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JUDAICA

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Juifs et Maghrébins en France :
Communauté citoyenne et communauté migrante

par Jacques Halbronn

    Plus que partout ailleurs, ce sont des Etats à surmoi démocratique fort - c’est à dire dont la “religion” est le scrutin universel - comme la France et Israël qui ont le plus de mal à gérer les communautés musulmanes dont ils ont la charge, que ce soit du fait de la colonisation ou de la conquête. Nous pensons dès lors qu’il convient de repenser les rapports entre le social et le politique en les découplant, ce qui implique à terme de revenir à une certaine dualité sociétale, selon un modèle comportant un noyau et des éléments périphériques non intégrables/intégrés mais néanmoins constituant des groupes relevant de la société dominante et ce qu’il s’agisse de pays conquis, colonisés ou de populations immigrées, ce qui revient finalement au même, comme on peut le voir, en France, avec les arabo-maghrébins ou des indochinois passés d’une situation à l’autre. Il est temps de déterminer, en effet, au niveau du droit international, quel est le statut de ces populations et ce, en s’inspirant, précisément, du modèle musulman, fait à la fois de tolérance envers les populations jugées étrangères mais sous sa coupe et de différenciation juridique et statutaire.1

Sommaire :

1 - Du traitement social des problèmes arabo-magrébin et arabo-palestinien
2 - L'écartèlement de l’identité arabo-musulmane en France


1

Du traitement social
des problèmes arabo-magrébin et arabo-palestinien

    Il semble qu’il y ait quelque malentendu dans l’idée que l’on se fait de ce qui est important pour les arabo-musulmans. Et la responsabilité est grande de la part de certains démagogues qui déplacent les véritables enjeux pour ces populations, en leur fixant des objectifs hors de leur portée, ce qui ne peut que générer de l’échec.

   A la base, que veulent en effet le gros de la population arabo-musulmane, tant en France qu’en Palestine ? Ils souhaitent avant tout qu’on les laisse vivre tranquillement avec leurs traditions, leurs langues, leurs terres. Ils ne demandent pas sérieusement à participer à la gestion d’un ensemble plus large et qui les dépasse et ils ne sont d’ailleurs pas prêts, en règle générale, à payer le prix pour accéder à des responsabilités au delà de leurs intérêts spécifiques.

   De loin, préféreront-ils qu’on dise qu’ils ne sont pas intégrés en France, pourvu qu’on les laisse vivre comme ils l’entendent dans ce pays. Si pour devenir citoyen à part entière, il faut sacrifier un mode de vie communautaire, alors pensent-ils, autant rester à part. C’est déjà le raisonnement qui prévalut en Algérie où dans leur très grande majorité les arabo-maghrébins préfèrent encore s’en tenir à leurs coutumes plutôt que de bénéficier d’un plein statut citoyen, ce qui eut exigé de se conformer au droit français et d’abandonner des pratiques ancestrales.

   A quoi bon énerver ces gens là en les asticotant sur leurs habitudes ? Ce serait ouvrir la boîte à Pandore avec les débordements de laïcité, de communautarisme, de judéophobie qui en sont les manifestations les plus flagrantes. Pour défendre, en effet, leur position, ces arabo-musulmans, quand ils se sentent mis en cause, chercheront à déstabiliser la société française, à en souligner le pluralisme religieux, les prétendus échecs d’intégration à propos des Juifs, la diversité ethnique et ainsi de suite. A quoi bon les torturer par des problématiques intégratives dont ils n’ont que faire ? Pour eux, l’intégration se réduit à peu de choses, elle n’implique pas de pouvoir ou de savoir participer au gouvernement du pays où ils résident et d’ailleurs on a vu à quel point la démocratie a du mal à s’imposer chez des populations habituées à être dirigées souvent par des étrangers (Ottomans, Français etc) sans qu’on leur demande de participer. Tant qu’on les laisse tranquilles, ils acceptent d’assez bonne grâce et avec une certaine indifférence le joug étranger. C’est pour avoir voulu, depuis Istamboul, imposer la langue turque au monde arabe, au début du XXe siècle, que les Jeunes Turcs ont réveillé le nationalisme arabe.

   Il en est de même en Palestine où les populations arabo-musulmanes veulent avant tout vivre en circuit fermé et sans trop se soucier de la nature du pouvoir central. Il leur aurait assez peu importé de subir une domination “coloniale” s’ils avaient pu vivre sur leurs terres, en paix et sans avoir à changer leur quotidien. Les Israéliens se sont compliqué la vie en n’acceptant pas de les laisser à leur condition et ce sans chercher à leur imposer un modèle citoyen. Les Juifs d’Israël auraient fort bien pu monopoliser le pouvoir central du moment qu’ils respectaient un certain ordre local, en lui conférant une certaine autonomie comme on le faisait pour les dhimmis dans le monde arabe.

   Pour les arabo-musulmans, habitués à vivre au sein d’empires pluriculturels, l’idée d’intégration, on l’a dit, ne fait sens que par le biais communautaire et non pas au niveau individuel. On se rappelle que lors de l’Emancipation des Juifs, se posa la question de maintenir les Juifs en tant que “nation” au sein de la société française ou bien de les contraindre à s’individualiser. C’est cette seconde solution qui l’emporta et qui ne sied guère aux Arabo-musulmans vivant en France.

   En fait, on ne peut que constater un certain refus d’intégration ; il se manifeste par le maintien des prénoms musulmans au point de refuser de rendre Gibril par Gabriel ou encore par la faible mixité, au niveau des mariages qui était pourtant autrement concevable et réalisable que pour les noirs africains. Ces arabo-musulmans qui se plaignent qu’on les reconnaît trop facilement seraient justement moins identifiables si la mixité avait crée des populations mélangées et constituant ainsi un continuum entre eux et le reste de la population française. Les beurs sont la plupart du temps des enfants dont les deux parents sont arabo-musulmans et qui n’ont pas de cousins extérieurs à cette population.

   Ajoutons à cela, la perspective chez beaucoup d’entre eux d’un retour au pays, facilité à terme par la tentation de faire valoir le différentiel économique entre la France et le Maghreb. Tout en sachant très bien que les Juifs ne sont pas dans cette situation et surtout pas au Maghreb, les arabo-musulmans ne craignent pas de proposer un parallèle tout à fait abusif, en prenant prétexte de l’attitude des Juifs à l’égard de l’Etat d’Israël. La judéophobie arabo-musulmane se manifeste en particulier par cette façon de traiter les Juifs d’étrangers ou d’affirmer que les Juifs sont très souvent considérés comme des étrangers en France. Ils pratiquent ainsi une sorte de négationisme de l’émancipation des Juifs de France, comme s’ils niaient ce qui s’est passé en 1791 et ce que cela a représenté. Ainsi, face au négationisme relatif à la Shoah du type “ce n’était pas si grave que ça !”, on trouve ce négationisme relatif à la Révolution du type “ce n’était pas si génial que ça !”. Mais répétons-le, si on laissait les arabo-musulmans tranquilles, ils n’en viendraient pas à de tels expédients. Ils ne demandent en vérité qu’une chose : qu’on les laisse faire ce qu’ils ont à faire en France tant qu’ils y trouveront un intérêt et qu’on les laisse repartir quand ce ne sera plus le cas. On assiste en fait à une sorte de paradoxe : la France n’intéresse ces populations que parce qu’ils pensent ainsi, fortune faite, pouvoir mieux vivre chez eux, gravir l’échelle sociale dans leur pays. On sait que certains ont cherché ou cherchent encore à les retenir pour des raisons démographiques mais une telle politique n’a abouti qu’à dissuader le mouvement des mariages mixtes en faisant venir les familles, augmentant ainsi d’autant, et ce assez artificiellement, les chiffres de la population française. Or, historiquement l’on sait que des politiques d’intégration exigèrent de tels croisements, mais cela impliquait que la procréation ne soit pas une simple affaire individuelle mais soit mise au service de la Cité. On peut donc considérer que l’échec de l’intégration maghrébine pourrait en partie s’expliquer par la montée du féminisme et les séquelles de la contraception, dans le dernier tiers du XXe siècle.

   C’est pourquoi cette notion de citoyenneté nous semble assez dangereuse et nous pensons qu’elle déstabilise plus qu’autre chose les arabo-musulmans tant en France qu’en Palestine. Ceux qui insistent pour que ces populations acquièrent, en chacun de leurs membres, un statut citoyen, font, selon nous, fausse route car un tel statut ne peut à terme que se révéler tel un cadeau empoisonné, on l’a vu à propos de la Loi sur les signes religieux distinctifs. Il vaudrait probablement mieux créer des écoles musulmanes.

   Il vaudrait beaucoup mieux que l’on laisse ces populations arabo-maghrébines constituer une communauté mais sans pour autant que la France devienne communautaire ; il vaudrait mieux dire que la France tolère le communautarisme sans en faire une loi. Les avantages d’un tel communautarisme pour les maghrébins, c’est que ceux-ci sont ainsi mieux encadrés, moins laissés à eux-mêmes alors que plongés dans la société française au sens large, il est à craindre qu’ils se sentent par trop libres de leurs mouvements.

   En tout état de cause, quelle que soit l’attitude que l’on puisse adopter, on risque fort d’être mal perçu par les arabo-musulmans : soit en leur imposant une citoyenneté qui ne les séduit qu’autant qu’elle reste lettre morte mais qui, somme toute, leur semble terriblement contraignante, les conduisant à un certain marranisme, soit en les renvoyant à leur communautarisme, ce qu’ils ressentent comme une marginalisation, comme le signe d’un échec à s’intégrer.

   Les juifs constituent un mystère pour les Musulmans vivant en France, du fait d’une intégration évidente qui se serait faite sans pour autant renoncer à leur spécificité, délicat équilibre, équation, entre Liberté et Egalité. Soit, les Musulmans insisteront sur le lien avec Israël pour souligner que cette intégration est loin d’être parfaite, soit ils parleront d’un peuple errant et sans attaches mais on peut aussi entendre un autre argument selon lequel les Juifs auraient eu tout le temps de s’intégrer, eux dont la présence en France, du moins pour ce qui est d’un noyau de souche française, est ancienne à moins de n’adopter les thèses des Protocoles des Sages de Sion. Ce décalage au niveau de l’intégration alimente une certaine judéophobie qui est l’expression de quelque jalousie, ne serait-ce que dans la mention de la judéité des personnes rencontrées comme si elle constituait une clef pour les comprendre. Les maghrébins sont les premiers à signaler “il est Juif”, remettant en question, par là même, la dimension proprement individuelle de cette personne. Ne pouvant pas s’affirmer individuellement, l’arabo-musulman ne tolère pas que d’autres puissent le faire. On peut en conclure qu’il n’est nullement de l’intérêt d’un Juif de se déclarer comme tel face à un arabo-musulman alors que ce n’est pour un non juif français qu’un élément de la personnalité, le plus souvent sans grande incidence. Or, pour le maghrébin, cette information pèse lourd tant il a du mal à cerner les individualités en dehors de sa communauté. Insistons sur le point suivant : le drame pour les maghrébins en France n’est pas tant de ne pas être compris que de ne pas comprendre ceux qui ne sont pas comme eux, sinon au travers de représentations caricaturales.

   Il est essentiel, en effet, de comprendre quel est le véritable processus de l’intégration ; contrairement, on l’a dit, à ce que l’on croit, c’est l’individu qui s’exclue bien plutôt qu’il n’est d’office exclu mais il est évidemment parfois tentant de présenter les choses autrement. Le problème de l’exclusion individuelle concerne, à différents titres, les personnes âgées, les enfants, les malades, les infirmes, les malentendants, les non voyants, les fous, les assassins, les obsédés sexuels, les étrangers, les femmes, et ce non pas tant parce que les gens appartiendraient à une catégorie maudite, exclue d’office mais tout simplement du fait de quelque dysfonctionnement de leur part, cas par cas, d’où un certain nombre d’exceptions notables, pour chaque catégorie susmentionnée. Le suffrage universel est-il vraiment un mode efficace d’intégration ? Le fait de mettre un bulletin dans une urne n’est pas en soi un acte impliquant une quelconque connaissance de la société dans laquelle on se trouve. Les femmes n’ont eu le droit de vote en France qu’à partir de 1944. Sous la Deuxième République et sous le Second Empire, un siècle auparavant, on n’en parlait pas moins déjà de “suffrage universel” et la Révolution Française n’avait pas accordé le vote aux femmes. Lors du Front Populaire, en 1936, il y eut des femmes au gouvernement, alors qu’elles ne votaient pas. Longtemps exista un suffrage censitaire conditionnant le droit de vote à un certain degré de fortune. Récemment, tant en France, qu’aux Etats Unis, on a pu observer certaines insuffisances du mode d’élection avec d’ailleurs des voix non représentées à l’Assemblée Nationale par des députés. Selon nous, voter, c’est participer à une décision, à un choix et il faut le faire en connaissance de cause. Celui qui ne vote pas, par exemple les enfants mineurs, est-il pour autant négligé ? Ce que nous entendons par “social” s’apparenterait en fait à cet état mineur, ce qui conduit à penser le terme minorité, non pas tant comme un groupe limité, par opposition à majorité, mais comme une affaire de maturité, de compétence.

   En fait, les maghrébins tendent à apparaître comme des cas sociaux, des populations assistées, qui, faute pour les individus de pouvoir s’affirmer et d’aider éventuellement leurs congénères à le faire, ont besoin d’être pris en charge par la société et protégées. Il est un fait que si la réussite professionnelle de l’élite maghrébine avait été plus forte, elle aurait eu un effet d'entraînement pour l’ensemble de cette population ; il y a donc un certain échec, ici, de l’élite, du moins au niveau quantitatif ; on n’a pas atteint la masse critique souhaitable de sortis du rang.

   Autrement dit, c’est le terme intégration qu’il importe de préciser. La vraie question n’est pas l’attachement à des traditions anciennes ou étrangères, mais bien la capacité des individus, par delà cet attachement, à démontrer leur valeur au sein de la société dominante tant à l’échelle d’un Etat que sur le plan international car on peut aussi parler de la non intégration d’un Etat au sein de la communauté mondiale. Le cas du Japon montre bien que le respect du passé n’hypothèque pas nécessairement la compétitivité. On pourrait aussi, en suivant une certaine logique, parler de l’exclusion d’office de certains Etats qui expliquerait leur échec mais ce serait ne pas comprendre qu’il faut se battre, de toute façon, pour s’imposer, ce qui implique de surpasser l’autre, de découvrir ses faiblesses, ses failles. S’intégrer est avant tout affaire individuelle, c’est en effet savoir se faire entendre, se faire respecter, par la qualité de ce que l’on propose aux autres, ce qui pose le problème de l’altérité. Si je ne comprends pas autrui, comment puis-je l’aider et donc m’aider en faisant la preuve que j’ai quelque chose à apporter, dont il a besoin, quand bien même devrait-il reconnaître ma supériorité ? Or, il nous semble que les arabo-musulmans ne s’intéressent pas assez à l’autre pour pouvoir se mettre en valeur et cela se traduit souvent par un manque de culture générale, un manque de repères.

   De nos jours, on observe que deux conceptions de l’intégration se confrontent : l’une minimale qui demande que chacun puisse vivre décemment, l’autre maximale qui implique que chaque individu puisse apporter à la société en fonction de ses potentialités. Il semble bien que les Maghrébins en soient réduits à revendiquer un traitement social, une approche assistée de l’intégration alors que les Juifs ont opté, de facto, pour une participation à la société française, marquée par la compétition, l’excellence, bref par l’intégration individuelle et non en tant que population à soutenir artificiellement. On en arrive au paradoxe suivant qui nous fait sortir de la langue de bois : ce sont les Maghrébins qui font le plus appel à l’Etat Français Providence alors que leurs attaches à la France sont le plus souvent purement conjoncturelles ; pour eux la citoyenneté française qu’ils revendiquent est avant tout le droit à une sorte de revenu minimal d’insertion (RMI). Comme nous le disions, au début de notre étude, les revendications des populations arabo-musulmanes sont moins politiques que sociales et elles ne deviennent politiques que dans la mesure où elles n’ont pas trouvé de traitement social, ce qui est d’ailleurs toute l'ambiguïté des rapports entre syndicats et partis politiques. Rappelons que la situation de ces populations en Israël - Cisjordanie et Gaza inclues - s’est considérablement détériorée du fait que les Israéliens n’ont plus voulu leur proposer du travail, notamment pour des raisons de sécurité. A-t-on jamais vu une guerre où un camp demande du travail et de l’aide à l’autre ? Une politique sociale plus judicieuse menée par les Israéliens eut probablement évité bien des problèmes à un autre niveau, mais il eut fallu laisser de côté pour cela les considérations citoyennes et notamment les questions électorales, c’est dire que le politique et le social ne font pas forcément bon ménage. La situation en Israël ne relève pas d’une guerre politique mais d’une guerre sociale voire civile et doit être traitée comme telle, c’est à dire qu’elle demande des solutions en conséquence, ce qui n’implique nullement la création d’un Etat Palestinien, qui ne résoudra rien. La stratégie est classique : on développe des revendications politiques ou cultuelles exorbitantes pour obtenir en réalité une aumône, en compensation d’une prétendue islamophobie - qui a bon dos - de la part de la société française, handicap jugé insurmontable. Si on laisse les populations arabo-musulmanes vivre tranquillement et décemment, sans trop d’illusion sur leur attachement à la République ou à l’Etat, tant en France qu’en Israël, on verra qu’elles cesseront d’occuper le créneau politique et citoyen. La différence entre la situation en France et en Israël tient au fait qu’en France, les Juifs sont une infime minorité alors qu’ils constituent une puissance bien plus massive numériquement en Israël. L’exemple israélien, celui de l’Etat Juif, en ce sens, tend à fausser l’appréhension du phénomène juif en France et ailleurs, lequel est avant tout affaire d’individualités brillantes qui ont chacune, en dépit d’un certain antisémitisme, montré ce qu’elles savaient faire, chacune en son domaine. Au vrai, la création d’un Foyer Juif en Palestine ne fut-elle pas, en son temps, de par son caractère global, une solution d’ordre social, une prise en charge par la Société des Nations (SDN), dans les années Vingt du XXe siècle ? C’est dire que la façon dont les Juifs de France se situent par rapport à Israël doit faire l’objet d’une réévaluation et entre temps nuit sensiblement à la visibilité des rapports judéo-arabes en France. Précisons cependant que ce n’étaient pas les Juifs de France dont le sort - malgré l’Affaire Dreyfus - justifiait le sionisme mais bien ceux de la Russie tsariste et d’Europe Orientale dont les juifs d’Occident ne voulaient pas, pas plus d’ailleurs que le gouvernement anglais.2 Il fallait donc bien trouver une solution, ce fut le projet d’un asile pour ces Juifs indésirables tant dans leur pays d’origine que dans d’autres pays. On rappellera que les Juifs français en accueillant les Juifs étrangers ont certainement pris le risque de fragiliser leur situation et cela vaut certainement pour la présence en France de Juifs d’Afrique du Nord : est-ce que la judéophobie maghrébine serait de même nature s’il n’y avait pas en France des Juifs maghrébins ? Il ne faudrait pas en effet expliquer cette judéophobie du seul fait de l’antisionisme, elle s’enracine dans une rancoeur à l’endroit de ces Juifs considérés comme traîtres face à la puissance coloniale. Mais pour qu’ils aient été jugés ainsi, encore fallait-il qu’il y ait bel et bien existé une symbiose judéo-arabe au Maghreb. Les Maghrébins se trompent de cible lorsqu’ils reprochent aux Juifs leur allégeance à Israël. En réalité, ce qui les tracasse, c’est bien plutôt leur aptitude à vivre en France, ce creuset pour les Juifs issus de tous horizons et qui sont conduits à relativiser sérieusement leurs coutumes par la prise de conscience de leur diversité. L’hétérogénéité même de la communauté juive de France (Ashkénazes, Séfarades, en particulier) nous apparaît comme un signe fort de la différence entre Juifs et Maghrébins, en France, en ce qu’elle libère l’individu d’un processus trop lourd d’identification; ainsi chaque Juif part-il à la découverte de son être plutôt qu’il ne récite quelque rôle tout prêt, ce qui tend à faire des Juifs un ensemble de personnalités remarquables et créatives, au moi quelque peu conquérant, les connectant ainsi avec une mémoire oubliée, au delà de tous les judaïsmes dûment répertoriés. En comparaison, le moi arabo-musulman serait plus frileux et se réfugierait dans les jupons du religieux, sans vraiment faire l’effort de prendre la mesure du monde environnant, “étranger”, off limits.

   Ne confondons pas communautarisme et laïcité. La laïcité a pour objet principal, selon nous, d’organiser les tendances centrifuges qui peuvent apparaître au sein d’une société, de par son histoire, de par sa géographie, de par toutes sortes de clivages anciens. Le communautarisme, en revanche, concernera la gestion de groupes venant se greffer sur ce noyau - processus centripète - sans que ces populations relèvent du même régime, en raison de leurs attaches étrangères et de leurs origines ethniques. D’où une société à deux vitesses : le peigne qui sépare, la brosse qui rapproche. Dès lors, il nous semble tout à fait abusif de parler de communauté juive comme on parle de communauté musulmane. En effet, selon nous, les Juifs relèvent du champ de la laïcité - et ce d’autant plus que le christianisme est une branche du judaïsme tout comme le protestantisme est une branche du christianisme - tandis que les musulmans relèvent du champ communautariste, au même titre par exemple que les Asiatiques ou les Africains en France. On proposera de parler de communauté migrante pour désigner des populations qui ne sont pas stabilisées, qui vont et qui viennent, le flux migratoire d’origine maghrébine n’a pas cessé - ce qui est déstabilisant pour la dite communauté de par l’arrivée de nouveaux éléments - alors qu’il est quasiment nul pour ce qui est des Juifs, depuis une quarantaine d’années et de parler de communauté citoyenne pour désigner les populations qui constituent le fondement stable de la société française, compte tenu du fait que par le biais du mariage, on peut passer d’un type de communauté à un autre. Le mariage mixte nous apparaît en effet comme la voie royale de l’intégration et la loi française a longtemps privilégié la naturalisation par le mariage et non pas du seul fait de naître sur le sol français, et c’est d’ailleurs à la génération suivante que l’intégration peut réellement s’opérer. En tout état de cause, cette mixité constitue une interface entre communauté citoyenne et communauté migrante. Ce passage reste en l'occurrence un choix individuel et ne remet pas en question l’existence des structures que nous avons définies.

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2

L'écartèlement de l’identité arabo-musulmane en France

    Il n’y a pas une seule et unique façon d’être juif et l’identité juive épouse les spécificités de chaque pays où il y a des Juifs, ce qui exclue l’idée qu’il puisse exister un seul et unique discours juif.

   En ce sens, les juifs de France ne sauraient être assimilés à des Juifs israéliens, à des Juifs américains ou à des Juifs russes. On dira même qu’ils sont tout à fait capables d’être en contradiction entre eux.

   Il nous semble que les arabo-musulmans aient le plus grand mal à comprendre ces particularités de l’identité juive qui se moule et se coule dans les contextes politico-religieux les plus divers, très loin d’un quelconque consensus entre les Juifs du monde entier.

   Contrairement à ce que l’on pourrait croire, a priori, c’est autour de la question d’Israël et de la Palestine que les Juifs de France affichent leur loyauté envers la France et sur ce même sujet que les arabo-maghrébins de France révèlent une certaine incohérence identitaire.

   C’est que les arabo-maghrébins oublient la signification de la création d’un Foyer Juif en Palestine, puis de l’Etat d’Israël - dans des conditions d’ailleurs très discutables et fort peu viables - trente ans plus tard. Cela se fit en deux étapes : en 1917, il s’agissait d’installer des Juifs d’Europe Orientale - et notamment de la “zone de résidence” (Lituanie, Pologne, Ukraine, Biélorussie) sous contrôle russe - et d’éviter leur déferlement vers les judéités occidentale. En 1947, ce qui pesa le plus fut probablement le phénomène de la Shoah. Dans un cas comme dans l’autre, l’Europe était visée et c’était pour elle que les choses se faisaient en raison du sort de “ses” Juifs, vivants comme morts. A cela vinrent s’ajouter les moyens que l’Europe - et notamment la France et l’Angleterre, puissances coloniales, vainqueurs de l’Empire Ottoman - se donna au lendemain de la Première Guerre Mondiale, pour se réserver la Palestine aux fins d’y installer “ses” Juifs qui seraient dans le besoin, un jour ou l’autre. Il n’était alors nullement question en 1917 de s’occuper des Juifs du monde arabe qui n’étaient pas, dans leur très grande majorité, en demande et qui, d’ailleurs, n’auraient peut-être pas apprécié, par solidarité avec le monde arabe dont ils étaient au demeurant un élément constitutif, qu’on dépossédât celui-ci de la dite Palestine.

   Nous insistons sur ce dernier point pour montrer à quel point tous les Juifs n’ont pas et n’ont pas à avoir le même regard sur le monde, que pour eux, tout est relatif à leur situation, à leur ancrage, bref à leur intégration au sein d’une culture donnée. Or, c’est une telle gageure que semblent vouloir poursuivre les arabo-maghrébins, à savoir la recherche d’un consensus qui vaudrait pour cette population dans son ensemble. Autrement dit, un Arabe qui passerait du Maroc à la France n’aurait pas à changer ses représentations, tout en prétendant s’y intégrer.

   C’est ainsi que dans un débat (27 mai 2004) qui nous opposa au recteur de la Mosquée d’Evry (91), Khalil Merroun, nous entendîmes celui-ci déclarer : “nous ne sommes pas coupables du sort qui a été infligé aux Juifs en Europe”, disant cela en rapport avec la création d’un Etat Juif en Palestine.

   Or, pour notre part, cette désolidarisation des arabo-musulmans fait problème, si tant est qu’ils adhèrent tous à un tel positionnement - par rapport aux enjeux socio-historiques concernant les relations entre l’Europe et ses Juifs, ce qui d’ailleurs peut inclure également les Juifs du Maghreb, étant donné que la vie de ces derniers fut certainement durablement perturbée par la présence français dans cette région, à commencer par le cas du décret Crémieux (1870) affectant les juifs d’Algérie, quarante ans après la conquête.

   Autrement dit, les arabo-musulmans de France feraient un tri dans ce qu’ils prennent ou ne prennent pas du passé de la France, sans prendre conscience de ce que les bonnes choses sont parfois le corollaire des mauvaises. Ce n’est pas là ce que nous appelons la voie de l’intégration.

   Or, si la création du Foyer Juif en Palestine, comme on l’a dit, est la résultante historique d’une certaine culpabilité, d’un certain malaise, des Européens envers leurs populations juives - et cela concerne aussi la dimension religieuse - eh bien, on ne conçoit pas que des arabo-musulmans de France déclarent qu’ils n’ont pas à répondre d’une telle situation, vu que dans le monde arabe, le problème ne s’est pas posé avec cette acuité. Ces gens là ne comprennent-ils pas que leur intégration en France et plus largement en Europe, passe précisément par la prise en compte de ce drame de la conscience européenne ? De même, sur la question du colonialisme, l’intégration en France d’étrangers passe par leur adhésion à un certain regard occidental sur l’Orient à coloniser. Faute de quoi, on se condamne à se mettre en porte à faux par rapport aux valeurs de l’Occident. Bien plus, le problème de la Palestine, par delà la question juive, ne fait absolument pas le même sens du point de vue chrétien et du point de vue musulman. Les Croisades ont placé face à face deux mondes et on ne peut pas être dans les deux camps à la fois, du moins à l’échelle individuelle, sauf à verser dans la schizophrénie. Comment en effet, un arabo-maghrébin pourrait-il à la fois assumer l’existence d’un Foyer Juif en Palestine, au nom de tout un passé assez lourd et à la fois se faire le champion d’un nationalisme arabo-palestinien ? C’est l’un ou l’autre, tout dépend du camp dans lequel on se place, du côté européen ou de celui du monde arabe. Faute de quoi, on parvient à des solutions bancales qui ne satisfont personne et qui sabotent peu ou prou le projet sioniste, tel que géré par les Européens aux dépends il est vrai du monde arabe. Or, pour un citoyen français, le fait de léser le monde arabe devrait être assez indifférent vu que ce monde arabe s’est agrandi par la conquête, et que sur le plan religieux, les Musulmans ont aussi fortement emprunté des thèmes, des motifs, des lieux.

   Il y a à l’évidence une instrumentalisation du cas Sharon, si commode à diaboliser, comme si un changement de gouvernement mettrait fin aux revendications arabes sur la Cisjordanie et sur un refus d’assumer que la Palestine soit consacrée à un Etat Juif. En fait, il n’y a pas si grande différence entre la Palestine et l’Algérie et c’est peut-être cela aussi qui sensibilise tant les maghrébins face à ce qui se passe en Palestine. En attendant, le recteur de la mosquée d’Evry se permet de s’adresser aux Juifs français en leur reprochant d’avoir “élu Sharon”, en en faisant ipso facto des citoyens israéliens ! Par ailleurs, il dit qu’il ne peut être antisémite, reconnaissant par là que les Juifs ont des racines en Palestine - puisque c’est cela qui les sémitise - ce qui ne l’empêche pas de défendre la cause arabo-palestinienne sur des régions si profondément marquées par la Bible. Il déclare que l’Islam reconnaît le judaïsme mais en même temps, il veut prendre sa place tant sur le plan religieux, que géographique, comme en témoigne la mosquée construite par dessus le Temple. Que d'ambiguïtés accumulées !

   Des arabo-maghrébins qui, dans leurs fantasmes, voudraient bien que l’on chassât, refoulât à la mer, les Juifs de Palestine comme ils sont arrivés à le faire du Maghreb - et singulièrement d’Algérie - dans des proportions considérables. Ils voudraient ainsi maghrébiser ou algériser Israël, c’est à dire en faire un pays judenrein, sans juifs. Le cauchemar palestinien, c’est précisément que ces Juifs ne partent pas avec le “colonisateur” britannique alors qu’en Algérie ils se retirèrent avec la puissance coloniale ! Or, l’identité française, qui est au coeur de la question de l’intégration, implique un tout autre regard. Pourtant, est-ce que ces Maghrébins ne devraient pas se sentir “coupables” à l’égard de ces Juifs ainsi déracinés du Maroc, de Tunisie et d’Algérie et qui d’ailleurs sont, en partie, installés en Israël et en partie dans cette France dont ils prétendent être des citoyens loyaux ?

   En ce qui concerne les Juifs, il n’y a pas d’impératif à être fidèle à telle position qui serait radicalement “juive” en soi et qui serait unique pour tous les Juifs et c’est cela même qui facilite singulièrement leur intégration et de façon sensiblement plus authentique. Dès lors que les arabo-musulmans ne peuvent se détacher d’un certain consensus arabe mondial, leurs chances d’intégration en France nous semblent terriblement hypothéquées. Et bien entendu, cela vaut tout aussi bien pour la judéophobie. Pourquoi donc ménager les Juifs en France puisqu’on (les arabo-magrébins) ne leur a pas fait de mal et que ce serait bien plutôt les Juifs qui se seraient mis en faute par rapport aux “indigènes” arabes, par quelque forme de trahison en passant du côté du colonisateur ? Un tel raisonnement autorise - n’est-il pas vrai ? - l’expression d’une certaine judéophobie décomplexée, puisque non contenue par le garde fou de la culpabilité. Là encore, il ne saurait y avoir intégration véritable en France, sans assumer l’identité française en tous ses états ; on est en fait en présence d’un marranisme, c’est à dire d’une intégration de surface.

   Nous ne reprochons pas, au demeurant, aux arabo-musulmans de ne pas y parvenir mais nous en concluons qu’ils ne parviennent pas à s’intégrer en France, ce qui importe d’en tirer toutes les conséquences. Cela ne signifie pas que cette population n’a pas sa place en France mais qu’elle doit être perçue comme radicalement sinon définitivement étrangère - tant que la mixité ne sera pas la règle - et être traitée comme telle, c’est à dire socialement et non politiquement.

   Il conviendrait en fait de renoncer à intégrer ces populations, à leur imposer un moule par trop contraignant. On ne reviendra pas sur le stratagème consistant à refuser de faire l’effort de s’intégrer au nom de la liberté religieuse, voulue par la laïcité, ce qui permet, au final, de rester comme on est, à tout point de vue, par une sorte d’amalgame entre le culturel et le religieux. Le problème, c’est que les arabo-musulmans sont fascinés par l’exemple juif, sans comprendre que les juifs ont des facultés d’adaptation et d’intégration fort supérieures aux leurs, que ces derniers ne s’encombrent pas de ce qui est diachroniquement et/ou synchroniquement décalé.

   Ce qui est frappant, c’est que nombreux parmi les arabo-musulmans n’aient pas encore compris qu’il y avait des choses à ne pas dire, ne serait-ce que parce que cela ne peut que heurter la sensibilité citoyenne, laquelle repose sur la fiction d’un destin commun, d’une solidarité avec le pire et le meilleur. Ils n’ont même pas la pudeur de garder un profil bas sur ces sujets.

   Il n’est pas souhaitable, nous semble-t-il, que la France nourrisse en son sein une population adoptant une identité sélective et qui, au fond, n’en fait qu’à sa tête. Comment cette population arabo-maghrébine qui s’accorde de telles libertés pourrait-elle en même temps revendiquer l’égalité ? La communauté dite citoyenne (cf. supra) est de l’ordre de l’égalité avec la discipline que cela exige, tandis que la communauté dite migrante se situe dans une liberté marginalisante. Il y a donc bel et bien des libertés de langage du type “nous ne nous sentons pas coupables du sort des Juifs européens et d’avoir à trouver des solutions pour ce faire” qui compromettent singulièrement toute revendication à une égalité citoyenne.

   Il nous importe peu en effet que les Juifs aient été bien traités - tout en ayant toutefois le statut de dhimmi (cf. infra) - dans le monde arabe, cela ne nous intéresse que fort médiocrement car en France, la question juive se présente autrement, pour le pire comme pour le meilleur, comme elle se présente diversement de par le monde. Le juif français est un acteur majeur du progrès scientifique et intellectuel en Occident et n’a que peu de choses à voir avec la situation qui a pu être celle des Juifs dans des pays arriérés et colonisés.

   La France, répétons-le, n’est pas un self-service. On ne peut arguer de la laïcité à la française sans comprendre qu’elle visait précisément le sort des Juifs, qu’elle est la résultante des guerres de religion, de l’édit de Nantes et de sa révocation. Alors, évidemment, un arabo-musulman peut déclarer qu’il n’a vraiment rien à voir avec les guerres de religion mais peut-il en même temps revendiquer le bénéfice de la laïcité qui en est en quelque sorte l’antidote ?

   Un discours également tenu par le recteur de la Mosquée d’Evry tient au rôle que les maghrébins ont joué durant les guerres menées par la France - avec des pertes humaines importantes - ce qui leur donnerait ipso facto un droit à la citoyenneté française. Dans ce cas, l’Angleterre et les Etats Unis auraient des droits indélébiles sur la France pour être à deux reprises intervenu pour la libérer et avec quelles pertes ! Autrement dit, on libère la France pour mieux l’envahir, l’occuper, à son tour ! Mais la France n’est pas la Pologne que l’on pourrait ainsi se partager entre “libérateurs”, sous une forme ou sous une autre. Tant qu’à faire entre l’occupation allemande et l’occupation arabe en France, nous préférons l’occupation allemande, à savoir celle d’un pays européen chrétien et avancé, où les Juifs ont pu donner le meilleur d’eux-mêmes, dans le passé. Certes, la France peut considérer qu’elle a une dette envers ses anciennes colonies, de là à créer une catégorie de citoyens de pure forme, il y a là un pas à ne pas franchir car c’est à terme risquer de graves dysfonctionnements et le remède serait alors pire que le mal.

   Dès lors que l’Islam n’est pas capable de se diversifier, non point tant au niveau de ses doctrines religieuses (Chiites, sunnites etc) que de par sa présence au sein de sociétés non musulmanes multiples et variées, on ne saurait parler de son intégration en dehors du monde arabe, stricto sensu. La diversité chez les Juifs est justement fonction des milieux dans lesquels ceux-ci ont vécu. Cela ne signifie nullement que les Juifs soient aliénés par des appartenances qui leur seraient étrangères ; en effet, l’intégration du Juif se situe au niveau individuel et en tant qu’individus, ils ne sont pas marqués par l’appartenance à des cultures étrangères. Cela dit, comment ignorer que l’intégration ne peut se faire qu’au niveau des enfants et qui plus est par le biais d’un maximum de mariages mixtes ?

   Ce n’est pas d’ailleurs que nous exigions des arabo-maghrébins qu’ils s'intègrent ; ce que nous voulons c’est qu’ils reconnaissent qu’ils ne sont intégrés que jusqu’à un certain point et qu’on ne leur en demande pas plus. De là à affirmer qu’ils sont des citoyens français comme les autres, c’est une autre paire de manches. Nous sommes favorables à une tolérance d’une certaine présence arabo-maghrébine en France mais avec un statut juridique particulier, avec des droits et des devoirs spécifiques à leur situation et nous considérons toute assimilation du cas arabo-maghrébin au cas juif, d’où qu’elle vienne, comme une forme d’antisémitisme. Et à nouveau, au risque de choquer certains, les enjeux propres au destin des Juifs dans le monde, tant en France qu’en Palestine, sont infiniment plus importants et cruciaux que le sort de quelques arabo-maghrébins francisés et de quelques arabo-palestiniens, tout à fait marginaux par rapport au monde arabo-musulman.3 Cela dit, cette terre sur laquelle le Foyer Juif fut programmé, à l’initiative des Britanniques, était bel et bien la seule terre sur laquelle ils avaient des droits ancestraux. Si les Juifs d’ailleurs n’y avaient pas vécu, cette terre aurait-elle eu la même importance pour l’Islam ? On peut en douter.

   Ce qui fait problème, en vérité, ce n’est pas qu’il n’y ait pas intégration des arabo-maghrébins en France, c’est bien plutôt qu’il y ait un acharnement à les intégrer. Qui ne voit que ce n’est pas ce qu’ils souhaitent et qu’en fait on les déboussole par une sorte de double bind en leur proposant des signes d’intégration - la carte d’identité qui est la même pour tout le monde comme disait le recteur - et en favorisant, au nom de la laïcité - du moins est-ce ainsi qu’ils le comprennent - le maintien de leurs pratiques. Toujours ce conflit entre Egalité et Liberté, équation, configuration, bien délicate à maîtriser et qui nous apparaît en quelque sorte comme typiquement juive. Il y a un juste milieu, un bon dosage à trouver entre les deux termes.

   Certes, toute population vivant en France doit avoir un statut juridique de résident. Mais les personnes appartenant à des communautés migrantes ne sauraient être traitées sur le même pied que celles appartenant à ce que nous avons appelé des communautés citoyennes. Il ne faudrait pas que faute pour les maghrébins de se plier aux exigences d’une identité française authentique, cela conduise les Juifs à renoncer à celle-ci et à se maghrébiser. Si c’est à ce prix que l’on doit parler d’entente entre Juifs de France et arabo-maghrébins, comme il semble que ce soit déjà le cas, pour certains dirigeants juifs marqués par l’immigration, il convient d’en peser lucidement les conséquences et de mettre fin à certaines dérives. L’idée de rencontres entre juifs et musulmans au niveau des responsables religieux nous apparaît comme bien problématique, au regard de nos analyses. Elle signifie selon nous une régression. Il n’est d’ailleurs pas rare - on pense aux effets pervers de l’immigration russe en Israël - que lorsque des éléments ne s'intègrent pas, ils en conduisent d’autres à renoncer à leur intégration, ce qui relève d’une forme de contamination. Il serait bien fâcheux que les juifs de France prennent modèle sur le cas arabo-maghrébin !

   Quand le recteur d’Evry déclare qu’il ne se sent pas coupable du sort des Juifs en Europe, parle-t-il d’ailleurs, en tant que musulman ou en tant qu’arabe ? A priori, l’appartenance strictement religieuse ne devrait pas faire obstacle à une appartenance politique quelle qu’elle soit : on devrait pouvoir être musulman en France comme en Israël tout en étant loyal envers ces Etats. Or, il semble bien que le fait religieux musulman soit indissociable d’une appartenance politique bien précise et c’est ce qui fait précisément problème et malaise dans des pays qui sont obsédés par une volonté unificatrice et jacobine. Est-ce que les maghrébins de France souhaitent vraiment que la population juive de France s’accroisse de quelques millions de juifs du fait de la disparition de l’Etat d’Israël ? Tant qu’ils étaient dans le monde arabe, cela ne leur posait pas de problème que de refouler les Juifs vers l’Europe et notamment vers la France, notamment en ce qui concerne les Juifs d’Afrique du Nord “montés” en Israël mais à présent, ne devraient-ils pas voir les choses autrement et comprendre que si Israël a été crée, c’est aussi selon les voeux des antisémites, souhaitant limiter la présence juive en France et éviter notamment un constant flux migratoire de Juifs étrangers ? On voit à quel point la position des arabo-maghrébins est décalée par rapport à la France et on peut se demander si elle est en mesure d’évoluer. En bonne logique, ces arabo-maghrébins installés en France devraient être particulièrement favorables à la mise en place d’un Etat Juif viable et à sa consolidation et ce d’autant plus que leur refus des Juifs aux confins du monde arabe pourrait avoir pour effet le refus de la présence arabo-maghrébine en France.

   Il y a certainement des solutions intermédiaires à trouver qui ne passent pas par la citoyenneté et qui sont avant tout d’ordre social. Il nous apparaît que les arabo-maghrébins ne sauraient, sauf pour une minorité d’entre eux, ni se plier au modèle républicain, laïque et démocratique français ni suivre l’exemple juif. Ils n’y trouveront jamais là que des carcans, sinon des piloris, les contraignant à des gesticulations pathétiques. La question qui se pose aux arabo-musulmans est la suivante : est-ce qu’à partir du moment où vous vivez en France - avec éventuellement une carte d’identité française - votre discours est-il prêt à changer ou bien tiendrez-vous le même discours qu’à Alger ou au Caire ? Concernant les Juifs, êtes-vous capables de changer votre attitude par rapport à celle que vous aviez avec eux au Maroc ou en Tunisie ? Si, à ces deux questions, la réponse devait être négative, nous serions amenés à vous situer hors de la communautarité citoyenne française et à vous placer dans la communautarité migrante qui n’a ni les mêmes droits, ni les mêmes devoirs.

   Reconnaissons que l’Algérie pèse lourdement sur les représentations et que son Histoire constitue une clef pour comprendre certains comportements : d’une part, elle est l’exemple d’une évacuation des Juifs avec la puissance “coloniale” en 1962, de l’autre, elle pose le problème du statut particulier des populations maghrébines en France - auxquelles fut refusé globalement la citoyenneté - puisque l’Algérie a fait partie de la France et qu’elle a fait sécession, selon une logique qui veut que là où il y a une majorité de musulmans, il se crée un Etat à part, ce qui est exactement ce qui a conduit à l’idée de partage de la Palestine, déjà réduite à la rive occidentale du Jourdain.4 On voit ainsi que le refus de s’intégrer n’est pas innocent puisqu’il justifie à terme un processus de sécession et la création d’un nouvel Etat arabe, par étatisation des minorités, comme on a pu le voir aussi avec la formation du Pakistan, faisant sécession avec l’Inde. On perçoit ainsi comment les minorités arabo-musulmanes sont instrumentalisées et constituent des têtes de pont du panarabisme, sur le modèle du pangermanisme des années Trente. On comprend mieux dès lors toute l’importance accordée à la Cisjordanie / Palestine, tant il est vrai que qui n’avance pas recule; garder la pression sur la Palestine, c’est démontrer la vitalité du monde arabe. L’affaire palestinienne ravive symboliquement le souvenir de cet Islam conquérant, tout comme d’ailleurs l’immigration musulmane en France : l’avancée territoriale, aussi minime soit-elle est aussi importante pour l’Islam et l’Orient que l’avancée scientifique et artistique pour l’Occident. En ce sens, on peut dire - si l’on voulait se faire l’avocat du diable - que l’Islam est un facteur d’instabilité territoriale, qu’il veille, si l’on veut, à éviter une certaine sclérose du monde, mais à quel prix ? Au fond, est-ce que les Arabes ne sont pas ce que furent en un autre temps des Barbares ? Pour parvenir à leurs fins, les arabes sont prêts à se sacrifier : bombes humaines, réfugiés condamnés par le monde arabe lui-même, à vivre dans des camps, immigrés méprisés, tout cela pour le salut de l’Islam, pour prouver qu’il n’a pas perdu sa capacité de nuisance. En ce sens, reconnaissons-le, la Palestine est bel et bien une question vitale pour l’âme arabe mais sachons aussi que le processus ne s’arrêtera jamais, qu’il faudra toujours de nouveaux objectifs, insatiablement, inlassablement. D’ores et déjà la question de l’Islam en France apparaît comme un nouveau front qui prendra le relais de la question palestinienne au cas où celle-ci serait résolue mais il faudrait être bien naïf pour ne pas savoir d’avance que la question des arabes israéliens, concentrés en Galilée, prendra le relais de celle de la Cisjordanie, et qu’après avoir remis en question le découpage ayant suivi la Guerre des Six Jours, ce sera l’occasion de contester un découpage plus ancien, en s’appuyant par exemple sur le plan de partage de l’ONU de 1947 et ainsi de suite. Rappelons que la guerre de Bosnie ou celle du Kosovo impliquait des Musulmans à propos d’un découpage selon des critères religieux, et ce, sans que les Juifs aient joué un quelconque rôle.

   C’est cette même mentalité conquérante qui s’exprime sur le plan de la doctrine religieuse : n’a-t-on pas l’impression que l’Islam - qui se veut le nec plus ultra, la dernière touche, le “sceau”, des révélations - s’est approprié le judaïsme, le christianisme et leurs lieux saints, lesquels, précisément, se situent en Palestine ? En ce sens, l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne pourrait faire partie d’une stratégie d’expansion de l’Islam ; rappelons qu’il est question, à juste titre, d’indiquer que l’Union Européenne se référence aux valeurs judéo-chrétiennes. Le seul fait d’organiser des débats où l’on fait figurer côté des représentants du christianisme, du judaïsme et de l’Islam est déjà en soi une victoire pour l’Islam, dès lors qu’on le situe dans le seul cadre français ; un tel débat ne fait sens qu’au niveau mondial et prend alors une toute autre signification. Placer un tel débat au niveau français, c’est déjà basculer dans une certaine judéophobie, tant de la part des Chrétiens que des Musulmans. L’Islam en France ne tend nullement à la discrétion, il est au contraire dans la revendication identitaire à la différence du judaïsme et du christianisme. Nous recommandons aux Juifs de ne participer à de tels débats que s’il y a également des représentants de la “communauté” bouddhiste ainsi que de la communauté protestante.

   On nous dit que l’Islam a changé : rien n’est moins sûr car n’ayant pas réussi à s’occidentaliser, à conquérir des espaces scientifiques et technologiques - et ce malgré la colonisation - l’Islam en est réduit à s’approprier ce qui est à l’autre, sur le plan historique, religieux, linguistique, géographique.5

   Mais qui ne voit, dès lors, à quel point la présence d’une minorité arabe fait problème et surtout à quel point elle ne sert nullement les intérêts des pays concerné ? On se demandera d’ailleurs si les menées antisémites dans certaines villes ou certains quartiers ne visent pas avant tout à en faire partir les Juifs, en les décourageant, en les écoeurant pour qu’il n’y subsiste plus que des arabo-maghrébins, ce que l’on pourrait appeler, pour reprendre notre expression, une algérisation de certains lieux. On voit ainsi ce qui fait le dénominateur commun entre l’Algérie, la Palestine et les actes antisémites commis en France, à savoir refouler, repousser les Juifs, les dégoûter, ce qui conduit à terme à une sorte de ghetto israélien, aussi étriqué que possible, où les Juifs s’entasseraient avant qu’éventuellement ils ne constituent une cible idéale pour une extermination collective, terminant ainsi le travail engagé par Hitler. A une échelle modeste, molester les Juifs, les faire déménager est devenu un leitmotiv de l’antisémitisme arabe depuis près d’un siècle, de Jérusalem à Alger et d’Alger à la banlieue lyonnaise, lequel pousse le vice jusqu’à nier que les arabes - “sémites” linguistiquement - puissent être des “antisémites”, tout comme un père abuse de sa fille en lui disant qu’il ne peut lui faire du mal puisqu’il est son père et qu’elle doit donc se laisser faire.

   En conclusion, la stratégie islamo-arabe dans les pays où l’Islam est en minorité ou en tout cas en infériorité, ne passe nullement par une intégration au sein du pays concerne mais bien au contraire par une volonté de marquer sa différence au point de déboucher à terme sur des espaces - régions, quartiers - contrôlés par les seuls musulmans et voués à la sécession, de droit ou de fait. Tout se passe comme si les Musulmans prenaient l’Occident pour une femme, à savoir un être qui, par sa constitution - dans tous les sens du terme - est pénétré/pénétrable mais qui ne pénètre pas, autrement dit, les Musulmans ont le droit d’entrer en Occident mais les Occidentaux n’ont pas le droit d’entrer dans le monde arabe, sinon très ponctuellement : deux poids, deux mesures.

Jacques Halbronn
Paris, 30 mai 2004

Notes

1 Cf. notre étude sur la dhimmitude, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour

2 Cf. G. Bensoussan, Une histoire intellectuelle et politique du sionisme (1860-1940), Paris, Fayard, 2002, p. 132. Retour

3 Cf. G. Bensoussan, Une histoire intellectuelle et politique du sionisme, op. cit., p. 461. Retour

4 Cf. G. Bensoussan, Une histoire intellectuelle et politique du sionisme, op. cit, pp. 459 et seq. Retour

5 Cf. ce qu’en écrit C. Lévi-Strausss, dans Tristes Tropiques, rapporté D. Bertholet, in Claude Lévi-Strauss, Paris, Plon, 2003, pp. 198-199. Retour



 

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