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ANALYSE

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Questionnements autour de la septième centurie

par Jacques Halbronn

   Nombre de nostradamologues pratiquent la politique de l’autruche, moins en France d’ailleurs qu’à l’étranger, la France ayant pris une avance assez considérable au niveau de la recherche centurologique. Outre Manche, notamment, le seul problème qui intéresse sérieusement certains est la question des sources mais nullement celui de la chronologie des éditions qui n’est même pas abordé et d’ailleurs, rares sont ceux qui maîtrisent une quelconque méthodologie de datation ou de redatation. S’il fallait transposer le problème au niveau technologique, nous dirions que la France a pris une avance considérable sur le reste du monde dans le domaine nostradamologique.

   Si en France, les chercheurs ne sont pas toujours d’accord sur les réponses, ils le sont davantage sur les questionnements, ce qui est déjà beaucoup. C’est ainsi que la septième centurie semble bel et bien faire obstacle à la mise en place d’une chronologie satisfaisante des éditions centuriques.

   Patrice Guinard, dans son Dictionnaire Nostradamus (Site CURA.free.fr), a bien pris la mesure de l’enjeu, ce qui le conduit à élaborer un certain nombre d’hypothèses et la recherche historique implique de formuler des hypothèses dès lors que l’on est conscient que le passé ne nous parvient que par bribes qui ne sont pas - pour paraphraser une formule célèbre, le “territoire”.

   Il semble assez évident que P. Guinard répond à certaines de nos analyses, tout comme le fit en son temps Pierre Brind’amour que nous avions fréquenté, il y a une quinzaine d’années, à Paris et à Ottawa, avant qu’il ne publie ses travaux sur le sujet, peu avant sa mort. Dans le cas du chercheur canadien, il s’agissait d’apporter, comme nous le demandions alors, des preuves de la parution des Centuries qui ne passeraient pas par les seules éditions des Centuries. Brind’amour proposa ainsi un certain nombre de recoupements, constituant ainsi un dossier qui se révèle bien maigre quand on a compris qu’il y eut aussi des contrefaçons d’autres publications nostradamiques que les Centuries. D’ailleurs, nombre de ces recoupements lui furent signalés par nos soins, notamment en ce qui concerne le passage des Significations de l’Eclipse de 1559 évoquant une “seconde centurie”.

   Le débat actuel tourne autour de la chronologie des éditions, c’est-à-dire leur succession et notamment sur la question de savoir si l’addition de “39 articles” correspond à une première mouture de la VIIe Centurie. Cela fait songer à un film d’Alfred Hitchcock de 1935, Les 39 Marches.(The Thirty nine steps). Pour un nostradamologue consciencieux comme P. Guinard, cela doit être un cauchemar occasionnant quelques nuits blanches.

   On peut évidemment se rendormir en notant que l’édition Barbe Regnault qui comporte en son titre une telle indication n’a pas été retrouvée et que les éditions ligueuses parues à Paris en 1588-1589 qui mentionnent ces 39 articles ne comportent même pas la septième centurie canonique.

   Et pourtant, la question des additions au sein du corpus centurique n’est pas une affaire négligeable et cela dépasse le cas de la seule septième centurie. Peut-on en effet imaginer qu’une première édition d’un texte comporte des additions ? Cela remet, ipso facto, en cause le ou les éditions Macé Bonhomme 1555 en tant qu’éditions princeps. Et comment serait-on passé immédiatement d’une édition augmentée à d’autres éditions augmentées, celles de 1557, avec 40 et 42 quatrains à la VII ? Le fait que ces éditions Macé Bonhomme et Antoine du Rosne recourent à une présentation matérielle/iconographique adéquate, quant à d’autres publications de ces libraires, comme l’a montré P. Guinard, ne fait que prouver que les faussaires étaient bien renseignés et bien équipés mais cela ne les a pas empêchés de commettre quelques bévues comme celle de la vignette des titres qui ne correspond pas à la pratique de ces années telle qu’elle est attestée dans les Pronostications pour 1557 et 1558, avec une vignette sensiblement différente. On notera que P. Guinard se garde bien de relever et de s’arrêter à cette anomalie. Que la vignette des Centuries censées parues chez Antoine du Rosne corresponde à celle que ce libraire a utilisé pour la Paraphrase de Galien ne fait que nous fournir la clef de la bévue en question.

   Sans aller jusqu’à discuter ici du fait que ces éditions soient parues ou non du vivant de Nostradamus, il nous faut nous demander si les dates indiquées sur les dites éditions sont à prendre ou non à la lettre - les chiffres étant toujours issus d’un alphabet.1 Tout semble en effet indiquer que les éditions Antoine du Rosne sont, ne serait-ce que dans une chronologie fictive, postérieures et non antérieures à l’édition Barbe Regnault à 39 articles additionnels pour1561. Ce serait donc pour cacher cette addition que l’on aurait placé celle-ci au sein d’une édition faussement datée de 1557, ce qui en ferait doublement un faux. Et qui plus est ce ne sont pas 39 quatrains mais 40 et 42 que l’on y trouve, ce qui rend ces éditions 1557 encore plus tardives, n’étant plus qu’une édition Barbe Regnault augmentée et ce à deux reprises : Exemplaire Budapest puis exemplaire Utrecht.

   Et d’ailleurs, un autre gros défaut de ces éditions Antoine Du Rosne 1557, c’est qu’elles ne comportent même pas la marque d’addition à la IVe Centurie, masquant ainsi l’étape des 53 quatrains à la IVe Centurie, indication qui figure dans les éditions parisiennes de la Ligue de 1588 : c’est le monde à l’envers ! C’est dire que la gestion des additions aura laissé beaucoup à désirer. C’est le maillon faible de la chronologie centurique officielle !

   Qui ne voit en effet que l’édition Barbe Regnault précède les éditions Antoine du Rosne ?

   Que dans le meilleur des cas, elle se placerait entre celle-ci et l’édition Benoist Rigaud 1568 ? Non pas que nous adhérions aucunement à une telle chronologie quant à sa réalité historique mais qu’au moins l’on restitue correctement le travail des faussaires ! A force d’être sur la défensive, les nostradamologues tenants des éditions parues du vivant de Nostradamus ne prennent même pas la peine de balayer devant leur porte. Car si on touche à quoi que ce soit, n’est-ce pas, on n’est pas sorti de l’auberge.

   Quant à l’existence d’une édition datée de 1558, correspondant à l’épître à Henri II datée du mois de juin de cette année, elle pose le même problème quant à son contenu puisque elle ne saurait comporter une septième centurie qui n’aurait été mise en place, au plus tôt, qu’en 1560 encore que selon nous entre le moment où l’on effectue une addition et celui où celle-ci acquiert le statut de centurie, il doit s’être écoulé quelque temps. Ni la quatrième, ni la septième centurie n’ont, selon nous, émergé, d’entrée de jeu, en tant que centuries à part entière contrairement à ce que pourraient nous faire croire les éditions Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557, alors que le centième quatrain français est commenté dans le Janus Gallicus, ce qui correspondrait à un état antérieur ?

   A propos des éditions Antoine du Rosne 1557, le seul fait que sous la même présentation, l’on ait des contenus aussi différents est tout à fait édifiant ! N’a-t-on pas là la preuve d’une volonté de dissimuler une évolution en s’en tenant à une même date, celle de 1557, alors que deux quatrains sont ajoutés à la VIIe Centurie et que dans un cas il y a un avertissement en latin et dans l’autre, celui-ci ne s’y trouve pas ou plus ? Quant aux mois indiqués in fine, il ne semble pas qu’ils correspondent à la chronologie d’une même année. L’édition à 40 quatrains à la VII est, en effet, de “novembre” et celle à 42 quatrains de “septembre”. Encore une bizarrerie ! Mais par ailleurs, comment se fait-il que la "première" édition des deux n’ait pas le Legis Cautio/Cantio et que la “seconde” l’ait retrouvé à moins d’admettre que l’on soit passé de 42 à 40 quatrains à la VII ? Ce qui ne fait pas problème si l’on ne situe pas les mois au sein de l’année 1557 mais en d’autres années, la première en septembre de telle année x ou l’autre en novembre de telle année y. Et pourquoi ces deux éditions ne comportent-elles que 99 quatrains français à la VIe Centurie ? Ajoutons que la présence de l’avertissement conclusif à la fin de la VIe Centurie souligne le caractère d’addition de la VIIe centurie.

   Il semble d’ailleurs qu’il ait pu exister une édition à sept centuries datée de 1555, si l’on en croit la mention finale de l’édition St Jaure 1590, Anvers. On assiste là au même procédé consistant à procéder à des additions tout en conservant la datation première. Mais dans ce cas, pourquoi disposerait-on d’éditions 1557 alors que l’on aurait pu s’en tenir à 1555 pour englober toute une série d’éditions successives ? Il semble que l’on ait voulu attribuer à Antoine du Rosne le mérite d’une réédition, 1557 étant l’année où parut pour la première fois la Paraphrase, traduite par Nostradamus. Mais en même temps pourquoi trouve-ton cette même vignette de la Paraphrase pour orner l’édition Macé Bonhomme 1555, soit deux ans plus tôt, même dans une chronologie virtuelle ? Tout se passe comme si l’on avait commencé à utiliser la vignette de la Paraphrase, éditée en 1557 par Antoine du Rosne pour orner une fausse édition Macé Bonhomme avant d’attribuer carrément une série d’éditions au dit Antoine du Rosne.2

   Patrice Guinard se pose d’ailleurs des questions qui lui sont propres puisqu’il lui faut, par-dessus le marché, démontrer que Nostradamus avait pensé dès le départ qu’il y aurait des centuries incomplètes. A l’entendre, Nostradamus aurait programmé une sorte de dévoilement progressif de la matière centurique, car les étapes de ce dévoilement comporteraient une clef numérique3 :

   “C’est une architectonique partielle, dangereusement ouverte à toutes les dénégations hasardeuses, que le prophète salonais a décidé de construire, précisément en rempart contre ses détracteurs, et en prévention contre toute tentative de contrefaçon ultérieure. Car si l’on se met à fabriquer des quatrains, il n’y a aucune raison d’imaginer des centuries incomplètes, dont l’organisation serait précisément en contradiction avec les mentions apposées au texte : “dont il en y à trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées” (en 1557) alors qu’on ne compte que 286 ou 289 quatrains, et : “trois Centuries du restant de mes Prophéties, parachevant la miliade” (préface à Henry II du 27 juin 1558) alors qu’il manque encore une vingtaine de quatrains, même en incluant ceux parus à cette date dans les almanachs”.

   “Ce scénario me semble être l’éclaircissement majeur à l’aporie sur laquelle se sont échinés nombre de commentateurs : Nostradamus a initialement conçu sa fameuse septième centurie “inachevée” et “incomplète” en dépit des mentions qui semblent l’infirmer, afin de contrecarrer et démasquer toute velléité frauduleuse, et il a probablement imaginé que des zélateurs piégés s’autoriseront à la compléter ultérieurement par un appendice (les 58 sizains du supplément dit de Sève). Mais précisément, ce supplément apocryphe est la meilleure preuve de l’organisation initiale ! Et la probabilité est quasi nulle que de supposés faussaires imaginent un dispositif aussi ingénieux et dont j’ai analysé les premières données dans de précédents articles (cf. “Les pièces de l’héritage : Un dispositif de codage du nombre de quatrains prophétiques” puis Atlantis, 414, 2003), et surtout qu’ils puissent en reproduire les articulations d’une édition à l’autre”.

   Revenons sur ce que dit Guinard des sixains : Nostradamus “a probablement imaginé que des zélateurs piégés s’autoriseront à la compléter ultérieurement par un appendice (les 58 sizains (sic) du supplément dit de Sève).” C’est un fait que la centurie VII a probablement été “complétée” par les sixains, survenus au début du XVIIe siècle et elle l’a été non pas sur la base de 39 mais de 42 quatrains (42 + 58= 100). Il est vrai qu’à la différence de la centurie IV qui a été “complétée”, au delà de ses 53 quatrains, cela n’a pas été le cas, du moins au XVIe siècle, pour la centurie VII et d’ailleurs même les sixains, au XVIIe, ne figurent pas à la suite de la VIIe Centurie mais bien après la Xe Centurie, avec parfois le nom de XIe Centurie, elle-même, donc, incomplète. Cette disparité nous semble en vérité témoigner de la diversité des pièces ainsi réunies alors même que P. Guinard y voit la preuve du déroulement d’un plan élaboré par le seul Nostradamus et si “ingénieux” que cela ne saurait, selon lui, être à la portée des “supposés faussaires”.

   Essayons de comprendre l’argumentation de P. Guinard lequel est pleinement conscient du malaise du aux centuries dites incomplètes et qui, selon nous, au départ, n’étaient pas des centuries mais des additions. On a là l’expression, selon nous, d’une politique de centurisation de matériaux divers visant à conférer un caractère unitaire et d’un seul tenant à l’ensemble. Pour Guinard, en revanche, tous les matériaux centuriques appartiennent à une seule et même source et ne souffrent d’aucun apport extérieur à l’inspiration de Michel de Nostredame. C’est là une profession de foi que l’on retrouve chez ceux qui adhèrent au Nouveau Testament : la diversité entre les Evangiles ne serait qu’apparence, il faut réduire la pluralité à l’unité. Depuis longtemps, le monde chrétien a accepté de voir dans la Bible un travail collectif et une chose est de parler d’une révélation divine qui se serait opérée au travers de générations et une autre de conférer à un seul homme un tel pouvoir. Avec P. Guinard, Nostradamus, le prophète, devient Dieu, à la fois omniscient et omnipotent, sachant tout et contrôlant tout. Or, l’unité n’est pas un point de départ mais un objectif à atteindre.

   Citons également cet autre texte de P. Guinard4 en regrettant que son travail de recherche ponctuelle soit hypothéqué de la sorte :

   “Il faut cesser de se leurrer dans l’interprétation et la datation des documents relatifs à Nostradamus, lesquels, le plus souvent, masquent son nom mais recèlent une quantité d’indices assez convergents pour que son nom soit lisible, presque de manière transparente, pour le lecteur de l’époque. Mais pourquoi produit-on des almanachs et des pronostications périmés et antidatés, ou du moins non datés et publiés après l’année indiquée au titre ? A quelle fin publie-t-on à peine quelques années après la parution des premières éditions des Prophéties, en 1561, une édition tronquée et facétieuse (Paris, Regnault) qui mêle des quatrains des Prophéties à ceux de l’Almanach pour l’an 1561 ? Les raisons en sont simples, et il est inutile d’imaginer des complots, des ateliers de fabrication clandestine au service de tel ou tel camp politique ou idéologique, ou une réécriture laborieuse des oeuvres du salonais que personne n’était en mesure d’imiter, et certainement pas les scribouillards et auteurs de billevesées du type Fabri, “Mi. Nostradamus dit le jeune” et autres Crespin dit Archidamus. Nostradamus est imité, plagié, transfiguré, parce que son nom fait vendre. Il est parodié, caricaturé, pastiché, pour les mêmes raisons. Et il aura fait vivre un certain nombre d’imitateurs, de plagiaires et de faussaires qui en retour attestent de la diffusion de ses oeuvres, car même le mystificateur le plus averti finit toujours par se trahir”.

   Autrement dit, Guinard cherche à disqualifier l’édition Barbe Regnault 1560 avec son addition de 39 articles, édition soulignons-le qui n’est comme les autres éditions datées du vivant de Nostradamus qu’une contrefaçon bien postérieure à sa mort. Il nous affirme que cette édition comporte des présages de l’almanach pour 1561. Mais qu’en sait-il puisque cette édition a disparu ? Certes, les éditions parisiennes de 1588 et 1589 disposent de ces quatrains mais ce n’est guère suffisant pour en conclure que ce fut le cas de l’édition Barbe Regnault à laquelle ils empruntent surtout un titre. Et ce titre a bien du correspondre au départ à un certain contenu, à savoir non pas quelques quatrains d’un almanach annuel mais 39 quatrains. Et qui dit 39 quatrains dit septième centurie et d’ailleurs c’est bien dès 1590 la septième centurie canonique et non les quatrains de l’almanach pour 1561 qui figure dans l’édition centurique d’Anvers dont le contenu est très proche de celui de l’édition Antoine du Rosne-Budapest, si ce n’est qu’elle ne comporte que 35 quatrains à la VII au lieu de 40. On notera que P. Guinard lorsqu’il note que telle édition comporte de “vrais” quatrains de l’almanach pour 1561 n’en conclue pas pour autant que celle-ci est authentique alors qu’il lui suffit qu’une édition ait repris des éléments ayant effectivement existé pour décider qu’il ne peut s’agir d’un faux. Deux poids, deux mesures : dans un cas, l’emprunt est déligitimant, dans l’autre il est légitimant. Il faudrait savoir.

   P. Guinard pose comme principe que “personne n’était en mesure d’imiter” le salonais. Le problème, c’est que pour affirmer cela, encore faudrait-t-il savoir ce qui est et n’est pas de Nostradamus. Si, par exemple, Nostradamus n’a pas composé de quatrains, l’on ne peut alors que faire fausse route puisque l’on lui attribue ce qui n’est pas de lui. Selon le raisonnement ad hoc de P. Guinard, puisque Nostradamus est inimitable, les quatrains centuriques se distinguent radicalement tant quant à la forme que quant au fond de ce qui n’est pas de Nostradamus. Il y a là une illusion d’optique assez fréquente et qui fait croire par exemple qu’une langue ne peut avoir emprunté à une autre. En réalité, un ensemble n’est spécifique que par l’agencement qui y est fait de ses éléments : selon ,nous, ce qui est nostradamique - au niveau canonique - ne serait pas tel ou tel quatrain mais l’ensemble des quatrains en tant qu’ensemble, même si tel quatrain et même tous les quatrains sont des pièces rapportées.

   Que dire du passage : “Et il aura fait vivre un certain nombre d’imitateurs, de plagiaires et de faussaires qui en retour attestent de la diffusion de ses oeuvres, car même le mystificateur le plus averti finit toujours par se trahir” ? Il s’agit là d’un point de vue dépassé et qui a longtemps prévalu. Tout ce qui ressemblait ou se référait à Nostradamus prouvait ipso facto l’influence de Nostradamus. Dans l’absolu, c’est vrai : si quelqu’un reprend le nom de Nostradamus, ce n’est pas par hasard. De là à décréter que tout ce que cette personne fera revient à Nostradamus, on bascule dans le sophisme. Dans le cas Crespin, soulignons que nous ne disons pas que Crespin a composé des quatrains qui ont été repris dans les Centuries - cela ne se produit que rarement - mais que sa prose, telle qu’elle figure notamment mais pas seulement dans les Prophéties dédiées à la puissance divine (Lyon, 1572) a été réduite, non sans avoir été retraitée, en quatrains, et pas forcément par ses soins.

   D’ailleurs, ces gens que l’on stigmatise et qui se prévalent de l’héritage nostradamique ne sont pas des faussaires ; les faussaires sont ceux qui font passer pour du Nostradamus ce qui n’en est justement qu’une imitation et c’est exactement ce que prétend faire P. Guinard. Et comme il dit fort bien : “le.mystificateur le plus averti finit toujours par se trahir”. Et il est vrai que les faussaires dont on a à traiter sont "avertis" et c’est précisément parce qu’ils le sont, qu’ils parviennent, encore aujourd’hui, en ce début de XXIe siècle, à berner encore tant de monde. Il ne s’agit pas tant de montrer ce qui “colle” mais aussi ce qui ne colle pas ; cela nous fait penser à un prétendu spécialiste en fausse monnaie qui affirmerait que tel billet de banque est authentique parce qu’il reproduit tel et tel élément d’une vraie coupure et qui omettrait de signaler les points qui font problème. Dans nombre de cas, P. Guinard ne fait que nous expliquer comment ont procédé les faussaires alors même qu’il s’imagine apporter la preuve de l’authenticité de telle ou telle édition. A la fin du compte, le principal mérite de Guinard se situera dans cette direction ; il serait bon qu’il en prît conscience tout comme dans certains cas, les éxégétes des Centuries s’imaginent apporter la preuve que l’on y a prédit tel ou tel événement alors même qu’ils montrent ainsi comment tel événément a été décrit après coup, post eventum, ce qui ne fait que retarder la date de parution du quatrain concerné et donc des éditions qui le comportent.

   Ce qui est assez remarquable, c’est à quel point Guinard parle d’une pléiade de faussaires - “Nostradamus est imité, plagié, transfiguré, parce que son nom fait vendre. Il est parodié, caricaturé, pastiché...” tout en s’interdisant d’envisager - on ne sait trop pourquoi - qu’il puisse exister de fausses éditions des Centuries, de faux quatrains. Or, si l’on veut faire du faux Nostradamus, quoi de plus simple que de récupérer les contrefaçons déjà existantes, produisant ainsi du faux à la puissance 2 à moins que le faux d’un faux ne donne un vrai ? Un jour ou l’autre, avec le recul, l’imitateur se voit assimilé à son modèle et nié son apport spécifique. Il y a quelque logique, en effet, à regrouper, à terme, tout ce qui découle d’un original et qui finit par constituer un ensemble sensiblement plus riche que l’original même.

Jacques Halbronn
Paris, le 30 juillet 2006

Notes

1 Cf. nos Mathématiques Divinatoires, Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1983. Retour

2 Cf. P. Guinard, “étude matérielle des éditions Antoine du Rosne (1557) ”, Dictionnaire Nostradamus. Retour

3 Cf. P. Guinard, “Les premières éditions des Prophéties 1555-1563 (état actuel des recherches, repères bibliographiques, et conjectures) ”. Retour

4 A la fin de “La Vraye Prognostication Nouvelle pour l’An 1552 de Cl. Fabri (Une parodie “antidatée” parue à la fin des années 50)”. Retour



 

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