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ANALYSE

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L’émergence du néonostradamisme
dans le dernier tiers du XVIe siècle

par Jacques Halbronn

    Par néonostradamisme, nous entendons les publications qui paraissent dès avant la mort de Michel de Nostredame, peut-être avec son assentiment - car savait-on qu’il allait mourir en 1566, à l’âge de 63 ans ? - et qui préparent sa postérité au travers de certains personnages qui reprennent le nom de Nostradamus, tels que Mi. De Nostradamus ou Antoine Crespin Nostradamus. Il convient de resituer ce processus néonostradamique que l’on préférera à celui de pseudo-nostradamique mais toute la question est là : comment ne pas prendre le faux pour du vrai et le vrai pour du faux : le phénomène centurique, lui-même, ne relève-t-il pas de ce néonostradamisme, qui est aussi post-nostradamique, en ce qu’il serait posthume, selon nous.

   Il semble bien que la voie la plus féconde en nostradamologie1 soit celle de la détection des faux délibérés mais aussi des fautes involontaires et il convient d’apprendre à gérer ces deux cas de figure et de savoir les distinguer, ce qui n’est pas toujours si évident que cela.

   Prenons le cas des épîtres de la version Besson dont certains, comme R. Benazra, considèrent qu’il s’agit d’un faux alors que pour notre part, au contraire, nous avons affaire à une version non fautive, non pas que les versions canoniques soient sur ce point des faux mais qu’elles ont entériné des fautes de copie et notamment qu’elles ont perdu en route certains mots dont nous ne referons pas ici la liste. Il ne s’agit pas non plus de déclarer que les versions Besson correspondent à des textes authentiques de Nostradamus mais qu’elles sont très proches des premières éditions des Epîtres pseudo-nostradamiennes. Il faudrait en effet ne pas oublier que même des faux peuvent comporter des variantes, des fautes et même être à leur tour, contrefaits. Parabole de l’arroseur arrosé.

   Si l’on prend le cas des variantes pour tel ou tel verset d’un quatrain centurique, il faut faire la part, très large, aux erreurs innocentes de copie - dont les causes peuvent être multiples.2 Cela dit, il arrive que ces erreurs, ces coquilles, puissent sembler préférables du fait qu’elles correspondent à tel enjeu d’interprétation, ce qui montre à quel point interprétation et restitution du texte d’origine ne font pas forcément bon ménage. Parfois, le hasard fait bien les choses.

   Le fait qu’une version soit meilleure qu’une autre au sens qu’elle comporterait moins de fautes ne prouverait pas pour autant qu’elle soit la plus ancienne et que l’édition concernée, en cas de datation douteuse et d’absence de datation, doive être considérée comme ipso facto antérieure. Il se peut, en effet, qu’une édition ait corrigé les fautes figurant dans une édition plus ancienne. L’absence de certaines fautes pourrait donc être jugée tout aussi bien suspecte tout comme l’absence de certaines indications par la suite effacées : on pense aux éditions Antoine du Rosne, 1557, qui ne comportent aucune marque d’addition après le quatrain IV, 53 alors que cette marque figure dans les éditions parisiennes des Centuries de 1588-1589. Les faussaires se font en fait souvent prendre du fait d’un certain souci de correction !

   Ainsi, trouver une faute peut mettre sur la piste d’un faux, si cette faute ne s’y trouve pas/plus. En revanche, si entre plusieurs variantes d’un verset, l’une apparaît comme une tentative de mieux ajuster celui-ci à un certain événement - comme dans le cas du quatrième verset de I, 35, relatif à la mort d’Henri II - avec “playes” remplaçant “classes” - selon les exégètes du XVIIe siècle - alors, en effet, l’on peut affirmer qu’on a affaire à une contrefaçon, ce qui vaut pour toute édition ayant adopté cette variante car la copie d’une contrefaçon reste une contrefaçon même si ceux qui la véhiculent n’en ont pas conscience et n’en sont pas directement responsables.

   On en arrive, évidemment, au cas de quatrains concernant des événements inconnus à l’époque de la rédaction indiquée. Mais peut-on parler d’un faux si l’on a affaire au départ à une contrefaçon ? Le faux d’un faux n’en fait pas un vrai. Dans le cas de la nostradamologie, on n’en butte pas moins sur ce problème de la date de composition et de parution des premières Centuries, quel que soit le titre sous lequel elles furent présentées au départ et qui pouvait, quant à lui, concerner un ouvrage de Nostradamus mais avec un contenu autre.

   Cela dit, il est important pour le chercheur en nostradamologie, d’établir des stades dans la formation du canon centurique. Si certains quatrains appartiennent à la période de la Ligue, par exemple, et bien, les éditions comportant les dits quatrains ne sauraient être jugés antérieurs à cette période. Mais peut-on avec certitude établir que tel quatrain appartient à coup sûr à telle époque et ne pouvait avoir été produit antérieurement ou que telle variante est la marque d’un changement tardif, en tout cas post eventum ?

   Il convient, en tout état de cause, de distinguer les premières éditions, qui sont elles-mêmes des faux et comportent des éléments post eventum des éditions suivantes qui sont elles des contrefaçons de ces faux et comportent également des éléments post eventum. Autrement dit, il ne s’agit pas de retrouver un texte qui ne soit d’aucune façon un faux car ce texte n’existe pas. Il y a simplement une gradation dans le faux. De même, comme on l’a dit, il ne s’agit pas non plus de rechercher un texte initial qui serait sans faute car cela aussi est fort improbable et c’est d’ailleurs - hypothèse plausible - parce que les Centuries dès leur parution comportèrent des coquilles ou des erreurs de copie ou de dictée, que l’habitude de ne pas trop chercher à en comprendre le sens exact s’est répandue, tout comme le sentiment que l’on ne saurait détecter les retouches introduites par la suite, du fait du manque ou de l’insuffisance des repères.

Le néonostradamisme et le duc d’Alençon, frère du Roi

   C’est en fait la confrontation entre les documents qui permet de progresser dans la recherche, profitant de ce que les faussaires n’avaient pas tout prévu et surtout n’avaient pas prévu ce que d’autres faussaires par trop zélés réaliseraient après eux. Le cas Crespin est incontournable - et ce bien que certains cherchent à le dévaloriser sous le prétexte spécieux qu’il serait un usurpateur - tout comme celui des éditions parisiennes de 1588-1589. Les extraits des quatrains que Crespin nous fournit, sans les attribuer à Nostradamus mais en les faisant introduire, tout de même, par le premier quatrain de la première centurie, dès lors que l’on comprend qu’ils sont le fait d’un tirage au sort de versets pris au sein d’une édition des Centuries, nous interpellent par défaut. Pourquoi, en effet, puisque c’est le hasard qui aurait joué dans la sélection, ce hasard, sur plusieurs centaines de tirage, aurait-il permis que plusieurs centuries ne soient jamais mises à contribution, si ce n’est parce que ces Centuries, tout simplement, n’existaient pas à l’époque du dit tirage ? Voilà qui d’emblée élimine les Centuries V, VI et VII du canon et les éditions qui les comportent, comme ne pouvant être antérieures à 1572. Bien plus, dans un cas, on trouve un verset qui n’est attesté dans aucune édition connue des Centuries. Il s’agit de l’adresse à monsieur le duc d’Alençon, frère du Roy et qui comporte in fine les mots suivants : “Flandras par un il servira de corone”. Dans la seconde édition, on lit “Flandres”. Mais on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une interpolation, vu que le duc d’Alençon deviendra par la suite une sorte de roi des Flandres, tout comme son frère deviendra peu après roi de Pologne, avant de succéder prématurément à Charles IX. Prophétie au demeurant concernant le dernier fils, encore adolescent, de Catherine de Médicis, qui s’accomplira quasiment bien des années plus tard mais qui correspondait déjà à une certaine attente au début des années 1570. On notera d’ailleurs que nombre de textes dus à des “disciples” ou “successeurs”, plus ou moins attitrés, de Nostradamus s’adressent au duc d’Alençon, qui, né à Fontainebleau Hercule le 18 mars 1555 avait pris, à la suite du “Tour de France” effectué en 1564 par Catherine de Médicis et ses fils, le prénom de François, celui son frère aîné décédé, en 1560, François II, tout comme Louis XVIII s’appellerait Louis comme son frère Louis XVI. Il aurait donc porté le nom de François III s’il avait régné en France. Il semble bien qu’il ait existé une coterie prophétique autour du dernier rejeton d’Henri II. On notera que ce prénom de François était aussi le nom du premier fils de François Ier, dont la mort allait faire de Catherine de Médicis la future dauphine, elle qui n’avait au départ épousé que le fils cadet, Henri, lequel désormais allait régner sous le nom d’Henri II, de 1547 à 1559. On notera que la naissance du duc avait eu lieu officiellement en mars 1554 - à lire 1555 - car l’année alors changeait à Pâques, ce qui nous conduit à lire le Ier mars 1555 de l’Epître à César comme correspondant à 1556.

   La mort du duc d’Alençon, en 1584, allait déclencher une crise dynastique, Henri III étant sans enfants. En 1572, le duc a donc 17 ans et n’est nullement un personnage négligeable3 ; nous sommes à une époque où l’Espagne a de gros problèmes dans les Pays Bas ; les excès du duc d’Albe - dont le nom figure par ailleurs dans les Centuries - y provoquent une révolte et en 1579, les sept provinces du Nord vont former les Provinces Unies, aujourd’hui connus sous le nom de Pays Bas, alors que la partie sud, catholique, deviendra l’actuelle Belgique ; c’est sur cette partie méridionale que le duc d’Alençon aura des visées ou qu’on en aura pour lui. En cette année 1572, à la veille de la Saint Barthélémy, la question des Flandres est à l’ordre du jour, un affrontement a lieu à Mons, prise par les Français au mois de mai, les Protestants français - et notamment Gaspard de Coligny - semblent particulièrement motivés par une intervention dans une région où le catholicisme est dominant et contraignant. C’est un Présage, pour février 1567, qui est commenté dans le Janus Gallicus, à propos des événements du mois d’août 1572, en rapport avec la Flandre, sur la base d’un demi-verset (n ° 257, p. 208) :

Prisons par ennemis occultes & manifestes
Voyage ne tiendra. Inimitié mortelle
L’amour trois, simultez. publiques festes
Le rompu ruiné, l’eau rompra la querelle.

   Voyage ne tiendra : “C’est le voyage de Flandres qui se debvoit faire pour la conquête d’un si bon & riche pais, peu avant les matines parisiennes”.

Extrait du Janus Gallicus

Extrait du Janus Gallicus

   Signalons notamment et dès la mort de Nostradamus, la Prognostication et amples Prédictions pour (...) Mil cinq cens soixante-sept (...) A Monseigneur François Duc d’Alencon par Mi. de Nostradamus, Paris, Guillaume de Nyverd, avec la vignette de Jupiter entouré des Poissons et du Sagittaire, les deux signes zodiacaux où il se trouve en domicile, et que l’on retrouvera par la suite dans certaines éditions des Centuries, et comportant en page de titre un quatrain non recensé dans le canon centurique ni dans les Présages :

La forte race Bazanée
Veut ouvrir les portes d’Arein
Mais une heureuse destinée
Rompt le fil de son vain dessein.

Prognostication pour 1567

Frontispice de la Prognostication et amples Prédictions pour 1567

   On notera que le deuxième verset se termine comme I, 1 :

   Seul reposé sus la selle d’aerain.

   Le Privilège est du 31 août 1566, Nostradamus est mort le 2 juillet.

   On retrouve cette pratique du quatrain en page de titre chez Crespin, mais cette fois sur la base de versets des Centuries :

L’ennemy, l’ennemy, foy promise
Ne se tiendra: le captif retourne
Soubs edifice Saturnin trouvé urne
D’or, Capion ravy & puis rendu.
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Prognostication pour 1571

Frontispice de la Prognostication pour 1571 de Crespin

   On retrouve les deux premiers versets du quatrain X,1 - le canon centurique donne, quant à lui “A l’ennemy, l’ennemy foy promise / Ne se tiendra, les captifs retenus” - et les deux derniers du quatrain VIII, 29.

   Et pour l’Epistre dediée au Tres hault et tres Chrestien Charles IX (...) iusques en l’année 1584, Paris, Martin le Ieune.(BNF), datée de 1571. Il s’agit cette fois d’un sixain :

Le neuf Empire en desolation
Sera changé du Pole aquilonaire
De la Sicile viendra l’emotion
Troubler l’emprise à Philip. Tributaire
Le successeur vengera son beau-frère
Occuper regne soubz umbre de vengeance.

   Une autre édition de la dite Epistre de Crespin, avec ce même sixain, parut, en 1571, à Lyon, chez Benoist Rigaud (Bibl. Bâle). On voit donc Rigaud une fois de plus mêlé au néonostradamisme.

   En réalité, les quatre premiers vers de ce “sixain” correspondent au quatrain VIII, 81, les deux derniers au début du quatrain X, 26. Ce sont là les états les plus anciens - 1571 - de ces quatrains, puisque l’on ne dispose pas des éditions des Centuries de cette époque, la compilation de Crespin datant de 1572. Au demeurant, on voit que les premières occurrences de quatrains en dehors des éditions - plus que douteuses - des Centuries elles-mêmes, appartiennent au début des années 1570, ce qui vient confirmer notre thèse selon laquelle les Centuries seraient parues, pour la première fois, à cette époque et pas avant.

Demonstracion de l'Eclipse

Frontispice de la Demonstracion de l'Eclipse lamentable du Soleil
(Paris, 1571)

   Un autre sixain centurique se trouve en exergue de la Démonstracion de Leclipce (sic) lamentable du Souleil que dura le long du iour de la Seint Michel dernier passé 1571 etc, Paris, Nicolas dumont (BNF) :

Le Roy de Bloys dans Avignon regner
Une autrefoys le peuple emonepolle
Esleu sera renard ne foucent mot
Tirannizer apres tout a ung cop
Mectant a pies des plus grans sur la gorge.

Sixain

Sixain en exergue de la Demonstracion de l'Eclipse lamentable du Soleil
(Paris, 1571)

   Le premier se trouve en VIII, 38 mais aussi en VIII, 52 . Le deuxième verset est aussi en VIII, 38. Les trois derniers versets se trouvent dans VIII, 41 (a, c, d).

   Version Besson :

Esleu sera Renard ne sonnant mot
(...) Tyranniser apres tant à un coup
Mettant à pied des plus grands sur la gorge

   Cet ouvrage de Crespin est dédié au Pape, Pie V, qui a succédé à Pie IV au début de 1566. Et de fait, il s’agit d’une mise en garde au pape sur la situation des Juifs à Avignon. On retrouve d’ailleurs ce texte en 1572 dans les Prophéties dédiées à la Puissance Divine et à la Nation Française, Lyon, F. Arnoullet - ouvrage signalons-le sans nom d’auteur mais aisément attribuable au dit Crespin :

Au Pontife romain Salut :
“Le Roy de Blois dans Avignon reigner un autrefois les conjurez quatorze d’une secte, par le rousseau semer les entreprises & le S. Siège sera remis au corps spirituel, qui sera tenu pour vray siége. La terre aride en siccite croistra & grand deluge sera aperceu soudain qui sera faict pour despit de marrans (marranes) & Iuifs, qui tiennent une loy à sa saincteté contraire”

Extrait

Extrait de la Demonstracion de l'Eclipse lamentable du Soleil
(Paris, 1571)

   On observe que cette adresse ne se réduit pas à quelques versets tirés des Centuries, mais comporte un avertissement assez bien senti et qui, lui, ne doit rien au hasard.

   Dans le cas de Mi. De Nostradamus, on l’a vu, se trouve antérieurement, dès les années 1560, un quatrain dans le style nostradamique, probablement à l’imitation des quatrains des almanachs (Présages) :

La forte race Bazanée
Veut ouvrir les portes d’Arein
Mais une heureuse destinée
Rompt le fil de son vain dessein.
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   Si les Centuries avaient existé alors, c’eut été l’occasion d’y puiser.

   En tout cas, l’adresse au Duc d’Alençon, par cette probable interpolation, tendrait à montrer que les nouveaux Nostradamus, Crespin inclus - à moins qu’il n’y en ait qu’un seul sous plusieurs identités - sont marqués par le parti du duc d’Alençon. Il semble que ce Mi. de Nostradamus ait sévi dès avant la mort de Michel de Nostredame : “Comme j’ay fait par cy devant dès l’An mil Cinq cens soixante-cinq”. Il s’agit probablement de la Prognostication ou Révolution avec les Présages pour l’an Mil cinq cens soixante cinq. A Monseigneur le Duc d’Anjou, très illustre Prince Royal. Par Mi. De Nostradamus, Lyon, Benoist Rigaud (BNF, Res pV 219), dont l’épître est datée du 13 juin 1564.6 On ne peut exclure que ce Mi. de Nostradamus et Antoine Crespin Nostradamus ne fassent qu’un. Ni l’un ni l’autre, soulignons-le, n’essaient de se faire passer pour “Maistre Michel de nostre Dame de Salon de craux en Provence (...) mais bien souz le nom de Mi. De Nostradamus qui n’ay point honte de m’avouer son disciple & sous la main duquel j’ay esté conduit à la cognoissance de plusieurs choses célestes” (Epître au duc d’Alençon). On ne voit pas, en tout cas, que ceux qui se présentent sous ce nom cherchent à se faire passer pour fils de Nostradamus comme semble vouloir le croire R. Benazra.7

   Dans la dite Epître celui qui se présente sous ce nom et dont on ignore la véritable identité, s’adresse ainsi au duc “le désir que j’ay de vous rendre un tesmoignage de l’humble volunté & obeissance que j’ay à votre service m’a donné la hardiesse présenter à vos piedz & vous dédier encore le recueil des Prédictions, Prognostications & Présages de ceste Année, mil cinq cens soixante-sept”. S’agirait-il donc d’un membre de la maison, de l’entourage, du Duc ? Car le Duc a une maison importante et attirera bien des intellectuels qu’il pensionnera, grâce à ses considérables revenus et apanages, tels que Jean Bodin, Guillaume Postel, Guy Le Fèvre de la Boderie, Brantôme, Ronsard, Du Faur de Pibrac (cf. infra) et peut-être surtout un Guillaume Postel.8 Dès 1574, à la mort de Charles IX, il est, à 19 ans, l’héritier présomptif de la Couronne et d’ailleurs sa mère cherchera vainement à le marier, notamment avec Elisabeth d’Angleterre. Pour Pasquier, c’est “un second Roi”. Il semble bien que le duc d’Anjou, dédicataire de la Prognostication pour 1565 soit ici le même personnage que le duc d’Alençon, puisque Mi. de Nostradamus, s’adressant à Alençon, parle de “dédier encore”. On notera que c’est Benoist Rigaud qui publia la dite Prognostication pour 1565 de Mi. de Nostradamus, ce qui donne matière à réflexion : faut-il vraiment parler comme le fait R. Benazra, d’un “imposteur” à propos de ce Mi. De Nostradamus, lequel ne cherchait nullement à se faire passer pour Michel de Nostredame ? Peut-être en ce qu’il prétend son disciple. En tout cas Benoist Rigaud n’hésita pas, avant même la mort de Nostradamus, à publier le “disciple” en question. C’est peut-être ce rôle de Rigaud dans le champ nostradamique ou pseudo-nostradamique qui aurait pu jouer, bien plus tard, dans l’attribution au dit Rigaud d’une édition de Dix Centuries, en deux volets, datée de 1568.

Prophéties de Crespin

Frontispice des Prophéties à la Puissance Divine
(Lyon, 1572, 2ème édition)

   En cette même année 1572, Crespin publie une Prognostication et Prédiction des quatre temps pour l’An Bissextil 1572 (...) Desdié à) Tres hault & Illustre Prince Monseigneur le Duc d’Allençon, Frère du Roy, Lyon, Melchior Arnoullet. Mais rappelons que la seconde édition des Prophéties dédiées à la Puissance Divine et à la Nation Françoise (1572) - publiée par un autre Arnoullet, François - comporte une adresse à la Reine d’Angleterre et une autre au grand Amiral d’Angleterre, qui ne figuraient point dans la première édition.

Extrait des Prophéties de Crespin

Extrait des Prophéties à la Puissance Divine
(Lyon, 1572, 2ème édition)

   Ce n’est probablement pas un hasard si l’adresse A la Royne d’Angleterre comporte le mot Angleterre. En fait, il s’agit là d’une addition extra-centurique : “Angleterre en grande ioye” et qui fait suite aux deux derniers quatrains de IX, 38, avec, chez Crespin, une variante “aage” au lieu d’ “Agen” et aux deux premiers quatrains de VIII, 17, selon le même procédé que pour l’Adresse au duc d’Alençon.

   L’adresse “A monsieur le grand Admiral d’Angleterre” est plus copieuse et là encore on s’éloigne sensiblement du texte centurique : “afin que à Angleterre grand bien nous voyons venir suyvant la ligue de Paix faite le 15 de Iuin 1572 dedans Paris.” Rappelons que le massacre des Protestants lors de la St Barthélémy est du mois d’août de cette même année et jettera un froid dans les relations entre la France et la reine d’Angleterre mais tout cela paraît avant les tragiques événements. De fait, en juin 1572, un traité franco-anglais sera signé, traitant notamment du sort de Marie Stuart, reine d’Ecosse, veuve de François II mais aussi du sort des Flandres.9

Les quatrains de Pybrac

   En fait, il se pourrait bien que sous le nom de Crespin se cachât un diplomate français de haut rang, comme le toulousain Pibrac (1529-1584), l’un des plus célèbres auteurs de quatrains après ceux des Centuries10 : c’est ainsi qu’en 1574 étaient parus Cinquante Quatrains, contenans preceptes & enseignemens utiles pour la vie de l’homme, composez à l’imitation de Phocyclides, d’Epicharmus, & autres anciens Poètes Grecs, Paris, Gilles Corbin (BNF). Ce lot sera suivi d’une Continuation, Paris, F. Morel, 1575 (BNF Ye 1302 Resaq). On notera que Pibrac représenta la France au Concile de Trente, pièce maîtresse de la Contre-Réforme, au début des années 1562-1563 et qu’il y défendit des thèses gallicanes et Pie IV eut à se plaindre de lui11, ce qui nous semble assez bien correspondre à la philosophie exprimée par la suite du “Roy de Bloys dans Avignon régner”.12 Nous avons donc là un personnage de poète-diplomate-courtisan13 qui est assez conforme à la stature et à l’autorité - évidente dans ses Epîtres - d’un Crespin. On connaît de lui 126 quatrains - une édition posthume (Tetrastrichi, Paris, F. Morel, 1584) comporte le texte français suivi des traductions grecque et latine - et Molière les évoquera dans Sganarelle : “Lisez-moi comme il faut, au lieu de ces sornettes / Les Quatrains de Pibrac & les doctes Tablettes / Du Conseiller Mathieu etc”.14 Ces quatrains serviront longtemps - jusqu’à la fin du XVIIIe siècle (La Civilité qui se pratique en France parmi les honnestes gens (...) Les quatrains du sage M. De Pybrac, Paris, 1780) - à des enfants à apprendre à lire et il semble que Théophile de Garencières (The true Prophecies or Prognostications), en 1672, confonde - “A Primer for Children” (The Preface to the Reader) - avec ceux de Pybrac lorsqu’il affirme avoir appris à le faire avec les quatrains des Centuries.

Cinquante Quatrains de Pybrac

Frontispice des Cinquante Quatrains de Pybrac
(Paris, 1574)

Extrait des Cinquante Quatrains de Pybrac

Extrait des Cinquante Quatrains de Pybrac
(Paris, 1574)

   On s’arrêtera sur une édition des Cinquante Quatrains, due à Benoist Rigaud, Lyon, 1575. Les quatrains n’y sont pas numérotés et à peine séparés les uns des autres. On peut penser qu’ils correspondent à l’état d’une première édition, même si l’on connaît des éditions datées de 1574 (cf. supra) dûment numérotées. Ce qui est curieux dans cette édition Rigaud, c’est que les Quatrains se placent à la suite d’un autre texte de Guillaume Drieu, Le Pourtrait et figure d’un enfant nay en Avignon (...) l’An mil cinq cens soixante quinze (BNF Microfilm M 1476). En fait les dits quatrains ne sont pas annoncés au titre mais figurent simplement en annexe. Le texte auquel ils sont joints appartient au genre des Prodiges, comme c’est le cas pour l’Androgyn. Le frontispice représente un enfant “beau et bien formé, lequel est nay les pieds & les mains lyez & luy faisant encores trois tours au col etc”, le commentaire en est astrologique : “Saturne estoit à XVI degrez de Mars opposifs (sic) au soleil & à Mars qui sont conjoints dans la XII. Maison lesquels luy signifient grands troubles ou seditions & mauvaises conspirations à l’encontre de luy etc.” La fortune des quatrains de Pybrac est soulignée par la parution des Quatrains du sieur de Pybrac interpretez en forme de paraphrase, par la conférence & rapport d’iceux aux Pseaumes de David & livres de Salomon, dediez à Monseigneur le Dauphin (le futur Louis XIII) par S. Le Grand, Sens, Paris, George Niverd, 1607 (BNF), ce qui suit la parution d’un texte nostradamique, Les signes merveilleux apparus au ciel, Paris, Estienne Colin, 1606 (cf. DIPN, pp. 158-159).

   A propos de Guy du Faur de Pibrac, notons qu’il sera, après avoir été chancelier de la reine de Navarre, Marguerite - pas cependant Marguerite de Savoie dont Crespin se dira l’astrologue - et avoir accompagné Henri en Pologne, chancelier du duc d’Alençon et d’Anjou dans les Flandres (1583) peu avant sa mort, qu’à l’instar de Nostradamus, il sera appelé de sa province à la Cour, ce qui peut conférer une signification particulière à la refonte de l’Epître à Henri II. Sa poésie se caractérise somme toute par une série de quatrains sans rapport les uns avec les autres, un peu à l’instar de ceux des Centuries.15

   Pybrac célébrera Saint Barthélémy, en latin (Lettre sur les affaires de France), ce qui lui sera vertement reproché ; il fut apprécié de Dorat, de Ronsard, de Montaigne, de Du Bartas. Disciple d’Alciat, dans sa jeunesse, rappelons qu’un quatrain centurique emprunte aux Emblèmes du dit Alciat, comme l’a noté récemment P. Guinard. Jean Bodin lui dédiera sa République, laquelle fera l’objet d’une critique de la part d’un autre toulousain Auger Ferrier (voir notre étude sur Ferrier sur le Site du CURA). Signalons encore un texte, non daté, le Secrétaire de Pybrac (BNF) qui comporte un passage aux intonations prophétiques contre les Huguenots : “Ainsi ce grand Dieu des batailles / (ce dit vostre Prophète faux) / Vous fera voire quels sont les maux / Les feux, les foudres, les tempestes / Qu’il garde aux magasins célestes.“

   A notre connaissance, aucun chercheur n’a proposé de rapprochement entre Pybrac et Crespin. Nous avions déjà signalé un autre poète gascon, Augier Gaillard dont l’effigie figurera au XVIIe siècle sur nombre d’éditions des Centuries.16 Un autre auteur toulousain de quatrains est aussi signalé Guillaume de La Perrière, en ce qu’il publia, dans les années 1550 des quatrains, à Lyon, chez Macé Bonhomme. Rappelons que le caractère méridional des Centuries est souligné par la présence de quelques versets en langue d’oc. Quant au portrait de Pybrac (portrait in Ch. Pascal, La vie & moeurs de M. Guy du Faur de Pybrac, Paris, 1617), il s’agit d’un homme barbu, rien d’incompatible avec les portraits néonostradamiques de Nostradamus le Jeune ou de Crespin, tels que nous les connaissons, si tant est que ceux-ci soient censés être ressemblants à ceux du véritable auteur.

Le mariage anglais

   Pybrac fut un négociateur de haute volée, ce qui ferait que s’il était aussi Crespin, il ne se vanterait guère en se présentant comme “conseiller ordinaire &astrologue du Roy”, vu que Pybrac n’était rien moins que membre du Conseil Privé du Roi et avocat général. Il est possible qu’il ait été associé à ce qui touchait à l’Angleterre. Or, le mariage d'Elisabeth, née en 1533 - donc ayant 22 ans de plus que lui - avec le jeune prince François de Valois, disgracié par la vérole, après que l’on eut envisagé celui de son frère, le futur roi de Pologne, par trop catholique, était à l’ordre du jour dans les mois qui précédèrent ce drame17, lequel mariage sera à nouveau de circonstance au début des années 158018 et cette fois le duc se rendra à Londres. Au XVIIe siècle, le mariage espagnol - celui de Louis XIII avec Anne d’Autriche - défraiera la chronique pseudo-nostradamique, avec les sixains de Morgard.19 On sait que Catherine de Médicis souhaite une couronne pour chacun de ses fils et qu’il existerait même une célèbre prophétie, faite à Chaumont/Loire, à ce sujet et la couronne d’Angleterre lui siérait pour son dernier fils.

The Compleat Ambassador

Frontispice de The Compleat Ambassador...
(Londres, 1655)

Portrait de la reine Elisabeth Ière

Portrait de la reine Elisabeth Ière d'Angleterre

   Signalons d’autres manifestations du lien entre le néo-nostradamisme et le duc d’Alençon :

   Prédictions pour vint ans continuant d’an en an iusques en l’An mil cinq cens quatre vintz troys (...) extraictes de divers aucteurs, trouvée en la Bibliothèque de nostre defunct dernier décédé, Rouen, Pierre Brenouzer, 1568, dont la préface est adressée au duc.20 On notera que si ces prédictions sont pour 20 ans jusqu’en 1583, c’est bien qu’elles sont d’abord parues vers 1563 et n’ont été que rééditées en 1568. Réédition en 1572 - le temps passant, les prédictions pour 20 ans ne le sont plus désormais que pour 13 : Présages pour treize ans continuant d’an en an iusques à celuy de mil cinq cens quatre vingt trois, Paris, Nicolas du Mont.21

   Pour notre part, nous pensons que de telles Prédictions pluriannuelles (cf. infra) devaient correspondre à ce dont Couillard rend compte dans ses Prophéties, il s’agit là bel et bien de vaticinations perpétuelles qui s’écoulaient, en un débit d’ailleurs assez médiocre, du fait de leur caractère assez primaire, astronomiquement et politiquement, sous le nom de Prophéties de Nostradamus, conjointement aux almanachs, pronostications et présages, lesquels, eux, paraissaient sur une base annuelle et étaient de meilleure qualité et d’une plus grande fraîcheur.

   Signalons un autre néonostradamiste, Florent de Crox ou de Croz, lequel s’adresse également au jeune frère - âgé seulement d’une quinzaine d’années - de Charles IX, en son Almanach pour l’an MDLXX, composé par M. Florent de Crox, disciple de deffunct M. Michel de Nostradamus. Dédié à très hault tres puissant & redoubté Monseigneur le duc d’Anjou & Bourbonnois fils de Roy & frère du Roy, nostre sire, tres-chrestien Charles neufiesme, Paris, Anthoine Houic.22 Mais à cette date, le duc d’Anjou est Henri et non François qui le deviendra à l’avénement d’Henri III. On notera à quel point le néonostradamisme gravite autour des deux frères de Charles IX.

   Il resterait à étudier dans quelle mesure l’on retrouve dans les Centuries elles-mêmes l’écho de cette ferveur autour du duc d’Alençon. En tout cas, c’est un temps d’affrontement avec l’Espagne, du moins aux Pays Bas, d’où le quatrain VIII, 81, figurant par ailleurs dans un sixain (cf. supra) et qui vise probablement Philippe II, dont le règne débuta en 1556.

Le neuf Empire en desolation
Sera changé du Pole aquilonaire
De la Sicile viendra l’emotion
Troubler l’emprise à Philip. Tributaire
Le successeur vengera son beau-frère
Occuper regne soubz umbre de vengeance.

   Signalons aussi le quatrain IX, 89 comportant référence à Philip.

   Ceux qui avancent le nom du duc d’Alençon, du moins avant 1576, sont des “malcontents”, des opposants au Roi.23 Le jeune duc est considéré comme assez ouvert aux Protestants, il se compromet avec le jeune Henri de Navarre, son aîné de deux ans24, se laisse approcher, en 1572, au siège de La Rochelle conduit par le futur Henri III, par les assiégés réformés, bref Monsieur, frère du Roi, joue le rôle que jouera au siècle suivant un Gaston d’Orléans face à son frère Louis XIV. Et c’est d’ailleurs, cette modération religieuse qui en fait alors un parti possible pour Elisabeth. A la fin de sa brève carrière - il meurt à 29 ans - François d’Alençon jouera bel et bien un rôle important notant à Anvers.25

Duc d'Alençon

Portrait du duc François d'Alençon

   Ainsi, le lien existant dans les années 1567-1573 entre les néonostradamistes et le duc d’Alençon nous paraît éclairer leur activité d’un jour nouveau, comme si le nom de Nostradamus avait été mis au service d’un certain parti, non point celui de telle religion, mais d’un mouvement en quelque sorte politique et contestataire : pourquoi ne pas parler alors d’une sorte de fronde, en prenant en compte l’extrême jeunesse du chef. Le moins que l’on puisse dire, en tout cas, c’est que ces gens là ne sont pas favorables à la maison de Guise et ce d’autant que la lieutenance générale du Royaume, quand Henri est pressenti, en 1573, pour la couronne de Pologne, au lieu de revenir au duc d’Alençon est confiée au duc de Lorraine. Ne peut-on voir, dans les Centuries VIII-X annonçant la chute des Lorrains un écho à ces rivalités entre princes ?

Prophétie merveilleuse pour 1568

Frontispice de la Prophétie merveilleuse pour 1568

Le cas de M. Michele Nostradamo Francese

   Le phénomène que nous qualifierons de néo-nostradamiste, semble bel et bien avoir commencé avant la mort de Michel de Nostredame ou tout au moins le prétendre comme pour cette Prophétie merveilleuse commençant ceste présente année (sic) & dure iusques en l’An (...) MDLXVIII, Paris, Guillaume de Nyverd (Bib. Ste Geneviève), soit chez le même libraire qui se chargera de la Prognostication et amples Predictions pour 1567 (cf. supra) : ce Guillaume de Nyverd semblerait donc avoir joué un rôle important dans le lancement de Mi. de Nostradamus. En quelle année parut cette Prophétie ? On y parle du “premier Aoust de l’an passé 1565” (p. 7) puis on étudie “ce que demonstrera l’eclipse de Lune le vingt quatrième Octobre 1566” (p. 8), publication datant vraisemblablement du début de 1566. Il y est plusieurs fois question de Moïse (fol. 3 recto, 4 recto et 14 recto) :

   “Le legislateur des Juifz Moyse”, “le Prophète plus que Philosophe Moyse”, “nostre legislateur le Prophete Moyse”. Or, on connaît des traductions italiennes qui se référent aussi à Moïse26, c’est le cas - “Il divino Mose” - de Il vero Pronostico calcolato dall’Eccellmo astrologo et filosofo M. Michel Nostradamo Francese, Bologne, Alessandro Benatiio (BNF Res V 1196). Il apparaît assez vite que d’autres recoupements existent entre la Prophétie Merveilleuse et le Pronostico.

Il Vero... 1566

Frontispice d’une pronostication italienne pour 1566
attribuée à “M. Michel Nostradamo Francese”

   Si l’on examine “Dello (sic) eclisse della Luna”, on observe qu’il y est question de l’éclipse du 28 octobre 1566, soit celle étudiée dans la Prophétie Merveilleuse. Ce qui nous conduit à penser que ce Prognostico est de Mi. De Nostradamus et non de Michel de Nostredame. Il faudrait également signaler une épître “All’Illustrissimo & Eccelentissimo Duca d’Orliens” qui concerne le duc d’Orléans. En réalité, il s’agit de l’Epître au pape Pie IV figurant dans Li Presagi et Pronostici di M. Michele Nostradamo, parus l’année précédente, à peine remaniée en son début, fausse épître donc pour ce “M. Michel Nostradamo francese”.27 Une telle supercherie est de mauvais aloi et indique des procédés de misère, indignes d’un véritable disciple, ce qui ne semble pas avoir été dans les façons de Mi. De Nostradamus. Dans ce cas, peut-on parler d’une traduction italienne des ouvrages de Mi. De Nostradamus ou bien plutôt d’un parallélisme, à savoir la mise en orbite d’un nouveau Nostradamus ?

   On connaît une édition italienne comprenant le pronostic de l’Eclipse du 17 novembre 1565 - repris de l’Eclipsium de Leovitius - parue sous le titre de Li Presagi et Pronostici di M. Michele Nostradamo quale principiando l’anno MDLV diligentemente discorrendo di Anno in Anno fino al 1570 avec cette fois la mention ”Michele Nostradamo medico di Salon du Craux in Provenza”. On peut remonter encore plus haut avec le Pronostico dell’Anno MDLXIII composto & calcolato per M. Michele Nostradamo Dottore in Medicina di Salon di Craux in Provenza (Bibl. Valicelliana, Rome). Voir aussi Pronostico et Lunario de (...) Michele Nostrodamo, calculato nella Citta di Salon di Craux in Provenza sopra l’anno MDLIII, Padoue.28

Li Preseagi... 1565    Pronostico dell'anno 1563   

Frontispices de pronostications attribuées à “M. Michele Nostradamo”

   Il nous semble que l’on ait eu d’abord affaire à des traductions de publications de M. Michel de Nostredame pour ce qui est des années 1563, 1564 et 1565 et que pour les pronostics concernant 1566 - et donc parus dès 1565 - on soit passé à ce Michele Nostradamo Francese. Signalons que l’on ne dispose pas/plus des originaux français dont la Prophétie Merveilleuse aurait ainsi pris la suite. Toutefois, on trouve encore pour 1566, Il vero et universale Giuditio di M. Michiele Nostradamo Astrologo Eccell. & Medico di Solon (sic) di Craux di Provenza (...) Giuditio di tutte le Lune & suoi Quarti dell’Anno 1566 (Bibl. Marciana, Venise).

   On connaît d’autres publications de ce “M. Michele Nostradamo Francese” :

   Li Presagi et Pronostici di M. Michele Nostradamo Francese quale principano l’anno MDLXV (....) fino al 1570.29

   Ainsi, pour 1565 :

   Li Presagi et Pronostici di M. Michele Nostradamo Francese quale principiano l’anno MDLXV diligentemente discorendo di Anno in Anno fino al 1570 (...) Diligentemente estratti dalli Originali francesi nella nostra Italiano lingua.

M. Michel nostradamo Medico di Salon di Craux in provenza. Alla S. di Papa Pio IIII di questo nome Composto. (BNF, Res V 1194) et non Pio III, comme indiqué dans le RCN.(p. 68)

   Et l’autre :

   Li Presagi et Pronostici di M. Michele Nostradamo quale etc (BNF Res V 1195)

   Il semble que ces éditions soient dérivées d’une précédente, pour 1563, également dédiée au Pape Pie IV, qui régna de 1560 à 1565 - et auquel l’Almanach nouveau pour 1562, Paris, Guillaume le Noir, était dédié - et déjà mentionnée :

   Pronostico dell’anno MDLIII composto & calcolato per M. Michele Nostradamo Dottore in Medicina di Salon de Craux in Provenza (....) Dedicata al nostro Santissimo padre Papa Pio Quarto

   En réalité, on remarquera que les deux éditions jumelles se référent toutes deux, à la fin du titre30 à M. Michel Nostradamus de Salon de Craux en Provence et la présence de M. Michele Nostradamo Francese ne désigne pas encore Mi. De Nostradamus, comme ce sera le cas par la suite. Il se serait donc agi à l’origine d’une simple variante avant qu’elle ne serve à identifier le “nouveau” Nostradamus.

   En fait, nous ne disposons d’aucune édition française signée M. Michel de Nostradamus comportant des pronostics pour plusieurs années. Nous ne possédons une telle édition française que sous le nom de Mi. De Nostradamus. On peut se demander si ce type d’édition ne correspond pas aux Significations de l’Eclipse qui sera le 16 septembre 1559 (...) observées par maistre Michel Nostradamus, docteur en médecine de Salon de Craux en Provence, Paris, Guillaume le Noir, libraire ayant publié l’Almanach Nouveau pour 1562. Il nous apparaît qu’il s’agit d’une contrefaçon31 réalisée à partir d’un genre qu’aurait pratiqué Michel de Nostredame dans les années 156032 avant d’être relayé par ce Mi. de Nostradamus. On voit combien aura ici été précieuse l’étude des traductions italiennes où l’on note que le passage de relais s’effectua apparemment en douceur avec un léger changement dans la présentation de l’auteur. Signalons que la mort de Michel de Nostradamus ne fut nullement dissimulée comme l’attestent ce texte se référant carrément à son testament, Li Mirabili et Pretiosi secreti lasciati nella morte del eccelentissimp Filosofo M. Michaelle (sic) nostradamo, nel testamento da lui fatto in la morte sua al piamontese Astrologo suo Nipote & nuovamente per lui ad universal Humano benefitio messi in luce. Cet ouvrage signé est dédié au duc Emmanuel Philibert de Savoie, en date du 28 mai 1568, par Antonio Ruggiero (Ruggieri). Or, l’Almanach pour 1567, Lyon, Benoist Odo, comporte curieusement une partie dédiée en italien au Principi Amanuel Philiberto, en date du 22 avril 156633, ouvrage posthume. Ajoutons que Li Mirabili et Pretiosi secreti ne sont pas sans évoquer les Prédictions pour 20 ans (...) par lesquelles sont predittes choses merveilleuses etc, Rouen, P. Brenouzer.

Li Mirabili

Frontispice d’une pronostication italienne
signalant la mort de Nostradamus

   On trouve en Italie une vignette particulière pour représenter Nostradamus. Elle figure en frontispice du Pronostico et Lunario de l’Anno MDLXIIII calculato da l’Eccelente Medico M. Michele Nostradamo di Salon di Craux in Provenza, Florence, 1564. On la trouve également à la fin de Li mirabili et pretiosi secreti, puis, pour marquer la continuité, en frontispice du Pronostico o vero Giudicio sopra l’anno MDLVI/ Eccelente philosopho & Astrologo M. Philippo Nostradamo, Milan & Florence, 1565.

Pronostico et lunario

Frontispice du Pronostico et lunario de L'anno 1564 de M. Michele Nostradamo
(Florence, 1564)

   Ce Philippo est certainement le neveu piémontais de Nostradamus annoncé dans Li Mirabili et Pretiosi secreti. Dans une autre étude (Espace Nostradamus), sur les années 1570, nous avons signalé l’existence d’un Gio. Anselmo Nostradamo. Philippo Nostradamo succéde ainsi à Michele Nostradamo Francese, comme Crespin Nostradamus à Mi. De Nostradamus ou à Nostradamus le Jeune.

   En ce qui concerne l’intérêt des traductions italiennes, faut-il rappeler que c’est ce qui nous a permis d’apporter un certain éclairage à l’almanach pour 1563 (Paris, Barbe Regnault) dont on ne connaît en français qu’une contrefaçon, datant de la Ligue34 ?

Le désert des éditions centuriques avant 1588

   On n’accède véritablement à la production centurique qu’avec les éditions parisiennes de la Ligue, chez Charles Roger, Veuve Nicolas Roffet ou Pierre Ménier ; on sait que nous leur accordons - et c’est pourquoi certains ne se privent pas de les dénigrer - la plus grande importance pour la détection des faux ainsi d’ailleurs qu’à l’édition parue à Anvers en 1590 chez François de Saint Jaure. Le principal enseignement que nous en tirons tient aux centuries inconnues de Crespin en 1572 : on ignore, au demeurant, la date de la mort du dit Crespin et certains textes tardifs parus sous son nom peuvent être apocryphes, comme cette Prophétie Merveilleuse de 1590.35 Ce n’est pas par hasard, selon nous, que la Centurie VI s’arrête à 71 quatrains ou que la Centurie VII de l’édition anversoise s’arrête à 35 quatrains ou que l’on signale une édition à la Centurie IV après le 53e quatrain. Nous pensons qu’il aura fallu attendre/atteindre la fin des années 1590 pour que les centuries IV et VI passent à cent quatrains. Certains nostradamologues (R. Benazra, P. Guinard, notamment) ne craignent pas, cependant, de soutenir que ces éditions seraient fautives, partant du principe qu’une édition des Prophéties comportant des centuries à cent quatrains est plus ancienne qu’une édition en comportant moins. Or, par ailleurs, ces mêmes auteurs ne s’embarrassent pas pour reconnaître qu’une édition à 53 quatrains à la IVe Centurie est antérieure à une édition à 100 quatrains à la dite quatrième Centurie !

   Un autre témoignage précieux est celui d’Antoine Couillard, sieur du Pavillon les Lorriz, auteur en 1556 de Prophéties, titre probablement emprunté à un ouvrage de Michel de Nostredame, mais dont le contenu reste à préciser et n’est très vraisemblablement pas à caractère centurique. Comme pour Crespin, les passages qui retiennent l’attention ne sont explicitement référés à Nostradamus - même si le nom de Nostradamus figure au fol. 20 recto “comme dict nostre maistre Nostradamus” - mais force est de constater qu’ils recoupent, en plus d’un point, le texte de la Préface centurique à César. Le traitement de ce document n’est pas des plus aisés36 car une chose est de montrer les recoupements entre celui-ci et la Préface centurique à César, une autre de déterminer les variantes significatives car vu que les extraits d’une telle Epître sont dispersés au sein de l’ouvrage de Couillard, comment savoir ce qui en faisait partie et qui a pu ne pas être repris par la suite ? Nous avons cependant, à notre disposition, la version Besson de la Préface à César, laquelle reprend une version plus ancienne, traduite, à Londres, en 1672 par Théophile de Garencières, dans The True Prophecies or Prognostications.

   Cependant, il ressort de la comparaison entre ces trois versions que sont

1 - les extraits des Prophéties de Couillard
2 - la Préface centurique à César
3 - l’Epître recueillie par Garencières et Besson

que la Préface centurique n’est pas issue de celle de Besson, en ce qu’elle comporte des extraits des Prophéties de Couillard qui ne sont pas chez Besson tout comme d’ailleurs l’Epître Besson n’est pas davantage issue de la Préface Centurique. Nous en conclurons que l’Epître d’origine dédiée à César et que l’on ne connaît que par les extraits Couillard a du servir pour la rédaction tant de la Préface Centurique que pour celle de l’Epître Besson.

   C’est ainsi que le terme “anagaronique revolution” ne se trouve pas dans l’Epître Besson mais bel et bien dans les deux autres textes, tout comme le terme “ne veulx dire tes ans” qui se retrouve chez Couillard avec “Taire les ans”, formule introuvable, sous une forme ou sous une autre dans la version Besson. Il reste que la version Besson de la Préface à César nous paraît comporter dans l’ensemble une rédaction plus satisfaisante que celle de la Préface centurique mais il est vrai qu’il pourrait s’agir d’un travail de correction des fautes sans recours, pour autant, à l’original. L’Epître “Besson” à Henri II37 est comparativement d’un bien plus grand intérêt que la Préface à César “Besson”. Le fait que le texte soit meilleur que celui de la Préface centurique à César n’en fait pas pour autant, dans son ensemble, une version plus ancienne, car par la même occasion que l’on amendait le texte, sur certains points, dans la version Besson, on supprimait, par ailleurs, des passages figurant à l’origine.

   Notons que la formule “trois ou quatre cens carmes”, figurant dans les Prophéties de Couillard (fol. 18 verso), est relativement vague et approximative. Si les carmes faisant suite aux Prophéties de Nostradamus, dont traite Couillard, avaient été classés en Centuries et en quatrains numérotés, comme ce sera le cas dans le canon, Couillard aurait probablement été plus précis que de rester à cent quatrains près. Il devait donc s’agir d’un ensemble de textes non numérotés et que Couillard apprécie “à la louche” à 300 ou 400 unités, parce qu’il ne veut pas prendre la peine de les compter, un par un. Vouloir, avec R. Benazra (cf. Espace Nostradamus) lire dans cette formule une référence à une édition à 353 quatrains - voir notamment la fameuse édition Macé Bonhomme 1555 - nombre effectivement se situant entre 300 et 400 nous semble une lecture forcée.

   A la lecture de cette présente étude, c’est d’ailleurs l’édition 1555 à 4 centuries seulement qui semble, jusqu’ici, le mieux se sortir d’affaire en comparaison des éditions comportant les dates de 1557 ou 1568. (cf. supra) et cependant, le témoignage de Couillard semble bien la disqualifier, contrairement aux allégations de R. Benazra.38 En effet, les Prophéties de Couillard ne comportent pas le moindre quatrain entier - et surtout pas de verset appartenant aux premières Centuries canoniques, ni d’ailleurs aux suivantes sinon cela se saurait - alors qu’elles sont censées constituer une parodie des Prophéties - du même nom - de M. Michel Nostradamus - mais quel pouvait bien être le contenu de l’ouvrage ainsi paru sous ce nom, s’il ne comportait pas de quatrains ou du moins si telle n’était pas la base même, l’essentiel de sa structure ? Il y a eu là, à l’évidence, substitution du contenu, tout en conservant et le titre - Les Prophéties - et des éléments substantiels de l’Epître à César, ce qui permettait d’instrumentaliser l’ouvrage de Couillard, que l’on pouvait ainsi brandir comme la “preuve” de la parution de l’édition Macé Bonhomme 1555 (Bibl. Mun. Albi et Bibl. de Vienne, Autriche). Mais, ce qui fait, de surcroît, problème, en l’occurrence, c’est la mention dans les éditions parisiennes de 1588-1589, d’une édition comportant 39 articles à la “dernière” Centurie.39 Or, il ne peut s’agir de la centurie VII à 40 quatrains (ou plus), centurie non attestée en 1572 (cf. supra) par Antoine Crespin et ce d’autant que l’édition anversoise de 1590. comporte une centurie VII à 35 quatrains, soit 4 de moins que requis. Nous pensons que 39 quatrains, c’est le nombre correspondant à la première mouture de la Centurie IV, quatrains ajoutés aux six centuries complètes parues autour de 157040, autrement dit cela constituait une sorte de Centurie VII à 39 quatrains. Nous avons déjà expliqué comment cette Centurie VII est devenue une Centurie IV - du fait de l’évacuation sous la Ligue - de trois Centuries (soit 7 - 3 = 4) lesquelles ne figurent plus en effet dans les éditions parisiennes de cette période. Par la suite, on passera de 39 quatrains à 53 quatrains, c’est dire que l’édition Macé Bonhomme 1555, à 53 quatrains à la V, est mal placée pour figurer au tout début du processus centurique quand on sait que l’addition en question de 39 articles daterait de 1560, si l’on en croit le sous-titre des dites éditions parisiennes. Quand bien même cette date de 1560/1561 serait fantaisiste et serait en elle-même un faux, comme nous le pensons, c’est bien sur la base d’un faux de ce type que tout l’édifice centurique repose.

   Rappelons le cas particulier du premier quatrain de la première centurie, qui semble être apparu initialement dans la mouvance néonostradamiste ; il figure en effet, non sans quelque variante, chez Nostradamus le Jeune et chez Crespin :

   - Prédictions des choses plus mémorables qui sont a advenir, depuis cette présente Année iusques à l’An mil cinq cens quatre vingt & cinq (....) lesquelles ont est en grande diligence mise en lumière par M. Michel de Nostradamus le Jeune, Troyes, Claude Garnier dict Saupiquet (BNF, Res. R. 2563) et qui commence en 1572. Point de référence à Michel de Nostredame dans cet ouvrage paru à Troyes appartenant au genre des Vaticinations Perpétuelles, mais un portrait, à mi-hauteur, de Nostradamus le Jeune qui sera repris au XVIIe siècle dans les éditions troyennes, non seulement celles de Pierre Du Ruau pour ce qui est des Centuries - Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, Lyon, 1568, Lyon 1649 ou encore 1605 - mais dans celles de I. Blanchard avec notamment son Almanach pour l’année Mil six cens Cinquante un (...) Composé & diligemment calculé par Mre Ant. Chevillot, ouvrage qui ne se réfère d’ailleurs pas explicitement à Nostradamus sinon par son iconographie au titre. Ce portrait figure d’ailleurs en page de titre, cette fois, d’un autre ouvrage du même Mi. De Nostradamus le Jeune, Prédictions pour vingt ans continuant d’an en an, iusques en l’an mil cinq cens quatre vingtz trois (...) Extraictes de divers aucteurs trouvée en la Bibliothèque de nostre défunct dernier décédé (...) Maistre Michel de nostre Dame, Rouen, Pierre Hubault.41 On voit que cela nous ramène autour de 1563 mais en 1563, il est évident que l’on ne pouvait se référer à la mort de Nostradamus ; il semble donc que ce texte se présente plutôt comme une oeuvre posthume. On notera trois variantes de nom : Mi. de Nostradamus, Mi. de Nostradamus le Jeune, M. Michel de Nostradamus le Jeune. En tout cas, le fait que des éditions des Centuries, y compris certaines se présentant comme datant de 1568, aient comporté un tel portrait néonostradamique est assez significatif ! Rappelons qu’un des arguments les plus forts contre toutes les éditions Benoist Rigaud 1568, tant lyonnaises que troyennes, est qu’elles ne se référent pas à la mort alors récente de Nostradamus, à la différence de ce que l’on observe chez un Mi. De Nostradamus le Jeune (cf supra).

Prédictions

Frontispice des Prédictions des choses plus mémorables

   Le portrait qui figure dans les productions de Mi. De Nostradamus le Jeune n’a pas été réemployé pendant plus d’un demi-siècle, ce qui montre bien que les libraires avaient des archives et pouvaient y puiser. Les libraires lyonnais ont pu également avoir fait bon usage de leurs vénérables collections pour produire des contrefaçons antidatées (Macé Bonhomme, Antoine du Rosne, Benoist Rigaud), en recourant à du matériel ancien.

Nostradamus le Jeune

Portrait de Nostradamus le Jeune

   Le quatrain, placé sous le portrait, se présente ainsi et c’est probablement sa forme la plus ancienne :

Estant assis de nuit secret estude
Seul reposé sus la selle d’aerain
Flambe exigue sortant de solitude
Fait proférer qui n’est à croire vain.

   Crespin42 place ce quatrain, mais en en disposant les versets à la suite, sans alinea, en tête de son adresse au Roi (Charles IX) :

“Estant assis de nuict secret estude, seul reposé sur la selle d’arain, flambe exigue sortant de solitude, faict proféré qu’il n’est à croire à vain.”

Extrait des Prédictions

Extrait des Prophéties dédiées à la Puissance Divine

   On n’épiloguera pas ici sur les variantes mais voilà, en tout cas, encore un lien associant cette fois Nostradamus le Jeune - et non Mi. de Nostradamus - avec Crespin; chez Crespin, les deux personnages semblent converger. A noter avec Robert Benazra que les signatures de Nostradamus le Jeune43 et de Mi. De Nostradamus44 sont de la même écriture manuscrite, “de nostradamus” pour le premier et “mi. de nostradamus”, pour le second.45

   Que peut signifier, en vérité, ce quatrain associé à Nostradamus le Jeune, toujours au début des années 1570 ? Est-ce un emprunt aux Centuries ou bien n’est-ce pas plutôt les Centuries qui ont récupéré ce quatrain qui semble être la griffe même du néonostradamisme ? C’est ainsi que c’est au moment en fait où le néonostradamisme se met en place qu’apparaissent, pour la première fois, des versets qui figurent dans le corpus centurique et cela vient confirmer notre thèse selon laquelle les Centuries relèvent en fait du néonostradamisme et non de la période proprement nostradamique, qui est celle des publications à caractère chronologique et astronomique avéré. A contrario, les Prophéties de Couillard ne comportent rien de tel : pas le moindre quatrain centurique n’est attesté, hors éditions des Centuries, avant le début des années 1570 et encore avons nous émis des doutes sur le quatrain figurant dans l'Epître à Larcher de Jean de Chevigny, placée en tête de la version française de L’Androgyn de Dorat, Lyon, Michel Jove, 1570.

   Comme nous l’avons déjà souligné46, le fait de détecter les faux ne nous permet pas pour autant de retrouver les éditions authentiques. Ce serait certes le cas si celles-ci faisaient partie du corpus existant. C’est probablement en partie le cas, dans la mesure où les éditions tardives, les seules que nous possédions, ont certainement conservé des éléments des éditions disparues mais on ne peut l’affirmer pour aucun quatrain en particulier mais sinon d’un point de vue statistique. La tâche des nostradamologues ne consistera donc pas, du moins jusqu’à nouvel ordre, à restituer un état premier des Prophéties mais à déterminer quelles sont les plus anciennes éditions conservées, ce qui ne saurait remonter avant les années 1588. Sans exagérer, on peut dire que la nostradamologie actuelle a pour principale tâche de (re)dater des documents non datés ou qui l’ont été de façon douteuse. Le cas de la mention de 1792 dans l’Epître à Henri II est emblématique47 : s’agit-il de la tradition remontant à Pierre d’Ailly, au début du XVe siècle et passant par Turrel et Roussat ou bien s’agit-il d’un pronostic plus récent, datant des années 1570 et que l’on trouve chez Francesco Liberati et chez Chavigny, dans les Pléiades (1603) et qui de 1782 qu’il annonçait à l’origine serait devenu 1792 ?

   Nous conclurons que le faux signale le faux : entendons par là que si des procédés de contrefaçon ont été utilisés dans la fabrication d’une édition, celle-ci peut être considérée comme globalement suspecte. On l’a vu pour l’épître au Pape changée cavalièrement en épître au Duc d’Orléans (le futur Henri III) mais on peut aussi l’observer pour le canon nostradamique utilisant une Epitre à Henri II remaniée et redatée par rapport à une première et authentique épître au roi, en tête des Présages Merveilleux pour 1557.48 On voit mal Nostradamus se conduire ainsi ; comme quoi, les avis sont partagés non seulement sur ses facultés (prophétiques) mais aussi sur ses manières (éditoriales).

   Enfin, on ne saurait trop insister sur le fait que le néonostradamisme n’est pas un courant qui a voulu exploiter le succès des Centuries : il serait bien plutôt celui qui a généré les dites Centuries. Si les nouveaux Nostradamus sont qualifiés d’imposteurs, eh bien dans ce cas les Centuries seraient aussi une imposture ! Rappelons que si Crespin a pu se permettre de s’adresser comme il le fit aux princes, c’est probablement parce qu’il était un personnage important du Royaume. Le néonostradamisme crespinien aura régénéré le prophétisme de cour en France bien plus fortement, nous apparaît-il, que n’y était parvenu Michel de Nostredame.

Jacques Halbronn
Paris, le 17 mai 2004

Notes

1 Cf. notre étude “Limites et orientation”, Espace Nostradamus. Retour

2 Cf. notre étude sur ce sujet, sur Espace Nostradamus. Retour

3 Cf. Mack P. Holt, The Duke of Anjou and the Politique struggle during the Wars of Religion, Cambridge University Press, 1986. Retour

4 Cf. Prognostication avec ses Présages, pour l’An MDLXXI, Paris, Robert Colombel. Retour

5 Cf. Prognostication et amples Prédictions pour (...) Mil cinq cens soixante-sept. Retour

6 Cf. R. Benazra, RCN, pp. 68 et seq. Retour

7 Cf. RCN, op. cit., pp. 92-93. Retour

8 Cf. notre étude sur les années 1570, sur Espace Nostradamus. Retour

9 Cf. The compleat Ambassador or two treaties of the intended marriahe of Qu: Elizabeth (...) comprised in Letters of negotiation of sir Francis Walsingham, her Resident in France (...) collected by (...) Dudly Digges, Londres, 1655, pp. 214 et seq. Retour

10 Cf. J. Claretie, éditeur des Quatrains de Guy Du Faur de Pibrac, Paris, 1874, Reed. Slatkine, 1969. Retour

11 Cf. notice de J. Claretie, op. cit., p. 21. Retour

12 Cf. Demonstracion de leclipce, Paris, 1571, op. cit. Retour

13 Cf. notice de J. Claretie, op. cit., p. 25. Retour

14 Cf. notice J. Claretie, op. cit., p. 4. Retour

15 Cf. Lépine de Grainville, Mémoire sur la vie de M. De Pibrac, 1761 ; Ch. Pascal La vie et les moeurs de Messire Guy du Faur de Pibrac, Paris, 1617 ; M. Mayer, Gui du Faur de Pibrac, Londres, 1778 ; G. Colletet, “Vie de Guy du Faur de Pibrac”, Revue de Gascogne, 1869-1870. Retour

16 Cf. nos études iconographiques, sur Espace Nostradamus. Retour

17 Cf. nos DIPNs, pp. 77 et seq. Retour

18 Cf. S. Doran, Monarchy and Matrimony. The courtship of Elizabeth I, Londres, Routledge, 1996. Retour

19 Cf. DIPN. Retour

20 Cf. RCN, op. cit., p. 91. Retour

21 Cf. Bibl. Ste Geneviève, Res 1225 (5), avec la même préface au duc d’Alençon. Voir RCN, p. 98. Retour

22 Cf. RCN, p. 91. Retour

23 Cf. Jacqueline Boucher, “Autour de François duc d’Alençon et d’Anjou, un parti d’opposition à Charles IX et Henri III”, in Colloque Henri III et son temps, Dir. R. Sauzet, Paris, Vrin, 1992. Retour

24 Cf. Déclaration de Tres Illustres Princes & Seigneurs, les Duc d’Alençon & Roy de Navarre, portant témoignage de leur droicte intention & bonne volonté envers la Majesté du Roy : avec résolution de s’opposer & courre sus à ceulx qui luy sont rebelles, Paris, F. Morel, 1574, BNF Lb33 366. Retour

25 Cf. F. Duquenne, L’entreprise du duc d’Anjou aux Pays Bas de 1580 à 1584. Les responsabilités d’un échec à partager, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1998 et L. La Tourasse, “La négociation pour le duc d’Anjou aux Pays Bas de 1578 à 1585”, Revue d’Histoire Diplomatique, XII, 1898, pp. 527-555. Retour

26 Cf. ”Une attaque réformée oubliée contre Nostradamus (1561)”, Lyon, Réforme, Humanisme, Renaissance, 33, décembre 1991, pp. 53 et seq. Retour

27 Cf. “La question des échéances nostradamiques et le recoupement par les traductions”, Espace Nostradamus et Le texte prophétique en France, formation et fortune, Vol 3, pp. 1005 et seq. Retour

28 Cf. RCN, p. 62. Retour

29 Cf. RCN, pp. 67-68. Retour

30 Cf. RCN, p. 68. Retour

31 Cf. nos études et celles de Théo Van Berkel, sur Espace Nostradamus. Retour

32 Cf. fac simile, in Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999, pp. 443 et seq. Retour

33 Cf. RCN, p. 77. Retour

34 Cf. notre étude du dossier Nostradamus du Site du CURA 26, parue sur Espace Nostradamus. Retour

35 Cf. RCN, pp. 127-128. Retour

36 Cf. le travail de R. Benazra, à ce sujet, sur Espace Nostradamus. Retour

37 Cf. nos études à ce sujet sur Espace Nostradamus. Retour

38 Cf. son étude sur ce sujet, in Espace Nostradamus. Retour

39 Cf. RCN, pp. 118 et seq. Retour

40 Cf. nos études sur ce point, sur Espace Nostradamus. Retour

41 Cf. British Library, C 133 b 22. Retour

42 Cf. Prophéties dédiées à la Puissance Divine et à la Nation Françoise (1572). Retour

43 Cf. Prédictions des choses plus mémorables. Retour

44 Cf. Prognostication et amples prédictions pour 1567, Paris, G. De Nyverd. Retour

45 Cf. RCN, pp. 97-98. Retour

46 Cf. “Limites et orientations”, Espace Nostradamus. Retour

47 Cf. notre étude et les réactions sur Espace Nostradamus. Retour

48 Cf. fac simile in DIPN. Retour



 

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