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PALESTINICA

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La Palestine comme théâtre d’une dépossession

par Jacques Halbronn

    Que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu la Déclaration Balfour en novembre 1917, quelques jours avant l’arrivée des troupes anglaises du général Allenby à Jérusalem ? Les implantations sont-elles un phénomène nouveau ? Nous voudrions dénoncer ici une étrange façon de narrer la genèse de la présence juive dans la Palestine moderne, visant à la faire commencer carrément en 1948.

   Nous voudrions souligner le fait que la présence juive et même sioniste était un fait acquis bien avant 1917. On ne parle pas ici du reliquat de quelques juifs installés en Palestine depuis des siècles mais bel et bien de l’immigration juive à partir des années 1880.1

   Il semble qu’il existe en effet une certaine lecture, délibérément biaisée, de la “nouvelle” présence juive en Palestine. Ce qui est certain, c’est qu’en 1917, la Déclaration Balfour ne créait nullement un fait nouveau mais entérinait une réalité de plusieurs décennies. La population arabe de Palestine était familière depuis deux générations de ces immigrés juifs revenant sur la terre de leurs ancêtres, immigrés d’un type bien particulier du fait précisément de ce “retour”, de cette réappropriation, de cette reconquête, bien différente de celle des Croisés et d’ailleurs essentiellement pacifique, presque à la Gandhi, avant la lettre.

   Les Ottomans avaient laissé s’installer ces Juifs européens, d’ailleurs protégés par leurs pays d’origine et notamment par les consuls russes en Palestine et ils le firent sans que Herzl eut à le leur demander, ce qui montre à quel point le sionisme herzlien2, à bien des égards, n’a qu’un rapport assez secondaire avec la genèse de l’Etat d’Israël, quand on sait qu’en 1903, on envisageait encore dans les milieux sionistes la création d’un Etat dans ce qu’on appelait alors l’Ouganda, en Afrique Orientale. Pendant que les sionistes s’agitaient à Bâle, la présence juive en Palestine suivait son cours. Si quantitativement, elle restait médiocre, elle n’en constituait pas moins une réalité à laquelle les arabes étaient accoutumés, les Juifs européens faisaient désormais partie du paysage palestinien et y jouissaient d’une certaine légitimité et même d’une légitimité certaine du fait de leur Histoire et notamment de la Bible, livre repris en partie dans le Coran, notamment autour du personnage d’Abraham et de ses deux fils Ismaël et Isaac, dont le sacrifice était au coeur de l’Aïd El Qebir.

   Dans le cadre de l’Empire Ottoman, les Juifs de Palestine représentaient une composante parmi d’autres, vouée éventuellement, à une certaine autonomie, le jour où le dit Empire s’effriterait. Rappelons que les Ottomans ne sont pas des Arabes et que la présence juive en Palestine ne leur posait pas de problème majeur, en ce qu’elle relativisait d’autant, symboliquement, le poids des Arabes au sein de l’Empire, lequel Empire apparaissait comme une réalité post-arabe, comme une étape supplémentaire de l’Islam. Tout comme le Coran relayait la Bible, l’empire ottoman relayait le vieil ordre des choses arabe. Nous avons dit ailleurs ce que le nationalisme arabe du XXe siècle avait de régressif et de contre-islamique.3

   Dans l’immédiat, la Déclaration Balfour ne modifia guère la situation des Juifs en Palestine, il s’agissait simplement de prolonger et d’amplifier un processus bien amorcé sans lequel d’ailleurs une telle Déclaration n’eut probablement pu se faire.

   Certes, on nous objectera que Herzl n’était pas satisfait de la situation en Palestine ; en ce sens, il contribua à créer un hiatus entre le sionisme et la situation sur le terrain, tout comme les Britanniques, par leur Déclaration, purent donner l’impression d’une solution de continuité. Bien évidemment, les antisionistes ont beau jeu d’exploiter de tels flottements pour fragiliser le processus en question.

   Le cas Herzl est intéressant en ce qu’il finit toujours, tout prophète qu’il est ou qu’il se prétende, à prendre le train en marche. Il rejoint les sionistes dont il prend la tête et pour se donner de l’importance il va voir le Sultan pour qu’il lui accorde ce qui a de fait déjà été accordé, à savoir la possibilité pour les Juifs de se réimplanter en Palestine. Il n’obtiendra d’ailleurs rien de plus que ce qui avait déjà été acquis et déçu il recherchera, ailleurs, d’autres “solutions”, pour reprendre le sous titre de son Etat Juif (Judenstaat).

   De même les Anglais, pour légitimer leur présence dans la région trouveront la formule de la Déclaration Balfour, alors qu’eux-mêmes avaient fait d’autres propositions aux Sionistes, tout simplement parce qu’auparavant, ils n’avaient pas le contrôle de la dite région considérée d’ailleurs, depuis quelque temps, par les Ottomans comme ayant un statut à part relevant directement d’Istamboul, en raison des interférences et des pressions internationales impliquant le pouvoir central.4 Là encore, le statut particulier de la Palestine était devenu tout à fait évident dans le cadre de l’Empire Ottoman et ce dès 1887. C’est en cette année là, trente ans donc avant la Déclaration Balfour, que “le sandjak de Jérusalem devint un mustasarriflik (sous-gouvernorat) indépendant relevant directement de Constantinople et non plus de Damas”. Que comportait le sandjak de Jérusalem ? Jéricho, Jaffa (à proximité de ce qui allait être Tel Aviv), Gaza, Beersheba (dans le Néguev), Hébron et Bethléem, soit une région disposant notamment des lieux saints du christianisme - et ipso facto du judaïsme - aux consonances bibliques fortes. La Déclaration Balfour ne fera en fait que prendre le relais d’une préoccupation bien plus ancienne de la part des puissances européennes et dont les Ottomans avaient bien du tenir compte, faisant de la Palestine et singulièrement du sandjak de Jérusalem leur domaine réservé.

   Comment se manifestait sur le terrain cette nouvelle présence juive constituant un fait accompli bien avant 1917 et a fortiori bien avant mai 1948, date de la fondation de l’Etat d’Israël ? Morris parle d’implantations, reprenant ainsi un terme d’actualité. C’est précisément sur la base de ces implantations juives que par la suite le plan de partage, notamment en 1937, avec le plan Peel, va s’élaborer, pour dessiner les contours du futur Etat Juif de Palestine. On comprend mieux l’enjeu actuel des nouvelles implantations, dans la mesure où celles-ci sont susceptibles de peser sur un nouveau découpage - aujourd’hui symbolisé par un mur - entre l’Etat juif de Palestine - désigné sous le nom d’Israël - et l’Etat arabe de Palestine. Mais ajoutons aussitôt que s’il fallait se fonder sur de tels critères, une partie de la Galilée pourrait aussi bien être adjointe au dit Etat arabe de Palestine. Mais pour l’heure, nous voulions souligner à quel point cette problématique des implantations faisait écho au tout début de la nouvelle présence judéo-sioniste en Palestine, dès la fin du XIXe siècle et bien avant le premier Congrès Sioniste, au théâtre du casino de Bâle, en 1897.

   Si la Déclaration Balfour n’a nullement généré le retour des Juifs en Palestine, la résolution de l’ONU de 1947, à New York, constitue, à l’évidence, un recul par rapport à celle-ci et aux conditions du mandat britannique telles qu’elles figureront, un peu plus tard, dans les résolutions de la Société des Nations (SDN) de Genève, et dont la traduction dans les faits fut le passage de la “Cisjordanie” sous le contrôle de la Jordanie, initialement partie de la Palestine du mandat. C’est dire que dans le cadre du dit mandat, la partie arabe correspondait à la rive orientale du Jourdain, soit la Transjordanie, comme on l’appelait alors, par opposition à la Cisjordanie - au sens large et non pas au sens étroit actuel - affectée au Foyer Juif. Il reste que la résolution de 1947 entérinait un état de fait antérieur et ne le créait nullement tout comme la Déclaration Balfour entérinait elle aussi, on l’a fit, un état de fait antérieur.

   Force donc est de constater que c’est bien dans le cadre ottoman que le retour des Juifs prit tournure, avec l’aide d’un Rothschild français notamment et au profit de Juifs d’Europe Orientale, à la suite de l’assassinat en 1881 du tsar. L’on fera un étrange parallèle entre l’immigration juive russe de la fin du XIXe siècle en Palestine et celle du dernier tiers du XXe siècle et qui n’est pas sans conduire à une certaine russification de fait de la région. Là encore, ce n’est pas du tout un fait nouveau. Le sionisme reste largement une affaire russe et les Juifs ont pu être instrumentalisés au profit de l’empire russe puis soviétique. Tout se passe comme si la Palestine avait pour fonction première et prioritaire de résoudre la question juive en Russie. L’arrivée de Juifs venant d’autre horizons et notamment du Maghreb, nous apparaît, somme toute, comme un épiphénomène comparativement récent et relativement ponctuel, et qui contribue encore une fois à fausser les perspectives chronologiques. La présence juive en Palestine n’est ni le résultat de la Shoah, dans les années Quarante, ni celui de la décolonisation des pays arabes sous la coupe française, dans les années Cinquante-Soixante. Sans le noyau juif russe et sans le traitement des Juifs infligé par les Russes, est-ce que l’Etat d’Israël existerait aujourd’hui ? On peut en douter.

   Le fait que la Palestine ait été confiée aux Anglais et non aux Français confirme son statut particulier, dans la mesure où elle était antérieurement rattachée à la Syrie, qui passa sous mandat français. Rappelons qu’initialement, il avait été question d’un condominium franco-anglais sur la Palestine et que d’ailleurs, comme le rappelle Morris5, le nord de la Galilée était initialement sous contrôle français et n’était pas rattaché à la Palestine. D’ailleurs, nombre de Palestiniens demandèrent après la Grande Guerre à être rattachés à la Syrie. Tout se passe donc comme si la Palestine avait bel et bien était détachée, considérée à part par les Ottomans, à partir du moins de 1887, on l’a dit, du fait même des problèmes multiples et variés dont elle pouvait être le théâtre, ce qui pouvait à terme justifier des interventions étrangères. Rappelons aussi que la Guerre de Crimée (1854-1855) fut menée par les Français, les Piémontais et les Anglais, alliés aux Turcs contre le Russes toujours autour de la question des Lieux Saints. C’est donc, selon nous, cette date de 1887 qui est fondatrice de la reconnaissance de la spécificité de la Palestine, bien plus que la Déclaration Balfour.

   D’ailleurs, à partir du moment où l’empire ottoman laissait la place à différents nationalismes, le nationalisme juif, tel qu’il s’était mise en place au sein du dit empire, ne devait-il pas, au même titre que les autres être pris en considération, dans une logique de retour au passé, qui est le propre des dits nationalismes ? Le problème est qu’il ait été de facto confié à la même puissance, l’Angleterre, la gestion du problème juif et celle des nouveaux Etats Arabes, ce qui conduisit celle-ci à certains compromis aux dépends des Juifs, d’abord en accordant dès les années Vingt la partie de la Palestine, sise au delà du Jourdain aux seuls Arabe, puis en développant l’idée d’un partage de ce qui restait de la Palestine entre Juifs et Arabes.

   En conclusion, il importe de ne pas laisser le sionisme herzlien ou le sionisme balfourien occulter le fait qu’antérieurement à l’émergence de ces deux courants, la question juive avait déjà trouvé un point d’ancrage en Palestine - avec ce que l’on pourrait appeler un sionisme rothschildien - et ce sous les Ottomans musulmans, maîtres alors de cette région depuis près de quatre siècles et pouvant donc en disposer souverainement. On sait d’ailleurs comment Herzl s’efforça vainement de trouver un allié auprès du baron de Rotschild, avant de mettre en oeuvre un nouveau sionisme qui ne se focalisait d’ailleurs pas sur la seule Palestine. Les juifs russes jouèrent sur deux tableaux, profitant à la fois de la générosité du baron en poursuivant leur immigration et cherchant à s’organiser en mouvement, non sans d’ailleurs susciter, à partir de 1905 - Herzl mourut en 1904 - l’image d’une puissance juive tentaculaire et inquiétante, comme on en trouve l’écho dans certaines éditions russes des Protocoles des Sages de Sion.6

   Le reproche selon lequel les Anglais auraient disposé d’un territoire ne leur appartenant pas n’est donc pas recevable : ils ne firent en réalité que reconduire des droits déjà accordés aux Juifs précédemment ; ils ont en quelque sorte cédé aux Juifs des droits qui étaient déjà leurs ! Herzl, en minimisant ce qui avait été obtenu et réalisé avant lui, n’aura fait que fragilisé les droits des Juifs installés en Palestine ; en demandant une confirmation de ces droits, il n’aura fait que les hypothéquer. Garde moi de mes amis, de mes ennemis, je me garde.

   Faut-il ajouter que par la Déclaration Balfour, les Anglais en profitaient pour occulter le rôle de la France dans la restauration de la présence juive en Palestine. Avant la Première Guerre Mondiale, le rôle des Anglais dans le processus d’immigration des Juifs en Palestine était à peu près nul. C’est en pratique sous la houlette de la France que cette immigration s’amorça dans les années 1880.7 La Déclaration Balfour, adressée aux Sionistes, tenta d’occulter la présence française, manifestée au travers des colonies du baron de Rothschild, tout comme la Résolution de l’ONU tenta d’occulter la présence britannique. En 1947, la présence sioniste datait donc déjà de plus de soixante ans et les arabes palestiniens avaient largement eu le temps de se familiariser avec un tel phénomène.

   Qu’est-ce qui conduisit les Arabes à s’engager dans la dénégation des droits des Juifs à se réinstaller en Palestine ? Il semble qu’il se soit agi surtout d’un moyen de pression voire de chantage auprès des Anglais, un marchandage - le plan Peel est de 1937, un an avant les Accords de Munich signés notamment par le premier ministre anglais Arthur Neville Chamberlain - consistant à obtenir le maximum de concessions, tout en sachant très bien que les Juifs conserveraient un territoire, pour le moins constitué du réseau de leurs implantations et colonies. Ils réussirent ainsi à constituer dans le cadre de la Palestine du mandat, un Etat arabe installé de part et d’autre du Jourdain, - le Royaume de Jordanie - avec en prime la vieille ville de Jérusalem, initialement prévue comme devant avoir un statut international, laissant aux Juifs une bande littorale, véritable peau de chagrin. Rappelons que dans le plan Peel, Jérusalem restait sous contrôle britannique avec un couloir vers la mer.8

   On peut regretter que les Juifs aient mené une politique d’implantation assez malheureuse en Palestine. Ce n’est que bien plus tard - et un peu tard - on le sait, que des implantations juives s’établiront autour d’une ville comme Hébron, où se situe le tombeau d’Abraham. Il nous apparaît - et ce notamment durant le mandat britannique - que la politique d’implantation agricole juive aurait du être complétée par une certaine présence juive dans les grandes villes de l’intérieur du pays, ce qui n’aurait pas permis la séparation entre une zone arabe et une zone juive. L’urbanisation des Juifs, dans l’Entre Deux Guerres, aura été insuffisante, payant ainsi un dur tribut à l’idéologie du retour à la terre.

   La Palestine, enfin, est un lieu qui fait problème pour l’Islam, en ce qu’il est le rappel vivant de sa généalogie, lieu de mémoire par excellence où les monothéismes se superposent - comme avec ces mosquées, pleines de superbe, qui trônent au coeur de la ville - et s’entrechoquent au point que l’on peut se demander si la raison première de l’intérêt de l’Islam pour cette région n’est pas inconsciemment d’en interdire l’accès. Quant aux prétentions de l’Islam sur Jérusalem, elles ne sont jamais que l’aveu d’un emprunt et d’un mimétisme sinon d’un vol dont on ne saurait se targuer sans un certain cynisme. Jérusalem serait le corps du délit, la pièce à conviction.

   On voit, en tout cas, que la question de Palestine est un avatar des tentatives de dépossession de droits et de délégitimation des Juifs, sous les prétextes les plus divers, ce qui justifie une relève, un remplacement sinon une imposture. Il leur est imputé tel crime pour conclure qu’ils ont démérité et qu’ils doivent se défaire de ce qui était leur et cela va du déicide aux exactions sur les arabes palestiniens. On pourrait parler de miracle négatif, c’est-à-dire d’un événement supposé interrompre un processus, ce qui est le cas par excellence de l’accusation de déicide. Un des arguments du Coran n’est-il pas que des erreurs se sont glissé dans les Ecritures, ce qui fait que ceux qui en étaient les gardiens doivent être congédiés au profit de plus méritants ? C’est toujours plus ou moins la scène du meurtre du (mauvais) père qui se joue à l’encontre des Juifs. La Palestine a été à plusieurs reprises le théâtre de la dépossession du Juif : déicide, exil, partage. Elle est désormais le lieu où la Shoah, elle-même, serait effacée, niée, en raison de ce qui se passe du fait de l’Intifada au point que notre titre volontairement ambigu de dépossession a certainement pu être lu comme visant le sort des Arabes palestiniens.

Jacques Halbronn
Paris, le 10 juin 2004

Notes

1 Cf. B. Morris, Victimes. Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste [1881-1999, selon le titre anglais original], Paris, Ed. Complexe, 2003. Retour

2 Cf. notre ouvrage Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2004. Retour

3 Cf. “Les Juifs comme mémoire de l’Humanité”, Encyclopaedia Hermetica. Retour

4 Cf. Morris, Victimes, op. cit. p. 21. Retour

5 Cf. Victimes, op. cit., p. 108. Retour

6 Cf. Le sionisme et ses avatars, op. cit. Retour

7 Sur les pressions française sur la Turquie, notamment vers 1901, voir Le Sionisme et ses avatars, op. cit. Retour

8 Cf. Henry Laurens, La question de Palestine, tome 2, 1922-1947, Paris, Fayard, 2002, pp. 405 et seq. Retour



 

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