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Editions RAMKAT




JUDAICA

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Le juif, au service et au nom des nations

par Jacques Halbronn

    Si nous souhaitons aborder la question de ces deux cultures, c’est notamment parce que certains faux parallélismes doivent être dénoncés. L’idée de culture juive est fort différente de celle de culture musulmane, et cela ne tient pas à des différences de contenu religieux.

   Au vrai, nombreux sont les Juifs qui parlent d’une culture juive comme on parlerait d’une culture islamique ou chrétienne et c’est là un grave contre sens.

   Disons le clairement, d’entrée de jeu, le juif est au service des nations, il ne représente pas ses propres intérêts culturels sinon en termes de conditions d’existence alors qu’un musulman, où qu’il aille, ne peut représenter que la culture musulmane.1

   Autrement dit, les juifs sont porteurs des cultures du monde et cela les distingue les uns des autres, non pas comme les musulmans, entre eux, sur des points de doctrine, mais en ce qu’ils ne sont pas liés à une seule et unique culture. Un Juif représentera la culture anglaise, russe, française, espagnole, pas la culture juive ! On imagine un musulman se mettre au service des nations, soit parce qu’il sert avant tout l’Islam, soit parce qu’il n’est pas apte à représenter les cultures non islamiques.

   S’il faut absolument parler de culture juive, elle se situe à un niveau ontologique, c’est à dire sous-jacent au plan des cultures des nations. En ce sens, pour le juif, la culture musulmane est une culture comme une autre qu’il est susceptible de présenter et de représenter. Un juif né au sein de la culture musulmane, comme Maimonide, en est aussi, ipso facto, l’ambassadeur.

   On peut fort bien être juif et pratiquer la religion juive, parler l’hébreu mais il n’est pas question pour le juif d’apporter cette religion à des non-juifs, d’où les obstacles à la conversion, alors que le musulman n’a aucun problème pour pratiquer la conversion autour de lui.

   S’il faut souligner la spécificité de la culture juive, il convient aussi de le faire pour ce qui est de l’Etat juif. Si l’on admet le postulat selon lequel les juifs sont porteurs des cultures du monde, y compris la musulmane, quelle pourrait bien être la fonction de l’Etat d’Israël ?

   Certes, il pourrait être porteur des cultures occidentales au sein du monde arabe tout comme il peut être porteur de la culture arabe au sein du monde occidental mais qu’est-ce à dire s’il refuse, en Israël, ce contact avec le monde non juif, sinon dans le cadre d’une relation conflictuelle ?

   Vouloir préserver une culture juive en circuit fermé nous apparaît comme une aberration et conduirait à terme à ce que le juif ne soit plus en mesure de servir les nations et perde donc de sa raison d’être.

   Encore faut-il préciser ce que l’on entend ici par représentation ? Représenter une culture x ou y n’est pas chose simple. Cela exige une certaine distanciation, corollaire d’une certaine maîtrise, car ceux qui sont trop immergés au sein d’une culture seraient, finalement, en peine de la représenter. La représentation implique la formulation d’une méta-culture, c’est-à-dire d’un discours sur une culture donnée, l’élaboration d’une pédagogie, voire d’une initiation.

   On nous objectera que souvent les juifs sont peu au fait du christianisme, du fait précisément de certains obstacles religieux. Cela est fâcheux et montre bien les aspects pervers d’une culture juive qui ferait écran avec d’autres.

   Mais force est de constater, avec l’essor des sciences humaines et notamment des sciences des religions, que nombreux sont les juifs qui ont contribué à représenter l’Occident - mais aussi l’Orient - au niveau historique ou sociologique et ont pu, au demeurant, participer eux-mêmes, de façon créatrice, aux enjeux du monde chrétien. En fait, tout activité scientifique ne relève-t-elle pas de la représentation ? Qui pourrait le mieux parler au nom de l’Humanité que ceux qui sont à la pointe de la réflexion anthropologique, épistémologique ?

   Il est probable qu’un certain enfermement dans le carcan d’une culture juive a pu sensiblement limiter, en de nombreuses époques, notamment avant la Révolution Française, et en divers lieux, cette fonction de représentation de l’autre. Il y aurait donc régression à vouloir circonscrire un espace juif quel qu’il soit, sur une base culturelle ou territoriale, c’est ce que le sociologue juif Georges Friedman, en 1965 appela la Fin du peuple juif.

   Herzl n’a pas compris ce dont était porteur l’antisémitisme, en tant qu’appel ou rappel au juif de sa fonction de représentation qui exige un éloignement tant diachronique que synchronique et qui au fond passe par une certaine abstraction, au sens de s’abstraire / s’extraire de. Il a proposé le repli sur un périmètre spécifiquement juif, ce qui était suicidaire pour l’âme juive et ce faisant il a probablement compromis un certain écosystème.

   Herzl avait cependant compris que l’on ne mélangeait pas les juifs issus de cultures différentes, sinon dans le creuset d’un Foyer / Etat juif. Or, la France a constitué une destination privilégiée pour les juifs, en concurrence avec les Etats Unis et la Palestine / Israël si bien que l’on pourrait parler des trois principaux “centres” du judaïsme dans le monde, de par la diversité même des composantes de leurs communautés juives. Qu’on le veuille ou non, le sionisme est incarné, selon des modalités bien différentes mais tout de même convergentes, par ces trois pôles. Et on comprend dès lors pourquoi l’émigration est si faible à partir des Etats Unis et de la France vers Israël.

   Il faudrait donc parler d’un sionisme à la française, d’un sionisme à l’américaine, d’un sionisme à l’israélienne, en rappelant que Herzl, dans L’Etat Juif (1896), n’était pas polarisé sur la seule Palestine - il mentionne aussi l’Argentine - et que le mot sionisme, qui ne figure d’ailleurs pas dans son livre, est un terme qui ne renvoie pas exclusivement à la Palestine, comme l’a bien montré l’affaire de l’Ouganda, proposée au Congrès Sioniste, peu avant la mort de Herzl, en 1904.

   Ces trois sionismes mettent bien entendu en évidence la fonction de représentation des immigrés juifs accédant dans ces trois espaces, liés à trois continents différents. Et constatons que la représentation juive en Israël est apparemment la moins évidente dans la mesure où elle n’a guère d’interlocuteurs en dehors des juifs eux-mêmes2, mais il n’en reste pas moins que le contact y existe entre juifs et non juifs. Encore faudrait-il plutôt parler d’un sionisme au sein de l’ex empire ottoman : c’est dans ces conditions, en tout cas, que Herzl se situa et il en fut ainsi jusqu’à l’écroulement du dit Empire au cours de la Première Guerre Mondiale, bien après la mort de Herzl. C’est d’ailleurs seulement dans cette région qu’il fut question d’un Etat Juif, ce qui ne fut pas sans provoquer les problèmes que l’on sait, c’est-à-dire la reconstitution d’une sorte de ghetto alors que dans les deux autres pôles, les juifs étaient au contraire invités à se mêler à la population non juive. L’acceptation du plan de partage, à partir de la fin des années Trente, de la Palestine cisjordanienne par les dirigeants sionistes allait d’ailleurs dans ce sens. Il semble que les travaillistes israéliens, dans l’Entre Deux Guerres, portent une large responsabilité dans cet état de choses : ils souhaitèrent, selon une logique idéologique, et pour asseoir leur pouvoir et leur légitimité de parti, fonder leur pouvoir sur une classe ouvrière juive, selon le modèle socialiste et pour cela ils refusèrent la présence d’une classe ouvrière arabe, ce qui aurait sensiblement favorisé la cohabitation entre les deux populations. C’est, en définitive, la stratégie du sionisme socialiste qui aurait conduit au partage de la Palestine, avec un transfert de la population non juive. En fait, comme on l’a souligné dans d’autres analyses, la direction sioniste du Yishouv était obnubilé par les élections, et cela bien avant la création de l’Etat d’Israël et cette question des élections va se lier, de façon insoluble, notamment après 1967, à celle de la démographie arabe. Face à cette stratégie électoraliste, une autre, dite de droite - le sionisme révisionniste notamment, de Jabotinsky - préférait, elle, conserver l’intégralité de cette Palestine mandataire, mais sans une politique cohérente à l’égard des populations arabes s’y trouvant. Selon nous, on peut regretter que la droite sioniste n’ait pas une conception plus autoritaire du pouvoir - éventuellement sous la forme d’une junte militaire, qui lui aurait permis d’envisager plus sereinement l’intégration de la population arabe, même majoritaire. Ce qui frappe en ce qui concerne Israël ou le pré-Israël, c’est une (trop) grande continuité dans les stratégies de conquête du pouvoir : pas de coup d’Etat notamment. En comparaison, la France du XIXe siècle, voire du XXe siècle, offre un ensemble beaucoup plus diversifié entremêlant plusieurs républiques, avec chaque fois une nouvelle constitution, dictature, empire, royauté. En ce sens, la droite israélienne- pour paraphraser une formule utilisée pour la droite française - pourrait être appelée “la plus bête du monde” ; cette droite n’a pas su jouer sa carte et cela vaut aussi pour l’armée israélienne en dépit de sa prégnance dans la société civile. Il n’y a pas eu, en Israël, la complémentarité logique entre gauche et droite ; pas de véritable alternance ; en revanche, la mouvance religieuse a joué un rôle exorbitant, qui n’a nullement contribué à faciliter la conduite de l’Etat.

   Le sionisme en France est bien évidemment de type minoritaire, il se caractérise à la différence des deux autres, par la présence d’un noyau juif - dit de souche française - fort ancien, ce qui n’est évidemment pas le cas du sionisme aux Etats Unis et qui est quand même assez problématique en Palestine, avant les années 1880. Ces juifs issus de tant de cultures et qui sont arrivés en France sont-ils à même de devenir les ambassadeurs de la culture française à l’étranger ou bien sont-ils avant tout porteur de leurs diverses cultures d’origine ? C’est là l’objet d’un vaste débat que nous avons engagé.3 L’Alliance Israélite Universelle, fondée en 1860, contribua sensiblement au rayonnement de la culture française, notamment dans l’empire ottoman ou qui s’y étaient trouvé antérieurement. Le décret Crémieux de 1870 accordant la nationalité française aux juifs d’Algérie était la marque d’une certaine responsabilité de la France envers les juifs ; à partir des années 1880, les colonies juives du Baron de Rotschild (branche française) allaient dans le même sens.

   Quant au sionisme en Amérique du Nord, il se situe dans un pays d’immigrants, fortement marqué par le communautarisme, ce qui contribue à présenter les juifs comme une communauté et donc comme une culture parmi d’autres, ce qui n’est pas - encore - le cas en France où l’idée de représentation que nous avons exposée nous semble la plus susceptible de fonctionner, car encore faut-il avoir quelque chose à représenter et la France constitue un pôle culturel puissant, porté par une langue ayant exercé une influence considérable depuis mille ans.

   Il est d’ailleurs remarquable que la France et les Etats Unis aient l’une et l’autre été marquées, à la fin du XVIIIe siècle, respectivement en 1774 et en 1789, par des révolutions débouchant sur une certaine idée des droits de l’homme.

   Il nous semble tout à fait souhaitable que les juifs de France se fassent les avocats dans le monde de la culture française, qu’ils en soient considéré comme les ambassadeurs privilégiés. Un tel rôle ne saurait, en aucune façon, être dévolu aux Musulmans de France et c’est bien à cela que nous voulions en arriver, dans cet article. Les Musulmans ne représentent qu’eux mêmes, ils ne semblent pas en mesure d’appréhender de façon significative ce qui fait la culture française, ils en sont à un stade mimétique, assez superficiel par rapport à celle-ci et en tout état de cause, ils se veulent peu ou prou les ambassadeurs de l’Islam en France. Or, la question que nous avons posée est celle de savoir s’ils sont même en mesure de l’être. Entendons par là que la capacité des musulmans à représenter, sinon en tant que signifiants, en France l’Islam n’est pas si évidente que cela. Il leur manque probablement une interface : les juifs. Or, il se trouve qu’il existe en France des juifs issus du monde islamique et qui nous semblent, somme toute, mieux placés pour représenter celui-ci.

   On sera peut être choqué par notre idée de la représentation qui semble éliminer ceux qui sont les premiers concernés. Pour prendre un exemple trivial : on n’imagine pas que les chevaux soient les mieux aptes à représenter les chevaux ou les tables d’autres tables, ce serait absurde ! Il est clair que l’espèce humaine a globalement vocation à représenter le monde non humain et à le faire parler, voire à le nommer ce qui fait d’ailleurs écho à un verset de la Genèse. Et plus spécialement, les juifs auraient vocation à parler des nations.

   Il y a bel et bien une dimension épistémologique à l’idée de représentation. Une langue peut être parlée par une population sans être correctement décrite sinon par ceux qui l’analysent d’un certain point de vue, quelque peu extérieur. D’une façon générale, nous avons des doutes sur l’aptitude des femmes à s’auto-représenter : il ne suffit pas d’être une femme pour savoir ce qu’est une femme et tout ce que dira une femme ne la représentera pas en tant que telle, du fait notamment d’un processus mimétique qui brouille les pistes.

   La représentation, c’est quelque part la conscience et Blaise Pascal ne disait-il pas que la conscience était un privilège de l’Humanité ? En ce sens, quelque part, les juifs ne seraient-ils pas la conscience de l’Humanité ? C’est là une alternative à l’idée de culture juive.

Jacques Halbronn
Paris, 8 avril 2003

Notes

1 Cf. T. Ramadan, Les musulmans d’Occident et l’avenir de l’Islam, Paris, Sinbad, Actes Sud, 2003. Retour

2 Cf. notre étude Le double défi sur le Site Cerij.org. Retour

3 Cf. notre texte sur les pièges de la représentativité, sur le Site Faculte-anthropologie.fr. Retour



 

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