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PALESTINICA

15

Vers une authentique diaspora ?
Réponse à une Lettre ouverte
aux Juifs de France d’Elie Barnavi

(Paris, Stock-Bayard, 2002)

par Jacques Halbronn

    Vous prônez, en conclusion de votre Lettre, la double allégeance des juifs de France à la France et à Israël. C’est ce que vous appelez le “sionisme postrévolutionnaire”. Vous dites qu’ “on peut facilement être ceci et cela, d’ici et de là-bas”, “Devenus israéliens, nous n’exigeons pas de vous que vous cessiez d’être français”. Au fond, comme c’est notre cas personnel, il nous est demandé de faire un séjour un tant soit peu prolongé en Israël, d’en apprendre la langue, de s’y immerger quelque temps et puis ensuite on pourra circuler à notre guise entre les deux pays, mieux : être, en France, les ambassadeurs d’Israël, Monsieur l’ambassadeur. Pourquoi, au fond, Israël ne serait pas aussi constitué de ses Yoredim, de ceux qui sont “monté” (Olim) puis sont reparti, tant il est vrai, d’ailleurs, que bien des Israéliens ne vivent plus qu’épisodiquement en Israël ?

   Au fond, ce que vous souhaitez, M. L’ambassadeur, c’est générer une véritable diaspora mais vous ne le formulez pas ainsi. C’est dommage. Nous eussions apprécié que vous signaliez / souligniez plus lucidement l’idée d’un tel renversement de perspective dont vous ne percevez, vous pourtant qui êtes historien, qu’incomplètement la nécessité.

   Car qu’est-ce qu’une diaspora, puisque c’est le terme que vous employez improprement mais classiquement, qui désigne des gens qui n’ont aucun vécu sérieusement mémorable, par rapport au pays dont ils sont censés émaner ? Regardez la diaspora musulmane : elle est faite de gens qui ont un lien autrement plus concret avec tel ou tel pays musulman, elle s’appuie sur une mémoire proche et non pas lointaine. Le terme Diaspora, chez les juifs, valait au lendemain de leur dispersion, lorsque ceux-ci venaient directement de Palestine.

   Vous avez donc raison quand vous dites : venez vous imprégner d’Israël pour pouvoir en repartir et exister comme une vraie Diaspora. Or, la plupart des Juifs de France, s’ils constituent une diaspora, ne sont pas de la diaspora d’Israël mais de la diaspora de Pologne, du Maghreb. L’expulsion des Juifs d’Espagne, en 1492, a crée un phénomène dont on n’a pas encore pris la mesure - et cette expulsion ne fut d’ailleurs nullement la première du genre mais elle est emblématique. Une diaspora juive se constituait avec des Juifs qui ne quittaient pas la Palestine mais l’Espagne, qui resteraient fidèles à l’Espagne, plus encore qu’à la Palestine, qui substitueraient en quelque sorte l’espagnol à l’hébreu, même s’ils en préservaient, syncrétiquement, l’alphabet. A la Renaissance, on peut dire que les Juifs ne constituent plus désormais, avec les expulsions d’Angleterre, de France, d’Espagne etc, une diaspora directe par rapport à la Palestine, qu’ils vivent dans un diaspora au second degré qui est celle du pays où leurs ancêtres ont longuement séjourné, après avoir quitté la Palestine. Ces Juifs de Turquie ou de Pologne sont les diasporas des juiveries de l’Europe Occidentale. Et que dire, si, à leur tour, devant quitter la Turquie ou la Pologne, ils se retrouvent encore ailleurs, que ce soit en France, en Israël ou aux Etats Unis ?

   C’est dire que le terme diaspora a évolué, a changé de sens et qu’il n’a pas la même prégnance pour tous les Juifs. Et ceux qui peuvent se dire de la diaspora d’Israël sont une minorité, ce sont ceux qui sont repartis, chargés de souvenirs encore vifs. Et ceux là, rencontrant d’autres juifs soi disant diasporiques n’ont pas grand chose à partager, pas même, au vrai, une langue.

   Donc, si l’on vous suit bien, M. L’ambassadeur, vous voudriez régulariser tout cela par l’israélianisation des diasporas juives mais non israéliennes puisqu’il nous faut les distinguer en effet. Diaspora juive n’est pas diaspora israélienne, son histoire est beaucoup plus ancienne.

   Mais ce faisant, vous nous faites un grave aveu, celui du sionisme comme imposture. Certes, c’est un fait accompli et désormais on doit le gérer et c’est ce que vous proposez de faire. Les sionistes auraient ainsi raison après coup, en ce XXIe siècle qui se profile, par une sorte d’extraordinaire accélération de l’Histoire qui nous / vous fait déjà parler d’un postsionisme et d’une diaspora israélienne. Au fond, ce serait le meilleur moyen de retomber sur ses pattes car le sionisme qui prétendait régulariser la situation des Juifs ne les avait-il pas au contraire, de facto, placer en porte à faux ?

   C’est un peu le système des vases communicants : au fur et à mesure que les juifs s’israéliniseraient, la diaspora juive deviendrait une diaspora israélienne et la légitimité de l’Etat d’Israël y gagnerait certainement, lui, qui enfin, ferait alors concrètement sens pour les juifs du monde. Mais avouons que la ficelle est un peu grosse ! Surtout, c’est bien là l’aveu rétrospectif d’une certaine imposture. Il n’est d’ailleurs pas indifférent que cet aveu intervienne alors que la création d’un Etat dit palestinien se profile de façon à peu près définitive, ce qui exige, quelque part, de repenser un sionisme, si fortement marqué par la Guerre des Six Jours et son messianisme conquérant - qui permit de contrôler la Jérusalem et la Cisjordanie jordaniennes - dont nous mêmes personnellement avons été adepte, sur le moment. Cette voie là, ouverte il y a 35 ans, constituait aussi une solution qui a fait son temps -et qui a fait long feu - et qui n’était d’ailleurs pas celle des pères fondateurs de l’Etat en 1947 / 1948.

   Pour notre part, nous avons exprimé, dans les Cahiers du CERIJ, cette idée d’israélianisation des diasporas juives, notamment par le truchement de l’hébreu moderne, capable d’unifier celles-ci et de favoriser leurs relations sinon leur brassage. On peut même se demander si cette langue, dont il serait peut être temps, comme le suggèrera, en son temps, Vladimir Jabotinsky, qu’on l’écrivît, enfin, en caractères latins - et que ceux qui ne la parlent pas ne nous fassent pas la leçon ! - ne pourrait constituer en effet le principal apport de l’expérience sioniste. Pourquoi, donc, ne pas multiplier les oulpanes (cours d’hébreu - mot forgé à partir de la lettre Aleph), non pas seulement pour aller séjourner en Israël mais pour communiquer entre juifs du monde entier ?

   L’hébreu, véritable réponse laïque pour forger une identité juive commune. Non plus un hébreu anonné, liturgique mais un hébreu vivant, riche d’une littérature et partagé avec Israël. Est-ce que l’israélianité ne passe par la langue en des temps où paradoxalement l’hébreu est en repli en Israël même, face à un communautarisme linguistique qui favorise notamment l’essor du russe ?

   Mais cela dit, Monsieur l’ambassadeur, avouons que la question israélienne n’est pas la seule, loin de là, qui se pose pour les juifs. Ces derniers ont probablement mieux à faire que de se regrouper en Israël, et cela vous ne le dites pas et la diaspora judéo-israélienne n’a pas pour seule vocation de relayer Israël en Europe, comme vous le suggérez finement.

   Si nous acceptons qu’Israël puisse servir de ciment identitaire, culturel, aux diasporas, il faudrait que de votre côté, vous reconnaissiez que le destin du peuple juif ne se joue pas nécessairement en Israël et qu’Israël n’est qu’un recours, qu’un refuge, ce qui était l’idée des sionistes de la fin du XIXe siècle1 et qu’il n’a d’ailleurs pas si bien tenu ce rôle que cela, comme l’atteste la Shoah contemporaine, on ne saurait l’oublier, de ce Foyer Juif offert par la Société des Nations (SDN) aux juifs dès le début des années 1920, à l’instigation des Britanniques.

   Il est vrai, Monsieur l’Ambassadeur, que la situation des Juifs en France n’est pas toute rose et que cela tient en effet, indubitablement, à la présence musulmane, non pas uniquement du fait du conflit israélo-arabe mais aussi parce que l’Islam a une autre façon de traiter les juifs. Et il importe que nous trouvions une solution à ce problème. Quelle ironie de l’Histoire que de voir les juifs de France n’avoir d’autre choix que d’émigrer en Israël, lui aussi, confronté, ô combien, à la présence musulmane !

   On peut se demander, Monsieur l’Ambassadeur, s’il ne faudrait pas plutôt de s’occuper de la diaspora musulmane que de la diaspora juive, en France ! On peut se demander, en effet, s’il ne conviendrait pas, prioritairement, de rapatrier cette diaspora musulmane vers ses lieux d’origine - et notamment vers le Maghreb - ce qui devrait poser infiniment moins de problèmes que pour des juifs invités à vivre dans un pays, Israël, auquel ils sont, que vous le vouliez ou non, à plus d’un titre, étrangers. Et cela ne vaut pas uniquement pour les musulmans travaillant en France mais aussi pour ceux qui sont nés de parents ou de grands parents musulmans, quand bien même seraient-ils citoyens français ? Il faut se demander s’il n’est pas plus urgent de traiter avec les gouvernements du Maghreb une solution équitable et qui fassent de ces français musulmans les ambassadeurs de la culture française dans leurs pays. Il conviendrait en tout cas de les encourager, ces Musulmans de France, à ne pas rompre avec leurs racines, avec leur langue., avec leur religion. Pourquoi ne leur tenez-vous pas à eux aussi un certain discours ? Il ne faudrait quand même pas se tromper de priorité diasporique !

   Nous ne partageons pas l’optimisme du ministre de l’Intérieur lorsqu’il parie sur les valeurs de la République pour régler les menaces représentées par les Musulmans de France. Si la France veut faire fuire ses juifs, qu’elle continue à pratiquer la politique de l’autriche. Mais, Monsieur l’ambassadeur, nous ne pensons pas que c’est vers Israël que les juifs de France se dirigeront mais plutôt vers les pays, de plus en plus nombreux, de l’Union Européenne, où la présence musulmane sera la plus faible, la moins voyante, ce qui pose en effet la question de l’entrée de la Turquie dans la dite Union, qui serait une grave faute.

   Car, Monsieur l’ambassadeur, le judaïsme moderne n’est pas né en pays musulman, son rapport avec l’Islam appartient à l’Histoire ancienne. Il est né en Angleterre, sous Cromwell, en France, à la Révolution, il est né dans la Chrétienté et l’Affaire Dreyfus ou la Shoah n’y changeront rien ni même les Protocoles des Sages de Sion.2

   Et l’on comprend que le projet sioniste a commis un contre-sens en venant s’ancrer au coeur du monde musulman. C’est probablement pourquoi la question de l’Islam en France est un peu le point aveugle de votre discours car comment les Israéliens accusés de tous les maux par le monde arabe pourraient-ils aborder de façon courageuse un tel problème ? Et quid de la France de la colonisation et de la décolonisation ? Mais nous n’avons pas, pour notre part, de tels complexes !

   Vous nous demanderez, avec un air un peu narquois, d’où vient notre animosité à l’égard du monde arabe et il est vrai que vous êtes assez mal placé pour nous interpeller sur ce point. Nous vous répondrons que juifs et chrétiens ont crée un écosystème qui nous semble avoir porté ses fruits et dans lequel nous ne pensons pas que les musulmans aient leur place. Et cela pour une raison très prosaïque : à savoir qu’un écosystème ne se modifie pas ainsi et que les musulmans n’en sont pas partie prenante, parce que le dit écosystème est bouclé. En revanche, Monsieur l’Ambassadeur, qu’un écosystème judéo-musulmans se développe en Israël et dans les alentours, libre à vous de vous y essayer, il n’est peut être pas trop tard. Et voilà qui limite sérieusement notre dialogue, Monsieur l’Ambassadeur, c’est qu’entre vous et nous, la question de l’Islam se pose tout autrement.3 Il vous revient en Israël de vous accommoder, d’une façon ou d’une autre, des arabes parce qu’ils sont chez eux. Ce n’est, en revanche, pas notre obligation en France car ce sont eux qui sont en situation d’immigrés.

   Que nombreux, dans la communauté juive de France, soient issus du Maghreb, ne facilite évidemment pas les choses et vous passez un peu vite sur la disparité de la diaspora judéo-française. Il est probable que cette communauté juive exige un recentrage vers ses origines historico-géographiques et que c’est à ce prix là qu’elle parviendra à se démarquer de tout parallèle avec la diaspora franco-musulmane.4 Il est vrai que de nos jours, les juifs issus du Maghreb sont un encouragement, de fait, à une immigration musulmane. Il nous faudra résoudre ce problème, au cours du siècle qui s’entr’ouvre.

   Certes, Monsieur l’ambassadeur, nous ne revenons pas sur notre accord de principe concernant l’israélianisation et l’hébraïsation, mais c’est un peu là la cerise sur le gâteau. Le fait est que tant en Israël qu’en France, nous, juifs, sommes confrontés au problème de l’Islam, ce qui fait que, quelque part, nous ne savons pas si nous pouvons nous aider mutuellement comme l’aveugle et le paralytique ou si nous pouvons unir nos efforts. Non, franchement, sur ce dernier point, il nous faut raison garder : nous n’avons pas les mêmes armes, ni les mêmes enjeux face à l’Islam ; rien, en vérité, ne prouve que nos stratégies soient amenées à converger et pour tout vous dire nous n’aimerions pas être dindons de la farce et devoir subir une certaine islamisation de la France en contrepartie de la présence judéo-israélienne dans une ancienne province de l’empire ottoman.

Jacques Halbronn
Paris, le 24 juin 2003

Notes

1 Cf. notre ouvrage Le sionisme et ses avatars, au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

2 Cf. notre étude in Le sionisme et ses avatars, opus cité. Retour

3 Cf. notre étude sur le double défi, Site Cerij.org. Retour

4 Cf. notre étude “les piéges de la représentativité en milieu juif laïc”, Hommes & faits, Site Faculte-anthropologie.fr. Retour



 

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