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PALESTINICA

12

Les revendications étatiques :
de l’Etat juif à l’Etat palestinien

par Jacques Halbronn

    Sur cette ancienne Palestine du mandat, on nous parle de l’édification d’Etat(s). Face à l’idée d’Etat Juif de Herzl se dresse celle d’Etat palestinien qui semble en être comme le double, le jumeau voire le frère siamois. Qu’est ce que cela représente pour la psyché juive comme pour la psyché arabe, par delà un évident mimétisme ?

Sommaire :

1 - Etat juif ou Etat des Juifs ?
2 - Le concept de frontière dans la psyché arabo-musulmane


I

Etat juif ou Etat des Juifs ?

    La grande mode, aujourd’hui, c’est de traduire en français le titre de l’ouvrage de Herzl, Der Judenstaat par “Etat des Juifs” et non pas par “Etat Juif”.1 S’agit-il d’une question d’ordre purement linguistique ou d’un enjeu idéologique ?

   Nous avons expliqué que Herzl lui-même avait opté pour la traduction française L’Etat Juif, et souligné que l’allemand a une autre façon d’adjectiver les mots que le français; d’ailleurs qui aurait l’idée de traduire die Judenfrage par “la question des Juifs” ? Rappelons que les anglo-saxons traduisent Judenstaat par Jewish State.

   Au demeurant, la question n’est pas tant ce qu’entendait Herzl que ce qu’on veut lui faire dire. Si on emploie désormais “Etat des Juifs”, ce n’est pas par hasard et cela trahit une certaine évolution. Considérons la Déclaration Balfour, parle-t-elle d’un Foyer des Juifs ou d’un Foyer Juif (Jewish Home) ? On imagine mal que la formule “Foyer des Juifs” aurait pu “passer” et être reprise dans le cadre de la Société des Nations, en ce qui concerne le mandat britannique sur la Palestine.

   L’expression Etat des Juifs ou Foyer des Juifs nous renvoie d’ailleurs à un débat linguistique célèbre : “libération de territoires” ou “libération des territoires”, au lendemain de la Guerre des Six Jours. “Etat des Juifs” est-ce que cela signifie de tous les juifs, pour tous les Juifs ou de certains juifs ? Personne, à notre connaissance, n’a envisagé que l’on rassemble tous les Juifs en Palestine, ni Herzl, ni les Britanniques dans l’Entre Deux Guerres.

   L’idée d’Etat Juif nous semble plutôt avoir été la suivante : il était certes souhaitable que les Juifs aient un Etat / Foyer, mais cet Etat n’était pas voué à accueillir pour autant tous les Juifs et tout le temps. Si je dis “la voiture de Paul”, cela ne signifie pas que Paul ne puisse voyager dans une autre voiture, qu’il ne puisse se déplacer par d’autres moyens, mais cela signifie simplement que, parfois, en cas de grève par exemple ou d’urgence, il est bon que Paul ait “sa” voiture, à la limite c’est une formule de dépannage, on ne condamne pas Paul à ne se servir que de “sa” voiture, à l’exclusion de toute autre.

   En tout état de cause, si par Etat des Juifs, on entend un Etat où il n’y aurait que des Juifs, on en arrive à justifier une approche ethnico-religieuse sinon raciste, puisque fondée sur la généalogie et non sur la conversion ou la naturalisation, qui est reprochée à l’Etat d’Israël.

   Il nous semble qu’Herzl entendait plutôt un Foyer où les juifs pourraient vivre en paix dans des conditions autres qu’ailleurs : un havre de paix, protégée par un empire (ottoman, germanique ou britannique) voire par une organisation internationale. Il est d’ailleurs étonnant que Herzl bien qu’il ait vécu à Paris et bien que la France ait eu des intérêts politiques et culturels importants dans la région n’ait pris la langue qu’avec des particuliers francophones, tel les barons de Rothschild et de Hirsch et non avec des représentants du gouvernement français, comme s’il avait eu un préjugé à l’encontre un régime non monarchique, non héréditaire comme c’était le cas pour les autres.

   Mais que faut-il entendre par “Etat Juif”, chez Herzl, sinon une entité où l’autre ne serait pas là, cet autre qui est un antisémite en puissance ? Pourquoi ne pas penser à un Etat qui aurait été construit par les Juifs mais pas nécessairement pour les juifs ou pour eux seulement ? Oui, cela pourrait bien être l’idée centrale du projet herzlien, à savoir que les juifs vivent dans un espace conçu sinon par les juifs, du moins par un juif, en l’occurrence Théodor Herzl lui-même, juriste de son Etat comme on dirait une voiture juive, pour parler d’une voiture produite par des Juifs mais pas pour autant - ce qui serait d’ailleurs parfaitement absurde sur le plan économique - à l’intention des seuls Juifs ! C’était, selon nous, cela le défi lancé ou relevé par Herzl. Et c’est pour cette raison qu’il souhaitait une fondation en bonne et due règle, sur la base de plans bien définis et non point une implantation progressive et des plus empiriques.

   En ce sens, la formule du mandat britannique telle qu’elle fut mise en place n’aurait convenu à Herzl qu’à la condition que la structure de l’entité ainsi constituée l’eut été à partir de propositions et selon des modalités proprement juives, issues des congrès juifs sionistes. Ce que Herzl voulait, nous semble-t-il, c’est que cet Etat ait été imaginé et dessiné par un mouvement juif représentatif, ce qui lui en aurait en quelque sorte donné la propriété intellectuelle. Herzl voulait être à l’origine de la constitution - au sens du droit constitutionnel - d’un Etat Juif, sans pour autant, faut-il le préciser, qu’un tel Etat ait présenté un caractère spécifiquement judaïque, au sens culturel ou religieux du terme. C’est ainsi que Herzl n’avait pas prévu que l’on y parlerait hébreu. On pourrait dire, au fond, en se référant à la Question Juive de Karl Marx, que Herzl souhaitait aboutir à un Etat dont les tensions internes ne déboucheraient pas sur de l’antisémitisme. Mais assurément, la forme du Foyer n’aurait pas convenu à Herzl dès lors qu’elle n’impliquait pas la mise en place d’une constitution, d’un Droit, émanant d’une assemblée juive légiférant mais répétons-le cette contribution juive à la philosophie de l’Etat, conduisant à une praxis, ne signifiait nullement que la population devrait en être exclusivement juive. Ne confondons pas au demeurant l’Etat en tant que forme constitutionnelle et l’Etat en tant qu’espace géographique ! Au sens constitutionnel, on peut parler à la rigueur d’un Judenstaat, d’un Etat Juif, pensé par des juifs tandis qu’au sens géographico-politique, le fait de parler d’un Etat des Juifs signifie un Etat qui pourrait ne pas être juif dans sa conception mais qui serait réservé aux seuls Juifs.

   Vision donc fort moderne du judaïsme, chez Herzl, se situant dans une créativité juive et non dans une transmission d’un passé juif. Pour Herzl, était juif ce que des Juifs avaient voulu et d’ailleurs toute terre élue par les Juifs aurait été ipso facto juive, que ce soit en Palestine ou ailleurs. Chez Herzl tout ce que font les juifs est juif, dès lors que cela émane d’une assemblée de Juifs, on n’est plus dans le diachronique mais dans le synchronique.

   Cela dit, si nous comparons notre propre pensée sur le judaïsme conscientiel à celle de Herzl (mort en 1904 et dont on fêtera l’année prochaine le centenaire de sa disparition), un siècle plus tôt, force est de constater que l’approche de Herzl relèverait plutôt d’un mode symbolique : est juif ce qui est fait et voulu par des Juifs, ici et maintenant. Herzl ne nous dit pas pour autant ce qu’est la spécificité juive et il n’en a cure.

   Or, on ne peut qu’observer que cet Etat / Foyer Juif a évolué, dans l’Entre Deux guerres, vers un ressourcement par rapport à la terre des aïeux juifs ainsi que par rapport au religieux juif. Pour Herzl, le projet était au niveau d’un certain formalisme, pensé par des Juifs tandis que pour les sionistes sur le terrain palestinien, ce qui importait était le contenu, c’est-à-dire ceux qui y vivraient. Passage donc de l’Etat Juif à l’Etat des Juifs. Rappelons que Herzl publia le Judenstaat dès le début de 1896, en dehors du mouvement sioniste qu’il n’avait pas encore rejoint, il s’agissait bel et bien d’un travail constitutionnaliste, de la part d’un Docteur en droit. L’ironie du sort veut que l’Etat d’Israël n’ait jamais eu, à ce jour, de constitution, stricto sensu, comme si la dimension formelle à laquelle Herzl nous semble avoir été tant attaché devait le céder à la présence d’une population juive constituant ipso facto un “Etat Juif”, dans un tout autre sens que celui entendu par Herzl. A la différence de la France où vécut Herzl et qui possédait sa Constitution, celle de la Troisième République, depuis alors une vingtaine d’années, au temps de la rédaction à Paris du Judenstaat, à l’Hôtel de Castille, rue Cambon, où l’on a mis une plaque commémorative, l’Etat Juif, tel qu’il est devenu, existe plus de fait que de droit, en dépit de la résolution de l’ONU (novembre 1947) d’ailleurs jamais respectée. Bien plus, le Droit sur lequel l’Etat d’Israël est fondé n’est pas juif, n’émane pas pleinement d’une assemblée juive, laquelle se contente de légiférer sur son application mais n’a jamais été constituante. Cette carence initiale d’une constitution juive explique beaucoup de choses : si l’Etat d’Israël avait eu une constitution juive, il aurait probablement été plus ouvert aux non Juifs. Mais ce déficit originel, cette carence structurelle, semblent avoir du être compensés par une rigidité au niveau du vécu juif et de la présence juive dans l’Etat. Herzl aurait pourtant voulu éviter cette constitution progressive de l’Etat, car dans ce cas là cet Etat était déjà peu ou prou présent, dès les années 1880, en Palestine. Herzl détestait par dessus tout le bricolage, le bric à brac et l’empirisme juridique, sans parler des combinaisons politiciennes; il souhaitait que l’on mettre tout à plat et que l’ensemble soit pensé en une seule fois et d’une seule pièce, si possible par un seul homme, juif. Lui. Au fond, Herzl se voulait un nouveau Moïse apportant à son peuple mais plus encore au monde de nouvelles Tables de la Loi.

   Comment Herzl aurait-il ignoré le rayonnement du judaïsme par delà les limites du peuple juif ? Son Etat Juif, à la limite, n’avait-il point valeur universelle, ne se voulait-il pas une contribution majeure à la modernité étatique ?

   Mais derrière cette idée d’une pensée juive sur le monde, ne peut-on deviner une autre façon de se dire juif ? Pour Herzl, le judaïsme du XXe siècle serait avant tout ce qu’en feraient les Juifs dans leur “lecture” du monde. Dans L’Etat Juif, Herzl ne parle finalement pas des Juifs, on ne voit pas ce qui empêcheraient des non Juifs d’accepter le modèle herzlien de l’Etat. C’est dire que pour Herzl, les juifs sont dans un rapport de don au monde. L’Etat Juif, avec sa forte dimension socialisante, aurait d’abord été un don juif au monde, quand bien même les Juifs, de toute façon si peu nombreux, ne l’auraient-ils pas adopté pour eux-mêmes. N’est-ce pas là le destin des Juifs de ne pas oeuvrer que pour eux-mêmes tout en revendiquant hautement leur contribution originelle ?

   On peut ainsi parler d’une science juive, comme le firent les antisémites à une certaine époque, à propos des contributions notamment d’un Albert Einstein, en physique, et de quelques autres. On peut s’approprier cette expression et dire que Herzl souhaitait en effet constituer une “science juive” et singulièrement un “droit juif” sans que cela signifie aucunement que cela ne concernerait que des Juifs, ce qui serait absurde. Est-ce que la musique dite française est réservée aux Français ?

   Qu’est-ce donc que cette science juive ? C’est peut-être une façon de dire qu’il n’est de science que juive, en précisant: une science conscientielle. En ce sens le titre même d’Etat Juif a quelque chose de révolutionnaire et de scandaleux, puisqu’il implique une revendication intellectuelle des Juifs sur leur contribution à la marche du monde.

Jacques Halbronn
Paris, le 19 avril 2003

II

Le concept de frontière dans la psyché arabo-musulmane

    A-t-on besoin d’autrui pour accéder à la conscience ? Il y a ceux qui pensent que l’on ne peut faire l’économie d’une psychanalyse. Or qu’est ce qu’une psychanalyse sinon une quête conscientielle qui ne saurait être conduite seul ?

   Mais, cela n’empêche pas certaines illusions de se maintenir durablement dans le genre “je sais qui je suis”, comme si la conscience avait un caractère d’évidence pour soi-même, confondant ce faisant signifiant et signifié. Si une pierre savait ce que c’est qu’être une pierre, ça se saurait !

   Par consciencialité, nous n’entendons nullement ce que les philosophes entendent généralement par “conscience”, dans le genre “données immédiates de la conscience”, ce qui est aussi flou que le fameux cogito cartésien, le “je pense donc je suis” qui pourrait laisser croire que chacun est un penseur tout comme chacun serait d’entrée de jeu dans la consciencialité. Evitons la démagogie ! Il y a encore beaucoup de progrès à accomplir et combien fragiles ! La consciencialité est une denrée plutôt rare et il est bien des populations sous-consciencialisées ! A quoi les reconnaît-on ?

   Ce qu’elles disent sur elles-mêmes, ces populations, est souvent assez flou, embrouillé, émaillé de contre-vérités, et manque de recul, donne l’impression de ne pas avoir été pensé. Qu’est-ce qu’un anglophone sait, par exemple, sur l’anglais ? Est-ce parce qu’il parle parfaitement l’anglais qu’il accède à une consciencialité de cette langue ? Il sait (parler) la langue certes mais il ne sait pas en parler. On pourrait en dire autant d’un astrologue qui connaît l’astrologie mais ne s’en fait pas moins une fausse représentation, n’en saisit pas la genèse. Et parmi ces populations défavorisées, sous-développées conscientiellement, il faudrait citer les arabes et les femmes dont les propos nous semblent si dérisoires quand les uns et les autres essaient de parler de ce qu’ils sont et de ce qu’ils veulent.

   Ces deux populations sont toutes deux les victimes d’idéologies égalitaires qui les conduisent à vouloir changer de peau, par l’émigration, par diverses revendications qui ne partent pas de ce qu’elles sont mais de ce qu’elles veulent être ou devenir, populations à la dérive.

   C’est ainsi qu’on ne peut comprendre la question israélienne sans mettre l’accent sur la sous-consciencialité arabo-musulmane. Tout comme la femme veut être l’homme, l’arabe veut être l’israélien, prendre sa place. Il ne laissera l’israélien tranquille que lorsqu’il apprendra à être lui-même, par lui-même. Ce n’est qu’avec cette clef / grille que l’on comprend selon nous la focalisation du monde arabe sur ce point aveugle qu’est Israël.

   Car les symptômes sont évidents : une telle aliénation s’accompagne d’un vide conscientiel intérieur, un profond désintérêt pour sa propre histoire et un hyperintérêt pour ce que fait l’autre. Et peu importe que dans le cas des arabes, il y ait diabolisation par rapport à Israël, sinon par rapport aux juifs et que dans le cas des femmes, il y ait une refus de toute frontière séparante.

   C’est précisément sur cette question des frontières et de leur refus que s’articule la question israélienne. Au fond, refuser les frontières qui permettraient à l’autre de n’être pas soi, est un acte qui fait écho dans la pseudo-consciencialité arabe. La frontière entre le monde arabe et Israël, c’est en fait celle qui est posée entre le monde arabo-musulman colonisé, exploité et le monde occidental impérialiste et dominateur. En fait, nous avons affaire de par le refus de la frontière à un refus de la définition.

   S’il y a un problème israélien pour le monde arabe, il y a aussi un problème de l’immigration / émigration qui est aussi tentative d’abolition de la frontière et en ce sens, la présence arabo-musulmane en France n’est pas de nature intrinsèquement différente du conflit du Proche Orient, même si les formes empruntées semblent, pour l’heure, bien différentes. On comprend mieux ainsi pourquoi tant d’immigrés maghrébins s’identifient avec la question palestinienne, dans une même douleur face à un certain enfermement / cantonement dans des limites jugées insupportables.

   Parler du partage de la Palestine, accepter que le monde arabe puisse s’arrêter à une frontière posée par les juifs a valeur symbolique. Celui qui veut nous limiter n’est-il pas précisément celui qui nous rappelle à l’être ? Car il n’y a pas d’ontologie sans ligne de démarcation, sans consentir à se démarquer par rapport à l’autre, vers une réflexivité qui ne se réduit pas à prendre l’autre pour miroir. En ce sens, si Israël n’existait pas, il faudrait l’inventer.

   Comment guérir le monde arabo-musulman de ses tentations migratoires, de ses passages, clandestins ou non, de frontières, de ses refus d’être circonscrit à un territoire mal aimé et donc auquel on préfère ce qui est au delà ? Est-ce que la création d’un Etat palestinien mettra fin miraculeusement à un tel fantasme ? Avant 1967, alors que la Cisjordanie n’était pas israélienne, c’était Israël qui était convoité, est-ce que cela ne risque pas de recommencer quand on reviendra à la situation précisément d’avant 1967 ? Nous ne croyons guère que le malaise arabe cesserait du fait d’un Etat palestinien et probablement les arabes le savent déjà et il ne cesserait d’ailleurs pas si l’Etat d’Israël n’existait pas. Nous l’avons dit, l'abcès de fixation n’est pas en Israël mais en France !

   La vraie frontière, celle que l’on refuse et que l’on dépasse, pour les arabes, c’est celle de la Méditerranée. Si les arabo-musulmans sont cinq millions en France, s’ils jouent sur leur croissance démographique, cette marée humaine dont on brandit aussi le spectre en Palestine, voilà qui relativise sensiblement les enjeux israéliens ou en tout cas leur fait écho et les prolonge et ce d’autant qu’en France aussi la présence juive existe de façon assez prégnante. Comment donc les poussées d’antisémitisme en France ne seraient-elles pas le pendant de l’Intifada ? Ainsi, le monde arabo-musulman serait confronté à une frontière molle, poreuse, la France et à une frontière dure, Israël, comme à une sorte de couple parental.

   Face à une France qui ne sait même pas distinguer les hommes et les femmes, qui imposent la parité, en politique, comment la population immigrée arabo-musulmane ne jubilerait pas dans son déni de la frontière que vient consolider la laïcité ? En revanche, en Israël, la frontière résiste terriblement et renvoie le monde arabe à lui-même, lui, au fond, qui ne souhaite que d’être intégré et reconnu par l’autre. Quand Israël parle de ses frontières, le monde arabe se sent rejeté, se voit renvoyé à une dualité refoulée. Quant à la femme arabo-musulmane, en France, elle vit un double fantasme de dépassement / outrepassement, en tant que femme et en tant qu’arabe, alors que précisément la culture arabo-musulmane tendrait à lui poser tant de limites et de différences.

   Disons d’emblée que le terrorisme est aussi un refus de la frontière quand on va se faire exploser chez l’autre, en Israël, ce qui fut aussi le cas du drame du 11 septembre 2001, en plein New York. Rien ne peut arrêter.

   Là dessus vient se greffer la crise irakienne et auparavant l’intervention américaine en Afghanistan, conséquence du drame des Twin Towers. Mais encore avant, il y avait eu la Guerre des Six Jours (1967) qui avait fait été perçue comme un viol par les Arabes, comme négation de leur frontière. Trente cinq ans plus tard, sans parler de la Guerre du Golfe (1991), les Américains ont continué à démontrer que le monde arabo-musulman ne pouvait se protéger derrière ses frontières, ce qui est effectivement une réplique au non respect par les arabes des frontières des autres; réponse du berger à la bergère ! Est-ce que cela ne risque pas de déstabiliser encore plus le monde arabe, le rendre encore plus sceptique quant à l’idée même de frontière tant on franchit allègrement celles de l’Irak, quel qu’en soit le prétexte ? La France, en s’opposant à cette transgression frontalière a-t-elle eu raison, elle qui , en revanche, se laisse envahir par le monde arabo-musulman et voit d’ailleurs sa vie politique perturbée par un tel enjeu comme on a pu le constater en avril 2002, lors des élections présidentielles qui virent Le Pen au second tour ? Mais la France elle-même n’a-t-elle pas été envahir le monde arabe à commencer en 1830 par l’Algérie mais sans s’identifier à lui ? La colonisation est une chose, elle ne passe pas par une fascination / rejet envers l’autre.

   Comment le monde arabo-musulman pourrait-il se guérir de ce besoin d’aller chez l’autre, de lui refuser l’intégrité de son territoire, de sa religion, tant en Israël qu’en France ? Peut-on construire une muraille, comme on le fait en Israël, pour contenir matériellement et symboliquement ce tropisme dévorant vers l’autre ?

   La non consciencialité passe par le refus de s’étudier et par la fixation sur l’autre, donc implique un détour qui fait croire que l’on peut utiliser la consciencialité de l’autre, de l’ailleurs, de l’autrefois, pour appréhender la sienne propre; ici et maintenant. Or, un tel recyclage de consciencialité, tant diachronique que synchronique, n’est pas heureux car non transférable.

   Autrement dit, on remarquera que le monde arabo-islamique contemporain est non seulement arriéré sur le plan de l’investigation propre à la science - sciencialité- mais aussi sur celui de la conscience - consciencialité - il ne peut que s’approprier les savoirs et les outils de l’autre. Ce qui lui confère quelque poids dans le monde, c’est la rente du pétrole. Imaginons un monde arabe sans pétrole, il ne pèserait guère lourd. Pétrole, certes objet de convoitise universelle mais qui peut aussi perturber ce monde arabe immature dans son épanouissement et fausser ses rapports avec ce qui n’est pas lui mais dont il ne parvient pas à se différencier et à se démarquer. Un pétrole qui fait songer aux charmes d’une jolie fille qui ne peut donner que ce qu’elle a.

   Nous avons déjà souligné les méfaits du refus de la complémentarité qui conduisent à la négation de l’autre que l’on ne perçoit que mimétiquement et non dans sa différence ontologico-fonctionnelle. On ne respecte pas la frontière de l’autre mais on ne sait pas davantage faire respecter la sienne propre.

   La situation actuelle est celle de non-frontière dans l’espace arabe : non reconnaissance de la frontière israélienne, non reconnaissance de la frontière palestinienne, non reconnaissance de la frontière irakienne, non reconnaissance de la frontière européenne, par le fait de l’immigration. A quoi peut ressembler l’avenir du monde arabe, source d’instabilité à ses confins, tant à l’est qu’à l’ouest de la Méditerranée ? Un monde arabe qui ne veut pas se laisser enfermer, qui ne souffre pas d’être séparé par quelque frontière que ce soit, qui s’invente des droits pour refuser toute frontière.

   Autant la France est-elle relativement accueillante envers l’immigration, autant Israël se montre-t-il frileux et a donné des signes de méfiance envers sa propre population arabe dont la présence est le résultat des guerres de 1948 et de 1967. En fait, ce qui est reproché à Israël, ce n’est pas d’exister, c’est sa politique intérieure, Cisjordanie comprise, envers “ses” arabes. Si Israël s’était comporté autrement avec “ses” arabes, tant en Galilée qu’en Cisjordanie, la question de ses frontières ne se serait pas posée ainsi. L’Intifada actuelle a eu pour effet d’interdire plus que jamais aux travailleurs arabes de circuler en Israël, aggravant encore leur situation tant matérielle que psychologique.

   Les arabes, selon nous, ne souhaitent pas nécessairement avoir un Etat palestinien, ils veulent un libre accès pour leur population, comme on le voit en France. Ils sont capables de vivre dans un pays qu’ils ne contrôlent pas, même en citoyens de seconde zone. Ils préfèrent qu’on les accueille mal, c’est-à-dire médiocrement, précairement, que pas du tout. Ils ne demandent pas le pouvoir mais seulement le passage, il y a là quelque forme de nomadisme qui veut avant tout libre passage, passeport. D’où quelque malentendu : les Palestiniens ne veulent pas de frontières étanches où ils se retrouveraient entre eux et on croit qu’ils veulent un Etat aux frontières bien définies mais en leur accordant un Etat supplémentaire, cela ne réglera en aucune façon le syndrome frontalier propre à la psyché arabe qui n’est pas tant de se protéger que de s’étendre ou plutôt d’avoir accès, laisser passer. Ne projetons pas sur les arabes nos propres valeurs ! L’idée même d’Etat leur est étrangère, ils lui préfèrent celle de zone d’influence, de rayonnement et en cela la civilisation arabe est foncièrement masculine, elle échappe à un certain formalisme, elle est mouvante, migratice, a besoin de venir et revenir, elle peut cohabiter avec des populations sédentaires, au contraire cela la rassure, cela lui fait un point de chute,. Au fond, le monde arabe, bédouin, avide de communication plus que d’appropriation, accepte la dualité, la superposition, la juxtaposition, et ne comprend pas cet Etat hébreu qui voudrait conserver l’espace, aussi modeste soit-il, pour lui tout seul comme si ce faisant il enfreignait quelque loi ancestrale qui voudrait que les pistes soient à tout le monde.

   La frontière est en effet un concept à double sens / entendre : pour les arabes, la frontière territoriale est à transgresser et à relativiser tandis que pour les Occidentaux, elle est à respecter et à reconnaître. En ce sens, paradoxalement, les arabes, oiseaux de passage, vivent le progrès en termes de frontières géographiques à renégocier constamment plus qu’en termes de frontières scientifiques, bien définies, alors que les occidentaux semblent plus conservateurs pour les frontières d’Etat à Etat et plus intéressés à laisser ouvert le champ de la recherche conscientielle.

   Concluons donc que le monde arabe considère viscéralement que l’espace n’est à personne de façon exclusive, et surtout pas un espace à ses frontières sinon en ses frontières, il a une façon à lui d’occuper l’espace qui n’est d’ailleurs pas si éloignée de la juive mais qui, paradoxalement, l’est sensiblement plus de l’israélienne qui s’est construite quelque part dans un refus de la juive ! Et quant aux Israéliens, ils ne sont pas assez sédentarisés pour saisir la complémentarité avec le monde arabe comme en est capable la France.

Jacques Halbronn
Paris, le 3 mai 2003

Notes

1 Cf. notre ouvrage, Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour



 

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