homogène, comportant un prolétariat juif au lieu d’accepter un prolétariat arabe. Comment une idéologie nationaliste comme celle qui a si fortement marqué l’identité de l’Etat d’Israël aurait-elle pu fournir une image juste aux populations environnantes de la présence juive au monde ? Une politique différente, peut-être plus de droite, eut permis une meilleure cohabitation et synergie avec les populations arabo-palestiniennes, avant et après 1967 et la Guerre des Six Jours. C’est paradoxalement parce que les Juifs n’auront pas été suffisamment dominateurs qu’ils n’auront pas su trouver un modus vivandi avec les Arabes. Au fond, cette insistance sur le maintien ou l’obtention d’une majorité juive en Israël ; si fortement ancrée dans la pensée sioniste actuelle, constitue un contresens historique et anthropologique. Dès lors que l’exécutif est juif, la question de la non judéité du collège électoral se réduira à choisir entre divers candidats juifs celui qui agrée le mieux au dit collège.

   Nous pensons d’ailleurs qu’une dictature militaire en Israël eut pu être une chose logique et bénéfique à certaines époques de l’Histoire de cet Etat. Elle eut calmé le jeu et permis une meilleure intégration des populations arabes, notamment au lendemain de la Guerre des Six Jours, permis éventuellement le retour des réfugiés arabes en Israël et évoluer, par la suite, vers un régime comme celui que nous préconisons, sur la base d’un large consensus chez des populations arabes ne souffrant plus de déracinement. Faut-il rappeler que les dites populations ont subi pendant quatre siècles et plus le joug ottoman et n’ont participé à la gestion des affaires publiques que de façon très locale et circonscrite ? Selon nous, Israël aura donc souffert d’une idéologie social-démocrate, mettant en avant la nécessité d’un collège électoral majoritairement juif, ce qui contraignit Israël à préférer exclure les arabes de la société israélienne, et singulièrement en Cisjordanie - erreur, toujours dictée par un impératif démographico-démocratique - qui fut d’ailleurs aussi commise par la France en Algérie avec le statut d’indigène maintenu pour les musulmans - quitte à aboutir, de nos jours, à l’érection d’un mur, symbolique ou non, séparant un espace arabe et un espace juif sur le territoire qui avait été prévu pour la constitution d’un Foyer Juif en Palestine.

   En ce sens, nous ne pensons pas souhaitable la création d’un Etat Palestinien et nous pensons qu’une formule fédérale, voulue d’ailleurs par nombre d’arabes, serait préférable mais dans les conditions particulières que nous venons de préciser, étant entendu qu’il conviendrait de distinguer les régions à majorité arabe et à majorité juive au sein d’un seul et même Etat d’Israël, non point un Etat qui ne serait fait que de Juifs - et surtout pas de tous les Juifs du monde - mais qui le serait pour les Juifs, sachant qu’un Etat Juif n’est pas pour autant un Etat qui exclurait d’autres populations que juives, loin de là. Cet Etat d’Israël serait pilote, c’est à dire un modèle de présence juive à adopter ultérieurement ailleurs, le propre d’un concept étant de s’appliquer diversement, Israël serait un Etat Juif et non l’Etat Juif. En fin de compte, tous les Etats où se trouvent des Juifs pourraient à terme correspondre au concept d’Etat Juif, à commencer par la France, encore que l’on puisse se demander s’il n’existe pas déjà de nombreux Etats Juifs et si ce n’est pas finalement en Israël qu’on en est le plus éloigné.

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Les Juifs et la laïcité expérimentale

    Les Juifs, précisons-le, n’appartiennent essentiellement à aucune culture en particulier. Ce ne sont pas plus des Sémites qu’autre chose et l’hébreu n’est pas stricto sensu leur langue pas plus qu’ils ne sont intrinsèquement marqués par la culture Egyptienne (cf. supra).

   Certes, ils n’en sont moins marqués par leur Histoire mais il s’agit là, somme toute, d’une dimension anecdotique; ils ne sont en tout cas pas réductibles à leur Histoire, aux traces qu’elle a laissées culturellement, linguistiquement, religieusement, voire physiquement.

   En aucune façon, une parenté entre les Juifs et les non Juifs ne saurait s’établir sur la base d’un vécu commun, d’une géographie commune étant donné que leur vocation est de participer à la vie sociale, sous toutes ses formes et en tout lieu. Autrement dit, toute similitude avec un autre groupe humain serait de l’ordre de la contingence.

   Il importe donc que les Juifs se perçoivent au niveau de leur essence et non pas de leurs existences et que par delà les engagements des uns et des autres, ils aient conscience de ce qui les rapproche.

   Autrement dit, les Juifs, dans leur engagement existentiel, doivent être prêts à s’opposer les uns aux autres tout en se ressentant frères dans leur essence, dans la mesure où ils mènent partout le même combat, celui du progrès et de la consciencialité.

   Là où le juif fait problème, c’est lorsqu’il reste attaché à une culture qui n’est plus celle du cadre dans lequel il doit désormais oeuvrer, ce qui se produit fréquemment en cas d’émigration dont nous pensons qu’il s’agit là de la plus grande menace pour les Juifs et c’est peut-être d’ailleurs pour cela qu’on leur a souvent infligé un tel destin dans l’errance, en ce qu’il est destructeur de l’âme juive.

   Il convient impérativement de ne pas confondre approches essentialiste et existentialiste de la condition juive. Le Juif ne peut vivre dans le virtuel, il doit se poser, s’incarner, s’enraciner en un espace donné à féconder, tout comme un homme doit faire des choix et s’y tenir, même si ses choix sont arbitraires et pourraient être autres. Or, le Juif immigré retourne à une forme de virtualité qui n’est guère intéressante et qui surtout se révèle stérile, surtout si cette virtualisation le conduit à s’identifier à une culture juive, à une langue juive, à une terre juive pour compenser un certain échec existentiel, pour masquer cette impuissance de l’essence juive à exister, le subterfuge consistant à revendiquer un passé quand le juif prépare le futur.

   Les Juifs célèbrent certaines pages de leur Histoire, comme la Sortie d’Egypte, chaque année lors de la Pâque juive (Pessah) mais il s’agit là d’une mise en perspective de ce par quoi ils sont passé au cours des âges. Mais, en aucune façon, cela ne saurait signifier ce que les Juifs sont ici et maintenant car cela est à réinventer et cela dépend de chaque lieu où les Juifs se trouvent, cette diversité même empêchant toute cristallisation concernant l’essence du judaïsme.

   En ce début du XXIe siècle, il nous semble urgent, pour les Juifs, de ne pas s’identifier à une page, quelle qu’elle soit, de leur passé, si ce n’est pour en tirer quelque leçon pratique. Il va de soi que les Juifs sont marqués dans leur chair par les pays dans lesquels ils ont vécu, ils sont imprégnés, d’une façon ou d’une autre, par les langues des cultures auxquelles ils ont participé, par les cultes des civilisations traversées mais tout cela appartient aux Nations, pas à eux. Mais tout cela reste anecdotique comparé à ce qui fait l’essence de l’être juif. A aucun moment de leur Histoire, du moins pas depuis leur dispersion, sauf dans le cas d’Israël, de nos jours, les Juifs n’ont fait la guerre à tel ou tel Etat, à la différence des Arabes et des Musulmans et en cela leur “religion” - si tant est que l’on puisse utiliser ce terme - diffère complètement des religions monothéistes, lesquelles s’articulent sur des cultures, sur des espaces géographiques. D’ailleurs, les Juifs ont participé à ces cultures, ont vécu dans ces espaces.

   C’est dire que la présence juive en France ne saurait en quoi que ce soit être rapprochée de la présence musulmane : en premier lieu, les Juifs ne s’inscrivent pas dans une seule civilisation religieuse comme les Musulmans mais sont en mesure de contribuer à la dynamique de toute entité politico-culturelle et en second lieu, les Juifs ne sont pas des étrangers en France comme le sont les Musulmans. En fait, ces derniers essaient de masquer leur étrangeté en instrumentalisant le religieux et en faisant croire que la dite étrangeté se réduit à une différence de croyance, de culte. Le religieux est le cheval de Troie de l’Islam en France. Les musulmans, avec un certain cynisme, se fondent sur la laïcité française pour forcer en quelque sorte la France, au nom de ses propres principes qu’ils retournent contre elle, à accepter la constitution d’un communautarisme, ce qui signifierait que la France aurait vocation à être pluraliste et ce non point sur le plan politique mais sur le plan culturel et notamment linguistique et religieux. Il est donc essentiel de clarifier les conditions de la laïcité à la française et il est bon qu’à cette occasion, les Juifs descendent dans l’arène.

   Les juifs de France - et notamment ceux de vieille souche française - ne sauraient, en effet, se faire les complices d’une déstructuration, d’une décomposition, de la société française. Il est certain que bien des Juifs en France ont des comportements ambiguës, que ce soit quant à leur attachement à une religion qui, selon nous, ne saurait être intrinsèquement la leur mais celle de sociétés qu’ils ont traversées, que ce soit quant à leur condition issue de l’immigration, que ce soit dans leur positionnement par rapport à Israël, que ce soit dans leur rapport compliqué au christianisme. Autant d’attitudes qui brouillent considérablement l’image des Juifs en France.

   Pour notre part, nous pensons7 qu’il est temps de renoncer à un certain louvoiement de mauvais aloi et à un syncrétisme juif qui ne mène à rien et qui voudrait que l’on mît tous les Juifs dans le même sac en recherchant des éléments unitaires. Car c’est bien cela qui est en jeu, en voulant unifier le monde juif, non pas quant à son essence mais à son existence - mais on peut toujours jouer sur les mots et dire que la religion juive est l’essence du judaïsme - on débouche sur des aberrations. Il n’est pas intéressant pour les Juifs de se situer dans une sorte de dualité religieuse avec les Chrétiens : pour les Juifs, il ne devrait y avoir aucune difficulté à participer à la vie religieuse du pays où ils résident et toute argumentation allant à l’encontre de cette intégration et qui serait fondée sur une différence religieuse entre Juifs et Chrétiens ne saurait faire sens. Que les Juifs aient été les témoins, au cours de leur longue Histoire, de certains moments majeurs ayant eu lieu en Egypte ou en Palestine, ne saurait les rendre tributaires d’autre chose que d’une certaine mémoire / expérience de leur séjour, de leur passage en telle ou telle contrée, ce dont en vérité ils se devraient de faire le deuil : on ne peut pas être et avoir été. S’il est des Juifs qui ont la nostalgie de ces lieux, qu’ils y retournent si tant est que ces lieux soient restés les mêmes et soient porteurs de la même culture qu’auparavant, ce qui serait étonnant en ce qui concerne notamment l’Egypte, à quelques millénaires de distance. Sinon, qu’ils assument pleinement les valeurs de la société où ils vivent et que ceux pour qui cela fait problème, que ce soit à leurs propres yeux ou aux yeux d’autrui, gardent un profil bas laissant la place à ceux qui sont mieux placés pour donner le la de la présence juive en France.

   On s’aperçoit que les Juifs portent une lourde responsabilité dans l’image d’une France qui serait condamnée à accepter que des populations y vivent sans s’y intégrer. En ce sens, les juifs donneraient le mauvais exemple dans le cadre d’une laïcité mal comprise. Selon nous, la laïcité doit privilégier l’individu sur son groupe d’origine, il s’agit de juger les gens sur leur valeur personnelle sans discrimination négative ou positive. D’ailleurs, si les Juifs ont une certaine place dans la société française, ce n’est pas tant comme communauté que du fait de l’addition de réussites individuelles, au coup par coup. Le fait que nombreux soient les Juifs qui occupent telle ou telle position n’est donc pas l’effet d’un quelconque préjugé mais un simple constat a posteriori dont il s’agit éventuellement de tirer les conséquences. La laïcité en soi n’a que faire de ce genre de constat quant à l’origine de ceux qui ont atteint telle ou telle position sociale. En revanche, d’un point de vue sociologique, on ne saurait interdire d’examiner les provenances et les répartitions, de réfléchir, par exemple, sur la proportion de femmes dans telle activité socioprofessionnelle. Mais on ne saurait intervenir pour que plus de femmes ou plus d’immigrés occupent ou se présentent à tel poste, cela interfère avec la laïcité. Mais comme on l’a dit, d’un point de vue scientifique, si nous observons que si l’on étudie le parcours de telle quantité de personnes et que l’on note que la proportion de membres de tel ou tel groupe est marquante par sa présence ou par son absence, l’on peut alors selon un raisonnement non plus inductif mais déductif considérer que les membres de tel groupe tendent à bien ou mal fonctionner dans telle activité.

   Autrement dit, ce que la laïcité réprouve, ce sont les préjugés qui ne correspondent à aucune réalité tangible quand on expérimente en toute liberté; il faut éviter qu’au nom de préjugés on interfère avec le fonctionnement normal d’une société et que l’on fausse la sélection sociale qui s’opère. Nous serions donc en faveur de ce que l’on pourrait appeler une laïcité scientifique et expérimentale qui irait à l’encontre de tout dogmatisme, fondé sur des critères non pertinents. Il nous semble ainsi que la laïcité doit organiser le fonctionnement d’une société donnée, déjà en train de fonctionner et ne convient à une société utopique, comportant des éléments inconnus, étrangers. Le rôle de la laïcité est alors d’éviter que des entités se constituent au sein d’une société et dont l’existence ne soit pas légitimée par le comportement des individus qui en sont membres ; dans ce cas là, on pourra dire que telle entité n’est pas viable et donc n’a pas de raison d’être dans la société considérée. En d’autres termes, la laïcité se doit d’être expérimentale et doit s’inscrire dans une certaine épistémologie des sciences sociales.

   Si on prend le cas des Musulmans et des Juifs, et à condition qu’on n’interfère pas avec la vie des individus membres de ces deux populations, on a le droit d’observer dans quelle mesure les individus d’origine juive “fonctionnent” en comparaison de ceux d’origine arabo-islamique. Si l’on constate que les individus d’origine juive jouent, naturellement, un certain rôle, on pourra dégager une politique à l’égard de la population juive et de même pour la population musulmane. A contrario, si les individus appartenant à la dite population musulmane, ne se différencient pas, selon un protocole d’expérience qui veille à ce que l’origine des individus ainsi suivis ne soit pas connue dans leur milieu professionnel, on considérera que ce mode d’appartenance n’est pas pertinent et que son maintien en que tel ne s’impose pas.

   Nous pensons ainsi avoir remis en perspective le projet de société laïque lequel implique un suivi scientifique, il relève d’une radioscopie sociale impliquant un protocole d’expérience. Il ne s’agit certes pas d’ignorer le groupe auquel chaque individu appartient, étant entendu qu’il peut tout à fait exister des appartenances multiples ; il ne s’agit pas non plus que les membres d’un groupe ne puissent se réunir mais à condition, toutefois, que cela n’interfère pas avec le fonctionnement naturel des sociétés. L’individu prime ici sur le groupe et nous l’avons expliqué plus haut, ce qui importe c’est le potentiel génétique de l’individu qui importe et non pas la culture qui lui est transmise socialement. Une appartenance qui n’existerait que socialement et qui ne serait pas signifiante au niveau de chaque individu pris séparément et sans a priori du fait de son appartenance n’est pas viable.

   En ce sens, nous approuvons la politique du gouvernement menée au nom de la laïcité : le fait qu’un individu fasse ou risque de faire interférer son appartenance ou l’une de ses appartenances avec sa fonction individuelle dans le cadre d’une activité, d’une responsabilité données, n’est pas souhaitable et fausse les conditions d’expérimentation. Moins on en sait sur les origines d’un individu mieux cela vaut du moins à un premier niveau mais il serait tout à fait malheureux, par ailleurs, que l’on ne se donne pas les moyens de faire des statistiques sur la base d’informations qui ne seraient accessibles qu’aux chercheurs ; c’est ainsi qu’une amélioration du fonctionnement des sociétés pourra être envisagée.

   L’antisémitisme, c’est aussi le fait de laisser entendre que les Juifs ont tel ou tel poids dans la société parce qu’ils sont juifs. En réalité, bien entendu, selon nous, c’est parce qu’ils sont juifs qu’ils ont ce poids mais cela n’empêche pas qu’un tel constat est le résultat d’une expérimentation en aveugle, à savoir que tant de milliers d’individus ont atteint telle position, qu’il s’est agi chaque fois d’enjeux spécifiques qui ne dépendaient pas du fait que l’on savait que tel individu était juif. Celui qui laisserait entendre qu’il suffit d’être juif pour obtenir tel poste tiendrait un propos inacceptable, tout comme le fait d’expliquer l’échec ou la stagnation sociale d’individus d’origine musulmane en ce que l’on rejette a priori les musulmans est également fâcheux. Et en tout état de cause, même si cela était vrai, il conviendrait d’en tirer les leçons en limitant précisément au maximum tous les signes d’appartenance y compris le respect de fêtes religieuses susceptibles de révéler l’appartenance de tel individu, ce qui fausserait ipso facto les règles de sélection et de recrutement et c’est pourquoi la proposition Stasi sur la fixation de jours fériés pour tous le jour de Kippour et le jour de l’Aïd El Kebir nous avait paru aller dans le bon sens. Inversement, la loi sur la parité hommes-femmes en politique nous semble mal venue mais il s’agit là d’une appartenance que l’on ne peut dissimuler et qui échappe par conséquent aux conditions expérimentales requises. Il convient certainement de distinguer un laïcisme de droite qui cherche avant tout à optimaliser le mode de fonctionnement d’une société donnée et un laïcisme de gauche plus interventionniste et dès lors se prêtant mal à ce que nous avons appelé le laïcisme expérimental à caractère plus scientifique qu’idéologique.

   Le problème, c’est qu’effectivement on ne peut dissimuler que l’on est noir ou blanc pas plus que le fait d’être un homme ou une femme ou que l’on est jeune ou vieux. Ce qui nous conduit à penser que ce genre d’expérience de laïcité expérimentale exige une certaine homogénéité du moins extérieure de la population concernée. Or, la laïcité à la française s’est mise en place à une époque où les femmes étaient plus ou moins exclues du monde du travail et où il n’y avait pour ainsi dire pas de population présentant des traits “raciaux” radicalement différents - jaunes, noirs etc. Nous avons déjà souligné, dans d’autres études, qu’il était inadmissible que l’on cherche à appliquer une certaine forme de laïcité pour justifier une politique d’immigration impliquant l’intégration d’éléments difficilement assimilables et trop facilement repérables et ce dans l’intérêt tant du pays d’accueil que de celui des immigrants risquant d’être en butte à des formes de ségrégation. On pourrait cependant envisager des applications limitées à des groupes spécifiques et pouvant déboucher sur un processus de sélection interne aux dits groupes.

   Soulignons le fait que la méthodologie que nous proposons vise à faire ressortir des constantes au sein d’une population et ce sans a priori. Il ne s’agit pas tant de se demander quelle est la place de tel groupe défini au départ au sein d’une société donnée que de faire ressortir certains paramètres récurrents auxquels on n’avait pas nécessairement porté d’attention au départ, étant entendu que chaque personne ne se réduit pas à une seule étiquette. Au niveau des sciences sociales, dans le cadre desquelles se situe notre discours, il nous semble urgent d’optimaliser la question des ressources humaines au sein de chaque société considérée et la laïcité a vocation à conduire une telle investigation et ce d’autant qu’elle comble un vide qui est celui des divisions sociales traditionnelles plus ou moins abolies par les processus révolutionnaires qui ont débouché sur la dite laïcité, notamment en France.

   Quel est le bilan d’une telle politique en ce début du XXIe siècle ? Comme nous l’avons dit, la laïcité, en France, a été détournée de sa mission principale, à savoir la réalisation d’une radioscopie de la société française et a basculé vers une forme larvée de communautarisme. Or, contrairement à ce que d’aucuns imaginent, la laïcité n’est pas là pour gérer la diversité mais paradoxalement pour la générer, c’est dire qu’elle ne peut s’appliquer qu’à des sociétés ethniquement, sexuellement, linguistiquement et confessionnellement homogènes de façon à faire apparaître précisément des lignes de force selon d’autres critères qu’ethnique, sexuel, linguistique ou confessionnel. Or, beaucoup de gens considèrent que ce sont là les seuls critères que l’on puisse appliquer et relever. Cependant, si l’on considère l’histoire de la monarchie française et de l’aristocratie de façon plus générale, force est de constater que la filiation, ce qui implique de prendre en compte l’hérédité, y a joué un rôle essentiel, et sans rapport avec les critères susnommés. Le roi de France n’était pas d’une autre ethnie ou d’une autre religion que celle de la “nation” française, en général. Quant au recrutement, il ne s’agit pas tant de choisir entre des gens ayant des appartenances différentes bien définies, mais de sélectionner les individus les plus doués, les plus performants, à titre individuel au sein d’une population homogène et rendue d’autant plus homogène par l’essor de la scolarité et la généralisation de la langue française sur le territoire national. .Autrement dit, le rôle de la laïcité nous semble avoir été à caractère structurant et non pas intégrant. L’intégration n’est pas le résultat de la laïcité, elle en est une condition préalable. La laïcité peut tout à fait déboucher à terme sur l’identification de certaines spécificités sous un même vernis culturel et c’est en cela qu’elle concerne la question juive dès lors que l’on parle de juifs parfaitement intégrés et non identifiables comme tels par des signes extérieurs, tout en pouvant, par ailleurs, être repérés comme tels par ce que l’on pourrait appeler des observateurs de la laïcité dont la fonction serait à la fois d’empêcher, comme on cherche à le faire actuellement, toute discrimination positive ou négative et à la fois de procéder à des statistiques permettant d’isoler a posteriori certains facteurs chez les personnes appartenant à un même groupe professionnel ou ayant une certaine réussite sociale, intellectuelle, artistique etc.8 On perçoit certes une contradiction propre à l’épistémologie des sciences sociales, à savoir qu’il ne faut pas interférer avec l’expérience au risque de la fausser tout en étant en mesure d’en tirer des enseignements. Nous pensons que nombre de problèmes socioculturels ou socio-politiques sont liés à une certaine carence méthodologique et épistémologique et que des progrès accomplis notamment dans l’étude du fonctionnement et de l’organisation des sociétés contribueraient grandement à expliciter des problèmes aussi révélateurs, dans tous les sens du terme, que la question juive.

   La présente étude ne remet nullement, pour autant, en question nos travaux antérieurs consacrés à la formation de l’être juif.9 Ce n’est pas, en effet, parce que nous insistons sur le fait que les Juifs ne sauraient être assimilés / identifiés aux cultures qui les ont marqués et qu’ils ont marquées, que nous considérons que les Juifs sont dans une sorte de vacuité ontologique de type féminin. Bien au contraire, c’est au nom de cet être juif radical et qui précède et transcende les aléas d’une Histoire que l’on ne connaît que par des aspects à la fois partiels et tardifs que nous voulons relativiser le poids de la dite Histoire ; il conviendrait de cesser de réfléchir sur les Juifs au travers d’un récit mythique des origines tel que véhiculé par la Bible et il est extraordinaire de constater à quel point la référence biblique reste prégnante dans la représentation de l’avènement du phénomène juif. Les Juifs ont été générés au sein d’une civilisation primordiale dont toute l’Humanité existant aujourd’hui découle, au sein de laquelle ils ont été programmés pour jouer un rôle clef et c’est cette programmation qui, de façon subconsciente, continue à se manifester tout au long de leur Histoire et quelles qu’en soient les circonstances. Toute recherche anthropologique est vouée à se brancher sur le postulat d’une telle civilisation originelle, ce qui nous conduit à considérer l’Histoire comme un épiphénomène.

Jacques Halbronn
Paris, 2 février 2004

Notes

1 Cf. notre étude sur les Juifs comme classe sociale, rubrique Judaica. Retour

2 Cf. nos travaux sur le Site ramkat.free.fr, rubriques Astrologica et Judaica. Retour

3 Cf. notre étude sur le Site Prosperensemble.com. Retour

4 Cf. Vincent Viet, Histoire des français venus d’ailleurs, de 1850 à nos jours, Paris, Perrin, 2003, pp. 53 et seq. Retour

5 Cf. notre article concernant les Juifs et la laïcité sur le Site Prospererensemble.com. Retour

6 Cf. Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

7 Cf. Cahiers du Cerij, n° 3, “discours identitaire et antisémitisme”. Retour

8 Cf. à ce sujet les travaux de Michel Gauquelin sur le lien entre profession et positions planétaires, depuis 1955, Les Personnalités Planétaires, Paris, Trédaniel, 1992. Retour

9 Cf. notamment les Juifs et l’idée de Dieu, sur Ramkat.free.fr, rubrique Judaica. Retour



 

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