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JUDAICA

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Judaïsme et Judaïsation

par Jacques Halbronn
Président du Centre d’étude et de recherche sur l’Identité Juive (CERIJ)

    L’être juif s’exerce et s’exprime à plusieurs niveaux et c’est peut être cette diversité qui déconcerte. On voudrait ici relativiser certaines contradictions qui accompagnent inévitablement la condition juive. Et pour illustrer notre propos, nous pensons qu’il est utile de réfléchir sur une autre condition, qui est celle des femmes1 mais aussi, plus simplement encore, sur celle d’une Humanité prise entre universalité et culturalité.

   Dans l’absolu, certes, toute l’Humanité ne forme qu’un seul ensemble et l’on peut circuler sans encombre d’une culture à une autre, ce qui est le présupposé à tout projet d’immigration. Et la condition de l’immigré, également, va ici nous interpeller, en contrepoint. Ainsi donc, en tant qu’homme, je ne peux qu’être partagé, clivé par une diachronie qui m’invite aussi bien à la régression qu’à l’évolution, selon que je recule ou que j’avance dans l’Histoire, selon les perspectives que j’adopte, en véritable Janus.

   Si je situe l’être juif au moment de la naissance de l’enfant juif; avant même qu’il se soit intégré à une quelconque langue, qu’il ait été initié au moindre code, alors et alors seulement me sera-t-il possible de me sentir pleinement solidaire avec tous les Juifs du monde, car je me situerai au plan de la Nature, de la virtualité, de la génétique. Et il est clair que lorsque l’on tue des enfants juifs parce que nés juifs, cela me renvoie à un tel niveau primaire de conscience. Mais nous sommes là dans des situations extrêmes, limites et il est périlleux de penser un quelconque phénomène dans de telles conditions qui relèvent de la survie la plus élémentaire. Or, l’on peut se demander si l’existence d’Israël ne nous concerne pas, avant tout, à ce niveau zéro de l’existence juive, dès lors que tout ce qui est de l’ordre du culturel se trouverait balayé, aboli. Mais est-il sain d’en rester là ?

   Le XXe siècle aura certainement conduit les Juifs à un certain retour qui est synonyme de régression et dont on pourrait dire qu’il est l’achèvement d’un cycle et qu’il implique le départ d’un nouveau cycle qui devra engager les Juifs vers une certaine remontée spirituelle, même si on appelle “montée” (Alya) le fait pour les Juifs d’immigrer en Eretz Israël. Or, il y a quelque paradoxe à considérer qu’Israël serait une finalité pour les Juifs alors qu’il nous apparaît plutôt comme un recommencement.

   Or, s’incarner dans le monde, c’est ipso facto s’inscrire dans une culture. Pas une culture “juive”. Car pour nous, il n’y a stricto sensu rien de tel tout comme aucune culture n’est par essence étrangère aux Juifs, ne saurait se confronter à eux puisqu’elle passe par eux. Autrement dit, les Juifs sont concernés, concernables, par toute culture peu ou prou constituée, mais jamais exclusivement par une seule culture.

   De ce constat vient une certaine tension entre Juifs, au sein d’une culture donnée, comme c’est le cas, par exemple, de la France. Certains, apparemment, ont leurs raisons pour ne pas vouloir comprendre que dès lors qu’il est question de s’inscrire au sein d’une culture donnée, d’une certaine Histoire qui ne saurait se décrire comme juive, comme par exemple celle de la France, apparaissent des critères d’évaluation incontournables et qui impliquent une certaine hiérarchie en ce que tout système culturel est, en quelque sorte par définition, hiérarchisant, a vocation sélective. On n’est plus alors dans le registre de l’égalité car les sociétés ne sont pas égalitaires, si ce n’est à un niveau très frustre, par le bas, c’est d’ailleurs, notamment, ce qui oppose le social et l’économique, l’éducatif et le scientifique.

   Autrement dit, pour faire court, un juif français n’a pas grand chose à voir ni à faire avec un juif américain ou avec un juif israélien - si tant est que cela signifie quelque chose dans un pays si hétérogène. Et, par là même, les relations qui existent entre juifs français ne font sens que par référence à notre immersion plus ou moins réussie au sein de la culture française. Ce qui ne signifie nullement que l’on doive pour autant renoncer à se sentir Juifs. Mais il ne faudrait pas que l’on ne se ressentît comme tel uniquement en situation de crise, lorsque la société est malade, victime de dysfonctionnements, bref en situation d’échec.

   Pour nous, être juif implique, tout au contraire, une certaine excellence, une symbiose qui porte des fruits, dans le cadre d’une culture, quelle qu’elle soit, ce qui signifie la maîtrise parfaite des codes en vigueur. Certes, les Juifs du monde entier peuvent-ils se rencontrer mais à la façon dont les responsables de divers pays le font, c’est-à-dire sans renoncer aucunement aux enjeux qui animent les uns et les autres, si diversement, selon des valeurs qui ne sont pas les mêmes. On dira que chaque juif reçoit une mission, celle de féconder la culture que le hasard lui a offerte, dans le milieu où il naît, tant il est vrai qu’une langue maternelle est la langue d’une société et non pas simplement des parents.

   A partir de notre grille, nous pouvons dès lors examiner un certain nombre de situations, de relations entre juifs ou entre les juifs et les autres. C’est ainsi que nous n’acceptons pas que l’on réduise les Juifs à une religion parmi d’autres ou à une culture parmi d’autres parce que les Juifs peuvent contribuer à l’essor de toute religion, de toute culture dans le monde. On ne saurait ainsi opposer le monde arabe et le monde juif car le monde arabo-musulman a profité de la présence juive en son sein et que nous aimons qu’une culture reconnaisse ses dettes envers les Juifs et ce quelles que soient les tensions du moment.

   On nous reproche notre discours sur les problèmes posés par l’immigration. Et de fait, le judaïsme français est doublement confronté à cette question : d’une part du fait de l’immigration maghrébine, d’autre part du fait de l’immigration juive en France, les deux phénomènes tendant à s’exacerber mutuellement.

   C’est ainsi que nous avons reçu une réaction à un de nos textes (lequel ?) de la part d’une lectrice juive :

   “J’ai été profondément choquée par votre article sur Antisemitica (Site Ramkat.free.fr) qui témoigne à mon sens d’un syndrome de Stockholm prononcé chez vous. Vous vous dites juif et pourtant vous prétendez assumer l’antisémitisme au nom des mouvements de population auxquels il faudrait que les Juifs soient soumis pour jouer pleinement leur rôle (mais vous ne dites pas lequel !) dans le monde, un petit noyau restant fixé à chaque fois dans le pays de “souche” (ah ces bonnes vieilles racines !).
   De plus vous reprenez la bonne vieille opposition vichyste entre Juifs de France et Juifs francisés (étrangers à jamais selon vous parce qu’ils ont mangé à trop de râteliers selon vos termes châtiés !)
   D’une part vous n’inventez rien (et pour un adepte de l’ésotérisme que vous prétendez être je m’étonne de votre absolu manque d’imagination : l’imagination au moins nous fait rêver et ajoute à nos existences par sa créativité propre !); de l’autre vous apportez de l’eau au moulin de l’antisémitisme le plus abject etc.”

   Nous précisons une lectrice “juive” parce que nous avons eu aussi des réactions de la part de lecteurs musulmans qui n’appréciaient forcément nos analyses. Qu’est ce qui insupporte cette lectrice ? Que nous distinguions entre juifs de souche française et juifs issus de l’immigration. Dans les années trente-quarante, comme nous l’avons montré en étudiant la presse communautaire, les Juifs étaient parfaitement conscients qu’on ne pouvait pas mélanger tous les Juifs en faisant fi de l’enracinement très inégal des uns et des autres. Depuis, c’est devenu un tabou que d’évoquer ce problème et même des sociologues patentés - souvent juifs - ont renoncé à l’aborder, compromettant ainsi la valeur scientifique de leurs travaux. Ce qui peut surprendre, c’est que les Juifs n’ont aucune vocation à avoir de la complaisance pour les immigrés. En effet, on ne peut pas à la fois être dans l’excellence dans son rapport d’appartenance à une culture et à la fois être disposé à brader celle-ci, à la dévaluer pour que des immigrés se sentent mieux dans leur peau. Et c’est pour cette raison que nous considérons toute expulsion des Juifs du sein d’une culture comme un crime contre l’Humanité, tout autant, si l’on veut, que les tentatives pour les exterminer car cela touche à l’âme juive et non pas seulement à la survie physique. Empêcher les juifs de s’inscrire dans la longue durée, sur plusieurs générations, et en profondeur au sein d’une culture, c’est leur ôter toute raison de vivre. Or, il y a actuellement une proportion inquiétante de juifs déboussolés, déstabilisés et qui ne savent plus ce que c’est que l’être juif, trop marqués qu’ils sont - et c’est plus spécialement vrai pour les femmes - par un vécu immédiat qui les empêche de penser le fait juif à une autre échelle : qu’est ce qu’un siècle d’errance en effet pour les Juifs dont la présence au monde se compte en millénaires ? Il ne faudrait surtout pas, en tout cas, que les Juifs adoptent une certaine image d’eux-mêmes qu’on leur projette. Il convient, bien au contraire, qu’ils définissent clairement ce qu’ils ont à être et ce en dépit de certaines apparences dont il importe de relativiser la portée.

   Le piège dans lequel il ne faudrait donc pas tomber, c’est de se constituer une sorte de philosophie de la migrance car cette migrance, c’est la mort et la mort ne définit pas l’Homme, elle est au contraire, quelque part, sa négation, ne peut que conduire à un sentiment de l’absurde. Et comment dès lors être surpris qu’il y ait des tensions entre juifs défendant des représentations carrément opposées de l’être juif au monde ? Non, c’est vrai, nous ne souhaitons pas diaboliser les antisémites quand ceux-ci appartiennent en profondeur à une certaine culture : l’antisémitisme qui nous fait problème, c’est celui qui naît de l’immigration car il vise avant tout à déstabiliser, à vulnérabiliser la société au travers du Juifs et nous pensons, en effet, que telle est la stratégie appliquée plus ou moins systématiquement par la communauté musulmane en France laquelle est avant tout le fait d’immigrés ; c’est un fait. En outre, l’antisémitisme est lui-même exacerbé par l’immigration juive. Nous l’avons signalé et Theodor Herzl l’avait clairement diagnostiqué dans son Etat Juif (1896), c’est l’arrivée de Juifs étrangers qui génère de l’antisémitisme. C’est triste à dire mais c’est comme ça et il faut le savoir de façon à prévenir certaines situations ! Il n’est quand même pas si difficile de comprendre que lorsqu’un juif étranger arrive en France - ou ailleurs - il risque fort de se mettre en porte à faux avec la nouvelle culture à laquelle il est confronté et qu’il doit assimiler. Qu’il soit tenté de minimiser les difficultés d’un tel challenge est compréhensible, cela évite le découragement mais tout de même ! Qu’un certain antisémitisme se nourrisse justement d’accusations de cosmopolitisme se conçoit. Il ne faudrait donc pas contester aux Juifs de souche française une certaine antériorité et donc culturellement une certaine supériorité car le faire reviendrait à nier la spécificité de la culture française et laisser entendre qu’on y entre comme dans un moulin. A l’inverse, mettre en avant un leadership juif de souche française c’est bel et bien montrer que l’on ne minimise nullement les enjeux de culturalité. Agir autrement, c’est risquer tout simplement d’assimiler les juifs aux arabo-maghrébins, c’est-à-dire de présenter l’ensemble des juifs de France comme des immigrés. Certain juifs immigrés, n’hésitent d’ailleurs pas à aller dans ce sens, préférant nier, eux-mêmes, à tous les Juifs un certain enracinement puisque celui-ci ne leur est pas accessible. Cela fait penser au jugement de Salomon et à cette femme qui avait perdu son enfant et qui préférait encore que l’on tuât celui de l’autre femme pour que celle-ci n’ait pas ce qu’elle n’avait plus. C’est ce que l’on appelle de la jalousie morbide et cela revient pour ces juifs de mauvaise foi à couper la branche sur laquelle ils sont perchés. Car qu’ils le veuillent ou non, ces Juifs immigrés profitent bel et bien, à un titre ou à un autre, du travail sur des générations des Juifs de souche française au sein de la société française.

   Les Juifs, entre nature et culture, disions-nous, en effet : que l’on ne vienne pas reprocher, tout de même, aux juifs de s’intéresser au sort des Juifs dans le monde et singulièrement en Israël sous prétexte que cela montre un manque de loyauté à l’égard de la culture qui les a souvent si fortement imprégnés, au point d’ailleurs qu’ils lui restent fidèles jusque dans l’exil. A l’instar des femmes françaises qui s’intéressent à la condition féminine dans le monde - et singulièrement dans les pays musulmans - les Juifs français ont le droit de chercher à préserver la vie juive, au sens le plus primaire, là où elle est menacée ne serait-ce que par certaines situations sont contagieuses et l’on sait ainsi que la condition juive dans le monde arabo-musulman influences les immigrés arabo musulmans en France dans leur image des Juifs. Car nous disions que l’arrivée de Juifs étrangers constituait un danger pour une communauté juive mais cela vaut autant sinon plus quand il s’agit de l’immigration de non juifs véhiculant une représentation décalée des Juifs, notamment dans des pays où on ne leur a pas permis de s’épanouir pleinement au risque d’ailleurs d’appauvrir le dynamisme culturel des dits pays. Le véritable horizon n’est pas tant d’intégrer des Juifs nouveaux que, pour Israël, de s’intégrer dans une certaine sphère géopolitique : arabe, américaine ou européenne.

   On ne saurait d’ailleurs être surpris que la Shoa se soit déroulé pendant la Seconde Guerre Mondiale, c’est-à-dire du fait d’une guerre de conquête qui conduisit notamment les Allemands à rencontrer des Juifs de culture non allemande et vivant dans des conditions souvent bien différentes de celles des Juifs allemands. Au risque de choquer certains, il semble avéré que si les nazis avaient été cantonnés en Allemagne et n’avaient eu l’occasion de s’étendre, il n’y aurait probablement pas eu de Shoa. Nous pensons en effet que c’est de par cet amalgame entre Juifs allemands et juifs des pays conquis qu’a fini par se concrétiser l’idée d’une telle solution finale. C’est dire que les Juifs sont si fortement marqués par la culture dans laquelle ils vivent que c’est souvent au travers des Juifs étrangers, décalés par rapport à la dite culture, que l’antisémitisme va se nourrir. Cet antisémitisme a besoin de voir le juif et pour le voir, il faut que celui-ci soit visible et le juif visible, c’est le juif étranger. C’est par rapport à ce juif là, de ce juif extérieur, que le juif intérieur, celui qui est parfaitement intégré, risque d’être déstabilisé et d’être la proie de préjugés, par assimilation. La situation en Israël ne contredit pas une telle analyse : l’afflux de juifs russe, presque exclusivement depuis maintenant, une trentaine d’années aura contribué à déclencher un certain rejet des Juifs dans la société palestinienne. Inversement, si la présence juive en Israël s’était stabilisée et si le courant migratoire avait cessé, nul doute que la situation ne serait pas ce qu’elle est, notamment concernant l’Intifada, qui est une autre forme de pogrom. Herzl avait lui-même, on l’a dit, mis en garde contre les flux migratoires sans se rendre compte que l’arrivée ininterrompue de juifs très différents les uns des autres dans un pays qui n’était pas vide, ne pourrait que susciter des réactions d’hostilité. Quant à la coexistence entre Juifs en Israël, dès lors qu’elle n’est pas cimentée par une culture ayant une réalité propre, transcendant les populations qui s’en imprègnent, elle risquait fort d’être bien fragile. A partir du moment où les Juifs décidaient de s’installer, en grand nombre, en un lieu précis, il était nécessaire que ce lieu ait sa propre culture et que les Juifs s’identifient à celle-ci, qu’ils la judaïsent, si l’on veut mais que celle-ci ne soit pas juive en tant que telle. La notion de judaïsation nous semble féconde en ce qu’elle ouvre le juif au monde au lieu de le faire se replier sur lui-même. Toute culture serait ainsi un espace de judaïsation, ce qui ne signifie nullement un apport religieux ou linguistique relevant d’une quelconque culture juive mais bien plutôt la mise en oeuvre de ce que nous avons appelé une consciencialité, c’est-à-dire un effort pour comprendre le monde, pour en discerner la structure sous jacente. Une culture non judaïsée, au sens où nous l’entendons ici, est une culture -une société - qui n’est pas consciente de ce qu’elle est, qui vit dans l’inconscience. Mais une telle judaïsation ne peut se faire que par des Juifs qui sont parfaitement en phase avec une culture donnée et non par des Juifs qui en sont encore à des pratiques mimétiques. Les Juifs n’ont pas vocation à être des élèves faisant semblant de savoir mais à être des maîtres capables de montrer la voie.

   Est-ce trop exiger que l’on demande à ce que la communauté juive donne l’exemple de ne pas confondre ces deux plans ? Il y a le juif nu, vide, vierge, revenu à l’état de nature - cette nudité qui était de mise à Auschwitz - qui doit tout recommencer à zéro et qui n’a pas grand chose à perdre : rappelons tout de même que les lois sur les Juifs prises par Vichy ont d’abord pénalisé les juifs les plus intégrés, ceux qui occupaient les postes les plus importants. Que par la suite, le problème se soit posé au niveau même de la survie physique et non plus sociale est une autre affaire. Il y a un temps pour réfléchir sur la préservation la plus élémentaire des Juifs en tant qu’êtres humains mais il y a aussi un temps pour garantir que la présence juive au monde fasse sens.

Jacques Halbronn

Note

1 Cf. le dossier paru dans les Cahiers du CERIJ, sur le Site CERIJ.org. Retour



 

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