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ANALYSE

98

“Cieulx en tesmoins“ :
la théorie des Grandes Conjonctions
au prisme du canon nostradamique

par Jacques Halbronn

    Il y a ceux qui pensent qu’il n’existe qu’une seule version immuable de l’Epître à Henri II, celle qui figure dans la plupart des éditions depuis le XVIIe siècle et il y a ceux qui déterminent - c’est notre cas - un nombre significatif de versions, à savoir :

     - L’Epître à Henri II en tête des Présages Merveilleux pour 1557, reproduite intégralement dans nos DIPN1 et partiellement dans le Testament de Nostradamus de D. Ruzo (trad. Française, Monaco, Le Rocher, 1982), où il n’est aucunement question de centuries ou de miliade.

     - la version publiée par Antoine Besson, dans une édition des Centuries des années 1690 qui parle des premières Centuries de la miliade.

     - la version canonique déjà évoquée qui parle du reste de la miliade.

   Quels témoignages ou échos avons-nous de la parution de ces Epîtres à Henri II, en dehors bien entendu de l’édition antidatée Benoist Rigaud de 1568 qui comporte la version canonique ?

     - Un adversaire de Nostradamus se gausse d’une Epître de Nostradamus à Henri II et il s’agit certainement de celle qui figure en tête des Présages Merveilleux.

     - Antoine Crespin signale une Epître datée de juin 1558 au début des années 1570 mais nous n’avons aucune citation du contenu de la dite Epître si ce n’est donc la date figurant à la fin de celle-ci, ce qui est quand même peu.

     - Dans le Janus Gallicus de 1594, il est fait référence très brièvement à une Epître de Nostradamus à Henri II mais là non plus on ne nous en signale aucunement le contenu.

   Quant aux éditions hormis celles datées de 1568, il faut attendre la parution d’un second volet non daté accompagnant certaines éditions parus dans le cours des années 1590, second volet dont la datation constitue un problème (cf. infra).

   Nous commencerons par répondre au québécois Mathieu Barrois et plutôt que de porter un jugement sur son travail, nous laisserons le lecteur apprécier la qualité de son analyse dans le paragraphe intitulé “Les vicissitudes d’une méthode mal maîtrisée”2, touchant la question de l’holocauste, sujet que nous pensons connaître assez bien par ailleurs quand il s’agit de ce qu’on nomme de nos jours de préférence la Shoah.

   Premier constat de M. Barrois :

   “Dans la lettre à Henry, “l’abomination du premier holocauste” désigne un événement qui a les apparences de ce que les témoins et les victimes ont considéré comme l’innommable événement.”

   Pour Barrois, la mention de l’holocauste dans l’Epître à Henri II ne peut évidemment que désigner la Shoah, même si le mot existait depuis fort longtemps dans le dictionnaire - comme le note Elie Wiesel qui est cité - mais sans désigner- et pour cause - la dite Shoah.

   C’est sur ces bases bien fragiles que M. Barrois développe son argument contre nos méthodes : puisque l’holocauste désigne l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale et qu’il ne peut désigner un autre événement, nous pourrions conclure que l’Epître à Henri II est postérieure à la Seconde Guerre Mondiale !

   Or, on ne voit vraiment pas ce qui permet à M. Barrois d’affirmer que le terme holocauste figurant dans l’Epître canonique à Henri II désigne nécessairement la Shoah ni même si cela désigne un événement ayant eu lieu ou devant ou pouvant avoir lieu. Holocauste signifie sacrifice où la victime est entière brûlée et certes, il y a eu les fours crématoires mais on ne les a pas attendus, notamment chez les Hébreux, pour brûler des animaux en offrande aux dieux ou à Dieu.

   Avec M. Barrois, nous avons sur le dos non seulement la catégorie des bibliographes jaloux de leurs découvertes notamment en matière d’éditions antidatées qu’ils ont pris un peu vite pour des éditions authentiques mais cette fois avec des interprètes qui s’accrochent désespérément à leur lecture de la Révolution Française et de la Shoah. Avouons d’ailleurs que nous comprenons mieux la motivation de cette seconde catégorie qui jusqu’à présent avait été laissée à l’écart du débat et qui digère mal le fait que la mention de 1792 dans la même épître canonique - mais pas dans les autres - dédiée à Henri II, puisse être dans notre collimateur. Pour notre part, nous sommes ravis de voir le débat déraper de la sorte et que l’on laisse voix au chapitre à un tel type d’argument qui n’est pas de mise au niveau universitaire, c’est ainsi que certains masques d’honorabilité académique tombent !

   Car si l’argument “holocauste” apporté par M. Barrois sera qualifié par d’autres que nous, même parmi nos adversaires les plus acharnés, de carrément débile et en quelque sorte éliminatoire, en revanche, nous savons à quel point le fait de laisser entendre que Mil sept cens nonante deux pourrait être une coquille a d’horripilant et R. Benazra a déjà exprimé, à sa manière, un sentiment assez proche sur ce sujet. Et pourtant, nous ne pensons pas que le compatriote de M. Barrois, que nous avons fort bien connu et rencontré tant à Paris qu’à Ottawa - nous voulons parler du regretté Pierre Brind’amour - aurait suivi une seconde celui-ci dans cette affaire.

   Comme pour l’holocauste, M. Barrois part d’un fait qu’il juge bien établi : “Dans notre analyse sur la structure de la Lettre à Henry nous avions montré (sic) comment cette date de 1792 venait pour ainsi dire remettre le compteur à zéro en introduisant le deuxième volet de la chronologie des événements tout en confirmant que le premier volet partait lui aussi de la Révolution Française.” M. Barrois observe que cette “fameuse date de 1792 mentionnée dans la deuxième partie de la Lettre à Henry II est un obstacle de taille pour quiconque veut en faire un exemple démontrant que le prophétisme nostradamique tient en partie de la contrefaçon et de la corruption des textes.” On ne voit pas le rapport : ce n’est parce que 1792 serait une prédiction réussie qu’il n’y aurait pas eu contrefaçon et/ou corruption de textes. On aimerait savoir qui, parmi les chercheurs dans le domaine, suivrait M. Barrois dans ce type d’argument qui confond et amalgame des plans totalement distincts. Malheureusement pour M. Barrois, le fait que 1792 colle avec tel ou tel événement, aussi important soit-il - n’est pas recevable dès lors que l’événement considéré n’est pas contemporain de la dite Epître et ne sert pas à la dater - tous les nostradamologues qui se respectent le savent pertinemment - et nous ne conseillons pas à M. Barrois de soutenir une thèse comportant un tel argument ! On a d’ailleurs du mal à croire qu’un tel article puisse être admis à paraître dans l’Espace.

   Bien plus, la mention de cette date, du moins dans l’usage qu’en fait M. Barrois, ne contribue en tout état de cause aucunement à déterminer quand la version concernée de l’Epître à Henri II a été rédigée ni comment ni par qui. Car M. Barrois ne veut pas entendre parler des dates qui circulèrent au XVIe siècle et qui sont évidemment, à l’entendre, sans aucun rapport avec ce qui figure dans l’Epître à Henri II : “Alors si Chavigny et Liberati ont vu une quelconque conjonction astrologique pour cet intervalle de temps, faudrait-il donc s’incliner béatement devant eux ?” Ou encore : “La lettre à Henry mentionne les années 1585, 1606 et 1792 mais il n’y a pas comme dans Chavigny l’introduction d’une année à mi-chemin entre 1585 et 1792. Cette absence prouve (sic) une fois de plus que les dates de Chavigny n’ont rien à voir avec le texte de Nostradamus.” Mais, alors, qu’est ce qui a à voir avec le texte de Nostradamus en dehors de la Révolution Française ? Et l’astrologie ne trouve pas davantage grâce à ses yeux : “Curieusement, il ne viendrait pas à l’idée de l’historien des textes que la conclusion la plus sensée (sic) dans les circonstances serait justement que l’aspect astrologique ne soit nullement déterminant dans la date de 1792.” Ben voyons ! Traduisons : puisque la Révolution a eu lieu et que 1792 est bien dans l’Epître donc l’Epître comportant une telle date est forcément authentique et puisque prophétique doit être nécessairement être attribuée à Michel de Nostredame. CQFD. M. Barrois voudrait faire de Nostradamus un cas à part qui n’a de compte à rendre à personne du moment qu’au final il a raison. En fait il semblerait que M. Barrois se projette sur Nostradamus ! Merci M. Barrois, les nostradamologues, grâce à vous, peuvent désormais dormir sur leurs deux oreilles, vous êtes leur protecteur et leur sauveur. Mais ne nous moquons pas du monde, tout indique au contraire que Nostradamus s’appuie sur l’astrologie, comme l’a montré P. Brind’amour dans son Nostradamus, astrophile, Ottawa, 1992, quand il est indiqué rénovation de siècles, dans l’Epître à Henri II, il s’agit bien d’astrologie et si l’année 1792 ne correspond pas à la rénovation de siècles prévue par la science astrologique des grandes conjonctions, c’est qu’il y a erreur et qu’il faut lire 1782, même si cela ne correspond plus tout à fait aux dates de la Révolution Française. C’est aux commentateurs de faire le lien entre 1782 et la Révolution et non à s’accrocher à une corruption évidente du texte.

   Signalons à M. Barrois que dans certaines éditions de l’Epître à Henri II on trouve 1547 et dans d’autres 1557, soit précisément un écart de dix ans comme entre 1782 et 1792. Théo Van Berkel, dans son dernier article sur Espace Nostradamus - “The 1941-Vreede Translation : the german source text of the Epistle to Henry II” - montre bien les aménagements et les combinaisons subies par les éditions des Centuries et notamment concernant les années 1547 / 1557.

   En réalité, le seul problème que pose l’affaire 1782 / 1792, pour un nostradamologue sérieux, ce n’est pas de savoir si telle ou telle date sera ou non validée à la fin du XVIIIe siècle mais celui des sources de la dite épître et celui de la date de rédaction de l’Epître canonique. Point ! Or, à partir du moment où l’on part en tête de sources, que ce soit Plutarque ou Francesco Liberati, on peut être amené à relever des décalages, des additions ou au contraire des omissions. La solution Barrois, c’est de ne pas chercher les sources littéraires, documentaires, ou astrologiques, de façon à ne pas risquer de se trouver en porte à faux !

   Barrois s’imagine en fait que notre méthode est la suivante : on repère un passage que l’on arrive à dater et à partir de là le texte comportant ce passage ne peut pas être antérieur à la date ainsi mise en avant. C’est pourquoi, pour ne pas se faire piéger, Barrois refuse les datations sauf si cette date vient valider fortement le dit texte. Il y a là un dilemme que la plupart des nostradamologues éprouvent, du moins pour les XVIe et XVIIe siècles, reconnaissant ainsi implicitement que la datation des éditions reste largement incertaine pour cette période et que mieux vaut éviter toute clarté excessive - même pour le milieu du XVIIe siècle avec l’exécution en 1649 de Charles Ier Stuart d’Angleterre - pouvant conduire à postdater les dites éditions. Mais un consensus voulait que l’on pouvait mettre en avant 1792, vu qu’à cette date l’existence des Centuries ne faisait plus problème. Et voilà que cette date constituant le véritable pivot de toute la croyance nostradamique se trouve ébranlé, cela mérite l’anathème. Encore faudrait-il lire attentivement le passage concerné. Citons M. Barrois : “L’importance historique de cette date, l’endroit précis choisi pour insérer la date avec un commentaire pertinent sur un moment qui amène une rénovation de siècles font de ce passage de l’épître un modèle de clarté sur le propos et l’intention de l’auteur.”

   Passons, pour en finir avec notre interprète québécois du corpus centurique, à la question de la miliade. D’abord, nous disposons d’une édition Besson (cf. supra) qui parle des premières Centuries de la miliade et une édition canonique qui parle du reste des Centuries, parachevant la miliade. En tout état de cause, cette miliade ne renvoie pas à ce qui est paru mais à ce qui a été composé et dont on fournit des éléments partiels au fur et à mesure. Ensuite, on rappellera que le “Brief Discours de la Vie de Michel de Nostredame”, figurant en tête du Janus Gallicus, parle de douze centuries de quatrains et non pas de dix et qu’il commente des quatrains censés venir des centuries XI et XII, qui tiennent “prison” depuis longtemps, et nullement d’une miliade. Ce n’est pas parce qu’une édition à dix Centuries est signalée en 1585 par Du Verdier, dans sa Bibliothèque, Lyon, B. Honorat, qu’elle comportait une quelconque Epître à Henri II renvoyant à une miliade - on ne sait strictement rien du contenu de cette édition - même pas son titre exact, si ce n’est qu’elle se présentait comme parue à Benoist Rigaud, à Lyon, en 1568 - concernant la nature et le contenu des textes en prose qu’elle comportait - mais simplement qu’il reste des Centuries à paraître, si l’on s’appuie sur un programme initial à douze centuries. Cela dit, on peut tout à fait envisager une édition de l’Epître à Henri II remaniée en sorte de justifier une édition à seulement dix centuries et éliminant ce faisant les centuries XI et XII en faisant dire à Nostradamus qu’il s’était consacré à une miliade de quatrains et non pas à 1200. Il ne faudrait pas oublier qu’un grand nombre d’éditions du XVIIe siècle comporte 12 centuries dont trois incomplètes (VII, XI, XII) à l’instar de ce qui est annoncé dans le Brief Discours. Il y a donc quelque contradiction entre l’Epître à Henri II à la miliade et le contenu tant du Brief Discours que de plusieurs éditions, notamment dans la série Vrayes Centuries et Prophéties.

   On rappellera que le nombre de centuries varie selon les éditions :

1 / à 7 centuries avec la seule Préface à César, ce sont celles parues à Rouen, Paris et Anvers de 1588 à 1590, 2 / à dix centuries faisant pendant à la miliade annoncée dans les diverses Epîtres à Henri II “à la miliade”, 3 / à douze centuries en rapport avec ce qui figure à la fin du Brief Discours, lequel d’ailleurs est inclus dans les éditions de type “Vrayes Centuries et Prophéties”.

   Nous pensons que l’Epître à Henri II type Besson devait figurer dans l’édition signalée par Du Verdier à dix centuries mais que c’était déjà une version retouchée de celle signalée par Crespin au début des années 1570 et qui, elle, ne devait pas se référer à une miliade mais plus probablement à douze centuries. Ce qui nous donne une mouture supplémentaire des Epîtres à Henri II, en fait la première de la série datée de juin 1558. Car, il nous semble assez évident qu’une édition à Dix Centuries de quatrains comme celle signalée en 1585 devait trouver sa justification dans l’Epître à Henri II, laquelle sera évacuée en 1588 en partie pour des raisons politico-religieuses mais aussi vraisemblablement en ce qu’elle annonçait inopportunément une miliade de quatrains alors qu’on se contentait de sept centuries. Et c’est probablement alors et seulement alors que l’Epître centurique à César fit son apparition, laquelle n’évoque jamais la dite miliade, épître reprise d’une précédente dédiée par Nostradamus à son fils et dont Couillard, en 1556, fournit des extraits, sans qu’il faille pour autant imaginer que son contenu était conforme à celui de l’Epître à César version 1588.

   Pourquoi, nous demandera-t-on, être passé de douze à dix centuries ? Rappelons d’abord que la tradition des douze centuries ne disparaîtra pas et qu’elle est reprise dans le Brief Discours ainsi que dans le commentaire du Janus Gallicus. Qu’on trouve dans le JG une référence à l’Epître à Henri II ce qui implique la mention de la miliade, alors que par ailleurs il est question d’une douzaine de centuries, dénote le caractère composite de l’ensemble et il serait déconseillé d’essayer d’y rechercher une cohérence globale. Le JG est une oeuvre collective, étalée dans le temps, tout comme le sont les Centuries. Pourquoi donc, demandions-nous, ces trois totaux, 7, 10 et 12 centuries, selon les éditions ? Le passage de 10 à 7 s’est bel et bien produit entre le début des années 1580 et la fin des années 1580 puisqu’en 1585 on atteste d’une édition à 10 Centuries et qu’en 1588 et en tout cas en 1590 on a des éditions passées à 7 centuries. Ce délestage de 3 centuries - passage de 10 à 7 - nous l’avons expliqué pour des raisons politico-religieuses, ce qui rendait indésirables les Epîtres à la miliade. Délestage tout provisoire comme on sait puisque des éditions à 10 Centuries, en deux volets, vont réapparaître, introduites par une nouvelle mouture de l’Epître à Henri II, annonçant 3 centuries parachevant la miliade, justifiant par là la réinsertion des Centuries VIII-X, en laissant croire que celles-ci n’étaient pas parues auparavant. Eh bien, pour ce qui est du passage de 12 à 10, il y a eu également un retour vers le 12 par la suite, comme on l’a signalé, au cours du XVIIe siècle. Ces deux centuries XI et XII avaient-elles un temps été jugées indésirables et fit-on également, par la suite, comme si elles n’avaient jamais été publiées et avaient tenu prison jusqu’au début des années 1590 ? Il est possible que dans tous les cas de figure, on ait à parler de censure; toujours est-il que n’auraient été conservées qu’un faible nombre de quatrains appartenant à ces deux dernières centuries dont on n’aurait retrouvé que les quatrains commentés dans le JG, ce qui ne prouve nullement qu’il n’y en ait eu davantage voire qu’elles aient été complètes. Il semble que M. Barrois se soit perdu dans un tel labyrinthe et nous ne commenterons pas ses propos, trouvant parfaitement fantaisiste sa façon de lire myriade au lieu de miliade et de ne pas prendre à la lettre le mot miliade, ce qui ne signifie pas pour autant que cette miliade serait parue intégralement mais qu’on voulut, à un certain moment, qu’elle constituât un seuil excluant l’idée de 12 centuries: 1000 est ici restrictif. On peut évidemment disqualifier le Brief Discours, le JG et les éditions comportant les quatrains des Centuries XI et XII figurant dans le JG mais on ne nous empêchera pas de penser que nous avons affaire à trois positions quant au nombre de centuries. Nous pensons que la première édition devait être à six centuries et constituer la moitié de la douzaine de centuries annoncées et nous avons la faiblesse de penser que les faussaires qui se mirent en tête de mener à bien un tel programme de 1200 quatrains, mais qui pouvait se réaliser sur une longue période, y étaient parvenu, ce qu’atteste le Janus Gallicus. Nous avons la faiblesse de penser que le JG comporte des éléments extrêmement précieux et souvent plus fiables et plus anciens que les deux épîtres centuriques En cas de conflit entre le JG et les épîtres centuriques, nous donnons la préférence au JG.

   Revenons en conclusion sur la date de l’Epître canonique à Henri II, celle comportant “le reste de la miliade“ mais aussi l’année 1782 / 1792, dates qui ne figure pas dans la version Besson. Soulignons le fait que le fait de présenter les Centuries VIII-X comme le “reste” de la miliade est une contrevérité car ces Centuries ne sont pas les dernières, elles sont antérieures, si l’on s’appuie sur la compilation de Crespin, aux Centuries V-VII. Il s’agit donc là d’une fausse présentation des choses liée à la réinsertion des Centuries VIII-X absentes des éditions de Rouen, Paris et Anvers. On a changé “premières” de la miliade en “dernières” de la miliade, d’une mouture à l’autre de l’Epître à Henri II. La question est la suivante : quand a-t-on publié à nouveau les dites Centuries VIII-X avec l’Epître en question ? La corruption même de 1782 en 1792 trahit un certain éloignement par rapport à l’époque où cette date de 1782 fut mise en avant dans les années 1580 ; il y a eu interpolation de cette prophétie pour la fin du XIXe siècle dans l’Epître Besson et là où nous rejoignons M. Barrois, c’est que ceux qui ont ainsi remanié le dit texte ne devaient guère se préoccuper de science astrologique, ce qui, finalement, leur aura porté chance.

   Nous voudrions rappeler pour l’édification de M. Barrois, le cas de la Prophétie Merveilleuse (...) où il est déclaré les misères & calamitez dont les Astres nous menacent (...) Iusques à la fin du Triangle accomply, ce qui s’est jà passé soubs le regne du grand Empereur Charlemagne & maintenant se prepare à nous donner un siècle & Triangle nouveau, le tout composé par M. A. Crespin, Paris, Pierre Ménier (BNF), comportant une épître à Charles X (sic), en compétition avec Henri IV, datée du 20 mars 1589. On nous y annonce pour 1591, “une grande conjonction des plus hautes planètes en la dernière face (décan) du signe des Poissons”. En réalité, cette conjonction - qui correspond à une rénovation de siècle dont parle l’Epître à Henri II mais à deux siècles d’intervalle - eut lieu en 1584 et non en 1591. On a donc modifié le texte pour s’accorder avec les enjeux politiques de l’époque - le texte est publié par le libraire ligueur Pierre Ménier, un des libraires publiant les éditions à sept centuries - en ne respectant pas les bases astronomiques. En revanche, un tel calcul ne fait nullement sens pour la fin du XVIIIe siècle car que sait-on deux siècles à l’avance de l’intérêt qu’il y aurait à passer de 1782 à 1792 ? Il s’agit donc bel et bien, dans l’Epître canonique à Henri II, d’une corruption par inadvertance et non pas d’une retouche fondée sur une quelconque considération extra-astrologique comme voudrait le faire croire M. Barrois.

   On ne trouve pas davantage dans la mouture Besson de l’Epître à Henri II de référence à 1585 ou à 1606, il s’agit donc là également d’une interpolation et là encore nous pensons qu’elle pourrait être de source chavignienne. On rappellera que les éditions du XVIIe siècle, notamment celles de Du Ruau et la série Vrayes Centuries et Prophéties, doivent beaucoup au JG puisque, notamment, elles y ont trouvé les 141 Présages qui figurent dans les dites éditions. Mais ces mêmes éditions intitulées Prophéties de M. Nostradamus, comme les éditions parisiennes de la Ligue, avant de prendre le titre de Vrayes Centuries et Prophéties, comportent aussi les sixains, qui constituent également une interpolation d’importance. Et la présence de 58 sixains nous oblige à repousser sensiblement la date de constitution d’un tel ensemble, comportant les quatrains des Centuries XI et XII figurant dans le JG ainsi que les quatrains des centuries VII et VIII des éditions parisiennes de 1588-1589. On parvient ainsi à un canon centurique considérablement amplifié et qu’il convient de situer non pas d’après l’âge des pièces constituantes et qui ont eu leur propre vie mais d’après celui de leur compilation, des années 1620.

   Mais précisément, l’Epître à Henri II n’a pas pu être initialement remaniée dans un cadre aussi éloignée de la miliade annoncée par la dite Epître. Qu’elle ait été ensuite récupérée sans qu’on ait pris garde à un tel détail est une autre affaire. Nous pensons donc que cette Epître a du paraître en tête d’un ensemble à dix centuries et pas davantage avant d’être intégrée dans un ensemble plus vaste et fort hétéroclite. On connaît quelques éditions à dix centuries parues à la fin des années 1590 et au début des années 1600, à Lyon, chez Benoist Rigaud, ses Héritiers et chez Pierre Rigaud ainsi que chez Jean Poyet. Période au demeurant confuse au niveau de la production nostradamique puisque parallèlement paraissait le Janus Gallicus, en 1594 et sous le titre de Commentaires du Sieur de Chavigny, en 1596, prônant l’existence de douze centuries. Il semble donc que les éditions du XVIIe siècle à douze centuries dont trois incomplètes, sauf à adjoindre les 58 sixains aux 42 quatrains de la VII - et la première qui nous soit conservée date de 1627, chez Jean Didier, à Lyon - aient rassemblé ces diverses écoles en un seul et même ensemble, en conservant provisoirement le titre de Prophéties de M. Nostradamus.

   Quelques mots sur le travail du chercheur néerlandais Théo Van Berkel consacré également à l’Epître à Henri II : il nous semble tout fait salutaire de tenter d’identifier quelle édition a été utilisée par tel commentateur et cela conduit à distinguer les spécificités des diverses éditions, ce qui permet d’établir des filiations entre éditions, grâce notamment à la mise en évidence de variantes telles que l’on peut en trouver dans une Epître comme celle à Henri II, variantes évidemment mineures si on compare la version Besson avec la version canonique. On observe à quel point des erreurs de chiffre ont pu se glisser, ce qui devrait intéresser M. Barrois qui s’imagine que les textes sont nécessairement reproduits à l’identique : “Like the autor od this essay, Wöllner also saw the printer’s error mil cinq cens et six mil cinquante et six in the case of the period Creation-Noah (...) In the 1941 Vreede translation, the period Creation-Noah lasts 1506 years instead of 1056.” Il importe d’appuyer une étude de textes sur les connaissances disponibles à l’époque et non sur celles qui seront acquises par la suite, au risque de basculer dans l’anachronisme, et cela vaut tant pour le savoir astrologique que pour le savoir historique, un auteur n’est pas coupé des données qui l’environnent. En matière de chronologie biblique, il est tout à fait légitime de confronter l’Epître à Henri II concernant ce domaine avec celles qui circulaient alors. Que l’on imagine que l’on ait commis une erreur de chiffre à tel ou tel endroit de la chronologie et que la dite erreur, par un concours de circonstance, fasse ressortir une échéance qui se révélerait significative deux cents ans plus tard, quelle serait la juste attitude à avoir ? Il y a là une question de déontologie : il conviendrait, nous semble-t-il, de ne pas revendiquer dans ce cas un quelconque bénéfice prévisionnel, même s’il en coûte d’agir ainsi. Il nous apparaît que c’est bien ce qui s’est passé pour mille sept cens nonante deux. En tout état de cause, nous devons travailler sur la base de corrélations entre un certain nombre de données propres à une certaine époque et quand bien même ces données strictement respectées, sans qu’aucune erreur ne se soit glissée, permettraient de déterminer une date significative, cela ne saurait pour autant valider le dispositif en question en tout cas au niveau de l’Histoire des Textes. Il nous semble évident que des prévisions à long terme comme celles concernant la fin du XVIIIe siècle, alors qu’on est au XVIe siècle, passent nécessairement soit par des considérations d’ordre astronomico-astrologique, soit par des spéculations numérico- chronologiques, dont on doit rendre compte dans le détail. On ne saurait, en conséquence, se satisfaire d’une date tombée du ciel, out of the blue.

   Par ailleurs, nul ne conteste que certains textes prophétiques aient visé la fin du XVIIIe siècle et soient tombé plus près des années révolutionnaires que l’Epître à Henri II, à commencer par Pierre d’Ailly avançant dès 1414 l’an 1789 et en continuant, au XVIe siècle, par Pierre Turrel et Richard Roussat ; d’ailleurs, Antoine Couillard, seigneur du Pavillon, y fait référence dans ses Contredicts (...) aux faulses & abusifves propheties de Nostradamus & autres astrologues de 1560, Paris, Charles L’Angelier. Il se trouve que curieusement, les nostradamistes aient finalement opté pour un calcul débouchant sur 1782. Ce n’est d’ailleurs qu’en raison de l’échec prévisionnel pour les années 1580 que l’on se rabattit sur une échéance repoussée de deux siècles. Malheureusement, la grande conjonction de la fin du XVIe siècle et son prolongement au début du siècle suivant, était plus importante, sur le plan de la théorie des Grandes Conjonctions, que celle de la fin du XVIIIe siècle car, pendant les deux cents ans qui précédèrent la dite fin du XVIIIe siècle, Jupiter et Saturne ne cessèrent de se retrouver en signes de feu (bélier, lion, Sagittaire), celui des Quatre Eléments qui a la primauté, en raison du premier signe, le bélier (Aries), qui s’y trouve. D’où le quatrain I, 51 :

Chef d’Aries, Iupiter & Saturne
Dieu eternel quelles mutations etc.

   Il ne faut pas comprendre ici, chef dans le sens de maître du bélier, à savoir, selon le dispositif dit des domiciles, déjà exposé dans le Tétrabible de Ptolémée, Mars, dont un des deux domiciles est le bélier, mais bien tête, début du Bélier et ce n’est pas à la fin du XVIIIe siècle que cette conjonction des deux plus “hautes” planètes connues depuis l’Antiquité, se produisit. J. P. Clébert va dans le même sens dans son récent ouvrage.3 En 1782, eut lieu la dernière conjonction de Jupiter et Saturne en signe de feu, à savoir en Sagittaire, à 120° du Bélier puis l’on passa vingt ans plus tard en triplicité de terre, en 1802, en Vierge si bien que le Premier Empire inaugure la fin de la triplicité de feu. Faut-il enfin rappeler à M. Barrois et à d’autres que la prophétie de Regiomontanus pour 1588 fut reconduite par la suite pour 1788 ?4 En fait, le texte de l’Epître pourrait fort bien être d’inspiration réformée et annoncer la fin de la persécution des Protestants - pour la fin du XVIIIe siècle car à la fin du XVIe siècle, en France, les Catholiques n’avaient pas vraiment à se plaindre : “sera faicte plus grande persecution à l’eglise chrestienne (…) et durera ceste icy iusques l’an mil sept cens nonante deux que l’on cuydera estre une rénovation de siècle”.5 Ajoutons que la situation des Protestants a empiré dans les années 1620, comme le montre le siège de La Rochelle en 1627, ce qui permet de situer dans quel contexte cette mouture du texte de l’Epître à Henri II a pu être écrite. Car, on voit mal Chavigny, ardent catholique, associer 1782 à la revanche des Protestants, il y aura donc eu détournement du sens premier de la prophétie pour 1782. En outre, cette persécution est présentée dans l’Epître à Henri II comme commençant en 1606 et comme devant se terminer en 1782 / 1792. Il semble que l’on ait interpolé une prédiction relative à l’an 1606, qui s’il est signalé au début de l’épître à Henri II ne l’est qu’indirectement par la suite du fait que les positions planétaires dont le détail est fourni valent pour la seule année 1606. On trouve “commençant en icelle annnée (laquelle ?) sera faicte grande persécution” et ce sans autre précision ! Sous la Révolution, le passage de l’Epître à Henri II relatif à 1792 fut interprété comme signifiant que les persécutions du clergé catholique commencées en 1789 cesseraient en 1792 et non pas comme leur commencement.

   Une observation qui vient, selon nous, clore le débat concernant 1782 tient à un quatrain bien connu qui traite précisément d’une conjonction dans le signe du Sagittaire, signe où se trouveront conjoints, on l’a vu, Jupiter et Saturne en cette année là et qui est la toute dernière conjonction en signe de feu, celle qui conclut un cycle/siècle de 200 ans environ.

I, 16
Faulx à l’estang joinct vers le Sagittaire
En son hault AUGE/auge de l’exaltation
Peste, famine, mort de main militaire
Le siècle approche de rénovation

   J. P . Clébert6 décrypte ainsi ce texte - il n’est pas le premier à l’avoir fait au demeurant :

“Faulx : faux, attribut ordinaire de Saturne
L’estang : l’étain (latin stagnum) est celui de Jupiter ; Mars pour le fer et pour l’estain entendons Jupiter (Jehan de La Fontaine (rien à voir avec le fabuliste) poème alchimique de 1413)
Joinct : conjoint
Il s’agit bien ici d’une conjonction de Saturne et Jupiter dans le signe du Sagittaire, c’est-à-dire un signe de feu.”

   Et Clébert de citer Richard Roussat7 - point déjà signalé dans un article de l’Astrological Journal par Yves Lenoble - “Lors se conjoindront Saturne & Jupiter au Sagittaire (...). Maintenant donc, je dis que nous sommes à l’instant et approchons de la future rénovation du monde (...) Environ deux cens quarante trois ans (...) en prenant la date de la compilation de ce présent traité (c’est-à-dire 1548, ce qui donne la date fatale de 1791 !)”

   On dira : Ah oui, Roussat annonçait 1791 ! Mais cette date doit être étayée astronomiquement, car on ne peut appréhender cette échéance en dehors du cadre des grandes conjonctions, quel que soit la résonance historique qu’elle peut avoir, comme pourraient être tentés de le faire les nostradamologues sans bagage astronomico-astrologique, ce qui semble être le cas de Mathieu Barrois. Les faits sont têtus : il n’y a pas de conjonction Jupiter-Saturne en 1791 ou en 1792 ni d’ailleurs en 1789 mais bien en 1782. Comment expliquer un tel décalage ? C’est dans le cours du XVIe siècle, que la théorie des Grandes Conjonctions est corrigée, comme le montre la critique qu’Auger Ferrier fera en 1580 du célèbre ouvrage de Jean Bodin, intitulé Les Six livres de la République.8 Autrement dit, l’on s’aperçut que le cycle des grandes conjonctions prenait moins de temps qu’on ne le pensait, ce qui ne pouvait donc que rapprocher encore plus l’échéance en question : on passait alors à 1782, comme on l’a vu chez Francesco Liberati dans son petit traité de 1575, au passage repris par Chavigny.9

   En vérité, nous avons deux hypothèses : soit 1792 est directement inspiré de Roussat qui ne fournit pas directement la date mais demande à ce qu’on la calcule, ce qui peut occasionner éventuellement une petite marge, soit 1792 est une déformation de 1782. Mais en tout état de cause, dans les deux cas, une prévision juste serait fondée sur une erreur : de copie ou de calcul car l’échéance annoncée - et c’est cela seul qui compte - s’articule nécessairement sur une conjonction Jupiter-Saturne en Sagittaire.

   Les deux quatrains 16 et 51 de la première Centurie se complètent donc parfaitement : l’un, I, 51, parle de l’entrée de la conjonction en signe de feu, à savoir en bélier (Aries) et I, 16 traite de sa sortie de cette triplicité élémentielle, en sagittaire (Estang, étain). On nous objectera peut-être qu’en 1584, Jupiter et Saturne ne se rencontrèrent pas en Bélier mais à la fin des Poissons et que vingt ans plus tard, c’est en Sagittaire que la première conjonction de ces deux planètes eut lieu en signe de feu.10 Mais encore une fois, il importe de faire la part d’une certaine marge d’erreur de la part des astrologues et de la part du système des Grandes Conjonctions. Si l’on examine les éphémérides, on s’aperçoit qu’il s’en fallut de très peu que la conjonction n’ait effectivement eu lieu en Bélier. Précisons que le système est fondé sur un strict découpage en 12 signes égaux de 30° et que l’on passe d’un signe à l’autre comme on le ferait d’une frontière. On prend la mesure du caractère parfaitement artificiel d’un tel découpage au cordeau au regard du cycle continu des saisons et des astres. Et c’est ainsi que dans les années 1580, le système allait tomber sur un os, ce qui a pu contribuer, au vrai, à le déconsidérer et en tout cas à déstabiliser la doctrine astrologique en question, puisque cela revenait à reporter de vingt ans le changement de triplicité et à manquer le passage au Bélier, annoncé par le quatrain Chef d’Aries etc ; de fil en aiguille, cela ne pouvait que contribuer à égarer les commentateurs du canon centurique, tentés éventuellement d’associer le quatrain Faulx à l’estang avec la conjonction du début du XVIIe siècle, en 1604. Or, selon nous, Faulx à l’estang concerne la fin du XVIIIe siècle. Il n’y a en effet aucune raison de s’intéresser à une conjonction en sagittaire si ce n’est dans le cas où cette conjonction est terminale, ce qui est le cas en 1782 et nous avons vu que pour Roussat la dite conjonction en sagittaire était précisément associée avec la fin du XVIIIe siècle. Il ne semble pas cependant que récemment, on ait établi de relation entre ces deux données et c’est bien dommage car cela eut évité certains flottements et surtout certaines illusions. En effet, le pronostic réussi pour 1792 est un étrange cocktail d’incurie astronomique et de mauvais décodage des Centuries et de l’Epître à Henri II, ce qui laisse songeur quant à la qualité du mélange astro-prophétique, qui nous semble parfois assez bâtard, surtout si, en plus, il vient s’appuyer sur le verdict de l’Histoire événementielle contemporaine, c’est-à-dire depuis la fin du XVIIIe siècle pour appréhender un texte appartenant pleinement au contexte scientifique et politique des XVIe-XVIIe siècles.

   Rappelons que la Centurie VI, 2 - laquelle centurie, précisons-le - est plus tardive et inconnue de Crespin dans ses Prophéties à la Puissance Divine de 1572 - se rapporte également à la conjonction des années 158011 :

En l’an cinq cens octante plus & moins
On attend le siecle bien estrange

   J. P. Clébert, repreant les travaux de P. Brind’amour, commente ainsi12, parle d’ailleurs ici d’une conjonction au signe du Bélier. “Le prophète (...) avait pu lire dans J. Cardan que l’année du démantélement de l’empire carolingien [le Saint Empire Romain germanique] devait être celle de la prochaine conjonction maxime 1583”

   Et le reste du quatrain VI, 2 vient confirmer qu’il comporte bien une référence à la conjonction en bélier !

En l’an sept cens & trois cieulx en tesmoins
Que plusieurs regnes un à cinq feront change

   Par cieulx en tesmoins, il faut comprendre : au témoignage des astres, c’est-à-dire selon l’astronomie.

   P. Brind’amour note que “Nostradamus a lié dans un même quatrain des Centuries deux années 1580 et 1703 qui allaient voir (...) une conjonction de Saturne et de Jupiter dans le signe du Bélier”.

   De ces observations il convient de tirer certaines conclusions à commencer par le lien étroit entre l’Epître à Henri II et la première Centurie. Or, on a tendance à associer la dite Epître plutôt aux Centuries VIII-X qu’elle semble introduire dans le second volet du canon nostradamique, l’Epître à César étant, quant à elle, censée préfacer les Centuries I à VII. Or, nous avons, dans de précédentes études, contesté la présence de la Préface à César en tête des Centuries, et nous soutenons que la dite Préface aurait en réalité remplacée l’Epître à Henri II, sous la Ligue comme l’attestent les éditions des Centuries de la fin des années 1580, qui constituent le premier lot qui ait été conservé à ce jour. Nous pensons, pour notre part, comme en témoigne Crespin, au début des années 1570, que l’Epître à Henri II introduisit initialement un ensemble de six centuries (I-III et VIII-X, pour adopter une numérotation qui n’était évidemment pas usitée alors), auquel vint s’adjoindre un peu plus tard 39 quatrains qui allaient par la suite, probablement au début des années 1580, être l’amorce d’une Centurie IV à 53 quatrains. A partir du moment où l’Epître à Henri II était éliminée ainsi que trois centuries anti-Guise, ces deux éléments (Epître plus centuries) allaient se retrouver conjoints lors de leur réinsertion entérinée dans les derniers remaniements du Janus Gallicus (1594) mais sans pour autant que cela ait nécessairement donné alors lieu à des éditions adéquates (cf. infra).

   Faut-il voir dans la juxtaposition en tête de l’Epître au Roi de 1585 et 1606 la marque du flottement conjonctionnel signalé plus haut et le passage d’une conjonction à la suivante ? Il ne faudrait pas oublier, cependant le commentaire offert par la dite Epître concernant le début d’une persécution d’ordre religieux et qui semble être d’inspiration protestante. Encore faudrait-il situer à quel moment une telle sensation de persécution a pu se manifester pour inspirer cette lecture bien particulière et partisane13 du processus Jupiter-Saturne. Certes, le cadre qui est celui de la formation des Centuries est-il celui des Guerres de religion, qui commencèrent au début des années 1560, des suites de la mort d’Henri II et de la faiblesse du pouvoir qui s’ensuivit durablement et allait conduire à la Saint Barthélémy (1572), véritable pogrom antiréformé. Mais, la Saint Barthélémy eut lieu avant la grande conjonction des années 1580, puis au lendemain de la guerre dynastique remportée par Henri de Navarre, vint, pour apaiser les esprits, l’édit de Nantes (1598), devenu successeur potentiel d’Henri III dès 1584, avec la mort du dernier fils de Catherine de Médicis, le duc d’Alençon et l’absence d’héritier du roi Valois régnant, qui serait assassiné en 1589. On pourrait éventuellement associer le commentaire réformé à l’année 1585 figurant dans l’Epître ou alors à l’année 1606, qui semble bien avoir été interpolée.

   Que s’est-il passé, demandera-t-on de si grave en 1606 pour que le parti protestant ressentît alors le début d’une persécution ? Avec le recul, l’événement n’est pas resté dans les mémoires : l’on notera en avril 1606 la perte de Sedan, place forte protestante, par le duc de Bouillon, Henri de la Tour d’Auvergne, à la suite d’une révolte de mécontents de l’édit de Nantes (1598) ; la ville sera désormais aux mains des Catholiques français. On sait à quel point certains quatrains (centuries VIII-X) introduits par l’Epître à Henri II annoncent la déconfiture du parti catholique. Cela ne signifie pas pour autant qu’une telle prédiction ait été intégrée dès 1606 dans le corpus centurique, elle a pu exister d’abord indépendamment et l’excès de précision concernant les positions planétaires14 pour cette année là ne se conçoit que dans ce cas de figure.

   En fait, plutôt que de supposer que le second volet avec la dite Epître à Henri II considérablement augmentée, par rapport à la version Besson - ait pu paraître au cours des années 1590, nous pensons que seul le premier volet fut alors publié, poursuivant ainsi une présentation à 7 centuries, propre à l’édition d’Anvers 1590, laquelle ne fut pas affublée d’un second volet à la différence de l’édition de Cahors également de 1590 et des éditions rigaldiennes de la fin du XVIe siècle. La publication d’édition à deux volets conjoints et à deux épîtres pourrait n’avoir jamais existé avant la période faisant suite à l’assassinat d’Henri IV (1610) ; on avouera que ces éditions à deux volets et à deux centuries apparaissent bien comme une solution de compromis, dont la composition hétéroclite du Janus Gallicus témoigne et qui annonce 1598 et les arrangements quelque peu bancals, comme l’avenir le montrera assez vite, de l’Edit de Nantes car il ne faudrait surtout pas croire que les relations entre Catholiques et Réformés furent au beau fixe jusqu’à la Révocation de 1685, par l’édit de Fontainebleau, comme en témoigne le siège de La Rochelle de 1627, qui vit l’intervention de la flotte anglaise du côté protestant face à l’armée royale. On notera, d’ailleurs, qu’à la fin du XVIIIe siècle, le culte protestant fut à nouveau admis par Louis XVI, par l’édit de tolérance de 1787 ; à la veille de la Révolution, venant ainsi confirmer, si l’on peut dire, la prophétie de l’Epître à Henri II, relative à la fin de la persécution religieuse. Il convient à ce propos de se demander15 si le début du cycle de 200 ans n’est pas seulement le début d’un processus qui doit logiquement culminer en son milieu et s’achever à sa fin. D’où cette année 1703 en VI, 2, qui aurait du être un moment fort de la persécution des Protestants, à mi parcours - échéance qui rate de 18 ans la révocation de l’édit de Nantes de 1685 qui aurait très bien pu faire l’affaire. Entendons que pour juger de la réussite d’un pronostic, il convient de bien comprendre ce qu’il annonce; en l’occurrence non point tant une révolution spectaculaire comme ce fut le cas mais le début d’une nouvelle ère qui allait devoir prendre peu à peu son essor, et qui fut saluée de fait par la mise en place, du moins pour quelques années, du calendrier révolutionnaire, à partir de cette fameuse année 1792. Ajoutons - puisque l’on nous avance des arguments d’ordre historique - qu’en tout état de cause, selon la théorie des Grandes Conjonctions, la nouvelle phase en signe de terre qui allait suivre la conjonction en sagittaire de 1782 n’était pas censée avoir l’importance de la Coniunctio Maxima ayant lieu au signe d’Aries et là encore, il convient d’observer que l’Histoire n’aura pas pleinement confirmé cette prédiction et que la fin du XVIIIe siècle aura été plus marquante que celle du XVIe siècle !

   Cette controverse autour de 1792 nous évoque une autre querelle concernant l’année 1989.16 Il s’agit d’un pronostic du à l’astrologue français André Barbault, né en 1921, et qui d’ailleurs est toujours en vie, et comme pour 1792 qui semble valider toute l’entreprise nostradamique, 1989, associé à la conjonction Saturne-Neptune (planète découverte en 1846 par Urbain Le Verrier) - et non plus Saturne-Jupiter - apparaît, selon nous à tort, comme la consécration de toute l’entreprise astrologique, à partir d’un certain malentendu.17 Parfois, certaines réussites aléatoires empoisonnent plus durablement la recherche que certains échecs. Il en est de même, d’ailleurs, de certaines découvertes de documents nostradamiques auxquels on tend à attribuer une importance et une signification qu’ils ne méritent pas.

   Le malaise actuel des études nostradamologiques tient au fait que de nouveaux documents ont été exhumés et décryptés, de nouvelles sources ont été mises en évidence, sans que, pour autant, les esprits soient disposés à repenser l’ensemble d’une chronologie nostradamique établie à une autre époque. Le chercheur se doit d’être au courant des tout derniers éléments apportés, faute de quoi son propos est d’entrée de jeu dépassé : c’est le cas de J. P. Clébert qui publia chez Dervy en 2003 - l’année Nostradamus - un ambitieux ouvrage que nous avons cité à plusieurs reprises et qui n’a jamais entendu parler des “extraits” Crespin ni de l’édition Antoine du Rosne 1557 conservée à la Bibliothèque de l’Université d’Utrecht qui comporte le Legis Cantio à la différence de l’édition conservée à Budapest, ce qui l’amène à structurer son ouvrage de façon inappropriée sans parler du fait qu’à aucun moment il ne met en doute l’authenticité des éditions datées des années 1550-1560, point sur lequel il aurait du pour le moins prendre position et apporter des arguments et ne pas faire comme si de rien n’était mais apparemment - il est responsable mais pas coupable - il n’était tout simplement pas au courant qu’il y avait débat et son éditeur non plus. Il nous parle d’un Nostradamus d’un seul tenant sans avoir à démontrer que les Centuries constituent un seul bloc alors que la critique biblique, pour son propre corpus, reconnaît qu’il existe plusieurs documents mis bout à bout.18 C’est ainsi que la troisième partie de l’édition Clébert comporte “VII. 41 à X. 100”19 puisqu’on est passé de l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest à 40 quatrains à la VII, à l’édition Benoist Rigaud 1568. Cette dernière édition, note Clébert, citant Benazra, “comprend pour la première fois le quatrain en latin (...) et les quatrains VII. 41 et VII.42 qui se trouvent à la fin de la septième centurie incomplète”20, mais à l’époque de la parution du RCN on n’avait pas connaissance de l’exemplaire d’Utrecht, les bibliographes lyonnais ayant négligé d’interroger les bibliothèques néerlandaises, ce qui leur avait fait également manquer la Prognostication pour 1558, conservée à La Haye et que nous avons été le premier chercheur français à signaler, comme le note P. Brind’amour.21

   On ne peut plus actuellement se permettre de ne pas suivre, en quelque sorte, au jour le jour, l’évolution de la recherche et notamment tout ce qui se passe sur Internet (Espace Nostradamus, CURA etc). Il aura fallu des siècles d’accumulation de pièces pour que la critique biblique puisse se mettre en place - mais qui pourrait se permettre d’ignorer, depuis 1947, l’apport des Manuscrits de la Mer Morte (Qumran) ? - et il en est de même pour la critique nostradamique qui ne peut parvenir à maturité que par l’entrechoquement et l’entrecroisement de chaque parcelle du corpus ainsi peu à peu révélé et dévoilé, entreprise pour laquelle il est beaucoup d’appelés et peu d’élus.

Jacques Halbronn
Paris, le 22 mars 2004

Notes

1 Cf. Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

2 In “Discours sur la méthode de J. Halbronn”, Espace Nostradamus. Retour

3 Cf. Prophéties de Nostradamus. Les Centuries, Dervy, 2003, pp. 136 - 137. Retour

4 Cf. “Exégèse prophétique de la Révolution Française”, Actes du Colloque Prophétisme et Politique, Paris, Politica Hermetica, 1994. Retour

5 Cf. notre étude sur “Pierre du Moulin et le thème du Pape Antéchrist“, Colloque Formes du millénarisme à l’aube des temps modernes, Paris, H. Champion, 2001, ainsi que notre étude sur Astrologie et Religion, Site Cura.free.fr. Retour

6 Cf. Prophéties de Nostradamus. Les Centuries, op. cit., pp. 74 - 75. Retour

7 Cf. Livre de l’Etat et Mutation des Temps, 1550. Retour

8 Cf. notre étude sur cet astrologue toulousain, sur le Site du Cura.free.fr. Retour

9 Cf. notre étude qui fait l’objet du “Discours” de M. Barrois. Retour

10 Cf. les travaux à ce sujet de Théo Van Berkel sur Espace Nostradamus et sur son propre Site. Retour

11 Cf. notre étude sur “la Centurie VI et l’an cinq cens octante plus & moins”, sur Espace Nostradamus. Retour

12 Cf. Prophéties de Nostradamus. Les centuries, op. cit. pp. 680 - 681. Retour

13 Cf. notre étude sur le caractère partisan des Centuries, sur Espace Nostradamus. Retour

14 Cf. p. 17, Ed Benoist Rigaud, 1568, second volet, reprint Chomarat, Lyon, 2000. Retour

15 Cf. nos études en Astrologie mondiale, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour

16 Cf. notre étude sur “les obstacles épistémologiques en astrologie mondiale”, in Encyclopaedia Hermetica. Retour

17 Cf. aussi notre étude sur le Site du CURA, “Heurs et malheurs de l’astrologie mondiale au XXe siècle”. Retour

18 Cf. Le Grand Siècle et la Bible, Dir; J. R. Armogathe, Paris, Beauchesne, 1989. Retour

19 Cf. Prophéties, op. cit., p. 827. Retour

20 Cf. Clébert, Prophéties, op. cit., p. 1171. Retour

21 Cf. Nostradamus astrophile, Ottawa, 1993, p. 478. Retour



 

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