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ANALYSE

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Le Janus Gallicus comme base
d’une édition critique des Centuries

par Jacques Halbronn

    Il importe de distinguer deux problématiques : celle de la date d’une édition, à partir de critères concernant les éléments les plus récents et la date du texte, ce qui implique de repérer les éléments les plus anciens. La recherche nostradamologique se doit en effet de distinguer la succession des éditions et la question des variantes. Une édition tardive peut en effet avoir conservé, en partie, du fait des aléas et des avatars de la transmission, des traces d’un état fort ancien du texte centurique. C’est ainsi qu’un texte retouché comme la Préface à César n’en a pas moins conservé.1

Sommaire :

1 - Le Janus Gallicus et l’Androgyn (1570)
2 - Le Janus Gallicus et l’édition des Prophéties Macé Bonhomme 1555


1

Le Janus Gallicus et l’Androgyn (1570)


Première partie - L’édition de Dorat 1570 comme référence
Seconde partie - L’édition de Dorat 1570 comme contrefaçon





Première partie
L’édition de Dorat 1570 comme référence

    Parmi les nombreux problèmes qui se posent au chercheur, investi dans le champ nostradamique, l’un d’entre eux fut mis en évidence, il y a une vingtaine d’années, par Jean Dupèbe, dans la présentation de son édition des Lettres Inédites de MDN2, argumentation à laquelle répondit par la suite Bernard Chevignard.3

   Peu nous importe ici, pour l’heure, la question du nom, Chevigny ou Chavigny ou Chevignard. Nous avons déjà relevé, ailleurs, que dans le Janus Gallicus, il est question des “commentaires” de Michel de Nostredame, dont Chavigny fournirait des extraits et que deux ans plus tard, à Paris, en 1596, on nous parle, au titre, désignant le même texte, des “commentaires” du Sieur de Chavigny. Or, dans les Significations de l’Eclipse de 1559, il est fait dire à MDN qu’il a rédigé un commentaire de sa “seconde centurie”. Apparemment, ce passage des Significations, dont on a montré qu’il s’agissait d’une contrefaçon, a du être rédigé lors de la phase où l’on pensait pouvoir encore attribuer à MDN des commentaires de “ses” Centuries. Que Chavigny soit un faussaire est assez patent, traitant de façon cavalière divers documents qui lui sont parvenus, en changeant les dates, trafiquant le texte latin des quatrains pour ajuster ceux-ci à son commentaire. Nous avons également montré que le “Brief Discours sur la vie de M. De Nostredame” comportait un document latin tronqué, celui de l’épitaphe.4

   Peut-on d’ailleurs lui attribuer la paternité du “Brief Discours” ? Le fait que celui-ci soit tronqué ou retouché dans le Janus Gallicus, n’est-il pas le signe que l’on se sert d’un texte écrit par un autre ? Il en est de même pour le Recueil des Présages Prosaïques, de qui sont les commentaires marginaux que l’on a peut-être voulu présenter comme ceux de MDN lui-même, sur ses propres publications, puisque telle était, on l’a vu, l’intention, au titre, de la Première Face du Janus François ? Mais dans le Recueil des Présages Prosaïques, un tel commentaire ne saurait concerner les Centuries, qui ne s’y trouvent point.

   A y regarder de près, il est question, dans le JG, de centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame. Mais le contenu du JG ne comporte que des commentaires de quatrains, ceux des almanachs entremêlés systématiquement avec ceux des Centuries, comme si les quatrains des almanachs faisaient partie intégrante des dites Centuries. Mais on peut penser que les quatrains des almanachs sont ici désignés sous le nom de “commentaires”, comme semble l’attester un passage du “Brief Discours” : “Commentaires (...) sur l’an 1559 (...) où je renvoye le lecteur”. Et de fait, pourquoi ne pas considérer les quatrains des almanachs comme des commentaires sur ce qui se passera pour telle ou telle année ? Il reste que dans le cours / corps du “Brief Discours” on nous parle bel et bien des “Centuries & autres présages” (p. 3). On voit que la terminologie à l’intérieur du “Brief Discours” varie : à une page on trouve “présages” et quelques pages plus loin “commentaires” pour désigner la même chose, à savoir les quatrains des almanachs. Nous pensons que la fin du “Brief Discours” a été remaniée pour correspondre aux éléments du titre de la Première Face du Janus François, ce qui expliquerait ce flottement terminologique.

   La formule de 1596 est plus précise, à plus d’un titre, Commentaires du Sr de Chavigny sur les Centuries et Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus. Cette fois, Prognostications, au vu du contenu de l’ouvrage, ne peut que désigner les quatrains des almanachs, lesquels d’ailleurs, par la suite prendront le nom de Présages et cette fois le terme Commentaires, initialement utilisé pour désigner les quatrains des almanachs, est réservé désormais à Chavigny. Dans le JG, Chavigny n’apparaissait que modestement, tout en bas de la page de titre : Le tout fait en François & Latin, pour le consentement de plusieurs par IEAN AIMES DE CHAVIGNY BEAUNOIS, & dédié au Roy. Quel contraste avec l’édition parisienne dont le titre débute ainsi: Commentaires du Sr de Chavigny Beaunois sur les centuries etc. On peut se demander la raison d’un tel changement de formulation, survenu en si peu de temps.

   Revenons sur le “Brief Discours”, il est assez évident que les dernières lignes ont été rajoutées, lesquelles parlent d’un ensemble de douze centuries. Nous pensons en effet que ce texte a du exister au lendemain de la mort de MDN voire figurer dans les toutes premières éditions posthumes, comportant notamment la pierre tombale. Or, au lendemain de la mort de MDN, il ne nous semble pas qu’il ait pu être question de 12 centuries attribuées à celui-ci, vu qu’il n’en était encore question que de trois, introduites par une Epître à Henri II, retouchée, laquelle n’annonçait pas encore une miliade de quatrains.

   On notera aussi que dans ce texte, il n’est nullement signalé des éditions des Centuries qui eussent été mises en lumière du vivant de MDN. Il conviendrait probablement d’ajouter le “Brief Discours” à la liste des textes introductifs retouchés en vue d’introduire une série de quatrains ou de sixains, à l’authenticité souvent plus que douteuse, dès lors qu’ils sont attribués à MDN, tels que la Préface à César, les Epîtres à Henri II et à Henri IV. Initialement, la formule “centuries et commentaires” devait ne désigner que trois centuries et la série des quatrains de ses almanachs, depuis 1557 jusqu’à 1567, puisque nous pensons que les quatrains donnés pour 1555 sont des faux, insérés bien plus tard au sein d’une Prognostication pour 1555, alors que les quatrains sont réservés aux almanachs. Or, le “Brief Discours” cite (p. 3) le premier quatrain de la dite “Prognostication” : D’esprit divin etc.5 Bien plus, le JG commence avec le commentaire de ce même quatrain (p. 36).

   Le problème, c’est que le lecteur n’a pas accès aux documents auxquels renvoie la Première Face du Janus François. On n’a pas conservé d’édition qui rassemble “Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame”, les commentaires étant pris ici dans le sens de quatrains reliés à des années et à des mois. Lors de la sortie du “Brief Discours”, à la mort de MDN, les almanachs étaient encore une affaire récente. En 1594, c’était devenu de l’histoire ancienne. Autrement dit, il y a quelque chose d’anachronique dans le JG, qui en fait une oeuvre des années 1560 plus que des années 1590. Nous pensons qu’il a du exister un commentaire qui ne dépassait point le règne de Charles IX, et pour cause et qui fut prolongé jusqu’à la mort d’Henri III, en piochant toujours dans les Centuries et les Présages et en interpolant des quatrains de nouvelles centuries qui n’avaient pas encore été produites, au sein du premier commentaire existant, que l’on pourrait éventuellement attribuer à Dorat. En d’autres termes, le JG, en tant que commentaire, serait lui-même un texte retouché et pour maintenir une impression d’homogénéité, on fut contraint de se servir de quatrains des almanachs, tout au long alors même que ceux-ci devenaient, et ce de plus en plus, une denrée singulièrement rare, en puisant dans le Recueil des Présages Prosaïques, c’est-à-dire dans un manuscrit qu’il fut question précisément de publier en 1589, comblant ainsi les lacunes bibliographiques mises en évidence par les commentaires des quatrains des almanachs figurant dans le Janus Gallicus. Recueil qui s’il était paru aurait fait se rencontrer les quatrains des almanachs avec ceux des Centuries, par le truchement des commentaires en marge, lesquelles centuries, faut-il le rappeler, sont parfaitement absentes et des publications annuelles de MDN et de sa correspondance professionnelle manuscrite, éditée et traduite par J. Dupébe6 et par R. Amadou.7

   Peut-on donc affirmer, en fin de compte, que parut une édition comportant les centuries et les Présages à la même époque que le JG ? On peut en douter, en raison de l’étrangeté même de la genèse du JG. Il est probable que l’on se contenta de lire le JG sans se référer à une édition des Centuries et encore moins aux Présages, tout comme les Catholiques ne connaissaient la Bible qu’au travers de commentaires. D’autant qu’à partir de 1603, le même Chavigny fournit, avec les Pléiades, ouvrage plusieurs fois réédité, un commentaire de prédictions en prose de MDN, entretenant ainsi à sa façon la mémoire de celui-ci. Le premier volet devait être représenté par une édition antidatée à 1557, supposée parue chez Antoine du Rosne (Bibl. de Budapest), édition munie de la Préface à César.8 Et le second volet dut circuler séparément, on en connaît en 1603, une édition parisienne avec l’Epître à Henri II. En 1606, on offrit à Henri IV quelques quatrains supposés de MDN - dont se fera l’écho le Mercure François, avant que cette épître ne resservît pour introduire les Sixains.9 Ce n’est que dans les années 1620, qu’un nouveau souffle de la production centurique se manifestera et cette fois sans interruption, comportant les sixains et les Présages, notamment avec l’édition (troyenne) datée de 1605, date de l’Epître à Henri IV. La genèse de cette édition resterait à préciser : à partir de quels documents fut-elle constituée ? En tout état de cause, elle se situait dans la mouvance du Janus Gallicus, en adoptant l’hypertexte10, notamment avec la présence des Présages et de quatrains des Centuries XI et XII, et hérita probablement de sa bibliothèque. On ne reviendra pas ici sur la filiation entre cette édition 1605 qui aboutirait à l’édition Benoist Rigaud, Lyon, 1568.11

   Ouvrage donc singulier que ce Janus Gallicus s’étirant sur une trentaine d’années et parvenant des années 1560 aux années 1590, avec son attachement désuet aux almanachs de MDN. Resté apparemment manuscrit tout au long de ces années mais constamment réactualisé et servant éventuellement à produire du Nostradamus, des faux almanachs aux fausses centuries, le JG nous apparaît comme le mauvais démon, “long temps tenu prison” - selon la formule même du “Brief Discours” (p. 6) - du nostradamisme et qui n’est pas sans évoquer l’Evangile où Satan se trouve “délié” et dont il est question dans l’Epître à Henri II.

   Dès 1570, nous avons, dans l’épître à Larcher, en tête de L’Androgyn de Dorat, une référence explicite de la part de Jean de Chevigny, en sa qualité de traducteur du poème latin de Dorat, à un quatrain (45) de la Centurie II12, lequel correspond à l’agencement canonique, ce qui laisse entendre que dès cette époque, l’agencement de la dite Centurie était établi et ne bougea plus. Et dès cette époque, Chevigny laissait entendre qu’il disposait de tout un ensemble de documents par devers lui : “auquel en son vivant ay esté fort familier & amy & duquel j’ay encores rière moy tous les oeuvres tant en oraison prose que tournee que bien tost je mettray en lumière”.13 Le ton n’est pas sans évoquer la fin du “Brief Discours”. Mais cette Centurie dont il est ici question et qui a trait d’ailleurs à l’androgyn, était-elle parue initialement sous le nom de MDN ou bien était-ce une tentative, après sa mort, pour la lui attribuer ? Est-ce le même homme qui se trouva en poste à trente ans de distance ? Et ce Jean de Chevigny ne fut-il pas proche de ce Nostradamus le Jeune qui, avant même la mort de MDN, publiait en sa qualité de disciple, dont les Centuries furent agrégées par la suite au corpus nostradamique ? Il est possible en fin de compte que l’on ait eu affaire, tout au long, à un seul et même personnage mais celui-ci géra à sa façon l’héritage et comme dans la parabole des talents, le fit fructifier à sa manière, au vrai, assez peu scrupuleuse, celle d’un spécialiste de MDN, capable de faire du Nostradamus plus vrai que nature.

L'Androgyn (1570)

Frontispice de L'Androgyn né à Paris (1570)
de Jean de Chevigny

Extrait de L'Androgyn (1570)

Extrait de L'Androgyn né à Paris (1570)
de Jean de Chevigny

Quatrain (II,45) de l'édition du Janus Gallicus

Quatrain (II,45) de l'édition du Janus Gallicus

Quatrain (II,45) de l'édition Macé Bonhomme (1555)

Quatrain (II,45) de l'édition Macé Bonhomme (1555)

Quatrain (II,45) de l'édition conservée à Budapest (1557)

Quatrain (II,45) de l'édition conservée à Budapest (1557)

Quatrain (II,45) de l'édition Benoît Rigaud (1568)

Quatrain (II,45) de l'édition Benoît Rigaud (1568)

Quatrain (II,45) de l'édition 1605

Quatrain (II,45) de l'édition 1605

   Faudrait-il donc, cependant, vraiment, charger une même personne d’un tel poids ? Nous ferons deux observations :

      1° Il est un passage qui nous laisse perplexe : B. Chevignard a certes pu relever14 que “dans une inscription marginale de son Recueil, Chavigny note incidemment qu’il est l’auteur de l’Androgyn né à Paris le XXI Juillet MDLXX, publié à Lyon en 1570, sous le nom de Jean de Chevigny (Présages Prosaïques, Livre II, 301)”. La note, qui concerne les Présages Merveilleux pour 1557, est la suivante :

   “Duquel plusieurs ont escrit & l’ont orné. J. Daurat, Belleforest & nous le représentimes dans Lyon avec quelque description. Et l’auteur mesmes en avoir parlé en ses Centuries.”15

   Cela vise le passage suivant des Présages Merveilleux : “Seront sept qui orneront le né biparti qui les rendra confus”. Il est probable que le quatrain en question, qui n’était certainement pas composé en 1555, alors qu’il figure dans l’édition Macé Bonhomme supposée parue en cette année là, ait été inspiré d’un tel passage des Présages Merveilleux. Il nous semble que le “nous” en question concerne quelque autre auteur - qui pourrait donc avoir participé à un stade de l’élaboration du JG - que ce Jean de Chevigny, lequel auteur aurait également été intéressé par un sujet qui défraya la chronique, ce qui est tout à fait vraisemblable, non pas nécessairement qu’il lui eût consacré un ouvrage entier mais seulement quelques pages, à l’instar d’ailleurs de Belleforest. B. Chevignard force les choses en écrivant que “Chavigny note incidemment qu’il est l’auteur de l’Androgyn (...) publié à Lyon en 1570.”

   Parmi ceux qui publièrent sur l’Androgyn, il convient de signaler Arnaud Sorbin, dit de Sainte Foy, auteur en 1570, d’un Tractatus de monstris, Paris, Marnef et Cavellat16, lequel comporte entre autres une étude en latin sur l’androgyn apparu à Paris au mois de juillet 1570, dans laquelle il cite les deux poèmes de Dorat tels qu’ils figurent dans L’Androgyn né à Paris le XXI Juillet 1570. Ce texte comporte une vignette qui sera reprise par Belleforest dans sa propre étude sur l’androgyn17 que l’on trouve dans les Histoires Prodigieuses, parues à Anvers en 1594 et 1595 laquelle comporte également le texte le plus long de Dorat sur le sujet. Belleforest y traduit également le traité des monstres de Sorbin mais sans l’étude consacrée à l’androgyn, telle qu’elle figure dans le texte latin.18 Sorbin voyait dans ce monstre un lien avec la paix de Saint Germain en Laye qui fut signée par la régente Catherine de Médicis, le 8 août, une sorte d’édit de Nantes avant la lettre, instaurant la cohabitation entre catholiques et protestants, mais qui allait deux ans plus tard déboucher sur le massacre de la Saint Barthélémy : De Pace. En effet, cet androgyn - qui est en fait constitué de jumeaux - par cette dualité même qui était abolie par le lien qui tenait les deux personnages ensemble, comme on peut le voir sur l’iconographie qui accompagne ces textes, n’incarnait-il point, en quelque sorte, l’unité du pays.19

      2° Dans le Janus Gallicus, toujours à propos de ce passage, on lira (p. 192) :

   “Ce quatrain est diligemment expliqué par I. Dorat au premier livre de ses Poesmes, disant par un qui le fait parler François,

Les signes precedans celle Androgyne teste
Ont esté les frimats, les pluyes, la tempeste
Les fluves debordez au plus fort de l’esté
De ce part monstrueux les signes ont esté.

   Nous avons pu vérifier que tel était bien le texte figurant dans L’Androgyn de 1570. L’original latin figure en vis à vis (p. 193) :

Signa sed eventus monstri monstrosa proeibunt
Imbres immodici fluviisque tumentibus ingens
(à la place d’ingens, alté, dans le texte latin)
Diluvies : caelo Androgynum (ut canit ille) creatum
Plorante etc Io. Auratus (Jean Dorat)

Quatrain (II,45) de l'édition du Janus Gallicus

   On notera donc une variante : alté (dans le Carmen Ioan. Aurati (...) De monstro Androgybo Luteriae nato annon Domini 1570. 21. Iulii) au lieu de ingens. Ce n’est qu’un exemple de plus de la façon pour le moins cavalière dont le texte français est traduit en latin dans le JG, surtout que dans ce cas, c’est le français qui est censé traduire le latin.

Carmen de Jean Dorat

Carmen de Jean Dorat

   Autrement dit, le commentateur de ce quatrain n’a pas pris la peine de retraduire le texte latin de Dorat, il s’est servi de la traduction française “par un qui le fait parler François”. On notera qu’il n’est pas ici fait référence à l’édition de 1570 de L’Androgyn mais à un recueil des pièces de Dorat qui le comporte, les Poëmata, datant de 1586, Paris, Guillaume Linocier.20

   Le problème, c’est que le traducteur français de ce passage latin de L’Androgyn - “qui le fait parler françois” - n’était autre que… Jean de Chevigny. A vrai dire, le nom de Chevigny n’est pas associé avec la traduction française ; il ne figure qu’à la fin de l’Epître du 19 août 1570 - I. De Chevigny - et n’apparaît même pas au titre de l’ouvrage : L’Androgyn (...) avec la traduction d’iceuix en nostre vulgaire françois, dédiée à Monseigneur le Président l’Archer, sans autre précision. Il semble bien que celui qui s’exprime ainsi au sujet de la traduction française du Carmen de Dorat ne soit pas au courant du rôle joué par le dit Jean de Chevigny. Dont acte.

Epître à Larcher

   Au demeurant, le débat ne tient pas tant sur la question de savoir si le nom de Jean de Chevigny, comme le soutient B. Chevignard, a évolué vers celui de Jean-Aimé de Chavigny mais de déterminer si l’éditeur de la version finale et publiée d’un ouvrage hétérogène sinon hétéroclite, portant in fine le titre de Première Face du Janus François peut être le personnage connu sous le nom Jean de Chevigny et qui fut proche de MDN à la fin de sa vie. Et à cette question, nous répondrons : c’est peu probable. Apparemment, en effet, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette personne qui réalisa son commentaire tardivement - les Poemata sont de 1586 et les autres textes lui sont dans leur mouture finale postérieur, que ce soit le Janus Gallicus ou le Recueil des Présages Prosaïques (manuscrit daté de 1589) - n’était pas familière avec les activités de Jean de Chevigny telles qu’elles sont attestées en 1570.

Histoires prodigieuses (1594)

Frontispice des Histoires prodigieuses (1594)
de Belleforest

Extrait des Histoires prodigieuses
Extrait des Histoires prodigieuses

Extrait des Histoires prodigieuses (1594)
de Belleforest

   En ce qui concerne le point n° 1, il semble bien que celui qui s'exprime ne soit pas Jean de Chevigny, mais bien un des auteurs qui s'étaient illustré sur le sujet, un spécialiste des “monstres”21 et dont, notamment, en 1594, l'année où paraît le Janus Gallicus, on publiera, à Anvers, les textes les plus significatifs, sans la moindre référence au dit Chevigny au sein d'un recueil collectif, dont chaque Livre est constitué de la contribution d'un auteur (Boaistuau, Tesserant, Belleforest, Hodier, Sorbin) intitulé “Histoires Prodigieuses” ; en ce qui concerne la partie propre au dit Belleforest, on trouve en effet un texte consacré à L'Androgyn né à Paris, au Livre III, dans lequel texte précisément est reproduit, en particulier, in extenso le texte latin de Dorat sur L'Androgyn, sans citer d'ailleurs son nom. Ce qui vient compliquer les choses, c'est qu'il semble bien que la traduction française de L'Androgyn de Dorat ne figure que dans l'édition de 1570 et non dans les Poematia de 1586. Comment l'auteur du commentaire pourrait -il donc ignorer l'identité de ce traducteur si c'est lui-même ? Il est vrai que le nom de Chevigny n'apparaît même pas sur la page de titre de L'Androgyn mais seulement en bas de l'Epître, sous la forme “I. de Chevigny”. Tout se passe en fait comme si l'auteur du dit commentaire sur L'Androgyn n'avait rien à voir avec ce Chevigny / Chavigny.

   Il nous semble que ce qui nous est connu sous le titre de Janus François ou dans l’édition latine jumelle, Jani Gallici facies prior etc constitue un ensemble assez dépareillé, ce qui est renforcé par le fait que les allégeances politiques successives, d’Henri III à Henri IV, ne contribuent pas à sa cohérence. Ce recueil s’est probablement constitué à partir de pièces déjà existantes et qui ont été interpolées et prolongées pour pouvoir s’ajuster à l’époque tardive de sa parution. Il semble que de même que l’on ait voulu maintenir la fiction d’un Nostradamus endossant toutes sortes de textes en prose et en vers, accumulés sur plusieurs décennies, que l’on aurait pu procéder de la même manière à propos de Jean de Chevigny.

   Mais par la même occasion, on peut se demander si le texte des quatrains tel qu’il figure dans le Janus Gallicus ne correspond pas à un état très ancien, du moins pour certaines centuries. C’est ainsi que si l’on revient sur II, 45, on note que la version du quatrain figurant dans le recueil en question est en tout point conforme à celle que l’on trouve dans L’Androgyn de 1570, à savoir que le mot Androgyn n’y est pas précédé de l’article défini comme c’est le cas dans les éditions des Centuries que nous connaissons, y compris celles datées de 1555, 1557 ou 1568 qui comportent toutes la forme “L’Androgyn”. Nous aurions dès lors avec la façon dont ce mot est ou non précédé de l’article ce que nous avons appelé un chronème. Bien plus, si l’on compare la présentation du JG avec celle de L’Androgyn de 1570, la ponctuation y est strictement identique, au point près alors qu’elle varie sensiblement dans les autres éditions signalées plus haut, y compris dans l’édition datée de 1605, qui, sur ce point, n’est pas conforme au JG. En conséquence, nous pensons que le JG devrait désormais être considéré comme une base déterminante pour la mise en place d’une édition critique des Centuries, en ce qu’il serait, avec les Prophéties à la Puissance Divine de Crespin, la représentation d’un état antérieur à 1570. Voilà en tout état de cause qui disqualifie, s’il était encore nécessaire d’en rajouter, les éditions antidatées susnommées.

   Identité donc parfaite de la version JG de II, 45 avec la citation de l’ouvrage de 1570 : P. Brind’amour a signalé cette question mais sans en tirer de conséquences.22

   On pourrait évidemment inverser le diagnostic et considérer que cette identité entre JG et la Préface à Larcher en tête de L’Androgyn pourrait être la preuve que l’édition de l’Androgyn datée de 1570 aurait été réalisée à partir du Janus Gallicus de 1594. Il est vrai que le fait que dès 1570, le texte de ce quatrain ait été non seulement immuable par rapport à la situation plus de 20 ans plus tard mais que sa numérotation l’ait également été a de quoi laisser quelque peu sceptiques, quand on connaît l’histoire tourmentée des Centuries, entre temps. Mais n’avons-nous pas insisté sur le caractère d’ancienneté de certains pans du JG ?

   Quant au décalage existant, à propos de II, 45, entre le JG et l’édition 1605, n’est-il pas révélateur précisément de ce que l’une ne dérive pas de l’autre, sauf en ce qui concerne la question de l’hypertexte.23 Certes, l’édition de 1605 tient-elle compte du projet du JG, de l’importance accordée aux Présages et aux centuries XI-XII, mais le contenu du JG est par trop lacunaire - comme d’ailleurs celui des susdites Prophéties à la Puissance Divine (1572) ou celui, plus tard, de l’Eclaircissement des véritables quatrains (1656), pour permettre la mise en place d’une édition en bonne et due forme.

   Pour confirmer la réalité du décalage entre JG et édition 1605, considérons le cinquième quatrain de la Ière Centurie, au 4e et dernier verset :

Carcass. Narbonne auront cueurs esprouvez

Quatrain (I,5) de l'édition du Janus Gallicus

Quatrain (I,5) de l'édition du Janus Gallicus

Quatrain (I,5) de l'édition Macé Bonhomme (1555)

Quatrain (I,5) de l'édition Macé Bonhomme (1555)

Quatrain (I,5) de l'édition conservée à Budapest (1557)

Quatrain (I,5) de l'édition conservée à Budapest (1557)

Quatrain (I,5) de l'édition Benoît Rigaud (1568)

Quatrain (I,5) de l'édition Benoît Rigaud (1568)

Quatrain (I,5) de l'édition 1605

Quatrain (I,5) de l'édition 1605

   Or, il se trouve que dans toutes les éditions connues des Centuries - celle datée de 1605 y compris - on trouve Carcas., abréviation de Carcassonne, qui s’écrit, en effet, avec deux s, comme on le voit en d’autres quatrains, cette fois avec un seul s. C’est, comme on dit, le détail qui tue. P. Brind’amour24 n’a pas signalé cette “variante” du JG et n’a pas su apprécier l’apport du JG à sa juste importance pour son entreprise.

   La question donc reste posée : a-t-il ou non existé une édition des Centuries dont l’édition 1605 aurait été la réplique et le JG était-il couplé avec une telle édition, lors de sa publication ?25 Nous pensons que l’existence d’une telle édition ne va plus de soi, la ponctuation des quatrains dans le JG différant, d’ailleurs, considérablement de celle de l’édition 1605 et de ses dérivés car le JG dépend d’un document qui diffère en cela de celui dont l’édition datée de 1605 relève et seule la conception générale de l’ouvrage recoupe-t-elle peu ou prou le système du Janus Gallicus tel qu’exposé dans le “Brief Discours”. En fin de compte, si l’on aborde la question de la langue et de la ponctuation des quatrains, l’édition 1605 est plus proche de l’édition BR 1568 que du JG.

   Quoi de surprenant, en définitive, à ce que le contenu des toutes premières éditions des Centuries ne nous ait été conservé, incomplètement, que par le biais de commentaires et de paraphrases et non d’éditions se présentant comme telles ? De là à penser, a contrario, que certaines éditions aient pu être détruites, comme témoins compromettants de retouches ultérieures, il n’y a peut-être qu’un pas. En tout état de cause, pour ce qui est des Centuries IV (après 53) jusqu’à VII, il s’agit, dans le JG, d’additions nécessairement plus tardives mais qui devraient également être assez proches de leur première mouture, en date des années 1580. L’émergence des dites centuries dans le JG, alors que les Prophéties à la Puissance Divine n’en avait pas connaissance, contribue à constituer une base précieuse pour une édition critique de l’ensemble des Centuries du canon nostradamique, au sens du “Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame“. Encore que le JG ne recourt à ce groupe de quatrains qu’assez parcimonieusement. La particularité du JG est de s’étaler sur une fort longue période et d’avoir été augmenté au cours des décennies.

Jacques Halbronn
Paris, le 15 septembre 2003




Seconde partie
L’édition de Dorat 1570 comme contrefaçon

    On sait ce qu’il faut penser désormais du “témoignage” des Significations de l’Eclipse de 1559 au regard de la mention dès 1558 d’une “seconde centurie”.26 C’est nous-mêmes d’ailleurs qui, il y a de cela une dizaine d’années, l’avions signalé à P. Brind’amour. C’était l’époque où nous pensions encore que les premières centuries pouvaient être parues dans les années 1550. Cette même seconde centurie, nous avions été également le premier à le signaler, était “attestée” dans L’Androgyn de Dorat, en date de 1570, ce que ne notait pas R. Benazra27, qui ne s’intéresse ici qu’à l’hypothèse d’un Dorat, commentateur de MDN - Androgyn que Chomarat ne signale même pas, pour l’année 1570 - dans sa Bibliographie Nostradamus (Baden-Baden, 1989).

   L’Epître de Chevigny à Larcher, située en tête de L’Androgyn de Dorat, est en réalité surtout remarquable en ce qu’elle comporte dans son intégralité le “quatrain quarante-cinquième de sa seconde centurie prophétique”. Non seulement, elle le mentionne mais elle le numérote selon la présentation qui est encore celle du canon nostradamique, toutes éditions conservées confondues.

   Mais revenons sur la valeur de l’extraordinaire “témoignage” de l’Epître à Mgr Larcher relatif à la “seconde centurie prophétique” de Monsieur de Nostradame. Nous avions dans une précédente étude28 souligné la similitude entre la version du quatrain de la dite Epître et celle figurant dans le Janus Gallicus, en faisant remarquer que le premier verset était atypique sous la forme qui était la sienne tant dans le JG que dans l’Epître à Larcher de Jean de Chevigny. Un détail certes mais qui nous interpelle : “Trop le Ciel pleure. Androgyn procreé (sic) (…) Par mort trop tarde grand peuple recreé (resic)”. Ce n’est pas tant la faute d’accent redoublée qui nous retient car elle ne se trouve pas dans le JG mais l’absence d’article devant Androgyn qui ne se trouve dans aucune édition connue des Centuries. Le rapprochement est d’autant plus significatif qu’en note on peut lire dans le JG de Jean Aimé de Chavigny un renvoi à l’ouvrage de Dorat ou du moins au premier livre de ses Poematia qui le comporte. En réalité, nous n’avons aucune preuve de la parution de l’Androgyn de Dorat en 1570, du moins sous la forme qui est la sienne dans une édition de Lyon, chez Michel Jove, qui aurait été préfacée par Jean de Chevigny, quasi homonyme du dit Jean-Aimé de Chavigny, qui signe le Janus François et surtout les Commentaires du Sieur de Chavigny, parus, à Paris, en 1596, et qui en constituent une nouvelle présentation. Certes, on sait par le témoignage d‘Arnaud Sorbin29 que les vers latins de Dorat sur l’Androgyn circulaient en cette année 1570 mais nous ne savons rien d’une éventuelle traduction française dont il est seulement question dans le Recueil des Présages Prosaïques, resté en manuscrit et commenté en marge, par le dit Jean-Aimé de Chavigny.30 lequel reproduit un passage de la traduction figurant dans l’édition de l’Androgyn, Lyon, Michel Jove 1570. C’est dire qu’une telle édition nous semble bien douteuse. Rappelons qu’en 1594, date de parution du JG, à Lyon, on publie également, à Anvers (en 1598, à Paris, chez la veuve de Gabriel Buon31) les Histoires Prodigieuses lesquelles comportent le texte latin, le plus long, de Dorat sur l’Androgyn, datant de 1570 et qui ne fut peut-être même pas imprimé alors : F. De Belleforest nous parle à propos du texte de Dorat32 d’une “copie en Latin prise de la main de l’auteur mesme”, ce qui pourrait donc bien viser un document manuscrit donc bien différent du document censé paru chez Michel Jove, en 1570, date de la naissance de l’Androgyn parisien.

   Par ailleurs, nous avions également souligné (cf. Volet 1, première partie) des similitudes entre certains passages de l’Epître à Larcher et du “Brief Discours sur la vie de Michel de Nostredame”, placé en tête du JG. On avait certes pu penser, à un moment, à une conclusion inverse : à savoir que le JG se serait inspiré, très ponctuellement, au demeurant, de l’Epître à Larcher mais la thèse actuelle nous semble désormais plus probable.

   Ajoutons que la publication de L’Androgyn, tel qu’il se présente, dans l’édition (anti) datée de 1570, ne vise évidemment pas seulement à apporter une preuve de l’existence des Centuries à cette date, tel n’est probablement pas le souci de l’entreprise. La lecture du texte français montre en effet que l’on a mis en majuscules - ce que nous appelons hypertexte - le nom de LOUIS alors que chez Dorat, c’était CAROLE qui était ainsi traité, dans le texte latin. Il se trouve que Louis (Lodoicus dans le texte latin) était le nom attribué à l’Androgyn, mais Dorat n’accordait guère d’importance à cette particularité, s’adressant visiblement à Charles IX, souverain alors régnant. Pour Chavigny, en revanche, l’intérêt qu’il portait à ce texte tenait précisément au fait que le nom de Lodoicus y figurait par hasard. Faudrait-il dans ce cas dater cette contrefaçon de la naissance du futur Louis XIII, en 1601 ? Rappelons qu’en 1603, Chavigny publia chez Pierre Rigaud, à Lyon, un recueil prophétique intitulé Les Pléiades (Françaises).

   Or, la lecture du Janus Gallicus fait ressortir de façon caricaturale l’importance accordée, dans l’hypertexte, à Louis, que l’on va trouver sous loin, terme que l’on va traduire, sans scrupule, par Lodoicus, dans la version latine, laquelle d’ailleurs disparaîtra en 1596 dans la réédition du JG. D’ailleurs, le commentateur du JG s’en explique : il vise Louis de Bourbon, Prince de Condé.33 Cela couvre les années 1562 - 1569, date de la mort de Louis Ier de Condé. Lodoicus désigne ici plus largement le camp protestant auquel s’en prend le JG. On nous explique que cela vaut aussi pour le fils, Henri Ier de Condé, chef du parti protestant avec Henri de Navarre (JG n° 286). “Il prend ici le père pour le fils nommé Henry de Bourbon, Prince de Condé, qui, estant en Allemagne envoya en France 2000 Reitres (...) défaits en Bourgogne par le Duc de Guise” (année 1575, p. 230) et tout cela à partir de VIII, 92 : “LOIN (sic) hors du règne mis en hazard voyage” traduit par “LODOICUS patria cedens peter extera regna”.

   Signalons une autre anomalie dans cette édition Michel Jove / Jouve, qui est calquée sur des productions de ce libraire telles que les articles (en français) du traité conclu entre Venise et le Pape, en date du 20 mai 1571.34 Dans les Poematia parus en 158635, dédiés à Henri III - ainsi qu’il figure au titre - Paris, G. Linocier36 - Dorat décédera en 1588 - le texte court (De Androgyno infante) précède le texte long, qui en est le commentaire, soit l’Androgyni interpretatio. Ad Regem, tandis que dans l’édition 1570, c’est l’inverse et le texte court est simplement présenté comme Autre du mesme auteur. Aliud eiusdem autoris, l’accent étant mis sur le seul commentaire Carmen Ioan. Aurati (...) de monstro Androgyno etc, sans référence au Roi, au titre, à la différence du texte latin de 1586. Il se pourrait que les faussaires se soient servi du Tractatus de monstris d’Arnaud Sorbin, déjà cité, et comportant dans ce même ordre, dans l’étude consacrée à l’androgyn né à Paris, en juillet, avec une vignette représentant le “monstre” en question, les deux textes latins de Dorat. Bien plus, dans l’édition de 1586, le texte “De Androgyno infante”, écrit en minuscules, est précédé d’un texte introductif qui ne figure pas dans l’édition antidatée de 1570, l’ensemble étant ainsi présenté : Ad Carolum IX. Regem Franccrum, en lettres majuscules. Quant à la traduction française des poèmes sur l’Androgyn, elle n’est pas signalée en 1586. Signalons qu’en 1570, Dorat avait justement publié Novem Cantica de Pace ad Carolum Novum Galliae Regem/ Neuf Cantiques ou sonetz de la Pais. A Charles neufiesme Roy de France par Jean Dorat poète de Sa Majesté, Paris, chez l’auteur.37 On imagine vraiment mal Dorat publiant la même année, également sur le thème de la paix, un texte dédié au dit Charles IX et n’indiquant jamais le nom du Roi, mais seulement son prénom. Rappelons qu’il y eut sous la Fronde un Charles X de Bourbon auquel Crespin dédia une Prophétie Merveilleuse - l’Epître au “roi très chrestien” étant du 20 mars 1589 - Paris, P. Ménier38, et que les Bourbons étaient des descendants de Saint Louis.

   Le poète de la Pléiade s’adresse bel et bien à Charles IX - CAROLE - quand il lui parle de Saint Louis qui porte le même nom que l'androgyne :

“SIRE (...) Le nom de vostre ayeul bon Roy Saint LOYS”

   Comment donc se fait-il que cette mention “Au Roi” ne figure pas en 1570, alors que Charles IX précisément règne, sur la page de titre de cet Androgyn ? Une même anomalie, rappelons-le, caractérise, les éditions (anti) datées de 1568 dont le second volet comportant une Epître à Henri II ne comporte pas non plus au titre la mention consacrée Au Roi. Encore, dans ce dernier cas, Henri II est-il décédé ainsi que celui qui s’adresse à lui mais ce n’est pas le cas en 1570 ni pour Charles IX ni pour Dorat. Et pourquoi le traducteur français ne met il pas en majuscules le prénom de Charles, comme c’est le cas dans le texte latin, mais celui, à deux reprises, de LOYS ?

   Si l’on observe la façon dont MDN s’adresse à Henri II en tête des Présages Merveilleux pour 1557, on s’aperçoit que cela ne correspond nullement à la formulation des éditions datées de 1568.

   Presages : “Au très invincible & tres puissant Roy, Henry, second de ce nom” et au titre “Dédies au Roy treschrestien Henri deuxiesme de ce nom”

   1568 (Lyon), 1590 (Cahors), 1605, 1668 (Amsterdam) : “A l’invictissime tres puissant et Tres Chrestien Henry Second Roy de France”

   A titre comparatif, un autre auteur renommé, Guillaume Postel, s’adressant au même Henri II, en tête de sa Loy Salique, 1552 s’exprime ainsi : “A Henri Roy Tres chrestien second de ce nom”.39

   Cependant, dès 1571, Antoine Crespin utilise une formule qui se rapproche de celle des éditions datées de 1568 et au delà, dans son Epistre dédiée au tres Haut et tres chrestien Charles IX. Roy de France, Lyon, Benoist Rigaud.40 Signalons que le point après un chiffre équivalait à l’ordinal : IX. se lisait neuvième. C’est par erreur que nous disons aujourd’hui en France : Charles neuf et non Charles neuvième et c’est même la marque d’un certain manque de culture. Le chiffre ordinal suivi de “de ce nom” fut longtemps consacré : encore en 1589, quand Crespin s’adresse à l’ “anti-roi” Charles X, il s’exprime ainsi : “Au Tres Chrestien Roy de France Charles de Bourbon X. de ce nom”, en tête de la Prophétie Merveilleuse, Paris, P. Ménier (BNF).

   Que remarque-t-on ?

   1° Que les deux éditions datées de 1552 et 1557, s’adressant à Henri II, roi régnant, ne se servent pas du mot France, l’expression “tres chrestien” étant réservée aux monarques français, cela eut été redondant. Ainsi, les rois espagnols étaient-ils désignés sous le nom de “rois catholiques”. C’était un code.

   2° Que l’on a la formule “Henri second (ou deuxiesme) de ce nom”

   3° Que les éditions plus tardives, et notamment chez Crespin, précisent “Roy de France”, tout en usant de la forme “tres chrestien”

   En fait, le cas de cette édition de l’Androgyn et de son Epître nostradamique n’est pas sans évoquer celui de l’Epître à Henri IV, signée Vinvent Seve, en date du 19 mars 1605 et qui introduit les sixains. Cette Epître a du bel et bien exister, en son temps, mais rester sous forme manuscrite avant d’être remaniée pour présenter les sixains, à une date nettement plus tardive.41

   En fait, le procédé suivi nous semble pouvoir ainsi être explicité : les faussaires se sont bel et bien servi du Tractatus de Monstris d’Arnaud Sorbin lequel, on l’a dit, comportait les deux pièces latines de Dorat ; ils se sont trahi en empruntant également l’intitulé du chapitre tel qu’il figure dans le Tractatus mais non dans les Poemata, qu’ils ont d’ailleurs sensiblement raccourci :

   Tractatus, Sorbin, 1570 : De monstro quod Lutetia Parisiorum ortum habuit anno Domini 1570 21 Iulii Geminis scilicet genitalibus haerentibus, opposito capita, pedes & brachia habentibus.

   Androgyn, Jove, 1570 : De monstro Androgyno Lutetiae nato anno Domini 1570 12 Iulii

   Quant à la traduction française, elle a pu être le fait de n’importe qui, pour les besoins de la cause. Il se trouve cependant que le Recueil des Présages Prosaïques en a eu connaissance, à un stade de sa rédaction, ce qui pourrait indiquer que le faux était déjà paru lors de cette inscription en marge (cf. supra). Signalons le commentaire du dit quatrain au Janus Gallicus (n° 237), on peut lire : ”Monstre de deux enfants gémeaux s’entretenant par les parties honteuses né dans Paris le 20. de ce mois pendant que l’on tramait la paix” et qui reprend une autre partie de l’intitulé du Tractatus, non utilisé dans le dit faux.

   On a déjà signalé que la vignette de l’Androgyn du Tractatus avait été reprise par Belleforest dans le texte qu’il consacre à la question dans sa contribution aux Histoires Prodigieuses (op. cit.) : “D’un monstre né à Paris de deux enfans s’entretenant par le nombril”. On peut donc affirmer que l’on a bel et bien pillé le Tractatus et ce d’autant que Belleforest, lui aussi, a repris intégralement, sans le traduire, le texte latin long de Dorat sur l’Androgyn.sans en citer d’ailleurs nommément l’auteur.

   Il fut un temps où les chercheurs ne se préoccupaient guère des “preuves” permettant d’attester de la parution des Centuries, en dehors des éditions des Centuries, proprement dites. Nous avons, pour notre part, contribué à la recherche de telles confirmations. Or, il se trouve que les “preuves” ainsi apportées par nous ou par d’autres se sont toutes révélé frelatées ou interprétées de façon outrancière. Relevons ainsi une erreur de datation commise dans notre thèse d’Etat42 : nous signalions la mention, en 1578, par Blaise de Vigenère des “quadrains centuriez” de Nostradamus, dans l’ “Encensement du songe”.43 Eh bien, la première édition de cette Suite ne date que de 159744, ce qui n’a plus vraiment le même poids. Mais cette bévue - due à une mauvaise description du catalogue de la BNF lequel annonce une édition en deux volumes quand il ne s’agissait, en réalité, qu’un seul volume, Les Images ou Tableaux de platte peinture, Paris, Chenesau, sans la dite Suite, artificiellement coupé en deux dans l’exemplaire conservé - est révélatrice de l’impossibilité, en pratique, de trouver une référence explicite et viable aux “quadrains centuriez”, ou à toute expression équivalente, avant 1585, dans la notice que Du Verdier consacre à Nostradamus, dans sa Bibliothèque. Une chose en effet est de trouver un verset ou un quatrain chez un auteur comme Crespin ou Colony, dans les années 1570, une autre que ceux-ci soient attribués nommément à Nostradamus ; il est parfois question de Nostradamus sans ses quatrains ou de quatrains sans les relier à Nostradamus mais la mention, comme chez Vigenère, des deux à la fois - en dehors, répétons-le d’éditions souvent antidatées - même encore en 1597, reste exceptionnelle, en dehors bien entendu du Janus Gallicus des années 1594 - 1596.

   La présente analyse n'enlève rien au fait que le Janus Gallicus puisse servir de référence pour l’établissement d’une édition des Centuries, correspondant à l’état le plus ancien (cf. notre second volet). L’objectif de restituer le visage originel des versets nous paraît essentiel. Il n’en reste pas moins que dans cette galerie des glaces que constitue le champ nostradamique, il faut s’attendre à ce que, tout autant, le Janus Gallicus soit aussi dépositaire de lectures fort tardives. Il faut savoir trier le bon grain et l’ivraie. Pour nous, le JG atteste de l’existence d’une édition des Centuries, disparue et comportant pour le moins un ensemble, certes incomplet, de 12 séries plus, éventuellement, les Présages. Bien plus, le JG doit être considéré comme constitué d’extraits de la dite édition laquelle aura servi, du moins par la mouture du quatrain 45 de la seconde centurie à fabriquer la fausse édition de L’Androgyn de Dorat de 1570 et c’est précisément par le biais du JG, lequel a reproduit le dit quatrain dans la dite édition, avec une variante - “Androgyn” au lieu de “L’Androgyn” - attestée nulle part ailleurs, que nous avons pu amorcer notre démonstration.

Jacques Halbronn
Paris, le 5 septembre 2003

2

Le Janus Gallicus
et l’édition des Prophéties Macé Bonhomme 1555

    Notre attention a été attirée par l’édition Macé Bonhomme45 en raison de deux quatrains comportant des caractères grecs, à savoir I, 81 et IV, 32, ce qui est atypique des éditions des Centuries, à une seule exception près, celui d’une édition telle qu’elle nous est conservée partiellement dans le Janus Gallicus.46

Quatrain (I,81) de l'édition Macé Bonhomme

Quatrain (I,81) de l'édition Macé Bonhomme

Quatrain (I,81) de l'édition conservée à Budapest (1557)

Quatrain (I,81) de l'édition conservée à Budapest (1557)

Quatrain (I,81) de l'édition du Janus Gallicus

Quatrain (I,81) de l'édition du Janus Gallicus

Quatrain (IV,32) de l'édition Macé Bonhomme

Quatrain (IV,32) de l'édition Macé Bonhomme

Quatrain (IV,32) de l'édition conservée à Budapest (1557)

Quatrain (IV,32) de l'édition conservée à Budapest (1557)

Quatrain (IV,32) de l'édition du Janus Gallicus

Quatrain (IV,32) de l'édition du Janus Gallicus

   Cela devrait certes contribuer à réhabiliter l’édition Macé Bonhomme, non pas en ce qui concerne la date des éditions conservées, lesquelles comportent des éléments qui repoussent sa publication bien après la mort de MDN mais quant à son intérêt pour l’étude des premières versions de certains quatrains. Cela grâce à une autre réhabilitation, celle du Janus Gallicus.47

   En ce qui concerne ces deux quatrains, la version du JG (n° 73 et n° 322) est préférable à celle de MB (Macé Bonhomme), étant donné que dans I, 81, les caractères grecs sont remplacés en partie, pour la deuxième et troisième lettres grecques, en MB par des caractères latins.48 Mais dans un cas, ce sont simplement les noms, en toutes lettres, de trois lettres grecques (kappa (abrégé en Kap), Thita, Lambda) tandis que dans le second, qui figure dans l’addition aux trois premières Centuries (IV, 32), il s’agit d’une formule signifiant : “toutes choses sont communes entre amis”). On notera que la formule grecque n’est pas donné dans le même ordre que dans MB : Panta Philon Koïna et non pas Panta Koina Philon. Or, on a le même phénomène en français : le JG propose à plusieurs reprises des permutations :

III, 81
Esleu sera et non Sera esleu (MB)

Quatrain (III,81) de l'édition du Janus Gallicus

I, 76
Peuple grand et non Grand Peuple (MB)

Quatrain (I,76) de l'édition du Janus Gallicus

IV, 43
Ouis seront et non Seront Ouis (MB)

Quatrain (IV,43) de l'édition du Janus Gallicus

II, 12
Thrésor ravi des temples par devant (JG)
Ravir des temples le tresor par devant (MB)

   Dans trois cas au moins, l’ordre des mots proposés par le JG correspond à un certain esthétisme poétique (Elu sera, Ouis seront) alors que la forme MB est plus conforme à la prose. Or, force est de constater qu’une telle inversion est courante dans les quatrains comme au 4e verset de IV 43 “à mort mis” et non “mis à mort”.

   Il semble que la question du style doive en effet entrer en jeu dans certains cas. Prenons le quatrain III, 98 :

JG
Deux royaux freres si fort guerroyeront
Entre eux sera la guerre si mortelle
Qu’un chacun places fortes occuperont
Du règne & vie sera leur grand querelle.


MB
Deux royals freres si fort guerroyeront
Qu’entre eux sera la guerre si mortelle
Qu’un chacun
etc.

   Il semble que le “Que” du second verset ne soit pas nécessaire et que suffise celui du troisième. D’un point de vue stylistique, la présentation du JG nous semble le plus souvent d’un meilleur effet.

   Signalons d’autres cas, sur le fond, cette fois, où le JG nous semble fournir la meilleure version :

III, 33
Copie estrange grand pays gastera
Aux monts & Alpes les amis passeront

   alors que MB et les autres éditions donnent :

Aux murs (sic) & Alpes les amis passeront

   Mais revenons à ce qui rapproche JG et MB car les similitudes ne se réduisent pas à l’usage de caractères grecs.

II, 89
Du joug seront démis les deux grands Maistres (JG)
Du iou seront demis les deux grands maistres (MB)

   Alors que les autres éditions comportent “du jour”.49

   Et :

IV, 5
Grand clade proche & combat très acerbe (JG et MB)

   Les autres éditions donnent “Grand classe”50, sauf toutefois Antoine du Rosne, 1557.51

II, 35
Pres de deux fluves pour le seur adviendra (JG)
Pres de deux fleuves pour seur il aviendra (MB)

   Il faut comprendre “pour sûr”.52

   Alors que dans les autres éditions (sauf à nouveau Antoine du Rosne, exemplaire Utrecht), on trouve : “Pour seul il adviendra”.

   On notera dans ces deux derniers cas (IV, 5 et II, 35) que l’exemplaire Antoine du Rosne Utrecht est plus proche du JG que l’exemplaire de Budapest qui est plus semblable aux autres éditions.

   Nous en arrivons à un quatrain dont l’ordre des versets n’est pas le même dans le JG et dans MB, les troisième et quatrième versets se trouvant dans le JG en tête, avec en outre une variante “Chassez seront” et non “Plus ne seront”.

I, 44
JG
Chassez seront moines, abbez, novices
Le miel sera beaucoup plus cher que cire
En brief seront de retour sacrifices
Contrevenans seront mis à martire.


Quatrain (I,44) de l'édition du Janus Gallicus

MB
En bref seront de retour sacrifices
Contrevenans seront mys à martire
Plus ne seront moines, abbés, ne novices
Le miel sera beaucoup plus cher que cire.

   Si le Janus Gallicus nous apparaît précieux pour rétablir certains versets et ce faisant pour souligner le caractère tardif des éditions ne comportant pas les formes les plus heureuses, il est des cas où visiblement un verset a été “trafiqué” par un des auteurs de ce recueil, comme on peut le voir en III, 51 :

JG
Paris conjure un grand meurtre commettre
Blois le fera venir à plein effect
Ceux d’Orléans voudront leur chef remettre
Tours, Langres, Angiers leur seront grand forfait.


Quatrain (III,51) de l'édition du Janus Gallicus

MB
Angiers, Troye, langres, leur seront grand forfait

Quatrain (III,51) de l'édition du Macé Bonhomme

   Dans les autres éditions “forfait” est remplacé par “mesfait”.

   A l’évidence, le JG a remplacé Troyes par Tours, pour les besoins de la cause, comme le fait ressortir la comparaison avec MB.53 Cela est confirmé par son commentaire du verset en question (p. 252) :

   “d : Pour avoir tenu le parti contraire à l’union Catholique”, c’est-à-dire à la Ligue. On sait que Tours était le siège du gouvernement d’Henri de Navarre à l’époque. Un tel procédé vient confirmer notre étude de IV, 46 :

Garde toy Tours de ta proche ruyne.

   Ce verset a probablement été interpolé au sein du dit quatrain. Chaque fois qu’on l’a pu, il est probable que l’on s’est ainsi efforcé de faire apparaître le nom honni de Tours.

   C’est dire que le Janus François porte bien son nom, celui d’un personnage, Janus (qui a donné son nom au mois de janvier, mois charnière entre la fin de l’année et le début d’une nouvelle année) à deux visages.

   D’une part, un texte partisan, marqué par les enjeux de la Ligue et nous avons montré (cf. TPF) qu’il bascula du parti de la Ligue à celui d’Henri de Navarre et de l’autre un texte qui nous renvoie aux années 1560, lorsque les premiers quatrains des Centuries commencèrent à circuler et en ce sens, ayant conservé pour nombre de quatrains leur état initial. Il ne faut donc pas jeter le bébé avec l’eau du bain non plus qu’accepter tout pour argent comptant. C’est dire qu’au travers de la Première Face du Janus François c’est toute la problématique du nostradamisme, en ses diverses facettes, qui est appréhendée. Mais c’est précisément cette dualité qui nous interpelle : tantôt le JG nous offre la “bonne” leçon, par ailleurs oubliée, d’un verset, tantôt, il se livre à de grossières manipulations, notamment, à l’occasion de la traduction latine des quatrains, à la mise en place d’un hypertexte, au recours à des initiales, à la retouche de certaines dates des publications annuelles de MDN, ce qui est surtout évident dans les Pléiades, un autre ouvrage du au dernier rédacteur du JG.

   Ouvrage vraisemblablement collectif que le JG et qui englobe diverses contributions dont peut-être le commentaire de Dorat, largement complété, pour les dernières décennies, et augmenté de diverses manières. Pour en revenir à Jean de Chevigny, il nous semble que c’est le même auteur qui rédigea l’Epître à Larcher, en tête de L’Androgyn et le “Brief Discours de la vie de M. De Nostredame”, on y retrouve les mêmes formules, mais bien entendu, cela ne signifie nullement que le dit Discours n’ait point été retouché par la suite par le dernier éditeur du JG, comme on l’a montré notamment en ce qui concerne la pierre tombale dont le nom de la femme de MDN a été supprimé. Or, si le texte complet de l’épitaphe nous est tout de même parvenu par ailleurs, c’est que la première version du Brief Discours en fut conservée, ce qui permet une confrontation fâcheuse avec celle figurant en tête du JG.

   Il nous semble assez édifiant de confronter les trois textes suivants :

   Epître à Larcher :

   “Les carmes d’un prophète qui fut monsieur de Nostradame (...) duquel j’ay encores rière moy tous les oeuvres tant en oraison prose que tournée que bien tost je mettray en lumière.”

   Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame :

   “Nous avons de luy d’autres présages en prose, faits puis l’an 1550 iusques à 67 qui colligez par moy la plus part & redigez en XII livres sont dignes d’estre recommandés à la postérité.”

   Préface de MDN à son fils César :

   “Comme plus à plain j’ay redigé par escript aux miennes autres prophéties qui sont composées tout au long in soluta oratione” (oratione / oraison, c’est-à-dire en prose)

   Il est possible sinon probable qu’un seul et même auteur ait rédigé ces trois passages - ou en tout cas que ceux-ci soient les variantes d’un seul et même texte - dont la finalité est la même, à savoir signaler que d’autres textes sont à attendre et qui sont supposés être déjà prêts. A noter que le passage en question du “Brief Discours” est précédé d’une référence à César : “Le premier des masles nommé César (...) est celuy auquel il a dédié ses Centuries premières”. On peut se demander si cette précision ne vient pas conférer quelque authenticité à une Préface dont on sait pertinemment qu’elle n’introduisait pas initialement les dites Centuries. Est-ce qu’un Jean de Chevigny se serait prêté à un tel subterfuge, juste au lendemain de la mort de MDN ? Cela semble douteux, nous pensons qu’il s’agit là d’une interpolation coïncidant avec la publication des “premières centuries” affublées de la dite Préface dans les années 1580, ce qui correspondit au demeurant à l’attribution de celles-ci à MDN, ce qui n’était pas le cas initialement, mais avait été le fait de celui qui se présentait alors sous le nom de Nostradamus le Jeune, avant même la mort du dit MDN. Selon nous, le propos programmatique qui était au départ mis dans la bouche du “légataire” supposé des oeuvres posthumes de MDN fut finalement attribué à leur auteur. La seule mention de la Préface à César dans le Brief Discours - mention qui figure aussi dans l’Epître à Henri II - suffit selon nous à confirmer que ce texte, introduisant le JG, était tombé dans des mains sinon de quelqu’un d’indélicat du moins - et l’un n’est pas incompatible avec l’autre - de peu averti de la production de MDN, donc dans celles d’un autre personnage que Jean de Chevigny “en son vivant (...) fort familier & amy” (L’Androgyn, 1570) de ce dernier.

Jacques Halbronn
Paris, le 17 septembre 2003

Notes

1 Cf. l’étude de R. Benazra, des pans de texte attestés notamment mais pas seulement par les Prophéties d’Antoine Couillard du Pavillon (1556). Retour

2 Cf. Genève, Droz, 1983, pp. 21 et seq. Voir aussi P. Brind’amour, Nostradamus, astrophile, Ottawa, 1993, pp. 501 - 502. Retour

3 Cf. “Jean-Aimé de Chavigny: son identité, ses origines familiales”, Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 58, 1996, “Jean-Aimé de Chavigny : esquisse bio-bibliographique”, Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Dijon, 135, 1995 - 1996 et Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999, pp. 54 - 66. Retour

4 Cf. notre “contribution à la recherche biographique” et sur Cura.free.fr. Retour

5 Cf. B. Chevignard sur ce texte, Présages de Nostradamus, op. cit., p. 35. Retour

6 Cf. Lettres Inédites, op. cit. Retour

7 Cf. Ed. L’astrologie de Nostradamus. Dossier, Poissy, ARRC, 1992. Retour

8 Cf. notre étude sur les Editions Antoine du Rosne, sur E. H. Retour

9 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, p. 159. Retour

10 Cf. notre étude sur l’hypertexte, in E. H. Retour

11 Cf. notre étude “le vrai pedigree des éditions BR”, sur E. H. Retour

12 Cf. Documents Inexploités, op. cit., p. 135. Retour

13 Cf. B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op. cit., p. 43. Retour

14 Cf. Présages de Nostradamus, op. cit., p. 56. Retour

15 Cf. Présages de Nostradamus, op. cit., p. 283, note 2. Retour

16 Cf. BNF, TB 70 1. Retour

17 Cf. “D’un monstre né à Paris de deux enfants s’entretenant par le nombril”. Retour

18 Cf. De monstro quod Lutetiae Parisorum ortum habuit anno domini 1570 21 Iulii etc. Retour

19 Cf Documents Inexploités. Retour

20 Cf. BNF, Yc 8028-8030. Retour

21 Cf. J. Céard, La nature et ses prodiges. L’insolite au XVIe siècle en France, Genève, 1996. Retour

22 Cf. Premières Centuries ou Prophéties, Genève, Droz, 1996, p. 258. Retour

23 Cf. notre étude à ce sujet, sur E. H. Retour

24 Cf. Premières Centurie ou Prophéties, op. cit., p. 53. Retour

25 Cf. notre étude “le vrai pedigree des éditions BR”, sur E. H. Retour

26 Cf. notamment, sur E. H., l’étude de Théo Van Berkel. Retour

27 Cf. RCN, pp. 95 - 96. Retour

28 Cf. “Le Janus Gallicus comme base d’une édition critique des Centuries”, sur E. H. Retour

29 Cf. Tractatus de montris, 1570. Retour

30 Cf. B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op. cit. Retour

31 Cf. Bibl. Cambridge (Mass). Retour

32 Cf. Histoires Prodigieuses, Livre III, p. 475. Retour

33 Cf. JG n° 122, 126, 127, 134, 195, 196, 199, 218, 224. “En Bloy se trouve LOYS tout au long & le B signifie Bourbon” n° 134, p. 122. Retour

34 Cf. BNF K 14601 Resaq. Retour

35 Cf. Lib 1, pp. 29 et seq. Retour

36 Cf. BNF, Yc 8028. Retour

37 Cf. Bib Arsenal. Voir Ch. Marty-Lavaux, ed. J. Dorat, Oeuvres poétiques, Reed. Slatkine, 1965. Retour

38 Cf. BNF, 8° Lb35 334. Retour

39 Cf. BNF, Reserve Z Fontanieu 214. Retour

40 Cf. Bibl. Université de Bâle et chez Martin Le Jeune, BNF V 21374. Retour

41 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, pp. 158 - 159. Retour

42 Cf. Le texte prophétique en France, Lille, ANRT, 2002, vol. 3, p. 1051. Retour

43 In La Suite de Philostrate, Paris, N. Chesneau, 1578, BNF, Z 1000. Retour

44 Chez A. Langellier, Paris, Bibl. Arsenal, Paris, cote 4° BL 5124. Retour

45 Exemplaire Bibl. Albi. Voir éd. R. Benazra, Lyon, Les amis de Michel Nostradamus, 1984. Retour

46 Sur la question des problèmes d’alphabet, comme critères de recherche, voir notre travail Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, pp. 196 - 197. Retour

47 Cf. notre Ier volet. Retour

48 Cf. P. Brind’amour, Premières Prophéties ou Prophéties, Genève, Droz, 1996, pp. 161 - 162 et 509 - 510. Retour

49 Cf. Brind’amour, Premières Centuries oui Prophéties, op. cit., p. 321, qui ne signale pas la leçon “joug” de JG. Retour

50 Cf. P. Brind’amour, Premières Centuries ou Prophéties, op. cit., p. 471 qui précise que “clade” signifie désastre. Retour

51 Exemplaire d’Utrecht. Retour

52 Cf. P. Brind’amour, Premières Centuries et prophéties, op. cit., p. 244. Retour

53 Cf. Brind’amour, Premières Centuries ou Prophéties, op. cit., p. 400. Retour



 

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