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Editions RAMKAT




PALESTINICA

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Lettre à un Palestinien

par Jacques Halbronn

    (à propos de l’ouvrage Voici la Palestine de Husseyn Triki, traduit de l’arabe, Paris, réédition 2001)

    J’ai été touché par votre argument selon lequel les Juifs auraient reçu une terre de la part de ceux qui n’avaient aucun droit à la leur accorder. Il faut reconnaître que l’on n’est pas toujours regardant quand quelqu’un vous offre ce que l’on souhaite. J’admets en effet que l’Angleterre n’avait peut-être pas de droits à proposer aux Sionistes ce qu’elle leur proposa, avec la Déclaration Balfour de 1917. On peut aussi se demander si la Société des Nations pouvait décider ce qu’elle a décidé et l’ONU, comme vous le faites remarquer, semble avoir été encore moins habilité à faire ce qu’il a fait, en 1947. Il faut se méfier d’instances que l’on crée et auxquelles on fait jouer un rôle, parfois flatteur, mais qui n’est pas le leur. On comprend donc qu’il peut y avoir marché de dupes entre celui qui se donne de l’importance et celui qui en profite et qui est tout prêt à accorder à celui qui lui confère quelque titre ou quelque droit toute la légitimité du monde.

   Il est probable que si Herzl avait obtenu du Sultan l’établissement d’un tel Foyer Juif, la légitimité de son instauration eût été plus grande que venant des Anglais, engagés qui plus est dans de complexes négociations avec les Arabes, libérés du joug ottoman de quatre siècles. Oui, en effet, un Foyer juif octroyé par les Turcs eut été de bien meilleur aloi, surtout en un temps où les populations arabes étaient encore asservies.

   Substituer les Britanniques aux Turcs apparaît dès lors comme une évidente solution de continuité, voire comme un subterfuge dont il convient, en effet, de prendre conscience.

   Or, de nos jours, la situation politique semble offrir une nouvelle opportunité, un siècle après la rencontre de Théodor Herzl, mort en 1904, avec le Sultan.1 L’auteur de Voici la Palestine le reconnaît lui-même : si l’on admet que ce sont les Palestiniens qui sont les occupants de la terre où se trouve l’Etat d’Israël, il leur revient - et à eux seuls - d’accorder aux Juifs la possession de cette terre et de la leur céder. En constituant un Etat palestinien sur une partie du territoire de la Palestine, les Palestiniens, dûment représentés par une autorité légitime, avec Président et Premier Ministre, fondent ainsi deux Etats, l’Etat palestinien et, rétroactivement, l’Etat d’Israël sur la partie non occupée par le dit Etat Palestinien. Autrement dit, il n’y a que les Palestiniens, selon le raisonnement d’Hussein Triki qui puissent accorder un Foyer aux Juifs, depuis la chute de l’Empire Ottoman et c’est ce qu’ils s’apprêtent désormais à faire, sans que cela soit d’ailleurs très clair dans leur esprit. On voit donc tout ce que les Israéliens ont à gagner à la mise en place d’un Etat palestinien, au regard du droit international.

   Vous avez raison de souligner l’importance du Droit. Les allemands ne l’ont jamais oublié, eux qui ont obtenu des Français tant en 1870 qu’en 1940, des concessions exorbitantes mais délivrées par des instances représentatives. Sans Pétain, y aurait-il eu un armistice ? Depuis 1967, les Israéliens, qui contrôlaient la Cisjordanie, n’ont semble-t-il pas vraiment cherché à négocier avec les Palestiniens parce qu’ils pensaient n’avoir rien à en attendre, pas même la reconnaissance, dans tous les sens du terme, eux qui étaient ainsi libérés de l’emprise jordanienne.

   Mais le livre évoque d’autres problèmes : celui des Séfarades et des Ashkénazes. Selon vous, seuls les Séfarades auraient une légitimité à revendiquer une filiation historique et auraient en fait le droit de s’installer dans cet Etat Juif, en Palestine. Et il semble que cela tienne à la fois à la présence judéo-séfarade dans le monde arabe et à leur faciès sémitique, notamment leurs yeux puisque selon vous un sémite ne saurait avoir les yeux clairs. Or, le caractère sémitique des Juifs vous apparaît comme légitimant leur présence dans la région. Selon vous, donc, les Ashkénazes n’ont rien à y faire.

   En réalité, vous n’hésitez pas à déclarer que les Ashkénazes ne sont que des convertis au judaïsme, des Khazars, peuplade de Crimée, sur la Mer Noire, d’où leur aspect non sémitique. Cette conversion les disqualifierait. Argument étrange et foncièrement raciste de la part de musulmans qui ont toujours encouragé les conversions. Autrement dit, vous considérez cette conversion comme ne s’imposant pas aux Palestiniens qui auront bien assez avec les Séfarades. Mais ce faisant, vous développez une autre philosophie du droit que précédemment : si la conversion des Khazars, comme il le semble, a été acceptée par les Juifs, est-ce que cela peut être remis en cause ?

   Mais il me semble très improbable que l’on puisse réduire les Ashkénazes à une telle conversion. A notre connaissance les juifs ashkénazes sont aussi et surtout descendants des Juifs se trouvant à l’autre extrémité de l’Europe, du côté de l’Alsace, aux frontières de l’empire romain, figées, un certain temps, par le Rhin.

   Mais, ce n’est même là l’essentiel : l’ironie du sort veut que c’est le monde ashkénaze plus que le monde séfarade qui a été aux premières loges aux XIXe et XXe siècles. Ce sont ces juifs ashkénazes, vous semblez l’oublier, qui ont subi de plein fouet la Shoah. Excusez du peu ! Ce sont ces juifs ashkénazes qui ont incarné le génie juif au sein du monde occidental. C’est essentiellement à leur intention que le mouvement sioniste s’est d’abord constitué, l’Orient apparaissant alors comme un havre de paix relatif pour le monde juif.

   On peut se demander si la seule conversion au judaïsme d’une peuplade “aryenne” pourrait expliquer que ses descendants aient été exterminés par millions par leurs “frères” aryens. Nous pensons précisément le contraire et que la Shoah a définitivement démontré la différence entre juifs et non juifs, et ce bien au delà du clivage religieux. Il faut se méfier des explications fondées sur la conversion à commencer par le cas d’Abraham dont les arabes se veulent les descendants, par Ismaël, son premier fils certes mais issu d’une femme qui n’était pas de sa lignée, Agar. Croit-on sérieusement que le peuple juif ait commencé avec Abraham, lui qui mit un point d’honneur, justement, à ce que son fils épousât une femme de sa tribu et l’histoire sera la même pour Jacob, allant épouser les filles de Laban, Léa et Rachel dont les fils seront à l’origine des douze Tribus d’Israël ? Il semble bien, Husseyn Tryki, que vous n’ayez pas vraiment pris la mesure de la question juive et de ses origines. Vous voudriez que les juifs soient des Sémites mais en êtes vous si sûr ? Qui vous dit que le rapport des Juifs à la Palestine et à l’hébreu n’est pas un épiphénomène, au sein d’une très longue Histoire dont on ne connaît peut être que des fragments tardifs ? Si les juifs ne sont pas aisément saisissables dans l’espace, croyez-vous qu’ils le soient davantage dans le temps ? Vous êtes, d’ailleurs, à l’évidence, un lecteur des Protocoles des Sages de Sion et de L’Etat Juif de Herzl et associez les deux ouvrages comme découlant l’un de l’autre. Vous voyez dans chaque juif un prolongement d’Israël et en Israël le cerveau d’un mouvement tentaculaire qui menace toute la planète et qui exploite toutes les nations où résident des Juifs. Or, ces Protocoles, ouvrage contrefait, visent essentiellement ces Juifs ashkénazes lesquels, selon vous, ne seraient pas de vrais Juifs. Vous témoignez en tout cas de la fortune des Protocoles dans le monde arabe et vous associez sans état d’âme sionisme et Protocoles des Sages de Sion. Vous adhérez à la thèse du complot mondial. Reconnaissons cependant que la complaisance des organisations internationales, SDN et ONU, du moins jusqu’au lendemain du Partage, entériné par l’ONU, en 1947, à l’égard de ce fameux Foyer Juif en Palestine a pu vous conduire en effet à penser que les juifs contrôlaient tout. Qui contesterait en effet que cette instrumentalisation récurrente des institutions internationales ne pût apparaître comme la confirmation de la puissance juive mondiale ?

   Cela dit, force est de constater en effet que se perpétue un certain clivage entre Ashkénazes et Séfarades qui interpelle l’historien et l’anthropologue et que ce clivage ne s’est pas véritablement dissous en Israël. Nous pensons en effet que fondamentalement Israël s’inscrit dans une dialectique avec le monde arabo-musulman.2 et qu’il doit être lié à la diaspora juive dans cette partie du globe. Herzl lui-même reconnaissait, dans L’Etat Juif, qu’il n’était pas bon pour les juifs de se mélanger entre eux, du moins quand ils étaient sous la coupe d’un autre peuple. Il n’est cependant pas du tout certain que des juifs aussi différents puissent vivre ensemble mais les hostilités déclenchées par le monde arabe ont fait passer cette question au second plan. On sait que la paix peut être redoutable pour Israël et que c’est probablement le pire cadeau à lui faire.

   Or, ce qu’il y a d’étonnant, dans votre attitude, c’est que vous portez un jugement sur les juifs vivant en Israël comme s’ils vivaient dans votre pays alors que, précisément, Israël existe en tant qu’Etat séparé. On pourrait imaginer un français non juif protester, comme cela fut le cas, au lendemain de la Première Guerre Mondiale, contre l’afflux de juifs orientaux mais quid d’un Palestinien se préoccupant de l’immigration juive en Israël ? Vous parlez des Juifs comme s’ils souhaitaient simplement vivre au sein d’un pays arabe et avaient des comptes à lui rendre. Et de fait, vous avez peut-être raison : les Arabes ne sont pas nécessairement hostiles à une présence juive dans ce ghetto qu’est Israël mais qui n’en a pas moins vocation à vivre en symbiose avec le monde arabe environnant mais ils ne veulent pas n’importe quels juifs, ils veulent les juifs auxquels les siècles les ont habitués, ils ne veulent pas de juifs étrangers et en cela diffèrent-ils vraiment des autres populations confrontées à une présence juive ? Les israéliens ont peut être commis l’erreur de penser qu’ils n’avaient pas / plus à se préoccuper du qu’en dira-t-on local et on le leur a fait chèrement payer, à la longue. Il est vrai que le sionisme avait quelque part ce but là, à savoir ne pas dépendre de la bonne volonté du non-juif mais de là à bafouer complètement son point de vue, n’y avait-il point une certaine marge ?

   L’Intifada a rappelé l’importance des rapports de force sur place qu’il ne fallait pas ignorer en ne considérant que la situation à l’échelle internationale. Les juifs, en effet, ne peuvent jamais ignorer ce qui se joue là où ils se trouvent, on n’est pas juif sans référence à un lieu de vie avec l’autre. Que les juifs soient minoritaires ou majoritaires, ils ne peuvent se permettre d’ignorer un tel impératif. C’est cette population juive hétérogène en Israël qui est probablement responsable d’une certaine incurie; elle est trop disparate pour pouvoir suivre une politique cohérente, surtout avec un système électoral qui ne favorise pas les majorités bien tranchées. Israël, finalement, n’aura-t-il pas été victime de cette utopie sioniste consistant à rassembler des juifs du monde entier, n’ayant en fait pas grand chose en commun ? Les afflux successifs d’immigrés juifs, avec, au final, les Russes et les Falachas, deux populations on ne peut plus différentes, n’ont pu que contribuer à déstabiliser la société israélienne et à en brouiller l’image et ce d’autant que, contrairement à ce qui se passa ailleurs, la référence à la population non juive locale ne constituait pas un ciment, sinon dans un registre d’hostilité et de rejet. Croit-on ainsi que la communauté juive de France n’éclaterait pas s’il n’y avait autour d’elle la société française, la langue française ? Comment un Etat d'Israël enclavé au sein du monde arabe pourrait-il se permettre de l’oublier ? Cet oubli tient probablement à ce caractère international, central que revendique cet Etat et qui lui interdirait de trop s’ancrer dans une spécificité locale. Il y a là, semble-t-il, un dysfonctionnement de la présence juive au monde induit par L’Etat Juif de Herzl ou plutôt par la lecture qui en a été faite. Herzl qui pensait que cet Etat, qu’il ne situait pas nécessairement en Palestine, mais aussi dans cette Argentine, dont vous parlez tant dans votre livre et où vous avez vécu, Husseyn Tryki, pourrait être défini et décrit par avance, quel que soit le lieu (utopia signifie en grec en quelque lieu (topos) que ce soit) où il serait mis en place.

    Certes, outre la question de la couleur des yeux, il y a aussi celle du lieu de naissance et il peut sembler injuste que des arabes palestiniens ne puissent revenir là où ils sont nés. Cela dit, pensez-vous sérieusement que si l’on proposait aux Berbères d’Algérie de fonder un Etat indépendant, ils ne seraient pas prêts à émigrer vers cet Etat, en abandonnant leur lieu de naissance mais aussi leur lieu de vie ? Croyez-vous que les Kurdes feraient la fine bouche si on leur proposait de se rassembler au sein d’un Etat Kurde, quitte à renoncer à leur diaspora ? Comme l’a bien montré Georges Corm3, la notion même d’Etat fait problème car, prise à la lettre, chaque minorité voudrait avoir son Etat et il y a toujours des minorités de minorités. Le principe même de l’Etat nation a pour corollaire un certain transfert de population, ce qui conduisit d’ailleurs les Juifs, au XXe siècle, à quitter des pays où ils étaient nés et où leurs ancêtres se trouvaient depuis des siècles. Paradoxalement, la création d’un Etat Palestinien, Hussein Tryki, devrait conduire à terme à la disparition des minorités palestiniennes environnantes, occasionner un flux migratoire. La notion de Diaspora ne fait sens que s’il n’y a pas d’Etat, elle est une contrepartie à ce manque. C’est pourquoi la création de l’Etat d’Israël conduirait logiquement à la fin de la diaspora juive, toutes catégories confondues, tant séfarades qu’ashkénazes. Mais les juifs ne sont pas disposés à entrer dans cette logique ou du moins pas tous. Mais croyez-vous sérieusement que l’on puisse mettre sur un même plan Juifs et Palestiniens ? Sauf le respect que l’on doit aux Palestiniens, ils ne sont qu’une manifestation parmi tant d’autres du monde arabe, en un lieu certes spécifique et qui ne sont d’ailleurs définis que par ce lieu, d’où leur nom même de Palestiniens. Il en est bien autrement des Juifs qui ne s’inscrivent pas dans un ensemble plus vaste qu’eux-mêmes mais qui constituent cet ensemble même et vous avouerez qu’il est un peu normal, dans ces conditions, que cela ne constitue pas un tout parfaitement homogène. C’est pourquoi l’Etat d’Israël n’obéit pas à la même logique que l’Etat palestinien. Il n’a pas tant vocation à rassembler les juifs qu’à constituer un refuge, un asile, un Foyer, sous la houlette de la communauté internationale et en l’occurrence de l’ONU. Vous dites que l’ONU n’est pas la SDN mais il faut bien que la SDN et les responsabilités historiques qu’elle a prises se prolonge d’une façon ou d’une autre et en pratique l’ONU se doit d’assumer ce que la SDN a enclenché, quitte à ne pas ouvrir de nouveaux dossiers. L’ONU a donc vocation, comme successeur de la SDN, de s’occuper du Foyer Juif. En revanche, elle n’a pas de légitimité à prendre à charge la question palestinienne qui ne se situe nullement au même niveau. Qu’on le veuille ou non, la création d’un Etat Palestinien, prévue dès 1947, est une concession au profit du monde arabe aux dépends du territoire dévolu pour l’établissement du Foyer Juif. En pratique, s’il existe un Etat Palestinien, il n’aura pas le même statut que l’Etat Juif et c’est ce parallélisme qui est regrettable dans la résolution susmentionnée de l’ONU de 1947. L’Etat Palestinien n’existe que parce que l’Etat Juif a été réduit. Cet Etat s’il se constitue ne relève plus de l’ONU, il n’est pas un enjeu mondial comme l’Etat Juif. L’Etat Palestinien n’incarne pas l’Islam au sens où l’Etat d’Israël représente le monde juif. L’Etat Palestinien est l’expression de l’étatisation balkanique du monde arabe en un certain nombre d’Etats alors que l’Etat d’Israël est au contraire un processus de rassemblement de la diaspora juive, mais non point pour y mettre fin mais pour en réguler le mode de fonctionnement. Oui, avant tout, Hussein Tykri, l’Etat d’Israël a vocation à réguler le problème juif qui est d’une toute autre dimension, excusez-moi, que le problème palestinien.

Jacques Halbronn
Paris, le 17 juillet 2003

Notes

1 Cf. notre ouvrage Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

2 Cf. notre étude “Le double défi”, sur le Site Cerij.org. Retour

3 Cf. L’Europe et l’Orient. De la balkanisation à la libanisation. Histoire d’une modernité inaccomplie, Paris, Ed. La Découverte, 2002. Retour



 

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