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JUDAICA

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Les juifs et la nouvelle dimension de l’intégration

par Jacques Halbronn

    Dans une société homogène, la question de l’intégration peut se poser simplement. Cela est nettement moins évident dans une société qui comporte en elle-même une certaine diversité et le problème se pose tout particulièrement pour les Juifs. C’est ainsi que même la notion de minorité - souvent associée au phénomène juif - dans une société qui est elle-même composée de minorités, revêt une toute autre signification, notamment par rapport à la communauté musulmane en France.

   Même la société israélienne, de nos jours, est loin d’être homogène et les clivages linguistiques s’y renforcent, faisant reculer le rôle de l’hébreu au profit de langues communautaires, le yiddish, le russe, le français etc., sans parler bien entendu de l’arabe.

   Ce pluralisme brouille ainsi certains points de repère en ce qui concerne le niveau d’intégration, quand il n’existe pas un seul modèle, bien défini et consensuel.

   On peut dès lors se demander si la préoccupation des sionistes de constituer un espace homogène, et où les juifs seraient majoritaires, est toujours d’actualité. Dans le cas d’Israël, une telle préoccupation est rendue dérisoire par le fait que même si en Palestine mandataire, ils avaient pu devenir avec le temps majoritaires, comme le souhaitait, en 1939, quitte à refuser l’existence d’un Etat indépendant d’un seul tenant en Palestine, dans sa réponse au Livre Blanc britannique, devant la Société des Nations (Genève), un Haïm Weizman, directeur de l’Agence Juive puis premier Président de l’Etat d’Israël, cela n’aurait pas empêché que le dit Etat aurait été environné d’un immense monde arabe solidaire de la minorité arabe dans le dit Etat d’Israël. Il s’avère, avec le recul, que le choix de la Palestine pour établir “le” Foyer Juif n’était pas forcément optimal.

   En effet, alors que les frontières entre Etats en Europe sont nettement dessinées, et qu’un certain nationalisme existe qui ne permet pas de confondre tel Etat avec tel autre, en revanche, dans un monde arabe soumis; quatre cents ans durant, au joug ottoman, les différenciations entre Etats restaient embryonnaires. Même en Autriche Hongrie, avant 1918, chaque région restait bien distincte et les différences linguistiques y étaient pour beaucoup. Rien de tel avec un monde arabe non seulement musulman - l’Europe était chrétienne sans que cela crée un ensemble d’un seul tenant, du fait même de la diversité linguistique - mais parlant une seule et même langue, l’arabe. A partir de la fin des années Trente, l’Anschluss allait certes faire triompher un certain pangermanisme, abolissant la frontière entre deux Etats germanophones, compensation, en quelque sorte, à la perte de l’Alsace, également germanophone, vingt ans plus tôt.

   Tout se passe donc comme si les sionistes avaient projeté sur le monde arabe les structures étatiques de l’Europe et avaient cru pouvoir isoler la Palestine du reste du monde arabe, au moment même, pourtant, où Hitler revendiquait les Sudètes, à Munich. L’avenir a montré à quel point il y avait là eu erreur de calcul, à quel point les frontières avec les Etats environnants étaient poreuses, et le refus même d’intégrer au sein du monde arabe les réfugiés palestiniens souligne, paradoxalement, la volonté du dit monde arabe de ne pas liquider / résoudre la question de la présence arabe en Palestine, ce que l’on pourrait qualifier d’Anschluss à l’envers. Ce n’était donc certainement pas en Palestine que la question juive pourrait trouver de solution et comme on le sait, ce sont les Britanniques qui imposèrent in fine cette formule, notamment pour priver la France d’une partie de la Syrie qui lui avait été accordée par les accords Sykes-Picot, puisque la Palestine était une province syrienne. Les Britanniques auraient ainsi instrumentalisé les Sionistes tout en sachant très bien, comme l’avenir le montera, vingt ans plus tard avec la publication de leur Livre Blanc de 1939, que le monde arabe ne permettrait pas aux Juifs de disposer d’un Etat où ils seraient majoritaires, sauf à procéder à un partage et éventuellement à un transfert de population. En 1948, Israël en gardant la partie arabe de Galilée, contrairement aux décisions de l’ONU - allait créer un casus belli, avec la présence d’une forte minorité, désignée comme Arabes israéliens, phénomène aggravé par les séquelles de la Guerre des Six Jours en Cisjordanie, vingt ans plus tard.

   C’est d’ailleurs la situation européenne qui avait permis de penser que les juifs seraient solidaires des Etats où ils se trouvaient, quitte même à s’affronter au sein d’armées ennemies. Dans le monde arabe, l’idée que des juifs ne soient pas solidaires des autres juifs a probablement semblé invraisemblable d’où une suspicion d'espionnage et de trahison qui n’exista pas à ce point en Europe et ce en dépit de l’Affaire Dreyfus, liée notamment à la situation complexe de l’Alsace dont il était originaire.

   L’hypothèse d’une Palestine européenne n'aurait pas été si absurde que cela, dès lors que les cloisonnements en Europe sont plus marqués que dans le monde arabe, et ce malgré la formation de l’Union Européenne. En tout état de cause, désormais, le problème juif se pose en Europe également à l’échelle de la dite Union.

   La notion d’intégration évolue, on l’a dit, dès lors que les sociétés comportent en leur sein une certaine diversité. L’idée d’intégration s’en trouve d’autant relativisée. Le problème ne se pose plus tant entre le pouvoir central et telle minorité mais entre les minorités elles-mêmes, on l’a craint notamment entre juifs et musulmans en France, notamment autour de la question d’Israël mais pas seulement. D’ailleurs, certains juifs en France vivent mal une telle conflictualité entre les dites minorités.

   Mais les juifs constituent-ils en France ou ailleurs une minorité comme les autres ? Il nous semble que les juifs doivent se situer à part, quel que soit le mode d’intégration en vigueur. Mais une telle démarche n’est pas simple à assumer et à faire comprendre dans la mesure où on ne voit pas pourquoi une minorité ou du moins jugée telle aurait des privilèges par rapport à d’autres minorités. Ainsi, la question de l’intégration des juifs n’en devient que plus complexe, tant à l’égard de l’Etat qu’à celui des minorités et autres communautés. Quand les Juifs constituaient “la” minorité par excellence, les choses étaient à la fois plus simples et plus complexes : plus simples parce qu’on était dans la dualité juifs / non juifs et plus complexes parce que l’idée même d’une différence était alors mal acceptée. La situation actuelle est intermédiaire et requiert un nouveau modèle.

   On ne peut plus certes reprocher aux Juifs de ne pas s’assimiler ou d’entretenir des allégeances étrangères, mais en même temps on risque de gêner leur assimilation en les considérant en tant que minorité spécifique. Car le problème du pluralisme, c’est aussi un certain processus de différenciation exigeant une lisibilité qui s’oppose, par définition, à un degré trop marqué d’assimilation et limite les effets de l’intégration.

   Il revient donc aux juifs de France de trouver une niche, un positionnement tant à l’égard de l’Etat que des communautés, notamment religieuses, en échappant à un certain folklore.

   Nous avons dans des textes antérieurs insisté sur la fonction de représentation qui serait propre aux Juifs et qui recouperait celle de conscience.1 Cela pourrait signifier que le juif ait sa place au sein de chaque communauté installée en France, dès lors que la France se structurerait en communautés, puisque l’on ne peut représenter que ce que l’on connaît de près. Or, il se trouve que la communauté juive est elle-même extrêmement diverse, ce qui n’était pas non plus le cas autrefois. On concevrait donc que des juifs d’Afrique du Nord entretiennent des relations privilégiées avec la communauté musulmane en France et ainsi de suite. Désormais, la mission juive de représentation pourrait s’exercer, entre autres destinations, au sein même du territoire français.

   Insistons enfin sur un point délicat que nous avions commencé à aborder dans notre article sur la conscience juive, celui de l’implication des juifs, de leur éventuel engagement par rapport aux autres communautés religieuses. D’une certaine façon, il nous déplaît, présentement, de présenter les juifs en tant que communauté religieuse, car comment un adepte d’une religion pourrait représenter d’autres religions ? Le cas du Cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, est intéressant, lui, né juif et devenu un haut dignitaire de l’Eglise Romaine. Nous avons dit le danger qu’il y avait à insister sur l’idée de culture juive étant donné que les juifs, selon nous, doivent se situer dans une certaine neutralité voire une transparence.

   Autrement dit, nous ne sommes pas opposés à la perspective d’une conversion de certains juifs au catholicisme, au protestantisme voire à l’Islam, tout en restant juifs. Il est essentiel que le juif puisse assumer cette fonction de représentation par delà le judaïsme, ce qui serait le réduire au sort des autres communautés qui ne représentent qu’elles-mêmes.

   On voit donc que la question du communautarisme est mal posée tant que les juifs revendiquent une culture juive, au même titre que d’autres communautés revendiqueraient leurs cultures respectives. C’est en renonçant à une culture juive au profit d’une conscience juive que les juifs reconquerront une spécificité radicale. Il importe que les juifs s’approprient à leur usage exclusif cette idée de conscience. Le juif aujourd’hui participe plus d’une conscience que d’une culture, d’une langue ou d’une religion. Le juif ne roule pas pour lui mais pour ceux qu’il représente, dont il est la conscience et chaque juif s’inscrit au sein d’un ensemble qui est celui dont il a la connaissance la plus approfondie. Etre juif serait une façon critique, dans tous les sens du terme, d’être au monde.

   Il est clair que par delà cette diversité de la présence juive au monde, il est bon qu’il y ait un statut du juif reconnu au niveau européen, notamment, que le juif soit en quelque sorte “classé” - comme on dit d’un monument - “protégé”, bref reconnu pour ce qu’il est, dans un certain mode d’intégration qui lui est propre, dans une universalité s’enracinant nécessairement dans les cultures du monde. Il n’est pas question d’un juif errant, partout étranger, ni d’un juif imbu de sa culture juive, ni d’un juif vivant en vase clos avec d’autres juifs. Si le juif est le sel de la terre, le sel tout seul n’est guère comestible.

Jacques Halbronn
Paris, 12 avril 2003

Note

1 Cf. notre article sur “la conscience juive”, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour



 

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