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ANALYSE

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Le principe trinitaire (300) des Centuries

par Jacques Halbronn

    Tout débat sur la chronologie des éditions des Centuries doit s’appuyer sur l’étude des variantes affectant certaines pièces de l’ensemble et notamment c’est le cas des Epîtres. La préface à César est celle qui nous offre le plus de variantes et à partir de celles-ci, il nous est possible de mieux faire ressortir la probabilité de certaines contrefaçon.

   Il suffit de comparer les seules éditions ayant fait l’objet d’un reprint au cours des vingt dernières années pour relever des différences significatives. Entendons par là les éditions datées de 1555, 1558 et 1568. Ces éditions firent pourtant l’objet de présentations par les soins de R. Benazra, de M. Chomarat, de P. Brind’amour sans que l’on ait relevé, à notre connaissance, certains détails déterminants en ce qui concerne la Préface à César. Comme si l’on partait du principe que ce texte était immuable et n’avait point subi de modification au travers des diverses éditions.

   Or, considérons les variantes affectant la fin de la dite Préface. On note que la date change : cela va du 1er mars 1555 à juin 1555 (Ed. Anvers, 1590) en passant par le 1er mars 1557 (Ed. parisiennes de la Ligue). Mais cela avait déjà été noté dans les Bibliographies nostradamiques sans en tirer de conclusions.

   Plus étonnant est le fait de ne pas avoir remarqué que l’exemplaire de Budapest comportait, sur la fin, des phrases en moins, et pas n’importe lesquelles, on en jugera.1 S’agit-il en l'occurrence d’une suppression intervenue pour cette édition ou bien les autres moutures comportent-elles une addition ? Le problème se pose notamment par rapport à une édition supposée antérieure, datée de 1555.

   Un autre aspect qui semble avoir complètement échappé aux chercheurs concerne une certaine hésitation de la part de l’ “auteur” de la Préface entre le tutoiement et le vouvoiement à l’égard de César de Nostredame. C’est ainsi que la fameuse édition Benoist Rigaud 1568 comporte les deux formes, alternativement tout comme d’ailleurs toute la série des éditions du XVIIe siècle : Du Ruau, Chevillot, Pierre Rigaud. Or, sous la Ligue, un tel phénomène n’avait pas encore eu lieu et c’est une bonne raison, parmi bien d’autres, de douter de l’ancienneté des éditions Benoist Rigaud 1568, les unes et les autres étant logées à la même enseigne.

   Ajoutons que dans certaines éditions tardives comme celle datée de 1605, on trouve “choses” à la place de “causes” ou plutôt une alternance des deux formes : pour le lecteur moderne, il convient de comprendre “causes”, s’agissant d’astrologie. P. Brind’amour n’a pas corrigé et a laissé “choses” dans son commentaire.2 En revanche, dans l’exemplaire de Budapest, on a chaque fois “causes”.

   Reprenons ces quatre points :

      1 - Les dates indiquées à la fin de la Préface.

   Le 22 juin 1555 de l’édition d’Anvers 1590 est probablement à rapprocher du 27 juin 1558 de l’Epître centurique à Henri II. Il pourrait s’agir d’une confusion ou d’une erreur de lecture.

   La date du 1er mars 1557 qui figure en bas de la Préface à César dans les éditions de la Ligue, pourrait expliquer le choix de 1557 pour les éditions Antoine du Rosne 1557 mais ces éditions elles, portent bien la mention de 1555 à la fin de la Préface à César.

      2 - La phrase ne figurant pas dans la préface à César de l’exemplaire de Budapest et de lui seul, ce qui montre bien que les deux éditions Antoine du Rosne 1557 ne sont pas parues à quelques mois d’intervalle comme il est indiqué.

   “Nonobstant que soubs nuee seront comprins les intelligences : sed quando sub movenda erit ignorantia, le cas sera plus esclairci. Faisant fin, mon fils, prends donc ce don de ton père Michel Nostradamus, espérant toy declarer une chacune prophetie de quatrains icy mis.”

   Ce passage est quelque peu redondant avec un autre passage de la même Préface :

   “J’ay composé livres de propheties contenant chacun cent quatrains astronomiques de propheties lesquelles j’ay un peu voulu rabouter obscurément & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’année 3797”

   Le passage absent est à rapprocher d’un passage désormais bien connu des Significations de l’Eclipse de 1559 :

   “comme plus amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Prophéties”3

   Déclarer, dans les deux phrases signifie expliquer.

   Quand on sait que le passage cité des Significations est probablement interpolé, on peut penser de même pour le passage absent de l’exemplaire de Budapest et qui aurait été ajouté ultérieurement.

   Dans les deux cas, il s’agit de la part des faussaires de préparer le terrain pour des commentaires qui pourront être attribués à MDN. Cette idée découle directement, nous semble-t-il, du fait que MDN est désormais supposé avoir publié ses centuries dans les années 1555 - 1560 et qu’il aurait donc eu le temps de les confronter avec les événements qui firent suite à leur parution ou du moins à leur rédaction. En l’occurrence, Chavigny ne publie-t-il pas une Première Face du Janus François (...) extraite et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame. Autrement dit, le Janus Gallicus (1594) prétend que les explications des quatrains seraient issues non pas de son cru mais des commentaires de MDN, alors que l’édition parisienne, deux ans plus tard, parle des Commentaires du Sr (Sieur) de Chavigny sur les Centuries et prognostications de feu M. Michel de Nostradamus.4 En 1596, le projet de laisser croire que MDN a commenté ses quatrains est abandonné, ce qui permet au demeurant de commenter pour une période postérieure à 1566 car si MDN est prophète, son commentaire, en revanche, ne se doit-il point d’être rétrospectif ?

   Ainsi, dans l’exemplaire de Budapest, on n’a pas encore essayé de mettre l’idée d’un commentaire de MDN en orbite. Le problème, c’est que l’exemplaire de Budapest est de novembre 1557 et celui d’Utrecht qui comporte, quant à lui, le dit passage, daterait du mois de septembre de la même année, donc serait antérieur. No comment ! C’est le cas de le dire.

      3 - Arrivons à la question du tutoiement et du vouvoiement. Rien de tel, dans l’exemplaire de Budapest qu’un tel mélange de la forme familière et celle de courtoisie. Et d’ailleurs, toutes les éditions à quatre et à sept centuries, notamment sous la Ligue, dans les années 1588 - 1590, échappent à ce phénomène qui ne serait réservé qu’aux édition à dix centuries et notamment à celles datées de 1568. Le problème, c’est que 1568, c’est 20 ans plus tôt que 1588 ! Là encore quel chaos chronologique ! L’édition 1568 se trouve en porte à faux tant avec les éditions datées 1555 et 1557, supposées être antérieures, dans l’esprit d’un grand nombre de nostradamologues, qu’avec celles datées 1588 - 90, postérieures.

   On aura donc au XVIIe siècle tenté de faire que MDN vouvoyât son fils, mais on n’y parvint que partiellement, d’où un mélange pour le moins bizarre :

   “Parquoy à fin qu’à l’advenir ne feussiez abusé / ne fusses (...) Je ne dis pas, mon fils, afin que bien l’entendiez / l’entendes, que la connoissance de ceste matière ne se peut encores imprimer dans ton débile cerveau etc.”

   Quelles que soient les raisons d’un projet non pleinement accompli - pas plus que celui des commentaires attribués à MDN - il en reste que nous avons là à notre disposition un précieux critère de datation des différentes éditions.

   A ce jour, il semble bien que l’exemplaire de Budapest corresponde à l’état le plus ancien qui nous soit conservé de la Préface à César, si l’on met à part les quelques passages figurant dans les Prophéties de Couillard (1556). Ancienneté au demeurant très relative et qui ne remonte pas avant les années 1580, mais tout de même. Exemplaire notamment plus ancien que les éditions Macé Bonhomme 1555, lesquelles comportent le passage signalé au point 2 : “Faisant fin, mon fils, prends donc ce don de ton père Michel Nostradamus, espérant toy declarer une chacune prophetie de quatrains icy mis.

      4 - Le quatrième point achève de marquer le décalage entre deux groupes d’éditions, voire trois si l’on met l’exemplaire de Budapest à part :

   “Je ne dis pas (...) que les causes futures bien loingtaines ne soient à la cognoissance de la créature raisonnable : si sont nonobstant bonnement la créature de l’ame intellectuelle des causes / choses présentes loingtaines ne luy sont du tout ne trop occultes ne trop resserrées mais la parfaite des causes notice ne se peult acquérir sans celle divine inspiration.”

   On ne suivra pas Brind’amour quand il “traduit” par “choses futures” le passage de l’édition Macé Bonhomme qui comporte “causes futures” : il semble qu’il ait été influencé par des leçons plus tardives, comme celles des éditions 1568.5 On trouve encore, un peu plus haut, “choses” au lieu de “cause” :

   “Par lequel ils voyent les choses / causes loingtaines & viennent à prévoie les futurs advenemens”.6

   Ici, P. Brind’amour7 n’introduit pas “choses” dans sa “traduction”. Il est évident que le propos concerne ici la question des causes d’où la phrase “par lequel ils voient les causes lointaines & viennent à prévoir les futurs advénemens”. On voit bien ici le lien entre “causes lointaines”, que sont les astres et les futurs advénements que la connaissance des causes lointaines permet d’annoncer. Mais, n’épiloguons pas sur ce point, ce qui nous intéresse, c’est que ce distinguo entre “causes” et “choses” n’existe pas dans l’exemplaire de Budapest pas plus que dans celui d’Utrecht ou dans les éditions 1555, 1588 à 1590.

   Essayons de situer chronologiquement ces diverses éditions à la lumière de cette critériologie. La conclusion la plus intéressante est de loin la suivante : l’exemplaire de Budapest serait antérieur aux éditions incomplètes de la Ligue. Il correspondrait certes déjà à un état incomplet par rapport aux éditions à la miliade, du fait de l’absence de quatrain 100 à la VIe centurie et d’une Centurie VII à 40 et non à 42 quatrains comme dans les éditions à 7 centuries conservées. On est donc encore très proche du nombre 39 qui semble avoir été celui des quatrains de la VII une fois celle-ci censurée, si l’on en croit les titres - mais non les contenus - des éditions parisiennes de la Ligue. Mais déjà avec cette édition, nous avons une tentative de situer une édition du vivant de MDN. Cela n’a rien d’étonnant, puisqu’il semble bien qu’il ait existé, dans les années 1580, une édition datée de 1556 et supposée parue alors chez le libraire lyonnais Sixte Denyse. Mais cette fois, il s’agissait d’une édition à sept centuries et non plus à quatre, d’où l’année 1557 faisant ainsi suite à l’année 1556.

   Qu’en est-il des deux autres groupes qui sont marquées par la formule finale qui ne figure pas dans l’exemplaire de Budapest : “Nonobstant que soubs nuee seront comprins les intelligences : sed quando sub movenda erit ignorantia, le cas sera plus esclairci. Faisant fin, mon fils, prends donc ce don de ton père Michel Nostradamus, espérant toy declarer une chacune prophetie de quatrains icy mis” ?

   Nous avons donc en effet deux groupes : ceux qui ne connaissent que le tutoiement à César ceux qui alternent les deux formules. Idem pour l’alternance choses / causes.

Groupe A

   On y trouve les éditions de la Ligue, d’Anvers, l’exemplaire Antoine du Rosne 1557 d’Utrecht à 42 quatrains à la VII, et les éditions Macé Bonhomme 1555 à 53 quatrains à la IV. On ne sera pas surpris de la cohabitation d’éditions à 4 et à 7 centuries, vu qu’en 1588 - 1589, le libraire de Rouen, Raphaël du Petit Val, publiait coup sur coup ces deux moutures.8 Il semble qu’il y ait eu un démembrement de l’édition à la miliade, ne serait-ce que par le rejet de l’Epître à Henri II et des centuries pourtant anciennes VIII-X. Il reste que dès cette époque, l’idée de publier à terme des commentaires signés MDN faisait son chemin et préparait le Janus Gallicus (cf. supra).

Groupe B

   On y trouve la totalité des éditions 1568 et le groupe comportant l’édition datée de 1605, Du Ruau, Chevillot / Pierre Rigaud, Poyet etc. Le temps des éditions 1555 et 1557 est révolu voire oublié. C’est le temps du projet 1568. L’exemplaire reprinté par les soins de M.Chomarat est le plus tardif du groupe B si ce n’est le cas de la fausse édition Pierre Rigaud de 1566. Il se caractérise notamment par l’absence de distinction typographique pour les citations latines, pour l’Epître à Henri II, à une exception près qui est encore une fois la marque d’une solution bâtarde.9

   A la suite de ces mises au point, il nous revient de repenser, une fois de plus, l’histoire des Centuries. Nous proposerons de partir de l’indication dans les éditions de la Ligue de l’addition à la IVe Centurie, après le 53e quatrain. Est-ce que cela n’indique pas, en définitive, qu’il a du exister une édition avec une centurie IV à 53 quatrains dont la fausse édition Macé Bonhomme 1555 serait d’ailleurs l’expression ? On peut certes penser que la IVe centurie ne fut complétée que dans le cadre de l’édition à la miliade et que dans cette édition, comme l’ont retenu les éditions de la Ligue - elles n’ont pu l’inventer ! - la Centurie IV était en deux parties.

   Il est probable que dans un premier temps, il y eut, dans les années 1560, un groupe de trois centuries face à un autre groupe de trois centuries. Le fait que la Préface à César parle de groupes de cent quatrains peut être du au fait que cette Préface n’a été remaniée qu’une fois la centurie IV complétée. Nous avons déjà exprimé le sentiment qu’au départ ce n’était pas ce texte qui ouvrait les Centuries I-III et I-IV pour la simple raison que celui-ci n’était pas attribué alors à MDN mais à un de ses “disciples”. On notera à ce sujet l’importance accordée à des modes de filiation plus ou moins fictifs et usurpés, chez ceux qui prolongent, dévoilent ou commentent l’œuvre nostradamique au XVIe siècle : le fils César, Mi. De Nostradamus le Jeune, Antoine Crespin, Jean de Chevigny / Jean-Aimé de Chavigny, sorte de légataire, le fidèle libraire Benoist Rigaud.

L’échec de l’édition à la miliade

   Il y aurait bien eu, selon le témoignage de Du Verdier10 et sur la base même de l’Epître à Henri II une édition à dix centuries dès avant 1585. Citons un passage de son article “Michel de Nostradamus” : “Dix centuries de prophéties par quatrains (...) Imprimées à Lyon par Benoist Rigaud. 1568”. Sachant le nombre d’éditions antidatées, notamment au XVIIe siècle, portant la mention “Lyon, Benoist Rigaud, 1568”, on peut supposer que cette mention datant de 1585 n’a qu’une valeur très relative quand à la date réelle de fabrication de l’édition ainsi citée. En tout état de cause, l’édition en question à “dix centuries de prophéties”, comportant l’Epître à Henri II annonçant une miliade - ce qui pose le problème de son contenu exact (cf. infra) puisque les dix centuries ne totalisent pas 1000 quatrains - n’aurait eu, selon nous, qu’un faible impact comme en témoigne le fait que des éditions à 4 et à 7 centuries aient paru bien après du moins quelques années durant, ce dont témoigne encore en 1588 - 1589 un Raphaël du Petit Val, libraire à Rouen (cf. supra). Les éléments qui la constituèrent n’en continuèrent pas moins à circuler indépendamment. L’exemplaire de Budapest pourrait toutefois correspondre au premier volet de cette édition à la miliade. Nous allons nous en expliquer.

   Contrairement à ce que nous laissions entendre plus haut, la centurie IV dut être complétée avant de faire partie de l’édition à la miliade même si les éditions à 353 quatrains continuèrent à circuler jusques au moins l’an 1588.11 Crespin témoigne en 1572 de sa connaissance de certains quatrains de la IV, parmi les 53 premiers, sans bien entendu qu’il nous donne la moindre précision sur l’édition dont il se sert. Trois éditions auraient existé avant cette date : une édition I-III, une édition I-IV (à 53 quatrains) et une édition VIII-X (cf. infra).

   Revenons à l’exemplaire de Budapest I-VII (à 40 quatrains), elle est très proche de l’édition anversoise de 1590. Les deux éditions ne diffèrent que par l’absence de quelques quatrains à la VIIe centurie - elle n’a que 35 quatrains sur 40 ou 42 - et par le fait que l’édition d’Anvers se réfère, in fine¸ à des commentaires de MDN de ses Centuries. Ni l’une ni l’autre ne comportent d’avertissement en latin ni d’ailleurs de 100e quatrain à la VI. On pourrait a priori raisonnablement penser que l’exemplaire de Budapest est antérieur dans sa conception à l’édition d’Anvers, puisqu’il ne comporte pas l’addition relative au commentaire de MDN.

   Mais on notera aussi que cet exemplaire - pas plus que celui de la Bibliothèque de l’Université d’Utrecht - ne comporte pas d’indication concernant les deux parties de la IVe centurie. Il serait donc postérieur aux exemplaires de la Ligue qui comportent une telle indication.

   On sait que par la suite la mention des deux pans de la IV ne figurera plus dans les éditions antidatées de 1568 et dans toutes sortes d’éditions du premier tiers du XVIIe siècle.

   La disposition des éditions Antoine du Rosne 1557 avec une IV en un seul tenant la placerait plutôt entre les éditions de la Ligue et celles du XVIIe siècle s’il n’y avait pas le problème de ce passage manquant à la fin de la Préface à César, seule différence de taille avec les éditions de la Ligue en ce qui concerne la dite Préface, les autres différences tenant à la Centurie VII et à la fin de la Centurie VI, l’exemplaire de Budapest étant d’ailleurs nettement plus proche que celui d’Utrecht des dites éditions de la Ligue, à savoir notamment pas d’avertissement en latin, pas de mots mis en majuscules.

   En fait, nous pensons qu’il y a du exister initialement deux éditions I-VII. L’une d’un seul tenant - type exemplaire de Budapest - intégrée au sein de la miliade et l’autre ayant sa vie propre préalablement à cette intégration. L’une devait comporter la préface à César sans la référence au commentaire ainsi qu’une Centurie IV d’un seul tenant et l’autre la préface à César avec la dite référence avec une Centurie IV constituée de deux parties. Il est possible, dans ce cas, que l’exemplaire de Budapest comporte une Préface dont on aurait supprimé le passage relatif au commentaire de MDN, dans le cadre de l’édition à la miliade.

   Le fait que la mention de ce commentaire ait été maintenue dans les autres éditions des Centuries sans exception souligne le peu d’impact de cette édition à la miliade que nous pouvons reconstituer d’autant mieux que le volet 2 avec l’Epître à Henri II n’a guère bougé et, quant à lui, comporte bel et bien une référence à la miliade. L’exemplaire de Budapest correspondant en gros au premier volet. D’ailleurs, cette édition mal aimée à la miliade n’imposera sa version de l’Epître à Henri II que tardivement. Pendant plusieurs années, ce qui occupe le terrain, ce sont les éditions à 4 et à 7 centuries, les unes et les autres dotées d’une Préface à César annonçant le commentaire de MDN et c’est d’ailleurs cette version qui l’emportera définitivement encore qu’associée au volet 2 de l’édition à la miliade, ce qui constitue une formule bâtarde.

   La présentation de l’exemplaire de Budapest serait donc postérieure à celle des éditions de la Ligue, parues par la suite et ce notamment pour la centurie IV et pour la Préface à César. Mais ces éditions de la Ligue sont défectueuses pour la centurie VI et pour la centurie VII et correspondent en ce sens à un état plus tardif. Contrairement à ce que l’on avait pu croire, l’état de la Préface à César dans l’exemplaire de Budapest n’est nullement l’expression d’une mouture antérieure de la dite Préface.

   Reste la question de la Centurie VII. A-t-il jamais existé un état à 100 quatrains de cette Centurie, même dans le cas de l’édition à la miliade ? La première occurrence de l’édition à sept centuries a du se présenter sous la forme d’un texte qui serait paru, du vivant de MDN, en 1560 et comportant 39 articles à la suite de la dernière centurie, probablement la Vie. Cet intitulé figure dans toutes les éditions parisiennes sous la Ligue. Cette contrefaçon supposée parue en 1560 pour l’année suivante, supposée parue chez Barbe Regnault, un des libraires le plus mis à contribution en matière de contrefaçons (Almanach pour 1563, Prognostication pour 1562) est certainement antérieure à l’édition à la miliade qui la récupère et l'intègre dans un ensemble de dix centuries. Par voie de conséquence, il convient de supposer un stade antérieur à cette édition à six centuries + 39, c’est celui ne comportant que six centuries. A cette époque là, avant l’édition à la miliade qui allait tenter, prématurément d’unifier l’ensemble, cinq lots de centuries avaient été lancés :

I-III (sans Préface à César)
I-IV (53 quatrains) - sans Préface à César
I-VI (Préface à César)
I-VII (39 articles) - Préface à César
VIII-X (Epître à Henri II)

   Il a donc du exister une édition à six centuries, qui se terminait par un avertissement en latin, (Legis Cautio ineptos criticos) lequel sera supprimé dans l’édition à la miliade, ce qui explique qu’il ne figure ni dans l’exemplaire de Budapest ni dans celui paru à Anvers et qui appartient à la même famille que l’exemplaire de Budapest, sans marque de transition à la IV (cf. infra). S’il ne figure pas non plus dans les éditions parisiennes de la Ligue, cela tient au démembrement de la Centurie VI. En revanche, ce quatrain a été maintenu dans toutes les autres éditions des Centuries comportant les Centuries VI et VII, y compris dans l’exemplaire d’Utrecht. Là encore, l’absence de ce texte latin dans l’exemplaire de Budapest ne serait nullement un signe d’ancienneté mais l’expression d’un processus d’élagage et de suppression des traces de strates successives.

   L’édition datée de 1605 semble avoir le mieux conservé cet état de la centurie VI quant au quatrain 100, le plus souvent supprimé ailleurs et l’avertissement latin conservé sous une forme corrompue. Elle est selon nous l’héritière d’une nouvelle tentative de constituer un ensemble centurique global : il s’agit de l’édition dont se serait servi le Janus Gallicus et qui n’a pas été conservée. Ainsi, l’édition 1605 et l’exemplaire de Budapest 1557 seraient les vestiges des deux premières expériences unificatrices du corpus centurique, survenues à dix ans d’intervalle environ. On notera que l’édition d’Anvers n’appartient pas au même groupe que celui des éditions parisiennes, elle est dans la lignée du premier volet de l’édition à la miliade mais comporte néanmoins le passage absent de l’exemplaire de Budapest à la fin de la Préface à César. Cette édition offre un rare intérêt en ce qu’elle se réfère in fine à une édition d’Avignon, chez Pierre Roux, imprimeur du légat, de 1555, référence qui devait se trouver dans le premier volet de l’édition à la miliade. Signalons une autre particularité de l’édition d’Anvers : l’exergue de la préface en est uniquement en latin “Ad Caesarem Nostradamum filium, Vitam ac foelicitatem” au lieu de “Ad Caesarem Nostradamum filium, Vie et Félicité”.

   Mais le point commun à toutes ces éditions, c’est l’absence de vouvoiement lorsque MDN est supposé s’adresser à son fils, ce qui disqualifie proprement les éditions datées de 1568, toutes moutures confondues, lesquelles comportent un mélange de singulier et de pluriel qui caractérisera les éditions du XVIIe siècle.

   A noter que l’édition de Cahors, datée de 1590, comporte un tel mélange. Cette édition de Cahors, chez Jacques Rousseau12, comporte une centurie IV d’un seul tenant. Cette édition qui se présente comme contemporaine de l’édition d’Anvers, également datée de 1590, est très proche de l’édition Benoist Rigaud 1568 (reprint Chomarat, 2000). Elle est selon nous antidatée.13 C’est un point important car elle comporte l’Epître à Henri II et laisserait entendre que celle-ci serait reparue dès 1590, alors qu’il fallut probablement attendre les années 1593 - 1594, qui correspond au Janus Gallicus et au couronnement d’Henri IV à Chartres. En fait, elle est plus proche de l’édition Pierre Rigaud car le latin et le français y sont mieux distingués que dans l’édition Benoist Rigaud qui en dérive. L’absence des annexes aux centuries VII et VIII est caractéristique des éditions lyonnaises des Centuries, au XVIIe siècle. Comme l’édition Benoist Rigaud, ses deux volets sont d’une veine très différente et elle comporte la forme Legis Cantio au lieu de Legis cautio. Pourquoi demandera-t-on deux volets aussi différemment présentés alors que les éditions dont ils sont supposés être dérivés comportent une plus grande unité à ce niveau là ? Faut-il accorder une trop grande importance au choix de l’italique quand celui-ci n’a pas à marquer la différence linguistique ? Il pourrait s’agir d’une volonté délibérée de souligner le caractère archaïque de ces éditions antidatées, en tenant compte du fait que les deux volets avaient connu des histoires différentes.

   Comment est-on passé du tutoiement au vouvoiement ? Il semble que l’on puisse trouver un commencement de réponse dans l’édition datée de 1605 : on n’y trouve en effet qu’une seule marque de vouvoiement et non pas deux comme dans l’édition Benoist Rigaud 1568. On trouve en effet “mon fils”, afin que bien “l’entendes” et non “l’entendez” ou même “l’entendés” (édition P. Rigaud, 1566). On se rend compte qu’il suffisait d’un accent pour basculer du singulier vers le pluriel, vu que l’on trouve aussi bien “és” que “ez”. Une seule forme est au pluriel, dans cet exemplaire 1605, “afin qu’à l’advenir ne fussiez abuzé”. On remarquera ces formes sans pronom personnel. Mais si le doute peut existe pour “entendes”, avec des formes presque identiques au singulier et au pluriel, il n’en est pas de même pour l’imparfait du subjonctif, avec fussiez au lieu de fusses.

   Quid donc de la Centurie VII ? Si l’exemplaire de Budapest correspond au premier volet de l’édition à la miliade, force est de constater qu’il ne comprend que 40 quatrains. Cela nous semble être la preuve que la Centurie VII ne fut jamais complète, en dépit de la formule de l’Epître à Henri II “à la miliade”. Mais rien n’empêche de penser que cette édition à la miliade comportait 60 articles supplémentaires non conservés et dont les 58 sixains seraient en quelque sorte le témoignage et le substitut. La tradition d’un appendice de 60 quatrains aurait ainsi été maintenue dans les éditions troyennes mais évacuée dans les éditions lyonnaises de type Pierre Rigaud. La différence entre 58 et 60 quatrains tient, on s’en doute, au fait que l’on serait passé de 40 à 42 quatrains à la VII.

   Le principe constitutif des centuries nous semble avoir été de les regrouper trois par trois. Les intitulés en témoignent :

      Premier volet : Les Prophéties (...) dont il y en a trois cens qui n’ont encors iamais ésté imprimées
      Second volet : Les Prophéties (...) Centuries VIII. IX. X.

   On peut donc penser que le concept de miliade était peu compatible avec un tel principe alors que l’idée de douze centuries convenait mieux (3x4), tel qu’annoncé dans le “Brief Discours sur la Vie de Michel de Nostredame”, en tête du Janus Gallicus (p. 6).

   “Entre autres enfantements de son esprit fécond que je passe icy sous silence, il a escrit XII Centuries de prédictions comprises brièvement par quatrains (...) dont trois se trouvent imparfaites, la VII, XI & XII. Ces deux dernières ont long temps tenu prison & tiennent encores pour la malice du temps, en fin nous leur ouvrirons la porte.”

   La miliade serait donc un compromis, intégrant des additions. La première entorse à ce principe fut l’addition de 53 quatrains à la suite de la Centurie III, ce qui allait servir de base à une IVe Centurie mais dans un premier temps, cela dut se présenter comme une simple addition qui servit à constituer un nouveau groupe de trois centuries IV, V et VI. On avait donc alors trois groupes de 300 quatrains. Puis on ajouta 39 articles à la suite de la centurie VI, ce qui constitua la base de la Centurie VII, laquelle permettait d’atteindre la miliade au lieu de servir à forger un quatrième groupe de 300 centuries. On aurait ainsi abouti à 1200 quatrains, le 12 étant un chiffre significatif au niveau symbolique. C’est dire que l’annonce d’une miliade, dans l’Epître à Henri II, nous apparaît comme une cote mal taillée. Signalons cependant dans la Préface à César ce passage qui également se réfère à ce nombre : “et mille autres adventures qui adviendront (...) comme plus avant j’ay rédigé par écrit aux miennes autres Prophéties, qui sont composées tout au long, in soluta oratione etc.”. En conclusion, l’ensemble centurique est resté inachevé, le quatrième groupe de 300 centuries n’ayant pu se constituer à partir de la VII, à la différence du troisième à partir de la IV. Les tentatives pour y parvenir ont probablement conduit à inclure 58 sixains et éventuellement les Présages, au nombre de 141, dans l’édition 1605 (alors qu’on en connaissait dix de plus). Cet échec pourrait expliquer que ce quatrième groupe ait finalement été rejeté dans le canon lyonnais type Pierre Rigaud, à un détail près, le maintien de la Centurie VII, qu’il aurait peut-être mieux value laisser de côté, laissant ainsi l’avertissement latin clôturer un ensemble de 900 quatrains (3x300). Rappelons aussi que le nombre 300 est important pour l’astrologie de l’époque, il correspond en gros à 10 révolutions de Saturne et a servi pour le calcul de l’année 1789 par Pierre d’Ailly.14 En tout état de cause, on n’a pas ajouté cet avertissement entre la VI et la VII mais on l’a supprimé, dans l’édition à la miliade ; cela fait partie d’une politique de suppression des solutions de continuité, affectant également la présentation de la IVe Centurie. L’exemplaire de Budapest Antoine du Rosne 1557 est typique d’une telle finition propre au début des années 1580.

   Sous le titre Les Prophéties (...) dont il y en a trois cens qui n’ont encors iamais ésté imprimées, dut d’abord figurer un ensemble de six centuries se terminant par l’avertissement latin. Titre discutable, d’ailleurs, puisque déjà 53 quatrains de la IV étaient parus. Un tel intitulé fut conservé après l’adjonction de quelques quatrains supplémentaires. On sait à quel point les titres renvoient à des états antérieurs, comme en témoignent ceux des éditions parisiennes de 1588 - 1589. D’ailleurs, si l’on avait pris en compte 353 quatrains, on aurait du alors parvenir à 653 quatrains puisqu’il est question de 300 nouvelles prophéties. Vu que la Centurie VII avec ses quatrains ne permet pas d’arriver au chiffre de 300 nouveaux quatrains, nous pensons que l’on peut conclure que la formulation visait trois nouvelles centuries, l’addition de 53 quatrains ne constituant pas encore une Centurie.

   L’histoire des Centuries, on le voit et c’est ce qui la rend passionnante, se rapproche sensiblement de celle des Etats. On y trouve des sécessions, des unions, des annexions, des démembrements et des remembrements. Ce qui est remarquable, c’est que le débat actuel, parmi les nostradamologues, entre les unitaristes qui voudraient que les Centuries soient d’un seul tenant, d’un seul auteur et d’une seul et même époque face à ceux qui les étalent dans le temps et qui en font une oeuvre collective assez hybride, recoupe les problématiques et les idéologies de notre époque sur la notion d’Etat transcendant et abolissant les différences spatio-temporelles.

Jacques Halbronn
Paris, le 7 septembre 2003

Notes

1 Cf. TPF, pp. 1055 et seq. Retour

2 Cf. Premières Centuries, Genève, Droz, 1996, pp. 16 - 18. Retour

3 Cf. Ed. B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil 1999, p. 455. Retour

4 Cf. R. Benazra, RCN, planche, p. XI. Retour

5 Cf. Chomarat, reprint Benoist Rigaud, 1568, p. 31. Retour

6 Cf. Chomarat, reprint 1568, op. cit., p. 29. Retour

7 Cf. Premières Centuries, op. cit. p. 9. Retour

8 Cf. Benazra, RCN, op. cit. p. X. Retour

9 Cf. notre étude sur le travail iconologique de P. Guinard, sur le Site CURA, 26. Retour

10 Cf. Bibliothèque, Lyon, B. Honorat, 1585. Retour

11 Cf. l’édition à 4 centuries de Rouen, supra et l’édition Macé Bonhomme 1555. Retour

12 Cf. Bibl. De la Société des Lettres Sciences et Arts de l’Aveyron, cote 7162, Rodez. Retour

13 Cf. TPF, p. 1202. Retour

14 Cf. notre étude “Astrologie et religion”, sur Cura.free.fr. Retour



 

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