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Editions RAMKAT




PALESTINICA

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Ségrégation raciale / religieuse
et conquête territoriale

par Jacques Halbronn

    La vocation d’Israël (sous-entendu du peuple juif) est d’être minoritaire au sein des Nations, mais cependant majoritaire à l’intérieur du territoire qui abrita jadis le royaume de Salomon et de David. Le monde religieux juif s’est toujours satisfait de la Diaspora, dans l’attente de la venue du Machia’h (Messie), dont la mission serait de rassembler le peuple juif sur la terre “promise”. Le Sionisme, né en substance d’une exacerbation de l’antisémitisme européen, concept ignoré des Juifs du Maghreb, est un projet purement laïc, au départ, qui a précipité l’échéance messianique en favorisant l’édification d’un état “refuge” pour les Juifs persécutés de par le monde, et c’est pourquoi les religieux ont mis si longtemps à adhérer et participer à l’effort de l’Agence juive.

   Dans l’étude qui suit, Jacques Halbronn semble cependant oublier une spécificité particulière et incontournable de l’Etat d’Israël, celle d’un état à dominante juive - avec une langue qui renforce la cohésion nationale - et qu’il souhaite conserver, la question du religieux, somme toute secondaire, relevant seulement de la conviction spirituelle de chaque israélien. Une “séparation de la Synagogue et de l’Etat”, à l’instar de la loi française de 1905, étant de facto dans le paysage politique du pays, puisque les partis israéliens dits religieux sont depuis longtemps minoritaires tant à la Knesset que parmi la population. Par ailleurs, contrairement à une opinion répandue, l’Etat d’Israël n’a pas vocation à être expansionniste, puisqu’on le sait, le Judaïsme est à l’opposé de tout ce qui peut conduire au prosélytisme. La motivation de l’Etat juif reste sécuritaire, et la prochaine création d’un Etat palestinien indépendant, aujourd’hui souhaité par la majorité des Israéliens, permettra vraisemblablement de résoudre, dans un premier temps, un grand nombre de problèmes, dont la stabilité des diverses “ethnies” dans la région ne sera pas le moindre, et accessoirement, l’Etat hébreu pourra faire face plus efficacement à la gestion des populations non-juives, véritable danger démographique qui le guette à moyen terme.

Robert Benazra

    A la question : vaut-il mieux un voisin laïque qu’un voisin obsédé par la pureté raciale ou religieux, on tend de nos jours à répondre que l’on préfère un voisin laïque. C’est notamment le cas des ressortissants du monde arabe obnubilés par la question israélienne. Or, les exemples historiques vont en sens inverse : des conquérants comme Napoléon Ier, Hitler, ou Staline étaient avant tout des laïcs et leurs problèmes ont souvent été dus au fait qu’ils ne l’étaient pas assez, comme dans le cas de Hitler avec les populations juives des territoires conquis. Imaginons un Hitler cherchant à accroître son espace vital mais sans faire de ségrégation antisémite, n’aurait-il pas été plus dangereux, c’est-à-dire plus efficace ? Imaginons Israël, indifférent à intégrer les arabes des territoires “occupés” du fait de la Guerre des Six Jours, c’est-à-dire précisément en leur accordant une place adéquate au sein d’un Grand Israël, sous une forme fédérale, ses conquêtes n’auraient-elles pas été plus fermement établies ? La ségrégation est décidément mal compatible avec une politique d’expansion territoriale et introduit moult contradictions.

   Que l’on songe à la monarchie française, ayant expulsé ses juifs et annexant un beau jour, au XVIIe siècle, l’Alsace germanophone, où les juifs étaient légion, n’était-ce pas le début d’une certaine forme de laïcité, sauf à les bannir ou à les exterminer ou encore à les convertir ? Le problème de Hitler, à la différence des Espagnols expulsant en 1492 les juifs ou de Louis XIV bannissant les Protestants du royaume, en 1685, c’est qu’il avait même exclus la conversion des Juifs, ce qui aurait été une forme de laïcité. Et l’on sait que les Israéliens - à l’exclusion des arabes israéliens évidemment - ne souhaitent nullement favoriser la conversion au judaïsme des populations non juives.

   Annette Wiewiorka1 décortique fort bien les contradictions aux conséquences dramatiques des positions hitlériennes : “La politique anti-juive des premiers temps de la guerre débouche sur une impasse. Des millions de Juifs se trouvent aux mains des nazis, alors qu’ils avaient souhaité s’en débarrasser. Les conquêtes à venir vont en livrer d’autres millions (...) Il semblerait que Hitler ait voulu briser ce cycle infernal.” C’est la solution “finale”, l’extermination, comme conséquence directe de la politique de conquête. Où bannir les Juifs quand les frontières sont constamment repoussées, reculent devant la progression des armées allemandes ? En comparaison, un Napoléon, porteur des valeurs laïques de la République, n’avait pas rencontré de tels problèmes démographiques et convertissait les peuples, sans état d’âme, à certaines idées, à certains institutions. Et de même pour un Staline et l’idéologie véhiculée par les armées russes : pas d’enjeu linguistique, religieux, racial, tel devrait être la consigne de toute stratégie d’expansion, à commencer d’ailleurs par ce que l’on appelle la politique coloniale.

   Il serait temps que les Musulmans comprennent leur chance d’être confrontés à un Etat d’Israël, obsédé par les questions linguistiques, religieuses sinon raciales, ce qui est la clef de tous les conflits dans la région, tout au long du XXe siècle, conduisant aux plans de partition puis à une forme d’apartheid, sans parler des projets de transfert de population. Autrement dit, un Etat par trop jaloux de sa spécificité ne saurait, sans risque s’engager, volontairement ou à son corps défendant, dans une expérience de conquête sur le long terme, sans remettre en question radicalement les principes sur lesquels il s’est constitué. Inversement, un Etat qui se donne des institutions laïques est à terme une grave menace pour ses voisins, dans la mesure où il aura ainsi les moyens de les annexer, sans se poser trop de problème d’homogénéité.

   On nous objectera certes que l’idée de laïcité est récente, en réalité, comme nous l’avons déjà suggéré, ce qui a précédé la laïcité, c’est la conversion qui en est une manifestation somme toute assez proche, en dépit des apparences, comme dans le cas du marranisme, chez les juifs espagnols, ou d’une formule comparable ailleurs, qui permet sous couvert d’une même religion de faire cohabiter des sensibilités religieuses bien différentes. Et d’ailleurs, quelque part la laïcité n’est-elle pas une forme de religion de la modernité, se situant par dessus les autres, sans les refouler complètement pour autant, à laquelle chacun est invité à se convertir ?

   Il est clair que la laïcité n’est qu’un avatar tardif de méthodes extrêmement anciennes permettant aux sociétés de s’étendre et de gérer la pluralité, soit par un mode de cohabitation ou de conversion, soit au nom de nouvelles valeurs venant se surajouter aux anciennes, tel un dénominateur commun.

   C’est à la lumière des ces concepts que nous venons de préciser et de reformuler que l’on peut tenter d’analyser certains situations politiques. On comprend mieux comment une politique intérieure détermine et prépare, à terme, une politique extérieure, pour le pire et le meilleur. Autrement dit, la laïcité ou la non-laïcité serait à aborder au moins autant quant à ses conséquences externes qu’internes et est un problème plus important que la démocratie.2 D’ailleurs qu’est-ce que la démocratie sinon une certaine méthode de gestion de la pluralité au sein d’un Etat, dans la mesure où elle est supposée être représentative de la diversité de sa population ?

   Un pays qui est porteur d’une langue à vocation universelle, comme c’était encore le cas du français, sous la Révolution, comme l’atteste le concours sur la suprématie de la langue française dont Rivarol fut le lauréat, avec son Discours sur l’universalité de la langue française (1784), peut avoir une certaine légitimité à s’étendre et plus les doctrines qu’il adoptera seront nouvelles, plus elles pourront intéresser des populations diverses, n’ayant pas, par définition, de litige ancien avec celles-ci.

   Dans le cas israélien, on est aux antipodes d’un tel profil : une langue qui n’est parlée que d’un petit nombre y compris dans sa propre population elle-même fort réduite ; une religion qui n’a pas vocation à la conversion et qui, de par son petit nombre, serait vite débordée par de nouveaux convertis éventuels. Le rapport de force démographique n’est pas indifférent. La conquête de l’Angleterre par les Normands ne s’en appuyait pas moins, peu ou prou, sur la France beaucoup plus peuplée alors que la dite Angleterre.

   Ce n’est donc pas par hasard si le monde anglo-saxon, dans le cadre de la crise actuelle avec l’Irak, a vocation impériale / impérialiste, sous-tendu qu’il est par une même langue devenue mondiale, par une idéologie technologique et économique qui intéresse tout un chacun et qui transcende les clivages proprement religieux. Le monde arabe, en face, a moins d’atouts : une langue hermétique hors de ses frontières géographiques, une religion enracinée dans une tradition séculaire plus que dans la modernité universelle, même si elle a vocation à convertir. Les Turcs avaient d’ailleurs une stratégie d’intégration supérieure à celle des Arabes, ce qui leur permit de placer, des siècles durant, sous leur joug, nombre de pays chrétiens et ce n’est pas par hasard qu’avec Kemal Ataturk, ils se déclarèrent laïcs et adoptèrent l’alphabet latin. Un Herzl envisagea d’ailleurs, à un certain moment, de placer son Foyer Juif au sein de l’empire ottoman. L’écroulement de cet empire, des suites de la Première Guerre Mondiale, compromit fortement, selon nous, le projet d’installation juive en Palestine, car ensuite la mentalité des premiers interlocuteurs concernés n’était pas la même. Cependant, la présence du Foyer Juif sous un mandat britannique en Palestine pouvait constituer un substitut viable, du fait même de l’empire colonial britannique. C’est probablement le déclin général de cet empire, la perte d’un certain esprit, un certain repli, qui auront conduit aux avatars que subit la région après leur départ / démission. La force des empires réside dans une certaine forme de laïcité et d’indifférence à la pluralité, non perçue comme une menace mais comme un stade à dépasser et à intégrer.

   Il serait donc temps de démystifier la laïcité et d’en souligner les aspects pervers, à commencer par le déni des clivages, l’encouragement au mimétisme et surtout une propension impérialiste et colonialiste. Il est d’autant plus paradoxal que le monde arabo-musulman associe Israël à une telle représentation, sauf, évidemment, à l’inclure au sein d’un ensemble beaucoup plus vaste que les seuls Juifs en Israël ou ailleurs. Et dans ce cas pourquoi s’en prendre au seul Israël ? Car à considérer la question du seul Israël, on ne peut que constater qu’il ne sait pas bien s’y prendre pour gérer ses rapports avec ses voisins, quitte même à les annexer comme cela s’est d’ailleurs présenté avec chacun des pays limitrophes, depuis le Liban, au nord, jusqu’à l’Egypte, au sud en passant par la Syrie (Golan) et la Jordanie. En disant cela, nous entendons qu’il n’a pas mené une politique cohérente d’annexion de nouvelles populations non juives, ce qui ne pouvait que conduire la dite politique qu’à l’échec.

   Seule une laïcisation rapide de l’Etat d’Israël semblerait en mesure de régler certains problèmes concernant les populations qu’il a la charge de gérer, sauf à conduire à des “solutions” inacceptables comme celles décrites plus haut, au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Le nouveau gouvernement israélien semble s’être donné certains moyens de s’émanciper d’une certaine tutelle religieuse. Faute de quoi, l’Etat en est réduit à une peau de chagrin, contraint, pour ne pas être traité de raciste, de ne plus conserver d’éléments non juifs sur son territoire, ce qui est synonyme de partition et de transfert. Il est assez étonnant, concédons-le, de devoir établir un parallèle entre la politique sioniste et la politique nazie, mais cela tient à une carence de laïcité combinée avec une certaine tentation à l’expansion, mélange on ne peut plus détonnant.

   La Guerre des Six Jours (juin 1967), puisque l’on en est toujours à assumer son héritage aurait-elle pu être gérée autrement ? Il est clair qu’Israël ne s’était pas préparé à intégrer une telle population non juive, dans un espace qui recoupait en partie l’Etat arabe décidé par l’ONU, en novembre 1947. Ce fut comme un cadeau empoisonné et qui aurait du précisément alors faire évoluer l’Etat d’Israël vers une forme laïque, où l’israélianité ne serait pas synonyme de judéité. Il est curieux de noter que par ce terme d’israélianité ou d’israélité, on entende surtout ce qui distingue juifs israéliens et juifs “diasporiques”, et ce de façon assez artificielle quand on sait à quel point la société judéo-israélienne est-elle même hétérogène. Non, le véritable défi était ailleurs, dans l’identification des diverses populations, ashkénaze, séfarades, chrétienne, musulmane, au sein d’une même culture israélienne donc d’une certaine laïcité. Rien n’est pire peut-être qu’un Etat qui n’a pas vocation, de par sa préoccupation à se maintenir dans une certaine pureté raciale ou religieuse, excluant de surcroît la conversion à grande échelle, à englober les populations qu’il est amené à intégrer du fait de sa politique de conquête, qu’elle soit justifier par des impératifs sécuritaires ou par quelque autre expression du Lebensraum (espace vital).

   Apologie donc du laïcisme, en dépit des réserves exprimées ? En effet, dans la mesure où la laïcité reste un processus somme toute assez superficiel, un vernis qui n'annihile pas les clivages fondamentaux lesquels sont suffisamment prégnants pour coexister au sein d’un même ensemble. La question est de savoir précisément si les juifs constituent ou non un clivage fondamental. Si oui, ils ne risquent rien à être minoritaires, comme ils l’ont été des siècles durant et continuent à l’être en maint endroit dans le monde ; ils peuvent donc, dans ce cas, faire partie d’un Etat laïc de plus sur cette terre qui fut celle des Croisés, aux XIe et XIIe siècles.3 Si ce n’est pas le cas, alors ils sont voués au brassage incessant des peuples et ne survivront qu’au prix d’annexions et de conversion aux dépens d’autres peuples. Il semble que jusqu’à présent, l’Etat d’Israël ait voulu suivre une troisième voie, mixte, qui fut celle, malheureusement, de ceux qui engendrèrent la Shoa.

   Mais faut-il rappeler que les arabes n’ont pas - ou du moins il faudrait remonter avant le quinzième siècle - l’expérience de la gestion de populations plurielles. Le mérite en revient aux Turcs. Il semble assez évident que si au lieu d’avoir annoncé que la présence juive dans la région était insupportable, ils avaient accepté une cohabitation avec les Juifs, au sein d’une entité forcément peu ou prou dépendante ou s’ils avaient accepté en 1947 / 48 le plan de partage de l’ONU, les choses se seraient déroulé tout autrement. Rappelons que lors de l’Expulsion des Juifs d’Espagne, en 1492, les Turcs accueillirent avec bienveillance la venue de populations juives considérables. L’empire ottoman, sur son déclin, quatre siècle plus tard, lors des visites de Herzl au Sultan, avait probablement perdu de son dynamisme et ne sauta pas sur l’occasion, tout en tolérant tout de même des colonies juives en Palestine, qui constituent, qu’on le veuille ou non, un certain précédent à la Déclaration Balfour de 1917. Si Israël est en partie responsable de la situation de par son manque de laïcisme, il semble bien que le reproche vaille aussi pour le monde arabe qui revendique, s’approprie, un peu vite le modèle ottoman. En réalité, depuis cinq cents ans, c’est avec les Turcs qu’eurent affaire les Juifs puis avec les puissances coloniales européennes, pas directement avec les Arabes. Et c’est cette confusion entre les Turcs non arabes faisant de l’Islam un mode de laïcité pour des populations diverses et incluant aussi les religions des pays conquis, et les Arabes qui, en ce sens, ressemblent assez fortement aux Sionistes, qui fut source de bien des malentendus. Au vrai, les juifs et les arabes, avaient cessé d’être des conquérants, depuis belle lurette, sauf dans des livres déjà bien anciens, ils avaient ce qu’on appelle une “culture d’opposition” plus qu’une “culture de gouvernement”.

   Or, seul un peuple conquérant peut mettre en place une véritable laïcité dont la vocation première est probablement plus d’être un outil, un vecteur d’intégration d’éléments étrangers que la seule gestion de ses composantes déjà existantes. Ce qui a rendu la France laïque, c’est probablement la politique étrangère du Royaume, notamment au XVIIe siècle et celle des deux Empires au XIXe siècle. Ce n’est peut-être pas par hasard que l’Allemagne qui fut le moteur de la Shoah était des grandes nations européennes celle dont l’expérience coloniale / colonialiste était la plus médiocre, comme le regrettait d’ailleurs Hitler dans Mein Kampf.4

   Au demeurant, en ce qui concerne Israël, on pourrait se demander si une politique plus laïque n’aurait pas mieux fonctionné au niveau de l’immigration juive laquelle par sa diversité même impliquait l’existence d’un Etat laïc, le facteur religieux, chez les juifs, ne garantissant nullement leur homogénéité. Le fait que la France soit, somme toute, mieux parvenue à gérer ses immigrés ne serait en fait que le corollaire de sa tradition conquérante, tant il est vrai que l’immigration est souvent le résultat de la colonisation ou l’effet d’un certain rayonnement hors des frontières.

Jacques Halbronn
Paris, le 19 mars 2003

Notes

1 Cf. “Quand la solution finale a-t-elle été décidée ?” in Cahiers de la Shoah, 3, 1996, Paris, Liana Lévi, pp. 36 - 39. Retour

2 Cf. B. Asvishai, The Tragedy of Zionism. How its revolutionary past haunts Israeli Democracy, New York, Helios, 2002. Retour

3 Cf. P. Aubé, “Jérusalem et les Croisés” in Jérusalem, le sacré et le politique, textes réunis par F. Mardam-Bey et Elias Sambar, Paris, Sinbad - Actes Sud, 2000. Retour

4 Cf. notre étude sur ce sujet sur le Site Ramkat.free.fr. Retour



 

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