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Editions RAMKAT




PALESTINICA

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De la mutation identitaire arabo-palestinienne

par Jacques Halbronn

    Faut-il plaindre les Palestiniens ? Nous pensons qu’avec le recul, cette population assez obscure au début du XXe siècle aura connu une chance extraordinaire, historique, un destin finalement fort enviable, à l’échelle des peuples.

   Qu’on en juge, qu’étaient les Palestiniens à la fin de l’Empire Ottoman ? Une province lointaine de Syrie, avec certes ses particularismes comme partout ailleurs mais sans être aucunement autonome et qui ne méritait, a priori, pas plus que beaucoup d’autres contrées de par le monde de constituer un Etat, sinon les Etats se compteraient par milliers.

   Voici que du fait du partage franco-anglais, au cours de la Grande Guerre, la Palestine tombe dans l’escarcelle britannique et s’émancipe ainsi de ses encombrants voisins du Nord, dont elle était jusque là la vassale et qui eux, sont réservés à la sphère française (Liban, Syrie). Voilà donc la Palestine qui émerge d’un long sommeil de soumission mais qui va être rattrapée par son passé.

   Certes, les Palestiniens n’ignoraient pas que leur terre était convoitée par la Chrétienté qui y avait nombre de représentants, de consuls, en raison des Lieux Saints. Il y avait aussi la marque des Croisades sur plus d’un bâtiment, comme à St Jean d’Acre. C’étaient donc un monde un peu particulier que celui de ces Palestiniens, et ce depuis bien des siècles.

   On peut se demander si les juifs ne furent pas le Cheval de Troie grâce auquel le monde chrétien avait envisagé de reprendre pied dans la région. Il est intéressant, à ce propos de noter un certain glissement : les juifs qui n’étaient peut être qu’un prétexte finirent par se retrouver au centre du débat, tout comme le texte des Protocoles des Sages de Sion1 n’était à l’origine qu’un pamphlet ne parlant des Juifs que pour atteindre les Franc-Maçons avant de prendre directement les juifs pour cible.2

   Au départ, la Déclaration Balfour puis le texte du mandat de la Société des Nations (SDN) ne leur accordait qu’un rôle supplétif, qu’un faire valoir de cet invité de marque, sorte de masque de fer, qu’étaient les juifs. C’étaient en quelque sorte les arabes de service. D’un côté donc, il y avait les indigènes qui étaient sur place et de l’autre les juifs, à l’Histoire tourmentée et au présent menacé qui relevaient d’un grand projet humanitaire à l’échelle mondiale ou en tout cas européenne. Aucun rapport entre les profils de ces deux sociétés, l’une installée dans sa glèbe, l’autre qui faisait l’objet d’une réservation et qui était largement à venir; l’une enracinée dans un passé proche, l’autre revendiquant une présence ancienne.

   Quel étrange face à face que ces deux ensembles : l’un représentant une solution pour une des grandes religions monothéistes et l’autre n’étant qu’une parcelle bien humble du monde arabo-musulman et n’ayant aucune vocation particulière à représenter ou à rassembler celui-ci en un si modeste espace.

   Si on se projette jusqu’à nos jours, le contraste est aussi frappant : d’un côté, un Etat Palestinien qui vient s’ajouter à la longue liste des Etats arabo-musulmans et qui poursuit un processus de balkanisation des dépouilles de l’empire ottoman et d’attribution de royautés fort prisées aux Fayçal et autres Hussein3 et de l’autre un Etat juif censé mettre fin à l’éparpillement des Juifs dans le monde. Logiques foncièrement opposées.

   Et pourtant, quelles sont de nos jours, en ce début du XXIe siècle, les représentations qui sont les plus répandues dans le public ? On a l’impression que ces deux “peuples”, ces deux “Etats” sont comparables alors que rien n’est plus absurde que de placer le peuple palestinien face au peuple juif, en une sorte de symétrie. Cela tient à la magie de mots qui se prêtent si aisément aux sophismes : un peuple en vaut un autre, un Etat en vaut un autre, ce qui est pareillement désigné serait ipso facto du même ordre.

   Il faut comprendre que si les Palestiniens tiennent tant à un Etat, c’est moins par rapport aux juifs que par rapport au reste du monde arabo-musulman. Entendons par là qu’ils veulent ainsi affirmer leur différence, eux qui, jusqu’en 1967 étaient englobés, du moins pour ceux de Cisjordanie, au sein du Royaume de Jordanie. C’est en fait depuis l’occupation israélienne que les choses ont changé, du fait du face à face qui s’en est suivi et qui n’est pas sans rappeler celui qui existait il y a 2000 ans, lorsque déjà les Juifs cohabitaient avec d’autres populations en cette même terre.

   Nous avons exposé ailleurs, sur E. H., cette thèse selon laquelle les Chrétiens étaient des non juifs cherchant à se judaïser. Ces Chrétiens, au fond, n’étaient-ils pas les Palestiniens de l’époque ? Et quid des arabes qui, au VIe siècle, fondèrent l’Islam, non sans se référer au personnage biblique d’Abraham et à Jérusalem ? N’est-on pas là en face d’une symbiose qui conduit un peuple vivant une relation de proximité avec les juifs à prendre une nouvelle dimension : quid de la Révolution Française et de son projet de régénération / émancipation des Juifs qui allait faire de la France la patrie des Droits de l’Homme.

   Qui irait donc contester que les Palestiniens ont gagné une aura en cohabitant avec les juifs, tout au long du XXe siècle ? Cette aura les fait définitivement sortir du rang : autrement dit, ils ne sont plus, désormais, des arabes comme les autres et ceci expliquerait qu’ils ne souhaitent pas se mêler aux autres arabes, ce qui conduisit notamment à la mise en place de camps de réfugiés, comme si le monde arabe n’aurait pas été en mesure de les absorber.

   La stratégie de communication des Palestiniens offre certaines particularités qui méritent d’être relevées. Ils veulent faire oublier que tout autour d’eux, il y a d’autres Etats arabes et préféreraient qu’on les considère comme une minorité enclavée comme en Bosnie ou au Kosowo, voire en Albanie alors qu’il est assez évident qu’ils ne sont à l’origine qu’une excroissance du monde arabe environnant, de la même façon, on l’a noté dans une autre étude, que les Sudètes par rapport au monde allemand voire que les Alsaciens.

   Mais justement le cas des Alsaciens retiendra notre attention car bien qu’appartenant au monde allemand, ils ont su s’en différencier, eux qui étaient Protestants, en basculant vers la France catholique, se constituant ainsi une identité particulière qui fait qu’ils ne sont plus tout à fait allemand, c’est ce que nous appelons une mutation identitaire.

   Périodiquement, il se produit des mutations identitaires qui conduisent à l’apparition de nouveaux peuples se détachant d’un ensemble. Le peuple palestinien n’est plus le peuple arabe, c’est autre chose, c’est un peuple au destin particulier, qui n’est plus lié à celui du monde arabe, sinon accessoirement. Il n’a donc nullement intérêt à revenir cent ans en arrière.

   Certes, cette naissance d’un nouveau peuple ne se fait-elle pas sans douleur mais les peuples heureux, dit-on, n’ont pas d’Histoire. Sous leurs pieds, les Palestiniens n’on peut-être pas de pétrole mais une terre sacrée, avec ses vestiges, aux yeux de plusieurs religions et qui leur confère une importance particulière.

   C’est dire que nous ne pensons pas que l’Etat Palestinien revienne dans le giron du monde arabe mais la séparation est loin d’être acquise. Nous n’excluons en réalité aucunement que de temps à autre le panarabisme reprenne le dessus mais ce sera toujours provisoirement.4

   Un peuple palestinien, quelque peu judaïsé, et en tout cas hébraïsé, pour ce qui est des arabes israéliens.

   Un peuple qui peut se gausser d’une certaine égalité avec le peuple juif alors que tout les séparait quant à leur place dans l’Histoire, l’un étant resté sur place, faisant partie du paysage, et l’autre ayant écumé toute la planète. Et voilà que désormais on oppose peuple juif et peuple palestinien ! Non pas peuple juif et peuple arabe, non pas juifs et musulmans. A l’inverse, les juifs ne se trouvent-ils point rabaissés au niveau des Palestiniens ? Drôle de couple, en fin de compte, où la femme serait palestinienne, partie de rien, et l’homme juif et où en se mariant la femme acquiert en quelque sorte les privilèges de son mari. Ce qui n’empêche pas de songer actuellement à une sorte de divorce mais la femme divorcée conserve souvent le titre et en tout cas l’aura d’un brillant mariage aristocratique. Par ce mariage, sous les auspices de l’ONU, les Juifs s’apparentent avec les cousins des Palestiniens, c’est-à-dire avec les Arabes.

   Au départ, il était écrit : Etat Juif et Etat Arabe et c’est devenu Etat d’Israël et Etat Palestinien. Mais Etat arabe ne signifiait pas un Etat pour tous les Arabes, puisqu’il existait d’autres Etats Arabes. Est-ce que, dans ce cas, Etat Juif impliquait une unicité, faute d’autres Etats juifs ? On voit là à nouveau le décalage entre les deux Etats.

   Mais au fil du temps, on peut se demander si Israël ne serait pas devenu un Etat Juif et aurait cessé d’être l’Etat Juif, devenant ainsi l’Etat Juif de Palestine face à l’Etat arabe de Palestine. A partir du moment où la Palestine mandataire était ainsi divisée, on passait ipso facto de l’Etat Juif à un Etat Juif.

   On voit donc que cette symétrisation des deux populations lors du Partage de la Palestine conduirait à une autre mutation identitaire, annoncée par Georges Friedman, dans Fin du peuple Juif ?

   On peut se demander, en vérité, si la désaffection des juifs d’Occident - la faiblesse de leur Alya / émigration - par rapport à Israël ne tient pas à cette réduction identitaire : il y aurait donc des juifs en Palestine comme il y en avait ailleurs, en France, en Angleterre etc. Il y aurait une communauté juive en Palestine comme il y avait une communauté juive en France.

   On contestera ce parallèle sous prétexte que cette communauté juive de Palestine est organisée différemment. Mais c’est là, nous semble-t-il un faux débat dans la mesure où chaque communauté juive, de par le monde, a des institutions qui lui sont propres et après tout la communauté juive de France, depuis Napoléon, n’a-t-elle point ses structures, ses élections, ses consistoires et aussi son Histoire ?5

   On peut, en outre, se demander si cet Etat d’Israël n’est pas le Birobidjan imaginé par Staline, si ce n’est pas une façon pour les juifs d’organiser leur communauté en s’installant à la marge de l’empire russe ? N’oublions pas que ce sont les sionistes russes qui ont pesé sur le choix de la Palestine6 et que ce sont aussi les juifs russes qui, un siècle plus tard, ont constitué 90% de l’immigration juive en Palestine, au cours des trente dernières années.

   Double identité, double fonction de l’Etat d’Israël : communauté juive ashkénaze de l’ancienne URSS d’une part et communauté juive séfarade de l’ancien empire ottoman de l’autre. Dualité qui au demeurant marque l’Histoire de la présence juive en Palestine, avec son Royaume d’Israël au nord et de Judée / Juda, au sud.

   C’est cette double identité qui confère un certain caractère hybride à cet Etat7 dont la raison d’être serait de réguler le judaïsme de l’Est de l’Europe et de l’Est du Bassin Méditerranéen. On aurait donc en Palestine, une situation triangulaire : ashkénazes du monde russo-orthodoxe, séfarades du monde catholique, issus de l’Expulsion des Juifs d'Espagne vers l’empire ottoman (Espagne, en hébreu Séfarad) et palestiniens, émanant du monde arabo-musulman : un tel triangle pourrait fonctionner.8 Seraient exclus, peu ou prou, de ce triangle le judaïsme marqué par le monde protestant et qui serait, quant à lui, organisé en un autre pôle, franco-germano-anglo-américain, non sans que l’on songe ici à Max Weber. Telle serait notre lecture géopolitique de la situation du monde juif, à l’orée du XXIe siècle.

Jacques Halbronn
Paris, le 18 juillet 2003

Notes

1 Cf. E. H., rubrique Antisemitica. Retour

2 Cf. notre ouvrage, Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

3 Cf. “Lettre à un palestinien”, Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr. Retour

4 Cf. nos travaux sur l’astrologie axiale, Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr, rubrique Astrologica. Retour

5 Cf. notre étude sur “le double défi”, Site Cerij.org. Retour

6 Cf. notre ouvrage, Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

7 Cf. nos études à ce sujet dans nos éditoriaux d’Hommes & Faits, Site Faculte-anthropologie.fr. Retour

8 Cf. notre “Lettre à un Palestinien”, E.H.. Retour



 

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