ESPACE NOSTRADAMUS

NOSTRADAMICA
Lune
Portrait de Nostradamus
Biographie
Ascendance
Bibliographie
Références
Frontispices
Gravures Analyse
Contact
Lune




ANALYSE

53

La carence nécrologique
des éditions des Centuries datées de 1568

par Jacques Halbronn

    Quelque chose sonne faux dans les éditions datées de 1568, comme si le signifié, à savoir la mort récente, en 1566, de Michel de Nostredame ne coïncidait pas avec le signifiant, en l'occurrence les textes supposés parus à cette époque. On est également surpris que le volet comportant une Epître au feu Roi Henri II, décédé en 1559, ne le signale en son titre, d’une quelconque façon.

   Plusieurs documents contribuent à nous interroger sur ce que l’on pourrait appeler une certaine carence nécrologique.

   Prenons l'Epître à Henri IV qui introduit les Sixains et dont nous pensons qu’elle avait une autre vocation, au départ, en 16051, d’où d’ailleurs une édition des Centuries (anti)datée de 1605, sur la page de titre, du fait de la date de l’épître, comme ce fut d’ailleurs le cas pour l’édition Macé Bonhomme (anti)datée de 1555, du fait également de la date de l’épître à César.2

   Avec cette Epître, qui ne figure pas dans les éditions de 15683, à l’exception du MDR (modèle Du Ruau)4, on a un exemple d’une présentation posthume cohérente5, ce qui n’est pas le cas, par définition des éditions introduites par une épître comportant une date qui se situe bien avant 1566. Cette Epître est d’un ton qui sonne juste, où il est question de “feu Michel Nostradamus”. On peut même penser que cette Epître qu’on ne connaît d’ailleurs que par une version remaniée fut élaborée sur le modèle d’un épître encore plus ancienne, non conservée, qui introduisait, elle, les Centuries I - IV, au lendemain de la mort de MDN. Car, il va de soi que quand on publie des textes de façon posthume, on doit s’en expliquer d’une façon ou d’une autre. Or, qu’on le veuille ou non, les éditions datées de 1568 sont, par définition, posthumes à moins d’admettre que les Centuries VIII-X soient parues avant la mort de MDN et notamment, comme certains le croient encore, en 1558, sur la base de la date de l’Epître centurique à Henri II. Le moins, en tout état de cause - parution ou non antérieurement de toutes les Centuries - que l’on pourrait attendre de telles éditions, c’est qu’elles se référassent à MDN comme étant défunt !

   Dans le cas de l’Epître à Henri II, datée de 1558, dans quel cas de figure se situe-t-on ? On nous parle d’une miliade de quatrains6 ce qui correspond à dix centuries pleines auxquelles dès 1558 MDN aurait fait référence et cette Epître serait en quelque sorte posthume puisque non parue à l’époque. La première occurrence de l’Epître de 1558 est, selon toute apparence, à situer dans les années qui suivirent le décès de MDN, puisque Crespin la mentionne tout comme il montre qu’il a connaissance des Centuries VIII-X. Mais sous cette première version, on ne devait pas encore parler de miliade. La mention de la miliade ne sera de circonstance qu’après la production des Centuries V-VII, soit 300 quatrains supplémentaires, ce qui semble correspondre au début des années 1580, quand serait apparue, selon les dires de Du Verdier, dans sa Bibliothèque (1585), une édition à dix centuries, Lyon, Benoist Rigaud. En fait, on aura voulu faire croire que les Centuries VIII-X n'avaient été publiées qu’après les sept autres centuries, ce qui est faux, puisque lorsqu’elles sont apparues, il n’existait que quatre centuries et c’est d’ailleurs cette édition à 4 centuries pleines qui aura servi par la suite à produire l’édition Macé Bonhomme 1555 et l’édition de Rouen de R. Du Petit Val de 1588, sous le nom de Grandes et Merveilleuses Prédictions de M. Michel Nostradamus divisées en quatre centuries (Bibl. Ruzo). Ainsi, la nouvelle version de l’Epître à Henri II aurait en fait visé à légitimer l’addition des centuries V-VII au corpus, ce qui donnait en effet une miliade. Il est probable que l’édition disparue à la miliade - aucune édition connue ne correspond précisément à ce profil - comportait un caractère posthume qui sera par la suite gommé.

   En ce qui concerne le changement de date de l’Epître à Henri II, on pourrait suggérer l’hypothèse suivante : on aura voulu faire croire que MDN avait déjà rédigé dès avant 1558 sept centuries, ce qui plaçait ipso facto les centuries V-VII avant cette date, ce qui correspond d’ailleurs au scénario des éditions à 7 centuries, censées parues chez Antoine du Rosne, en 1557. On aurait, pour ce faire, réalisé une édition à 7 centuries (I-VII) ce qui permettait à l’Epître à Henri II, datée de 1558 de présenter les Centuries VIII-X comme “complétant la miliade”. Mais il semble bien que cette nouvelle Epître au Roi ait toujours eu un caractère posthume, c’est-à-dire qu’on l’aurait, prétendument, trouvée après la mort de MDN.

   Or, on ne trouvera conservées de telles formules de circonstance sinon bien plus tard, précisément dans les éditions du Modèle Du Ruau (MDR) - notamment celle (anti)datée de 1605. Si ces éditions ne sont pas irréprochables, en ce qu’elles sont soit antidatées, soit non datées, et en ce qu’elles comportent les sixains, du moins pour celles qui ont été conservées, elles n’en comportent pas moins un caractère d’authenticité qui fait complètement défaut aux autres.

   Les sixains sont introduits de la façon suivante :

   “Prédictions admirables pour les ans courans en ce siècle. Recueillies des Mémoires de feu Michel Nostradamus, vivant Médecin du Roy Charles IX & l’un des plus excellens Astronomes qui furent jamais etc.”

   Par “vivant Médecin”, il faut comprendre ici “de son vivant Médecin etc.” On notera que l’on ne cite que Charles IX et non pas Henri II et François II, ses prédécesseurs, l’absence de mention d’Henri II est assez étonnante quand on sait le lien que l’on a voulu établir entre MDN et ce souverain. Or, en 1594, les trois rois étaient encore bel et bien signalés, dans le Janus Gallicus, dont le titre français était La Première Face du Janus François (…) Extraite et colligée des centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame, jadis Conseiller & Medecin des Rois Tres-Chrestiens Henry II, François II & Charles IX etc, Héritiers de P. Roussin, Lyon, 1594.

Pronostication de Chavigny (1595)

Frontispice
de la Pronostication de Chavigny (1595)

   Encore, en 1672, la première édition anglaise maintient la liste des rois :

   Michel Nostradamus, The true prophecies or prognostications of Michel Nostradamus, physician to Henry II, Francis II and Charles IX, kings of France and one of the best astronomers that evere were, translated and commented by Theophilus de Garencières, Th. Ratcliffe, London 1672. On a là en fait, nous semble-t-il la traduction anglaise d’une édition française disparue, et dont l’édition MDR datée de Lyon, 1568, et parue sous la Fronde, porte la trace, à part le fait que n’y est mentionné au titre, comme on l’a vu, que Charles IX. On relèvera un détail : pour la présentation des sixains, il est écrit (p. 459) : “Wonderful Prognostications for the Age 1600 gathered out of the notes of Mr Michael Nostradamus, physician to King Charles the IX etc.” alors que dans les éditions troyennes connues, on a seulement “Prédictions admirables pour les ans courans en ce siècle”. Or, la formule mentionnant l’an 1600, au titre, est attestée dans la version morgardienne des sixains et dans le manuscrit de la BNF FF 4744.7 Il semble que Garencières ait utilisé une édition MDR de la fin du XVIe siècle à laquelle il a ajouté, par la force des choses, une traduction des sixains, prise d’une édition plus récente de la même série, et qui, elle, ne comporte plus que le nom de Charles IX dans sa présentation de l’Epître à Henri IV. Garencières s’est servi du commentaire de l’Eclaircissement des véritables quatrains de 1656 mais a choisi comme texte de référence une édition de type MDR, alors que le dit ouvrage, du en partie au dominicain Giffré de Réchac, condamnait les Présages et les Sixains.

   La formule “un des plus excellens astronomes qui furent jamais” peut également surprendre, étant donné le caractère de prophète que l’on a voulu apposer sur le dit MDN mais elle était probablement assez juste, au lendemain de sa mort, si l’on admet que ce caractère prophétique était jusque là, pour le moins, secondaire : notons cependant la forme “astronomes” et non pas “astrologues”, ce qui n’était pas distingué à l’époque, l’astrologie apparaissant encore peu ou prou comme une spécialisation. La pierre tombale gravée l’année même du décès est d’ailleurs assez explicite à ce propos précisant que sa plume “a esté de tous estimée digne de tracer et rapporter aux humains selon l’influence des astres les evenemens avenir (sic) par dessus tout le rond de la Terre”.8 A ce propos, comme on l’a déjà signalé ailleurs9, les fausses éditions datées de 1566 avaient au moins l’avantage de reproduire celle-ci, légèrement remaniée tandis que les tout aussi fausses éditions de 1568 n’en prirent même pas / plus la peine.

   Si l’on examine l’édition (modèle MDR) antidatée de 1568, parue sous la Fronde, on trouve au titre la même formule que pour les Prédictions Admirables, mais tronquée :

   “Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, médecin du Roy Charles IX & l’un des plus excellens astronomes qui furent jamais.”

Prophéties antidatées de 1568

Frontispice des Prophéties
(Edition antidatée de 1568)

   Par ailleurs, on a supprimé au titre “recueillies des Mémoires de feu M. Michel Nostradamus” et également l'épithète “vivant” devant Médecin du Roy Charles IX. Il nous apparaît a contrario que la succession des rois sous lesquels MDN a vécu offre un caractère posthumique alors que le fait d’indiquer seulement qu’il est médecin de Charles IX confère au document un caractère de modernité. Ce faisant, on assiste à une tentative en plein milieu du XVIIe siècle pour produire une édition se voulant être parue en 1568, sous Charles IX, les marqueurs de posthumité les plus apparents ayant été supprimés, sans pour autant qu’on ait renoncé à y faire figurer l’Epître à Henri IV datée de 1605 !10 On voit que dans le cas de la série MDR, il aura fallu un demi-siècle pour que l’on se résolve à dater une édition de 1568, alors que pour les autres séries et les autres canons, il semble bien que l’écart ait été sensiblement plus court entre les deux formules.

   Autrement dit, la présentation de l’Epître à Henri IV, telle qu’elle a été reprise pour annoncer les Sixains, s’appuyant sur une édition antérieure disparue, pourrait ainsi se rapprocher de la présentation d’origine, au lendemain de la mort de MDN, laquelle survint sous le règne du dit Charles IX.

   Or, une telle présentation ne figure pas sur les éditions datées de 1568 hors “modèle Du Ruau” et hors “éditions 1566”, ces dernières, précisons-le, comportaient quand même un caractère plus en rapport avec les circonstances du fait, non seulement de l’épitaphe mais aussi de la mention du “Fr. Jean Vallier du Couvent de Salon des Mineurs Conventuels de Saint François”, information qui prend tout son sens, quand on sait que MDN y avait été enterré.

   Assez curieusement, M. Chomarat, dans sa préface au reprint de 1568 s’efforce de disqualifier ces éditions comportant un tel caractère d’authenticité en leur titre, notamment en insistant sur certains éléments anachroniques mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, ni tomber de Charybde en Scylla. L’édition qu’il reproduit est en effet suspecte par ses absences : qu’on en juge :

   Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a etc, pour le Ier volet.

   C’est tout et c’est un peu court ! Toutefois, le second volet est plus explicite :

   Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII. IX. X qui n’ont encores iamais esté imprimées

   En effet, ce “encore jamais” mérite réflexion : on peut comprendre soit qu’il s’agit de nouvelles Centuries non encore parues et qui peuvent avoir été publiées du vivant de MDN ou bien on peut considérer qu’il y a là une tonalité posthume car va-t-on déclarer d’un nouveau texte d’un auteur qu’il n'a “encore jamais” été publié ? Cela signifie pour le moins que le texte existait mais qu’il était resté inédit, ce qui est propre aux textes d’un auteur défunt, même si l’on peut imaginer - comme certains passages des deux premières épîtres centuriques peuvent conduire à le penser - que MDN aurait conservé des textes par devers lui et aurait de son propre chef décidé finalement de les faire connaître, se faisant en quelque sorte lui-même son exécuteur testamentaire. Au vrai, le texte du “Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame” va dans le sens de textes retrouvés après la mort et c’est pourquoi nous pensons qu’il est assez proche de celui qui accompagnait les premières éditions, disparues, des Centuries.11 Ainsi, il nous apparaît que les éditions datées de 1568, supposées donc parue peu de temps après la mort de MDN, sont anachroniques de par leur singulière absence, en leur titre, à la mort de MDN. C’est à partir de l’intitulé des “Prédictions Admirables”, préservé dans le modèle Du Ruau (MDR), que nous pensons pouvoir nous rapprocher de la présentation d’origine.

   L’absence de référence à Henri II, sur le page de titre du second volet, lequel comporte l’Epître dédiée à ce Roi nous surprend également d’autant qu’en 1603, on trouve encore une édition ne comportant que le second volet et intitulée : Nouvelle Prophétie de M. Michel Nostradamus qui n’ont jamais esté veues n’y (sic) imprimées que en ceste presente année. Dédié au Roy, Paris, Sylvestre Moreau.12 Comme pour le document daté de 1605, on peut se demander si celui-ci daté de 1603 ne reproduit pas des intitulés plus anciens et plus authentiques que ceux que l’on trouve à la fin du XVIe siècle. On imagine assez bien la première édition des Centuries VIII-X paraître sous un tel titre qui comporte également la forme signifiante “jamais”, sans oublier, tout de même, de porter la mention “Au Roi”, ce dont les éditions 1568, ô combien laconiques - dépouillées serait plus juste - en leur titre, se dispensent.

   Il semble bien qu’une telle sobriété de propos ne soit pas compatible avec les circonstances d’une publication posthume. Deux hypothèses se présentent :

   - soit c’est le signe que ces textes étaient connus depuis longtemps, ce qui est le cas pour des éditions réalisées à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècles, bien après les événements.

   - soit il s’agit d’une volonté de gommer - au propre comme au figuré - leur caractère posthume pour tenter de situer les premières éditions du vivant de MDN et dans ce cas l’édition de 1568 ne serait qu’une réédition, y compris pour les Centuries VIII-X. Mais le résultat de toutes ces manoeuvres est bâtard, hybride.

   Terminons par la présentation d’une autre pièce à conviction que nous avons déjà mentionnée ailleurs mais sur laquelle il importe de revenir et d’insister. Il s’agit d’un texte conservé à la réserve de la BNF, à Paris13 :

   Prédictions pour vint (sic) ans (...) Extraictes de divers aucteurs, trouvée (sic) en la Bibliothèque de nostre defunct dernier (lire : dernièrement) décédé (que Dieu absolve) Maistre Michel de nostre-dame (sic, en deux mots). A la supplication de plusieurs, ont estez à très grand’ diligence reveues & mises en lumière, par Mi. De Nostradamus le Jeune, Rouen, Pierre Brenouzer, avec la date de 1568. Il semble que bien que ce document ait été signalé14, on ne lui ait pas accordé toute l’importance qu’il méritait, à commencer par le fait qu’il porte, en page de titre, la date de 1568 et qu’il comporte une vignette qui est celle de l’édition “modèle Du Ruau” (MDR) de 1605.

Présages pour 13 ans (1573)

Frontispice
des Présages pour 13 ans de Crespin (1573)

   S’agit-il là d’un faux antidaté ? S’il l’est, il l’est probablement de fort peu. Faisons abstraction ici de son contenu qui relève du genre des vaticinations perpétuelles et retenons un intitulé extraordinairement rare : trouvée en la Bibliothèque de nostre defunct dernier (dernièrement) décédé (que Dieu absolve) Maistre Michel de nostre-dame (sic). Enfin, voilà le décès ici reconnu ! Qui est ce Mi. De Nostradamus le Jeune sinon un de ceux qui se veulent l’héritier, le légataire des oeuvres de MDN, qui a eu accès à sa bibliothèque ?15 Nous nous trouvons là encore avec ce Nostradamus junior dans une logique posthume sinon testamentaire. Un Ruzo, auteur du Testament de Nostradamus (Monaco, Le Rocher, 1982), ne semble pas avoir pour autant pris la mesure d’une telle dimension posthume de l’oeuvre imprimée parue sous le nom de MDN, ne s’étant intéressé, sous ce registre, qu’au testament, au sujet duquel certains épiloguent encore, y recherchant on ne sait quelle clef.16

   Que nous enseignent ces Prédictions pour 20 ans ? La confrontation est frappante, on l’avouera, entre ce document daté de 1568 et les éditions également datées de 1568. Dans un cas, reconnaissance de la mort, dans l’autre, omission de ce “détail”. Pour notre part, nous pensons que le style des Prédictions pour 20 ans de ce Nostradamus, nouvelle génération, est bien dans le ton de l’époque et dans la contextualité qui va faire émerger les Centuries, du moins une partie d’entre elles, au nombre de sept, et ce ne sont même pas les sept qui figurent dans les éditions Antoine du Rosne, 1557 ! Les Prédictions pour 20 ans sont certes un texte mineur mais qui s’inscrit dans une série par ailleurs disparue, d’où toute l’importance que nous leur accordons.

   Cela dit, ces Prédictions pour 20 ans, du moins dans l’édition conservée, comportent une Epître qui nous semble suspecte et il est possible qu’il s’agisse d’un de ces ouvrages qui auront connu des fortunes diverses et qui auront été remaniés, retouchés, ne serait-ce qu’au niveau de l’Epître introductive à François d’Alençon, “fils et frère de Roi”. Quel âge avait le dernier fils d’Henri II, François de France, en 1568 ? Seize ans ! On connaît un autre texte, dont la date est encore plus ancienne, ce qui fait, cette fois, du duc un enfant, qui lui est dédié, dès le titre, par Mi. De Nostradamus, c’est la Prognostication et amples prédictions pour (...) Mil cinq cens soixante-sept. A Monseigneur François duc d’Alençon, Paris, Guillaume de Nyverd.17 C’est aussi chez ce libraire, chez qui MDN avait publié, que paraîtra la Prophétie Merveilleuse (allant jusqu’en 1568) par le même Mi. De Nostradamus.18 C’est en fait dès 1565, avant la communion solennelle du jeune duc, que l’on voudrait que ce texte ait été rédigé, c'est-à-dire encore du vivant de MDN. Il est possible que ce Mi. De Nostradamus ait eu des raisons de s’adresser ainsi au plus jeune fils de Catherine de Médicis, nous ne saurions donc soutenir - à la différence de l’épître à François de Guise, en tête de l’almanach pour 156319 - que la Prognostication pour 1567 ou les Prédictions pour 20 ans aient été antidatées - il serait alors d’une époque où le duc occuperait une certaine place mais dès 1576, à 24 ans, il devint duc d’Anjou (il mourra en 1584) - ni qu’il s’agisse d’un faux20 puisque l’auteur ne prétend pas être MDN :

   “J’ay quelque fois touché en mes prédictions, non souz le nom de Maistre Michel de nostre Dame, de Salon de Provence (...) mais bien souz le nom de Mi. De Nostradamus qui n’ay point honte de m’avouër son disciple & soubs la main duquel j’ay esté conduit à la cognoissance de plusieurs choses célestes & pour le faire profiter & n’estre ingrat de son bien receu, à son imitation, mesmes de son vivant j’en ay mis en lumière qu’il a trouvez tels qu’après sa mort soyent du bon tesmoignage de luy, ie ne lairray (laisserai) à tenir les mesmes voiles etc.”

Prognostication pour 1567

Frontispice de la Prognostication pour 1567
par Mi. de Nostradamus

Prognostication pour 1567

Extrait du Privilège du Roy
(Prognostication pour 1567 par Mi. de Nostradamus)

Prognostication pour 1567

Extrait de l'Avis au Lecteur
(Prognostication pour 1567 par Mi. de Nostradamus)

Prognostication pour 1567

Extrait de l'Epître au Duc d'Alençon
(Prognostication pour 1567 par Mi. de Nostradamus)

   Un tel propos nécrologique, est prolongé par un avis au lecteur, supposé dater de la fin de 1566, ce qui nous éclaire sur l’immédiat après MDN :

   “Nous n’aurions pas si souvent occasion de regretter les pertes que nous faisons des hommes pour le profit que la communauté en peut tirer, ce que je dis pour t’advertir du regret qu’un chascun doit avoir de la mort de maistre Michel de nostre Dame (sic) de Salon de Craux en Provence, conseiller & médecin ordinaire du Roy (...) de bonne & heureuse mémoire lequel depuis quelques jours en ca (sic) est passé de vie à l’autre (...) De ma part, outre l’obligation commune, j’en ay une particulière d’amytié, comme l’ayant aymé & suivi de long temps & la fréquentation duquel a enté en moi, comme en un fruit sauvage, la cognoissance des Mathématiques & principalement d’Astrologie qui m’a esté occasion depuis quatre ou cinq ans pour ne vouloir referrer la moisson que j’avoys faicte en son champ, suivant à plus près ses pas & sa trace, j’ay faict veoir quelques almanachz, prédictions, prognostications & présages, soubz le nom de Mi. De Nostradamus etc.”

   Il ne s’agit plus là de documents hérités de MDN mais bien d’un enseignement qui se poursuit au travers d’un disciple et l’on peut même se demander si les Centuries ne sont pas d’abord parues sous le nom de Mi. De Nostradamus (le Jeune), sachant que sous ce nom ne se dissimule nullement quelqu’un se prétendant son fils, pas plus d’ailleurs qu’un Antoine Crespin tout Nostradamus ou Archidamus qu’il se dise, ne prétendra à des liens de parenté par rapport à MDN. On ne peut donc exclure que des Centuries soient parues du vivant de MDN mais sous le nom de Mi. De Nostradamus.

   Sur la page de titre de la Prognostication pour 1567 figure un quatrain, ce qui est tout à fait inhabituel :

La forte race Bazanée
Veut ouvrir les portes d’arein
Mais une heureuse destinée
Rompt le fil de son vain dessein.

   On observe, en tout cas, que Mi. De Nostradamus s’exerçait à composer des quatrains et que celui qui figure dans les Prédictions des choses plus mémorables, sous le nom de M. Michel de Nostradamus le Jeune, Troyes, C. Garnier, c1572 (BNF), à savoir le premier quatrain de la Centurie I, placé sous son présumé portrait, pourrait éventuellement lui être attribué. On notera en tout cas une similitude pour ce qui est du deuxième verset, dans les deux quatrains : “Seul reposé sus la selle d’aerain”, à savoir la référence à l’airain. On ajoutera que Crespin, débute ses adresses, dont on a montré qu’elles étaient une compilation des Centuries I-IV et VIII-X21 par ce même quatrain reproduit, exceptionnellement, de façon intégrale. Ce n’est peut-être pas une coïncidence. On ajoutera que le portrait de Mi. De Nostradamus comporte une inscription latine qui ne figure pas sur les éditions Modèle Du Ruau, il ne s’agit donc pas d’une édition antidatée issue du MDR ; on a, d’ailleurs, d’autres attestations de publications de ce personnage avec cette vignette, y compris sur la page de titre.22

Prédiction des choses plus mémorables

Portrait de Mi. de Nostradamus
(Prédiction des choses plus mémorables)

Prophéties à la Puissance Divine (1572)

Quatrain (I.1)
dans les Prophéties à la Puissance Divine de Crespin (1572)

   Un rapprochement entre ce personnage et Jean de Chevigny est-il envisageable ?23 On rappellera ce passage de l’Epître de ce dernier introduisant sa traduction de l’Androgyn (1570) :

   “Il (Dorat) allègue les carmes d’un Prophete, qui fut Monsieur de Nostradame (auquel de son vivant ay esté fort familier & amy & duquel j’ay encores riere moy tous les oeuvres tant en oraison prose que tournée, que bien tost ie mettray en lumière) etc.”

   On remarquera que Mi. De Nostradamus ne désignait pas, quelques années plus tôt, son maître par le nom de Nostradamus voire de Michel Nostradamus qu’il lui emprunte mais par celui de Michel de nostre-dame, ce qui tend, nous semble-t-il, à éviter la confusion des personnes et à passer d’une filiation réelle à une filiation spirituelle. Le Janus Gallicus recourt à la même formule, de préférence à Michel Nostradamus, qui semble ne pas être assez spécifique : La Première Face du Janus François (...) Extraite et colligée des centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame.

Première Face du Janus François, p. 160

Extrait de la Première Face du Janus François
(1594, p. 160)

   Dans le Janus Gallicus (p. 160, n° 189), il est relaté que Jean Dorat24, alors que des loups étaient apparus aux portes de Paris, en janvier 1567, aurait fait référence, en privé, au quatrain 33 de la Centurie III et notamment au verset 2 :

En la cité où le loup entrera
Bien près de là les ennemis seront
Copie estrange grand pays gastera
Aux monts & Alpes les amis passeront

   Faible indice certes, venant de la part d’un éditeur problématique mais recourant à des documents précieux et qui ne sont pas le plus souvent de son cru, et qui pourrait laisser entendre que six mois après la mort de MDN avaient pu circuler, dans Paris, sinon être imprimés, des quatrains et qui anticipe sur le tout premier témoignage imprimé, cette fois, comportant avec précision - également pour un quatrain des premières Centuries, à savoir II, 45 - le numéro du quatrain et de la Centurie, de Jean de Chevigny, dans son Epître à Michel L’archer, en tête de l’Androgyn de ce même Dorat, 1570.25 On rappellera aussi la possibilité que des Centuries soient parues, dès avant 1566, sous le nom de Mi. De Nostradamus le Jeune ou sous un nom approchant. Il est assez remarquable que le portrait de celui-ci, tel qu’il figure dans plusieurs ouvrages portant son nom ait servi à illustrer la page de titre de l’édition de 1605 des Centuries, modèle Du Ruau (MDR) ainsi que l’édition parue sous la Fronde.26

   La question qui désormais est posée est la suivante : les premières Centuries sont-elles d’abord parues sous le nom de MDN ou sous celui de Mi. De Nostradamus ? Nous pensons, en revanche, que les “dernières” Centuries, quant à elle, introduites par une nouvelle mouture relookée et redatée de l’Epître à Henri II27, parurent sous le nom de MDN, du fait précisément de la dite Epître. Par la suite, on aura réuni ces textes nostradamiques en les attribuant tous à MDN et en faisant précéder le premier groupe d’une nouvelle version de l’Epître à César, mais cela n’eut lieu vraisemblablement qu’au début des années 1580. Il n’est nullement certain, en effet, que les premières Centuries soient parues, au lendemain de la mort de MDN, précédées de la Préface à César, cet arrangement pourrait avoir été plus tardif et viser l’attribution des dites Centuries à MDN et non plus à Mi. De Nostradamus (le jeune). Un processus, au demeurant, qui est proche de celui qui se produisit, ultérieurement, lors de l’intégration des sixains au canon nostradamique. En tout état de cause, le témoignage de Crespin vaut pour le contenu des Centuries et non pas pour leur(s) auteur(s), en tout cas en ce qui concerne les premières.

   En conclusion, on voit que la question de l’occultation, quasiment réussie, du caractère posthume des Centuries - et on n’aborde pas ici l’identité de leur auteur - met, selon nous, un point final au dossier des éditions antidatées 1555 - 1557 - 1568 conservées. Il y a eu, à n’en pas douter, des Centuries posthumes qui sont apparu au lendemain de la mort de MDN et peut-être, pour les Centuries I - IV dès 1566, celle-ci ayant eu lieu le 2 juillet, ce qui viendrait confirmer la date de 1566 figurant dans certaines éditions (portant la mention anachronique du libraire Pierre Rigaud au lieu de Benoist Rigaud) qui servirent de référence à un Torné Chavigny, au XIXe siècle.

   On rappellera qu’un Bruno Petey Girard28 exclura de son édition les Centuries VIII-X, laissant entendre que les premières centuries parce que parues du vivant de MDN seraient plus authentiques et ce faisant, ignorant le témoignage de Crespin29 publiant les Centuries V - VII qui se rattachent à l’époque de la Ligue et n’appartiennent même pas au train des Centuries posthumes de la fin des années 1560.

   Certains cherchent encore la quadrature du cercle : ils veulent, en raison d’une secrète providence, de quelque harmonie préétablie, où le mal et le faux serait impensables, que tout cadre, que la chronologie des éditions soit bien celle indiquée sagement sur les pages de titre30 qu’aucune édition majeure ne fasse défaut ; ils parfont ainsi le travail des faussaires qui, dans leurs procédés brouillons et désordonnés, mis en oeuvre à des époques diverses, n’en demandaient pas tant.31 Ce sont là les martyrs du nostradamisme. Certes, il nous faut respecter ce monument que constitue le canon centurique mais il conviendrait mieux de parler de nostradamisme que de Michel de Nostredame. Jean Aimé de Chavigny, dans les Pléiades (Lyon, P. Rigaud, 1603) préfère recourir, d’ailleurs, ce qui est un semi aveu, à l’adjectif “nostradamique” qui est celui qui fut choisi pour désigner le travail bibliographique (RCN) de R. Benazra : “escrits nostradamiques” (p. 34), “quatrains nostradamiques” (p. 49) y trouve-t-on.

   Il convient d’ailleurs de se demander si toutes ces éditions datées de 1568 se prétendaient véritablement comme telles. Tout au plus se voulaient-elles correspondre à ce que l’on supposait que de telles éditions avaient pu être, sans chercher à fabriquer stricto sensu des faux. Dans le cas de la série MDR, l’édition datée de 1605 comporte la mention “revues & corrigées sur la coppie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. 1568” mais une édition plus tardive de la même série, sous la Fronde, comportant le quatrain avec anagramme de Mazarin, n’hésite pas, elle, à indiquer Lyon 1568 à la place de 1605.

   Certes, l’entreprise nostradamiste ou nostradamique fut-elle largement une imposture, au nom de la raison prophétique, comme on dit de la raison d’Etat, mais il n’est pas nécessaire pour autant, croyant bien faire, d’en rajouter et d’obscurcir encore plus le tableau.

Jacques Halbronn
Paris, le 22 août 2003

Notes

1 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, p. 159. Retour

2 Cf. notre article “vraies épîtres et faux centurique”, sur Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr, rubrique Nostradamica. Retour

3 Cf. le reprint Chomarat, 2000. Retour

4 Cf. notre étude sur les trois familles de canons centuriques sur E. H. Retour

5 Cf. notre étude sur “la carrière et le caractère posthume des Centuries“, sur E. H. Retour

6 Cf. nos Documents Inexploités, op. cit., pp. 168 -169 et notre étude sur ce sujet, in E. H. Retour

7 Cf. Documents Inexploités, op. cit., p. 157. Retour

8 Cf. “Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame”, Janus Gallicus, Lyon, 1594, p. 5. Retour

9 Cf. reproduction dans notre “contribution à la biographie nostradamique”, op. cit. Retour

10 Cf. M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, op. cit., p. 61. Retour

11 Cf. notre étude sur le “Brief Discours” (BD), sur E. H. Retour

12 Cf. Bibl. Arsenal, Paris, 8° S 14343. Voir RCN, pp. 153 - 154. Retour

13 Cote pV 715 (1 ). Retour

14 Cf. RCN, pp. 90 - 91 et M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden-Baden, 1989, n° 107, p. 63. Retour

15 Cf. Benazra, RCN, pp. 92 - 98. Retour

16 Cf. les travaux de P. Guinard, sur le Site Cura.free.fr. Retour

17 Cf. Bibliothèque Wolfenbüttel, HAB 10617 Pol. Retour

18 Cf. Bibl. Ste Geneviève, Paris. Retour

19 Cf. notre étude dans nos Réponses au CURA 26, sur E. H. Retour

20 Comme l’écrit J. Dupèbe, Ed. Nostradamus, Lettres Inédites, Genève, Droz, 1983, p. 115. Retour

21 Cf. nos Documents Inexploités, op.cit, p. 210, n° 84. Retour

22 Cf. Prédictions pour 20 ans, Rouen, P. Brenouzer, 1568, BNF Res pV 715 (1). Retour

23 Cf. sur le dossier Chevigny / Chavigny, J. Dupébe, Lettres Inédites, op.cit., pp. 21 et seq et B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999, pp. 63 et seq. Retour

24 Cf J. Céard, La nature et ses prodiges. L’insolite au XVIe siècle en France, Genève, Droz, 1977, p. 216, Reed. 1996. Retour

25 Cf. nos Documents Inexploités, op. cit., p. 135. Retour

26 Cf. M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, op. cit., p. 62. Retour

27 Cf. le témoignage de Crespin, in Documents inexploités, op. cit., pp. 52 - 53. Retour

28 Cf. Ed. Nostradamus. Prophéties, Paris, GF Flammarion, 2003, p.50 et notre étude sur “les textes parus à l’occasion du cinquième centenaire”, sur E. H. Retour

29 Cf. TPF et Documents Inexploités, op. cit. Retour

30 Cf. la chronologie proposée par P. Guinard, sur le Site CURA, n° 26. Retour

31 Cf. notre étude “les nostradamologues à la solde des faussaires”, sur E. H. Retour



 

Retour Analyse



Tous droits réservés © 2003 Jacques Halbronn