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PALESTINICA

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Les Arabes et le problème de l'altérité

par Jacques Halbronn

    Ce qui distingue Juifs et Arabes pourrait bien tenir à leur façon de gérer l’altérité, c’est-à-dire leur rapport à ce qui n’est pas soi. Le Juif semble mieux capable de s’adapter et de procéder à des convergences impliquant un certain rapprochement des positions respectives. En revanche, l’Arabe préfère apparemment une certaine fixité des positions, comme si cela le rassurait. Qu’il ait à changer ou que l’autre aille dans son sens, il y a pour lui quelque chose de suspect ; l’arabe préconiserait plutôt un monde où chacun s’en tient à ses positions. La grille que nous proposons passe par une anthropologie du masculin et du féminin au niveau des comportements politiques.

Sommaire :

1 - Histoire de l’intégration des Arabes
2 - Du refus de reconnaissance des Juifs ou le supplice de Procuste
3 - La dimension adolescente de la révolte arabo-maghrébine
4 - Le mythe du monde arabe et la question palestinienne


1

Histoire de l’intégration des Arabes

    Chaque peuple se caractérise par son aptitude et son mode d’intégration. On s’intéressera ici à l’intégration des Arabes à différentes époques de leur Histoire avec, bien entendu, des éléments de comparaison, notamment avec les Juifs.

   Nous proposerons préalablement une typologie, en distinguant mentalités masculine et féminine.1 Serait masculine une attitude disposée à procéder à une sélection de certains traits et féminine une attitude réticente, pour le moins, à tout élagage en vue de faciliter un processus d’intégration. Autrement dit, l’attitude féminine refuse les contraintes, affirme une certaine liberté alors que l’attitude masculine implique de se plier au principe de réalité mais aussi éventuellement de mort et de ne pas se soumettre au principe de plaisir, pour employer une distinction freudienne.

   Selon nous, les Arabes se caractériseraient par une conduite féminine, c’est-à-dire qu’ils préfèrent affirmer leur liberté quitte à sacrifier la cohérence d’un ensemble plus vaste auquel ils appartiennent, et n’y pouvant demeurer qu’au prix d’une certaine hétérogénéité propre aux Empires. En revanche, dans un Etat très centralisé, la présence arabe quand elle ne constitue qu’une composante minoritaire et plus ou moins marginale pose problème et est perçue comme étrangère.

   Dans le cadre d’empires - et on pense aussi bien à l’Empire Ottoman qu’à l’empire colonial français - le peuple arabe se situe dans un cadre qui lui convient assez bien, en raison même de la diversité des peuples qui s’y trouvent, pour paraphraser une formule célèbre, emprisonnés. Un Empire peut-il en effet prétendre à autre chose qu’à une unité de surface ? Un tel Empire encourage une certaine féminisation de ses composantes, en ce que chacune doit tolérer l’autre et n’a pas de gros efforts d’adaptation à fournir.

   Or, qu’est-ce que l’adaptation si ce n’est un certain travail de transformation de soi ? Cette adaptation n’est pas seulement exigée explicitement par le milieu mais implique des changements que l’entité censée s’adapter doit déterminer et qu’elle seule, au demeurant, est véritablement en mesure de décider. En ce sens, notre conception de l’évolution des espèces n’est pas passive mais active, ce qui signifie une prise d’initiatives, une certaine transformation que l’on s’impose à soi-même au vu de l’analyse que l’on fait de la situation à accepter et jusqu’à quel point.

   Les Arabes ont vécu depuis des siècles - depuis le XVIe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle - dans un cadre impérial et ils y ont développé des traits que nous avons qualifié de féminins, c’est-à-dire que leur sens de l’adaptation n’a pas eu à s’exercer considérablement. C’est ainsi qu’au sein de l’Empire colonial français, ils ont maintenu - et cela est frappant pour l’Algérie - une spécificité qu’ils ont finalement, en règle générale, préféré à une véritable intégration rendue pourtant a priori possible par l’annexion par la France de cette région.

   Un tel échec intégratif dont nous avons dit qu’il était le fait des intéressés qui n’ont pas su opérer le bon tri parmi un certain nombre de traits plus ou moins acceptables par autrui est assez manifeste dans la France métropolitaine, dans une période postérieure aux indépendances maghrébines, conduit au communautarisme, propre aux structures impériales alors même que la France a renoncé à son empire, pour en avoir perçu les dangers. Or, une certaine mentalité impériale persiste dans la période post impériale et c’est cela qu’il convient de signaler. Le cas du Liban est emblématique du maintien d’une attitude propre à l’Empire Ottoman, alors que n’existe plus un tel Empire : “Héritière unique de l’Empire ottoman, du fait de la persistance des communautés en tant que systèmes de pouvoirs centrifuges, la société libanaise est l’ “homme malade” du XXe siècle, tout comme l’empire avait été l’ “homme malade” du XIXe siècle”.2

   On comprend d’ailleurs pourquoi les Empires se disloquent et ce non pas tant du fait de la volonté d’indépendance de leurs composantes que de par un besoin de la puissance dominante d’une certaine homogénéité dont le manque est durement ressenti, et ce en dépit des satisfactions liées à la domination impériale. C’est ainsi que les Jeunes Turcs tentèrent de turquifier l’empire ottoman, ce qui aurait provoqué le rejet de celui-ci par ses populations arabes. Mais on conçoit ce que de telles explications ont d’insuffisant : dans bien des cas, l’Empire est bel et bien un boulet pour celui qui semble en être le premier bénéficiaire. Et cela vaut pour la décolonisation française tout comme trente ans plus tard pour le démembrement du bloc communiste, à la fin des années 1980.

   On aura compris que le fait de vivre au sein d’un Empire, qu’il soit le fait de la guerre ou de quelque entreprise diplomatique de plus ou moins grande envergure laisse des stigmates. Il n’est d’ailleurs pas indifférent que l’on parle de communautarisme en France alors même que celle-ci se situe précisément au sein d’un ensemble de type impérial, à savoir l’Union Européenne.

   Pour en revenir à la formulation proposée plus haut, l’Empire tend à féminiser ceux qui en sont les acteurs en ce que ses capacités d’intégration sont relativement limitées du fait de l’éclectisme de ses parties. L’avantage d’appartenir à un Empire, c’est précisément de maintenir une certaine liberté d’expression, laquelle peut d’ailleurs, paradoxalement, être affaiblie lorsque le dit Empire se défait. C’est ainsi que la Tchécoslovaquie ne survivra guère à la fin de l’empire communiste et se scindera en une Tchéquie et une Slovaquie, dans une quête “masculine” d’intégrité et de cohérence interne de la part de ses composantes.

   C’est dire que les Maghrébins importent en France métropolitaine un certain esprit impérial, ce qui risque de conduire à une forme de libanisation de celle-ci dont on sait à quel point cela est synonyme de déchéance de l’Etat. C’est le retour du refoulé : l’esprit de l’empire colonial que l’on croyait appartenir à une époque révolue revient en force par le truchement de la “communauté” maghrébine en France, laquelle d’ailleurs se divise en arabes et berbères (kabyles).

   Reconnaissons que ces distinguos ne sont pas si faciles à cerner : le besoin de liberté pourrait apparaître aussi bien comme masculin que comme féminin. Mais ce n’est pas de la même liberté qu’il s’agit : dans un cas la liberté, sous le joug impérial, implique que chaque composante fasse entendre sa voix, en sachant que par ailleurs la structure impériale veille à l’unité de l’ensemble et à la cohabitation des diverses entités alors que dans l’autre, il s’agit d’un refus de cohabitation qui implique de “reprendre” sa liberté, pour retrouver une plus grande homogénéité. Deux logiques se heurtent ici : l’une qui est un délire spatial des grandeurs, vers une expansion maximale incluant des populations de plus en plus inassimilables mais pouvant accepter de vivre sous la férule impériale et l’autre qui est un délire jacobiniste, cherchant à forger une unité impliquant un fort coefficient d’uniformité et supportant mal tout particularisme et qui n’est pas sans correspondre à un certain fascisme. Ce qui distingue fascisme et communisme - que parfois l’on cherche à confondre- c’est précisément que le communisme est plus apte à servir de socle impérial que le fascisme, dont on sait qu’il peut déboucher sur le génocide (Shoah) dans sa quête de “pureté”. Nous pensons d’ailleurs qu’il s’agit là d’un processus cyclique favorisant tour à tour ces deux régimes.3

   Quelles sont les contraintes d’un régime “masculin” ? Le creuset - melting pot - de l’intégration au sein d’un Etat fortement unitaire, implique que toutes les différences soient fortement résorbées. Cela ne signifie pas pour autant que celles-ci aient à disparaître radicalement mais qu’il y ait adaptation des composantes les unes aux autres aux fins de parvenir à un consensus fort. Voilà qui exige que chaque composante procède à l’élagage de ce qui est inassimilable. Comme on l’a dit plus haut, si une composante ne parvient pas à mener à bien celui-ci, elle risque soit d’être perçue comme non assimilable, soit de disparaître en raisons de concessions exorbitantes : il y a donc un juste milieu à trouver. En cela, les Juifs savent beaucoup mieux que les Arabes s’inscrire au sein d’un Etat unitaire, en tant que minorité, ce qui explique d’ailleurs que les judéités puissent tant différer d’un Etat à un autre. La capacité des arabes à s’intégrer au sein d’un Etat unitaire non arabe nous semble des plus limitées. Et c’est pourquoi, les Arabes vivant en France ne peuvent que souhaiter une Europe élargie et qui plus est à la Turquie, laquelle sera forcément plus tolérante, par la force des choses. Nous avons dit a contrario ce que la France avait à perdre dans toute aventure impériale, tant coloniale qu’européenne et en ce sens nous serions classé comme souverainiste.

   Le nazisme défendait à l’évidence l’idée d’une forte homogénéité pangermanique mais en même temps, il sera happé, durant un certain temps, par les effets pervers de ses conquêtes militaires et notamment de régions vivant dans un cadre impérial, l’Europe Centrale et Orientale étant fortement marquées par une telle tradition alors que l’Europe Occidentale serait plus unitariste et donc moins marquée par l’impérialisme, du moins sur le continent européen, les principaux empires coloniaux ayant leur métropole à l’Ouest de l’Europe tandis qu’à l’Est de l’Europe, on a affaire à des conglomérats de minorités (Autriche Hongrie, Russie, Empire Ottoman).

   On voit que pour nous une certaine frontière coupe l’Europe en deux, une Europe masculine à gauche, une Europe féminine à droite. Mais le rapport Nord Sud vient singulièrement complexifier la situation avec les séquelles des empires coloniaux des puissances de l’Ouest européen et notamment pour la France. Le drame pour la France, c’est d’avoir eu à prendre le relais de l’empire ottoman, tant au Maghreb qu’au Levant et d’avoir hérité de populations partageant une toute autre idée, communautariste, de l’intégration.

   L’Empire colonial français fonctionnait en réalité à deux vitesses puisqu’il était parvenu de par l’éloignement relatif entre la métropole et outre-mer à ce que l’une vécût selon un certain jacobinisme tandis que l’autre persistait dans une mentalité de type impérial, avec une idée beaucoup moins astreignante de l’intégration et de l’assimilation. Dans un cas, intégration masculine, dans l’autre, intégration masculine.

   Le problème des Maghrébins en France désormais uniquement métropolitaine, c’est qu’ils ne semblent pas avoir compris que l’intégration qui leur était demandée était d’un tout autre ordre que celle qui présidait dans l’Empire Ottoman et sous l’empire colonial français. Cette intégration de type jacobiniste exige de lourds sacrifices identitaires dont on connaît certaines données débattues à propos du voile. Mais le véritable problème dépend d’initiatives des maghrébins eux-mêmes pour que tout cela ne conduise ni à leur rejet, ni à leur totale assimilation au sein de la société française. Il leur revient de réformer leur comportement, d’eux-mêmes et pas seulement sous la contrainte, de se demander dans quelles conditions leur intégration en France pourrait réussir. A eux de faire les choix leur permettant de trouver un équilibre, bref de savoir s’adapter de telle sorte que la société française puisse éventuellement évoluer dans leur sens et adopter certaines valeurs qui sont leurs. Or, tout semble au contraire indiquer une politique du tout ou rien de leur part et au vrai une grande difficulté à élaguer, à trier, qui est le propre de ce que nous avons appelé une attitude féminine, laquelle tendrait plutôt vers une solution impérialiste ; à savoir la cohabitation, bon an mal an, de multiples entités ne convergeant que sur la reconnaissance de certaines institutions.

   Si l’on considère le cas israélien, qui ne saurait passer pour l’exemple d’une intégration “masculine”, chacun restant sur ses positions, d’un point de vue français, on aurait tendance à diagnostiquer l’existence de deux entités devant vivre séparées. Mais cela est encore plus vrai, peut-être du côté anglais, ce qui conduira aux plans de partition/partage de la Palestine comme de l’Inde, avec l’émergence du Pakistan musulman. On peut raisonnablement se demander s’il n’y a pas eu là un contresens dans la politique impériale britannique, à savoir le fait de plaquer sur l’empire en question les valeurs de la société anglaise ou de la société ouest-européenne. Autrement dit, au lieu de mener une véritable politique impériale impliquant la cohabitation et la coexistence de diverses communautés, les Anglais crurent bon de séparer celles-ci au nom d’une certaine homogénéité religieuse notamment.

   Nous diagnostiquons donc un hiatus entre l’appartenance des puissances coloniales à un régime sociétal fortement centralisé et unitaire et la présence au sein des empires concernés de populations fort différentes mais dont la cohabitation exigeait en fait le maintien des dits empires bien plutôt que leur séparation. Les guerres israélo-arabes auront montré les limites de la solution de type partage. Il est probable que le maintien de la présence britannique au Moyen Orient aurait évité les dites guerres. Cela dit, la conception de l’Etat Juif semble avoir été marquée par une conception extrêmement unitaire, excluant la cohabitation de communautés non juives au sein du dit Etat ou Foyer, ce qui est une source d’incompréhension au sein du monde post-ottoman, marqué par une certaine tolérance entre diverses entités. C’est en fait la théorie de l’Etat qui ferait problème avec les Juifs. Placés eux-mêmes en situation “impériale” au lendemain de la Guerre des Six Jours, l’Etat Hébreu n’a apparemment pas su élaborer une politique satisfaisante qui eut permis la cohabitation entre plusieurs religions. Il eut fallu pour cela qu’il renonçât à une conception démocratique de la société, peu compatible avec un régime de facto impérialiste. On nous objectera peut-être qu’un Théodor Herzl4 était un ressortissant de l’empire austro-hongrois. Rappelons que Herzl, dont on célèbre cette année le centenaire de la mort, passa de longues années à négocier avec le Sultan de Constantinople pour que celui-ci inclut dans son empire une entité judaïque. On est bien loin ici de l’idée d’un Etat indépendant. Il s’agirait là plutôt de l’intégration d’une entité juive au sein d’un ensemble impérial plus vaste. Il est regrettable que le sultan n’ait pas compris qu’une telle immigration juive était assimilable à une conquête de sa part tant il est vrai qu’un empire s’étend à la fois par ses acquisitions territoriales que par les ralliements qu’il suscite. Là encore, de notre point de vue ouest européen, il est difficile de cerner un tel projet sioniste qui ne faisait en fait nullement abstraction des arabes mais comptait sur la dynamique impériale pour garantir une coexistence pacifique, où chacun préserverait sa spécificité ; pour Herzl, l’empire ottoman fonctionnait peu ou prou comme l’Autriche Hongrie et le sultan était une sorte de François Joseph. Le paradoxe, c’est que le projet herzlien ne prit tournure qu’au moment où l’empire ottoman s’effondrait : il est probable que dans un premier temps, les Arabes, encore marqués par des siècles de régime impérial consentirent à l’installation d’un Foyer Juif. Si l’Angleterre avait su vraiment prendre le relais, les choses auraient pu se faire à peu près dans le calme mais l’Angleterre aussi était au bout du rouleau et avait perdu la fibre impériale et était en faveur d’un cloisonnement des communautés. Or, dès lors que l’on se trouve avec des entités complètement séparées, celles-ci n’ont généralement rien de plus pressé que d’empiéter les unes sur les autres, n’ayant plus d’arbitre accepté par tous comme c’est censé être le cas sous un régime impérial. Nous avons déjà signalé, ailleurs, que si la France n’avait pas liquidé son empire colonial à la fin des années 1960, elle eut probablement pu conserver l’Algérie, au sein d’un ensemble composite “féminin” auquel selon nous les arabes étaient prêts à participer. Mais c’est le mélange des deux attitudes masculine et féminine qui allait être détonnant : les juifs d’Algérie ralliaient le modèle masculin et parvenaient à s’y intégrer à la différence des musulmans d’Algérie, ce qui faisait deux poids, deux mesures, au sein d’une structure mixte. La France, d’ailleurs, n’est-elle pas vouée, par ailleurs, à des solutions mixtes sinon hybrides, notamment en économie, où le privé et le public sont intriqués ? C’est ce qui rend la lecture de la vie politique et économique française assez déconcertante.

   En conclusion, nous voudrions éviter que l’on caricature l’attitude que nous avons qualifiée de masculine : il ne s’agit pas simplement pour une nouvelle entité de se plier au consensus déjà existant mais bien de faire évoluer celui-ci suffisamment pour s’y sentir à l’aise. Il ne s’agit pas de rester sur son quant à soi, mais bel et bien de résorber autant que faire se peu le décalage existant préalablement à l’intégration entre les valeurs de la société d’accueil et celle de l’entité vouée à s’y intégrer. Autrement dit, en ce qui concerne le cas musulman, la seule issue n’est pas le communautarisme mais bien une certaine islamisation de la société française toute entière passant, en contrepartie, par une francisation des Musulmans de France. La proposition de loi (Stassi), rejetée, d’un jour férié de la République correspondant à l’Aid El Qebir nous semble illustrer dans quel sens il conviendrait d’aller, tout comme celle, acceptée, d’interdire certains signes ostensibles, ce qui concernait non pas le signifié mais le signifiant et impliquait que les Musulmans modifient leur façon de manifester leur identité religieuse. Il y avait là bel et bien un équilibre heureux, qu’il aurait fallu par la suite renforcer par d’autres concessions de part et d’autre. Le problème du communautarisme a contrario tient au fait que chacun reste sur ses positions au nom d’une certaine tolérance. Or une telle idée de tolérance ne peut que conduire à une hétérogénéité sociale incompatible avec la logique historique de la société française.

   Il convient d’insister sur l’importance des phénomènes de hiérarchisation sociale : dans une société communautaire, chaque entité constitue sa propre hiérarchie sans se reconnaître dans celle d’autres entités alors que dans une société unitaire, une seule hiérarchie est de mise, au nom des valeurs communes reconnues par tous.

   Il convient d’insister sur l’importance des phénomènes de hiérarchisation sociale: dans une société communautaire, chaque entité constitue sa propre hiérarchie sans se reconnaître dans celle d’autres entités alors que dans une société unitaire, une seule hiérarchie est de mise, au nom des valeurs communes reconnues par tous.

   Pour mieux comprendre ce que nous entendrons par sociabilité masculine et sociabilité masculine, disons que lorsque des hommes se réunissent, ils s’efforcent de parvenir à une unanimité qui fasse converger les participants vers un certain consensus non pas a priori mais a posteriori tandis que lorsque des femmes se réunissent, on tendrait plutôt à une juxtaposition des points de vue, sans trop se soucier de la cohérence d’ensemble et sans accomplir surtout un véritable travail de refonte.

   Il semble en revanche que, de toute bonne foi, les Musulmans rêvent d’une société où chacun vivrait à sa façon, voire selon sa langue, et où les différentes communautés se côtoieraient. D’où leur instrumentalisation des Juifs dont ils voudraient réveiller le communautarisme, notamment chez les Juifs issus de structures impériale (Autriche-Hongrie, Empire colonial français notamment). Il y a là une pomme de discorde entre Juifs et qui menace le monde juif plus encore que les divergences entre juifs religieux et laïques. On notera d’ailleurs que la société juive israélienne évolue assez nettement vers une sorte de communautarisme - on ne parle pas ici des Arabes israéliens - avec notamment les juifs issus du monde russophone. Le problème est celui de la contamination entre les deux systèmes sociétaux. Tantôt, c’est l’un, tantôt c’est l’autre qui marque des points et il est d’ailleurs probable qu’aucun système ne peut se développer indéfiniment : une certaine touche de communautarisme doit se maintenir, ce qui permet de faire des statistiques utiles, étant donné que nous pensons que chaque population puisse être porteuse de certaines aptitudes dont il serait dommage de ne pas profiter. Inversement, il est essentiel que chaque individu, issu de croisements et de mélanges divers puisse apporter, par delà le déterminisme de ses origines, une contribution originale, sans être victime de préjugés. C’est grâce à une telle dialectique qu’une société saura gérer au mieux les ressources de ses membres. Et une telle procédure ne date pas d’hier.

   Une politique de conquête ou d’immigration implique une part de communautarisme pour intégrer des éléments allogènes mais tôt ou tard il conviendra de trouver un moyen terme entre les différentes composantes de l’ensemble ainsi élargi et ce au prix d’une évolution de part et d’autre. Si la société d’accueil est trop rigide ou si le groupe nouvellement agrégé n’est pas capable d’évoluer, on risque d’aboutir à un rejet du dit groupe et à sa marginalisation, à la périphérie de la dite société. Inversement, si la société d’accueil est par trop hétérogène, l’arrivée d’éléments allogènes ne pourra qu’accentuer cette tendance et contaminer l’ensemble. C’est dire que la conquête et l’immigration, dont on a dit à quel point les deux processus convergeaient, sont des tests pour mesurer la dynamique des sociétés humaines et des moyens incontournables pour éviter leur sclérose.

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2

Du refus de reconnaissance des Juifs
ou le supplice de Procuste

    Ce qui nous choque le plus dans le comportement des Musulmans à l’égard des Juifs, où qu’ils soient, c’est un certain manque de reconnaissance, en prenant ce terme dans ses différents sens. Il semble en effet que chez nombre de Musulmans, il y ait un parti pris de réduire les Juifs à une population comme une autre, ce qui nous semble relever d’une certaine perversité qui fait penser à l’acharnement de certains révolutionnaires à traiter le roi de France, héritier d’une longue dynastie, comme le premier citoyen venu.

   Mais en même temps, ces Musulmans savent très bien ce qu’il en est du peuple juif et cela fait penser au fils qui à la fois manque de respect à son père et en même temps est parfaitement conscient de sa filiation. Il y a là pour le moins ambivalence.

   Il y a un certain plaisir à abaisser celui qui était perçu comme supérieur, l’abaisser pouvant consister à imposer à l’autre le régime commun, sans passe droit, sans dérogation. Pour nous, refuser aux Juifs des conditions de vie particulières, vouloir les forcer à entrer dans un cadre inadéquat, est de l’antijudaïsme. Est-ce qu’un musulman peut dire aux Juifs : “vous êtes des gens comme tout le monde”, “vous devez vous plier à la règle commune” ?

   Nous qualifierons de féminine une telle attitude qui voudrait que l’autre soit un égal alors que la conception masculine reconnaît une hiérarchie.5 Si on prend le cas de la queue, tout le monde doit faire la queue, sans tenir compte de l’âge, de la maladie. Chacun individu est une unité et chaque groupe ne vaut que par le critère numérique.

   La situation au Proche Orient est emblématique d’un tel état d’esprit, qui veut que les arabes palestiniens aient les mêmes droits que les juifs palestiniens, pour employer le terme Palestine qui avant la création de l’Etat d’Israël désignait l’ensemble de la région placée sous mandat britannique.

   Selon une logique féminine, en effet, un groupe en vaut un autre, abstraction faite de leurs histoires respectives. On ne saurait trouver une grille aussi peu adéquate pour apprécier la situation en Palestine, si imbriquée dans des enjeux historiques complexes. C'est ainsi que les Musulmans voudraient appréhender le problème avec des outils inappropriés et l’on peut se demander s’ils ne le font pas délibérément, à la façon d’un Procuste choisissant systématiquement des supports trop grands ou trop petits pour ses victimes, d’où l’expression “lit de Procuste” (ou en hébreu, lit de Sodome). Ne pourrait-on dès lors parler d’un antijudaïsme procustéen consistant à imposer aux Juifs des critères non conformes à leur condition ? On peut imaginer toutes sortes de manifestation d’un tel égalitarisme pervers et sadique consistant, par exemple, à faire courir jeunes et vieux, hommes et femmes, sans vouloir tenir compte des différences d’âge ou à imposer pareillement le riche et le pauvre, par les impôts indirects ou par la capitation.

   Il nous semble percevoir, chez les Musulmans, ce type de cruauté jubilatoire, de mesquinerie sordide, dans la question palestinienne. La façon dont les Musulmans traitent les Juifs est honteuse et effrontée, dès lors que l’on se situe dans une perspective biblique qui, a priori, doit être celle de l’Islam.

   Comment nier en effet les liens qui relient les Juifs à la Palestine et comment nier que les Juifs aient droit à un certain respect et ce en dépit de leur petit nombre et non pas en fonction de ce petit nombre ? Ces calculs d’épicier qui ont prévalu lors du partage de la Palestine, quant à la proportion de Juifs présents dans telle ou telle région de la Palestine nous semblent être le fait de gens qui ne respectent pas et ne veulent pas respecter un peuple qui est à part. Notre jugement serait évidemment différent si les populations du Proche Orient n’étaient pas musulmanes mais elles le sont, quand elles ne sont pas chrétiennes avec ce que cette religion implique, elle aussi, de reconnaissance du fait juif. Notre jugement serait également différent si la région concernée n’était pas précisément la Palestine.

   Il faut une singulière sécheresse de coeur pour traiter les Juifs de la façon dont arabes musulmans et chrétiens les ont traités au XXe siècle et au début du siècle suivant, au nom de critères purement bureaucratiques. Sans faire un parallèle avec l’attitude des nazis à l’égard des Juifs, on retrouve en effet en marche une certaine bureaucratie aveugle qui ne veut voir dans les Juifs, pour les exterminer ou pour les ghettoïser, que des colonnes de chiffres, raisonnant par tête de bétail. Or, qu’est ce que le partage de la Palestine sinon un processus de ghettoïsation, d’isolement ? Car une chose est d’assigner à la Palestine d’être l’espace où se retrouveront les Juifs dans un futur plus ou moins proche - avec tout ce que peut avoir de messianique une telle perspective, autant cette façon de chipoter aux Juifs des pans entiers de la Palestine, sous un prétexte ou un autre est-elle carrément odieuse ? On nous parle certes des populations arabes demeurant sur place. Mais les exemples sont innombrables de transferts de population, au sein même de l’empire ottoman, cela fait partie de l’exercice du pouvoir que d’y recourir dans l’intérêt supérieur des peuples. Or qui contestera les maux que le non transfert aura occasionnés au cours des décennies ? Le fait de ne pas accorder aux Juifs le bénéfice de tels transferts pratiqués ailleurs est également l’expression de ce que nous avons appelé l’antijudaisme procustéen.

   Le pire, c’est que c’est en toute bonne conscience parfaitement démagogique que l’on peut arguer du respect de principes humanitaires pour n’en persécuter que mieux les Juifs. Quand on sait que six millions de Juifs sont morts, lors de la Shoah, faute de pouvoir être convoyées en Palestine, malgré les promesses de la Société des Nations, entérinant la Déclaration Balfour, et ce de gré ou de force - là encore il s’agit d’un transfert de population - l’on voit à quel point de telles arguties apparaissent comme criminelles. Comment les Musulmans ne se féliciteraient pas de cet échec dont ils sont largement responsables, du fait des pressions exercées sur la puissance mandataire britannique laquelle, finalement, n’a pas grand chose à envier au régime nazi dans sa façon de traiter de façon inhumaine la question juive.

   Car être “humain” ne consiste certainement pas à traiter quantitativement les gens comme un troupeau indifférencié, mais de respecter qualitativement certains paramètres liés à la mémoire, à la religion, à l’Histoire et qui font des Juifs un patrimoine de l’Humanité que l’on ne saurait aborder avec tant de désinvolture.

   Il est quand même étonnant de devoir constater que Chrétiens et Musulmans qui doivent les uns et les autres tant au judaïsme ne se soient pas entendu, pour accorder aux Juifs un retour paisible sur la terre - au demeurant bien étroite et modeste - qui leur est assignée par les Saintes Ecritures. En réalité, nous pensons bel et bien qu’un tel accord exista mais qu’il fut désavoué. Tout comme il y a un négationisme du mal qui fut fait aux Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale, il y a un négationisme du bien qui leur fut accordé à la fin de la Première Guerre Mondiale. Et bien entendu, ce double négationisme ne fait qu’ajouter à la façon ignoble de traiter les Juifs en les réduisant à une population comme les autres, alors même que l’on sait ce que tant l’Islam que le christianisme ont emprunté au judaïsme. Quelle ingratitude !

   Herzl était un prophète : son analyse de la situation des Juifs de son temps n’était peut-être pas inattaquable mais l’avenir allait, en tout cas, lui donner largement raison, du fait même des occasions manquées et des promesses non tenues. Si le bien, l’espoir annoncés ne furent pas accordés sinon chichement, le mal, l’humiliation, en revanche, furent déversés sur les Juifs à profusion.

   Non pas que nous soyons sioniste et pensions que la solution israélienne soit une bonne formule mais à partir du moment où cette option avait été acceptée par les puissances de l’époque, il fallait en assumer toutes les conséquences et évacuer les Arabes de la Palestine occidentale en favorisant l’immigration juive au lieu de la refouler. Si l’Humanité avait procédé ainsi, en temps utile, nul doute qu’elle aurait quelque raison de fierté pour son bilan moral au XXe siècle. Au lieu de cela, le peuple juif s’est trouvé placé, tant à Auschwitz qu’en Palestine dans des situations humainement insupportables.

   En vérité, ce qui est le plus remarquable, c’est de ne pas parvenir à des solutions et cela nous semble caractéristique de la féminisation des mentalités, chacun restant sur ses positions au lieu de modifier celles-ci et celles de la partie adverse pour parvenir à un nouveau consensus s’imposant à toutes les parties. Le monde monothéistique n’est donc pas parvenu à s’entendre autour de la question juive dont on sait qu’elle n’est étrangère socialement et historiquement ni aux Chrétiens ni aux Musulmans. Echec diplomatique de première grandeur entre Islam et Chrétienté : que dans les décombres de l’empire musulman une solution viable n’ait pu être trouvée, cimentée, au niveau territorial, est un scandale pour l’intelligence et la marque insigne d’un manque de générosité. Quel gâchis !

   Pour en revenir à ce que nous disions au départ, il est hors de question de continuer à faire semblant de considérer les Juifs comme une population comme les autres, même si chaque individu juif, par ailleurs, doit être perçu par delà une telle appartenance. En ce qui nous concerne, il ne s’agit pas de surinvestir ce qui se passe en Palestine. Ce n’est pas là que le destin des Juifs se jouera au XXIe siècle ou du moins il faut l’espérer. Les Juifs sont partie prenante de la civilisation dite judéo-chrétienne. Que les Musulmans assument leur refus d’Israël et leur refoulement des Juifs hors de leur espace puisqu’ils ne se présentent pas, pour leur part, comme une civilisation judéo-islamique. Comme nous l’avons écrit il y a déjà quelque temps6, on a les Juifs que l’on mérite et Israël est le Juif du monde arabe, pour le pire et pour le meilleur, il est le Juif tel que le monde arabe l’a façonné ! Le rôle des Juifs dans le monde judéo-chrétien n’a pas grand chose à voir avec l’aventure sioniste. Nous avons déjà souligné le rôle irremplaçable des Juifs dans l’avancement des sciences sociales. Il est fort probable, d’ailleurs, que le progrès dans ce domaine permettra dans les décennies à venir de mieux comprendre la nature du phénomène juif et cela n’ira probablement pas dans le sens de Herzl dont on fête en 2004 le centenaire de la mort, si ce n’est dans la conscience d’une différence à la fois irréductible et à la fois parfaitement complémentaire et intégrable au sein du monde occidental. Ce que Herzl ne semble pas avoir compris, en effet, c’est à quel point l’être juif reposait sur l’individu juif porteur de tout un capital ancestral et non sur une identité collective. Hitler, en revanche, l’avait bien compris qui s’en prenait aux Juifs, quel que soit leur âge, quel que soit leur adhésion au judaïsme. D’ailleurs, il semble bien que rien de bon ne puisse sortir d’une solution juive fondée sur le rassemblement, qu’il s’agisse des camps de concentration ou de l’émigration de masse vers la Palestine. En paraphrasant Clermont Tonnerre, au lendemain de la Révolution, on dira que ce n’est pas tant le peuple juif dans sa globalité qui compte mais bien ce dont chaque Juif est héritier, du fait qu’il a accès à une certaine mémoire inconsciente, ce qui n’a pas grand chose à voir ni avec le modèle israélien ni avec le modèle religieux.

   En conclusion, il nous apparaît que le monde arabe entretienne avec l’autre des rapports de défiance ou au mieux d’indifférence. Il lui est difficile d’aboutir à un consensus avec l’autre, sur la base d’évolutions de part et d’autre. Difficultés notamment à négocier avec l’autre, à parvenir à un terrain d’entente, comme on a pu le voir au niveau israélo-palestinien. Espoirs vains de tout obtenir et réticences à faire des concessions toujours jugées exorbitantes et jamais équitables, autant d’attitudes qui manifestent une féminisation de l’identité qui est aux antipodes d’une entreprise d’intégration: rappelons que toute intégration implique de trouver les moyens pour qu’une société trouve acceptable la présence d’un autre, ce qui signifie qu’on aide la dite société à évoluer vers cet autre, dans des proportions raisonnables : celui qui ne sait pas convaincre ne sait pas non plus être convaincu.

Jacques Halbronn
Paris, le 6 juillet 2004

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La dimension adolescente de la révolte arabo-maghrébine

    Un paramètre qui vient renforcer un des traits de la condition existentielle de la mouvance maghrébo-musulmane est fonction de la colonisation qui aura marqué si fortement et collectivement leur Histoire et dont un des aspects actuels les plus remarquables est l’immigration. Ce trait vient s’ajouter à la dette propre à la genèse de l’Islam, dont il conviendrait de comprendre qu’il s’agit aussi d’un phénomène de dépendance à l’égard du monothéisme existant lors de son émergence. C’est dire que cette mouvance peut être tentée par le “meurtre du père” et entretient des rapports ambigus et contradictoires avec l’autre, ce qui est propre à tout mimétisme.

   Il convient d’emblée de préciser que pour nous immigration et conquête, imitation et occupation sont les facettes d’une même médaille. Celui qui immigre se place sous la domination de l’autre aussi sûrement que celui qui est envahi et celui qui prend modèle sur autrui se situe ipso facto dans sa sphère d’influence, que ce soit sur le plan religieux, économique, technologique ou linguistique. Et une telle situation détermine un certain comportement qu’il s’agit d’analyser et qui passe par la tentation de la négation ou du dépassement et surtout du renversement, de l’inversion de la dette, de débiteurs, ils se voudraient créanciers.

   Quand on rappelle aux Musulmans leur dette envers l’Occident, et ce à tant de points de vue, que répondent-ils ? D’une part qu’ils n’ont rien demandé, d’autre part que l’Islam est un progrès définitif par rapport aux religions du Livre qui l’ont précédé.

   Dans le “dossier” arabo-musulman, le point fort reste bel et bien celui du religieux. Malheureusement, la religion, dans le monde, n’est plus ce qu’elle était et le monde judéo-chrétien n’est plus ce qu’il était. Qu’est-ce qu’un Chinois a à faire du Coran et quid des athées, et notamment des communistes ? En tout état de cause, le dialogue des Musulmans avec les Juifs et les Chrétiens n’est pas simple. Les Musulmans tirent argument de l’apparition tardive de l’Islam mais c’est un argument à double tranchant qui rappelle la Querelle des Anciens et des Modernes. Dans le champ religieux, la notion de progrès est délicate et ne saurait s’apparenter à ce qui se passe dans le champ techno-scientifique. Le corollaire de cette situation est celui de la légitimité même de la présence même de l’Islam dans certaines régions précédemment placées sous l’empire d’autres religions, à commencer par la Palestine, berceau spirituel, source du monde judéo-chrétien. Là encore, l’Islam se place en successeur, position qui n’est pas forcément confortable.

   En ce qui concerne les Juifs, si ceux-ci contestent les prétentions des Chrétiens, a fortiori ne sont-ils guère disposés à entériner celle des Musulmans. Il est clair que le discours musulman passe mieux au regard des Chrétiens dans la mesure où ces derniers ont aussi prétendu succédé - la Nouvelle Alliance (Nouveau Testament) en témoigne - au Judaïsme. C’est dire que les Juifs sont le meilleur rempart contre l’Islam à condition que le Christianisme régule sa relation avec eux. Autrement dit, entre Judaïsme et Islam, le Christianisme doit choisir quel est le moindre mal et il semble bien que le rapprochement judéo-chrétien soit le plus envisageable face aux prétentions religieuses et territoriales de l’Islam.

   Quant à la question de la décolonisation, il serait peut-être bon de parler de celle que le monde arabe devrait opérer et non pas seulement revendiquer. Les exemples sont nombreux de certains retours en arrière et notamment d’empires qui s’effondrent et se démembrent, ce qui montre bien que les empires n’échappent pas à une certaine cyclicité et que rien n’est irréversible. On l’a encore vu récemment avec le bloc communiste qui a vu émerger de nombreux nationalismes que l’on croyait révolus ou qui, en tout cas, avaient alièné leur indépendance une fois pour toutes. De ce point de vue, quid de la Palestine ? Le monde arabe la revendique, mais de quel droit ? Toujours au nom d’une idée figée de l’Histoire qui voudrait que la conquête arabe du VIIe siècle et des siècles suivants soit un fait accompli une fois pour toutes, ce qui serait bien un cas unique dans l’Histoire. Or, s’il est bien des régions du monde arabe qui ne risquent guère d’être revendiquées par leurs précédents occupants, tel n’est certainement pas le cas de la Palestine dont les Juifs ont été chassés mais par rapport à laquelle ils n’ont jamais cessé de se situer. Il conviendrait donc de considérer la création de l’Etat d’Israël comme la marque d’un processus d’émancipation par rapport au monde arabe. Un Empire peut en cacher un autre : la dislocation de l’Empire Ottoman ni d’ailleurs celle de l’Empire colonial français ne sauraient faire oublier que le monde arabe est également un empire - et aussi un colonisateur - et que son unité religieuse et linguistique n’est que le résultat de la constitution même de cet Empire. Comme tout empire s’étendant au delà de ses limites naturelles et se faisant aux dépends d’autres entités, le monde arabe devra faire machine arrière plutôt que de s’épuiser à maintenir des positions très coûteuses, c’est le sort et le destin de tous les empires que de se replier sur un noyau dur et de renoncer à une extension excessive. Tout comme la France a fini par se dégager de l’Algérie, le monde arabe devra se dégager de la Palestine et considérer le Jourdain comme une frontière ultime. On comprend pourquoi on cherche à présenter Israël comme une tête de pont de l’Occident, de façon à faire oublier que c’est la Palestine qui est une tête de pont du monde arabe. On dit souvent que les Sionistes ne voulaient pas savoir que la Palestine était habitée mais les Arabes ne voulaient-ils pas se persuader que jamais les Juifs ne reviendraient en Palestine alors qu’ils savaient très bien que les Juifs n’avaient pas cessé d’exister et que leurs revendications sur la Palestine et notamment sur Jérusalem, chaque année à Pâque (Pessah) étaient un leitmotiv. Or, le propre des empires, c’est de se persuader que les peuples meurent et sont remplacés par une nouvelle entité mais cela se révèle le plus souvent chimérique et les peuples revivent tôt ou tard.

   Les Croisades ont été présentées par l’Islam comme une intrusion occidentale avec un bel aplomb alors qu’en réalité, il convient de les appréhender comme un processus de récupération, de reconquista. D’ailleurs, pour les Arabes, la reconquista espagnole est-elle légitime dès lors qu’elle remet en question une présence musulmane longtemps symbolisée par le califat de Cordoue ?

   Délicate situation, avons-nous dit, que celle de ce monde arabe dont l’empire est relativement tardif et l’idéologie religieuse ancrée dans l’Histoire biblique et qui, avec le temps, a perdu de sa légitimité novatrice et s’efforce de résister tant à ce qui l’a précédé qu’à ce qui pourrait lui succéder, ce qui révèle une méfiance profonde envers toute forme de cyclicité, d’évolution et d’involution.

   Or, la colonisation du monde arabe, par la France et par d’autres puissances, constitue bel et bien une évolution significative, les empires coloniaux succédant à l’empire ottoman, lequel avait déjà mis à mal, notamment à partir des XVe-XVIe siècles la superbe arabe. Colonisation qui correspondait à une image de progrès, de modernité, colonisation dont nous avons dit qu’elle avait généré une situation de dépendance plus ou moins bien vécue, aggravée et relayée par l’immigration maghrébine subséquente en métropole.

   L’idée qu’il faille repartir est pénible pour les Musulmans, la preuve en est que l’immigration maghrébine ne France supposée être provisoire a abouti à leur implantation et au phénomène beur (arabe, en verlan). Or, tout Empire connaît le reflux et ceux qui ont été marqués par un empire doivent accepter tôt ou tard d’être marqués par un autre. Tel est le destin des peuples. Le monde arabe, quant à lui, ne veut rien céder ou du moins il ne le fait que sous la contrainte, ce que nous considérons comme un comportement féminin (cf. supra), avec la difficulté que cela implique de renoncer à quoi que ce soit de soi-même ou par la diplomatie. Seule la guerre, jugement de Dieu, d’Allah, est capable de produire du changement : le viol et la violence sont le seul langage qui fasse sens. Pour le féminin, l’altérité n’est pas l’homme, c’est le destin. Inchallah - littéralement si Dieu le veut - et on ne peut décider à sa place. Ce qui est, pour le Musulman, est de la volonté divine et ne pourra donc changer que par la volonté divine et non par la volonté humaine. Or, nous avons expliqué que le moteur principal du progrès passe par la sélection et que la sélection, c’est l’élimination de ce qui est mauvais, caduc que ce soit sur le plan scientifique ou sur le plan politique. Celui qui ne prend pas les devants en renonçant de lui-même à des choix qui se révèlent désormais douteux et par trop coûteux, pratique la fuite en avant et la politique du pire jusqu’à ce qu’il n’ait plus le choix, c’est-à-dire que le choix s’impose à lui, ce qui est le propre de l’animal qui ne passe pas, parce qu’il y a une barrière infranchissable et non parce qu’il y a un feu rouge. L’aptitude à faire le bilan d’une action et à en tirer les conséquences semble totalement faire défaut au monde arabe, ce qui le conduit à payer un prix exorbitant pour chaque erreur et à ne connaître que très peu de changements. En ce sens, l’Islam ne semble pas être un facteur de progrès sur cette Terre ou s’il le fut, c’était il y a fort longtemps; l’Islam assume son destin plutôt qu’il ne le détermine, c’est le fameux Mektoub. Le fait que la femme soit mise à l’écart, dans la société musulmane, conduit à féminiser l’homme tandis qu’en Occident, la femme, plus libre de ses mouvements et de ses propos, permet une véritable dialectique, conduisant l’homme à réagir par rapport à son mode de comportement et à le corriger, la femme étant en fait un repoussoir, c’est-à-dire l’exemple à ne pas suivre. En libérant la femme musulmane, on peut espérer régénérer la société musulmane; cela nous semble prioritaire.

   Ces quelques observations nous montrent à quel point la condition arabo-musulmane est complexe. La chance ou la malchance de ceux qui la partagent, c’est une certaine difficulté à maîtriser les concepts et mettre tout cela en perspective, ce que l’on pourrait qualifier d’anti-intellectualisme. Le manque de lucidité protége contre les états d’âme. Or, il nous semble bien que le débat - le conflit - passe par la mise en place et la confrontation d’un certain nombre de grilles et que les Juifs sont souvent bien placer pour les élaborer - au niveau des sciences sociales - ce qui génère un problème supplémentaire, celui de la maîtrise des modelés, des clefs de lecture. En fait, le monde arabo-musulman se manifeste à travers des actes de foi qui envahissent tout le champ politique et impliquent notamment une sacralisation de tout ce qui est l’héritage - notamment territorial - des premiers siècles de l’Islam.

   La faiblesse d’Israël, c’est de ne pas pratiquer la conversion, ce qui permettrait de laisser les populations non juives là où elles sont, au prix d’un changement de confession. Or, c’est bel et bien ce qu’a pratiqué des siècles durant l’Islam de par le monde. La faiblesse d’Israël, c’est de ne pas être un empire au sein duquel une certaine diversité se manifesterait. En réalité, il faudrait peut-être avoir un autre regard sur la société israélienne, arabes israéliens compris. Cette société, en effet, est le fait tant de l’immigration juive (Alya) que de la conquête, résultat de différentes guerres (1948 et 1967 notamment). Les Juifs en Israël ne constituent nullement un ensemble homogène et c’est le cas notamment de ceux en provenance de l’ex URSS. Il y a probablement autant de différences entre juifs russes et arabes israéliens qu’entre ceux-ci et les juifs dont les familles sont originaires d’Afrique du Nord. Il s’agit d’une véritable mosaïque culturelle qui a peu de chances de parvenir à une unité profonde comme pour les pays ouest-européens - du “Maghreb européen”. Israël n’est-il donc pas condamné à une certaine multiculturalité, à être un carrefour de civilisations étant entendu que les Juifs en Israël relèvent des contextes religieux les plus divers (orthodoxe, chrétien, musulman) ? La solution du problème palestinien relève avant tout, selon nous, d’une réorganisation voire d’une refonte de l’Etat d’Israël, faute de quoi le monde arabe risque fort de s’emparer, par la voie diplomatique plus que par la voie militaire, de la Cisjordanie et de chercher à poursuivre ultérieurement un processus de réappropriation de la région, passant par la revendication des territoires habités par une majorité arabe, en Galilée.

   Il ne faudrait donc pas avoir une vision angélique et naïve du processus impérial et bien comprendre que celui-ci est fragile et factice. D’où viennent, au demeurant, les populations musulmanes vivant en Palestine occidentale ? Il ne faudrait pas ignorer les transferts de population visant précisément à occuper les régions nouvellement conquises et qui furent certainement pratiqués au sein du monde arabe et sous le joug turc.

   En fait, l’équation qui est posée est assez simple : les Juifs ont-ils oui ou non le droit à un espace où ils puissent se réfugier quand ils sont menacés en diaspora ? Oui ou non, le meilleur endroit pour cela n’est-il pas la Palestine ? Est-ce que les religions monothéistes, la chrétienne et l’islamique - se référant à la Bible - peuvent se mettre d’accord pour y garantir ces droits ? Il s’agirait en fait de mettre en place une géopolitique à base ternaire qui reflète les enjeux religieux et la place des religions du Livre autour de l’espace méditerranéen.

   Il importe en tout cas de psychanalyser le comportement des islamo-maghrébins lesquels voudraient rabaisser, dénigrer ou culpabiliser tout ce dont ils dépendent. Un tel fantasme a fait long feu. Il convient désormais d’accepter l’autre non pas comme une réalité diachronique appartenant à un passé révolu mais comme une réalité synchronique qu’il faut accepter de côtoyer soit avec laquelle il reste à se fondre en une nouvelle synthèse. On a vraiment l’impression avec les Musulmans d’adolescents qui sont en guerre avec leurs parents et il n’est pas étonnant de constater le rôle des adolescents, tant au niveau de l’Intifada que des incidents antisémites qui surviennent de temps à autre sur l’hexagone.

   Religion éternellement adolescente, mal dans sa peau, encline aux extrémités, que celle de l’Islam et singulièrement au niveau de l’immigration maghrébine en France qui passe par une difficile intégration, un refus de transiger et de muer, en faisant le tri en soi de ce qui est compatible ou non avec la société dans laquelle on veut entrer et être partie prenante, cela s’appelle le sevrage. Le terme même d’émancipation est lié au passage de l’adolescence à l’âge adulte. Combien de temps encore l’Islam imposera-t-il, infligera-t-il au monde ses désarrois, ses misères, ses névroses, avec ses rêves dont il n’a pas su faire le deuil et dont la Palestine est un abcès de fixation ?

Jacques Halbronn
Paris, le 12 juillet 2004

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Le mythe du monde arabe et la question palestinienne

    Nous voudrions montrer dans cette étude ce qui pourrait justifier l’entrée de la Turquie au sein de l’Union Européenne et ce qui la distingue singulièrement du monde arabe.

   Sous un certain angle, la Turquie nous apparaît comme étant étrangère à l’Europe, comme une menace séculaire persistante7, encore qu’au cours des siècles, diverses alliances aient existé entre telle ou telle puissance européenne et la Turquie. Mais il y a un critère qui nous rend la Turquie plus proche, c’est sa dimension post-impériale.

   En effet, à l’instar de nombre de pays européens (Angleterre, France, Hollande, Espagne, Portugal, Autriche, Belgique etc) la Turquie a eu un empire important dont elle a du faire le deuil et c’est ce que nous appelons le stade post-impérial, post-colonial, trait qui caractérise l’Europe, y compris la Russie, après les événements de la fin des années Quatre Vingt. L’Union Européenne est ainsi constituée de pays ayant traversé une phase impériale puis en étant sortis, non sans crise et à ce titre, la Turquie a un profil conforme à la norme européenne.

   Passer du stade impérial au stade post impérial implique une certaine prise de conscience et est cause ou conséquence d’une certaine maturation. Certes, le phénomène ne se cantonne pas à l’Europe, mais il est des aires de civilisation qui n’ont pas vraiment dépassé le stade impérial et notamment le monde arabe, qui n’ont pas été en quelque sorte sevrées de la tentation impériale.

   Le problème du stade impérial, c’est qu’à la longue on risque fort de perdre la conscience de ce que l’on est et de ce qu’est l’autre.8 En effet, dans le système impérial, l’autre cesse d’être l’autre du moins en certains de ses attributs. L’immigration comme la conquête passent par un certain mimétisme qui tend à abolir l’autre en se substituant à lui.

   Quand un empire se défait, le charme se rompt et l’autre réapparaît qui avait été refoulé, nié. Le stade post impérial serait donc le “retour” de l’autre en tant que sujet auquel on rend sa liberté et dont on, en même temps, se libère. Les pays européens ont, pour la plupart, renoncé à revendiquer une domination sur des peuples qu’ils avaient colonisés, plus ou moins annexés, et en tout cas inscrit, bon gré mal gré, au sein d’empires dont ils étaient le centre.

   Est-ce que le monde arabe est passé, lui aussi, au stade post impérial ? Il a certes connu des “pertes”, c’est le cas de l’Andalousie qu’il a bien fallu abandonner définitivement en 1492 et dont il ne restait déjà plus grand chose. Mais tout cela est bien ancien, remontant à plus de cinq siècles.

   Ce qui empêcha le monde arabe de passer au stade post-impérial ce fut la mise en place de l’empire ottoman. Les régions qui auraient pu se séparer de l’empire arabe se retrouvèrent dans un nouveau cadre, laissant ainsi planer une certaine ambiguïté. On peut imaginer une Autriche-Hongrie qui, au lieu de se disloquer aurait été maintenue en l’état par la conquête soviétique et qui, de la sorte, serait parvenue à perdurer. Ou encore une France récupérée avec son empire colonial par l’Allemagne nazie et qui aurait certes perdu son indépendance mais non pas son Empire.

   Le blocage face au stade post impérial conduit à une crise de l’altérité. Il suffit d’écouter le discours arabe sur le monde arabe. En privilégiant et en recourant aux critères linguistique et religieux, il est possible, en effet, de nier toute différence entre les populations qui habitent l’espace arabe. Or, ces critères relèvent d’une logique impériale consistant à imposer un certain vernis, par là une certaine unité de façade à un ensemble au demeurant disparate.

   Mais il est clair qu’il y a là une utopie fragile et que tôt ou tard les anciennes entités refont surface et mettent à mal l’Empire. Parfois avec un décalage de temps considérable comme c’est le cas des revendications juives sur la Palestine.

   Le monde arabe n’est pas passé au stade post-impérial du fait même qu’il n’a pas renoncé à ses “droits” sur certaines régions autrefois conquises. Pour le monde arabe, le problème ne se pose pas puisque la Palestine, en l’occurrence, est arabe. Il y a là un paradoxe : plus l’autre est anéanti, plus on l’éradique, plus on le contraint à adopter de nouvelles croyances et plus la présence impériale serait légitime et légitimée. En ce sens, il y a quelque ressemblance structurelle entre le monde arabe et les Etats Unis, avec l’annihilation définitive de l’autre qui ne saurait revenir tout simplement parce qu’il a cessé d’être autre ou tout simplement cessé d’être tout court. Il y a là une forme de totalitarisme. Les Etats Unis n’ont pas eu à renoncer à leur empire pas plus que les Arabes et il est d’autant plus remarquable que ces deux mondes qui n’ont pas connu de stade post impérial là s’opposent de nos jours. Cela dit, le cas des USA est bien différent du cas arabe. D’abord, parce que leur domination hors du continent américain a évolué, qu’il y a eu des percées, des reculs (comme au Viet Nam), bref des changements dans l’application de leur puissance. En tout état de cause, on ne se comporte pas avec des peuples qui appartiennent globalement à un même monde comme avec des peuples d’un Nouveau Monde. La déontologie n’est pas la même. Les Arabes ont bien connu tant économiquement que culturellement - à commencer par Mahomet - du fait de leurs caravanes, notamment, les peuples que par la suite ils allaient conquérir et envahir.

   A la lumière de nos analyses, on ne peut évidemment adhérer à la thèse d’une Palestine appartenant de toute éternité au monde arabe ; aucune région, bien au contraire, n’a moins cessé d’être revendiquée par d’autres peuples. Ce sont bel et bien les Juifs qui réclament leur droit au “retour” et les Arabes palestiniens qui sont les occupants du fait de l’impérialisme arabe, que ces populations soient converties à l’Islam ou importées n’y change rien. Ce qui compte, c’est de couper le cordon ombilical entre la Palestine et le monde arabe et ce dans l’intérêt même du monde arabe pour que celui-ci passe au stade post impérial pour pouvoir vivre intensément un nouveau cycle sur de nouvelles bases. C’est ainsi que l’immigration arabo-maghrébine en France nous apparaît comme une sorte de nouvel impérialisme arabe qui n’est pas la répétition d’expériences antérieures. En échange de cette présence arabe en France, il nous semble que l’on pourrait exiger un retrait arabe au delà du Jourdain. Rappelons que le processus impérial a pour principal intérêt un brassage. Une fois accompli, ce processus ne fait plus guère sens. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé quand le monde arabe a été dominé par plusieurs empires successifs voire se partageant des espaces distincts, notamment entre la France et l’Angleterre. En effet, que l’on soit dominé par un empire ou que l’on soit au centre d’un processus impérial, que l’on soit impérialisé ou impérialisant, en tout état de cause, il y a là un vecteur de progrès, d’où l’importance, en corollaire, de la désimpérialisation, ce qui permet de nouveaux cas de figure, des enjeux renouvelés.

   Le stade post impérial est l’antithèse du stade impérial, il implique un recentrage. L’un, le stade impérial, est féminin, globalisant, tandis que l’autre, post impérial, est masculin, sélectif. En ce sens, l’Europe serait masculine, centralisée tandis que les mondes arabe et américain seraient féminins, décentralisés. D’ailleurs, très souvent, les Musulmans se réfèrent au modèle communautariste de société américain.

   Le communautarisme est certes ouvert à une certaine altérité, que l’on pourrait appeler interne, mais il s’agit d’une altérité au sein de l’Empire qui n’a rien à voir avec l’altérité post impériale qui laisse l’autre à l’extérieur. En ce sens, d’ailleurs, on notera que l’Etat d’Israël reconnaît peu ou prou le droit pour les Palestiniens d’avoir leur propre Etat, puisque c’est la notion même d’Etat qui signifie la reconnaissance de l’autre. Mais est-ce là une vision juste des choses ? On ne saurait en effet séparer le politique et l’historique du géographique et la Palestine, géographiquement, si elle a effectivement appartenu à l’empire arabe, du fait de la conquête, n’a pas à s’y maintenir indéfiniment et éternellement.

   Selon nous, la Palestine est au monde arabe ce que l’Indochine ou l’Algérie ont été à la France, et malheureusement, le monde arabe n’a pas eu un Mendés France ou un De Gaulle pour basculer vers le stade post impérial. En ce sens, un Nasser, à la fin des années Cinquante n’aura nullement joué pour le monde arabe le rôle de PMF et du général pour la France. Bien plus, en 1967, il a tout fait pour récupérer la Palestine. Comment ne pas voir que la Palestine coûte très cher au monde arabe, que depuis cinquante ans, celui-ci se refuse à faire son deuil de quelques milliers de kilométrés carrés ? Qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit bien là d’un refus ou en tout cas d’une impossibilité à passer au stade post impérial !

   Certains essaieront, et c’est de bonne guerre, de renverser la situation et soutiendront que ce sont les Israéliens, les Européens, les Américains qui s’acharnent à vouloir garder la Palestine au lieu de la “rendre” aux Arabes.. Mais comment ne pas voir qu’il s’agit bien là d’un cas typique d’un pays, d’un peuple qui réclame le droit d’exister et rejette la chape de plomb impériale ? On nous dira que ces Juifs n’ont rien à voir avec ceux qui vivaient dans la région il y a deux mille ans. C’est là un débat complexe que celui de déterminer comment fonctionne la filiation entre Juifs d’aujourd’hui et Juifs d’hier. Pour notre part, nous sommes persuadés que cette filiation existe et ce à plusieurs niveaux.9 En tout état de cause, une fois qu’un Etat existe, cet Etat a le droit d’accueillir sur son sol qui bon lui semble, sans qu’il y ait droit de regard.

   Le cas de la Palestine n’est pas isolé dans le monde arabo-musulman, il y a aussi le cas des Kurdes, en Irak, des Berbères en Algérie, auxquels on refuse d’accorder un Etat comme d’aucuns voudraient le faire pour les Juifs, alors que leur cas est sensiblement plus aisé à appréhender. Or, il s’agit bien de populations et de régions qui ont été placées sous la coupe de l’Empire arabe et qui y sont restées sous celle des Ottomans. Lorsque l’empire ottoman se décomposa, on aurait pu en profiter pour “émanciper” ces peuples et ces régions mais d’autres empires, on le sait, prirent le relais, notamment le britannique et le français et quand la France se retira du Maghreb, cela ne permit pas aux Berbères (Kabyles) de se démarquer par rapport au monde arabe. En revanche, la chute de l’empire ottoman fut l’occasion de créer un Foyer Juif en Palestine, sans parler du cas libanais, passant alors sous mandat français, qui, lui aussi, symbolisait le besoin d’une différenciation des populations chrétiennes face au monde arabe.10

   Nous avons montré dans d’autres études à quel point les empires obéissaient à une cyclicité et avaient leur raison d’être111 mais il est nécessaire que périodiquement ces superstructures laissent la place aux entités sous jacentes quitte à ce que celles-ci repassent, par la suite, sous la coupe du même empire ou d’un autre empire. C’est ainsi que certaines entités de l’empire austro-hongrois passeront par la suite sous la coupe de l’empire soviétique. Un même pays peut en effet appartenir successivement à plusieurs empires, ce qui montre bien la relativité des dits empires. Mais parfois, le processus d’alternance n’opère pas et le même empire reste en place indéfiniment, comme c’est le cas pour le monde arabe, ce qui correspond à une certaine forme d’immaturité, un refus de faire le deuil de ses rêves.

   On observera à quel point une grille est nécessaire pour décoder les réalités politiques. On n’a pas cessé de présenter Israël comme l’expression d’un impérialisme quand il s’agit tout au contraire d’une révolte contre l’empire arabe. Israël n’est pas la tête de pont de quelque empire jaloux de maintenir le contrôle de ses possessions diverses et variées. Le sionisme est bel et bien un mouvement de libération nationale qui n’affecte qu’un espace restreint et une population modeste. Rien de tel du côté du monde arabe ! Il n’est pas toujours simple de déterminer dans un affrontement qui est qui : qui est celui qui cherche à préserver son empire et qui tente de reconquérir un espace perdu du fait même d’un processus impérial. Il s’agit de savoir qui est “protégé” par les “dieux” et qui ne l’est pas en un temps T. Il est un temps favorable aux empires et donc aux revendications de l’empire arabe de type spatial et il est un temps favorable aux entités se situant dans une profondeur temporelle. Deux légitimités s’opposent: celle de l’espace et celle du temps.

   Celui qui analyserait la situation en Palestine comme celle d’un peuple palestinien se rebellant contre un “empire” israélien ferait fausse route. Le peuple palestinien n’est que l’expression de l’impérialisme arabe alors qu’Israël se place dans une légitimité locale bien circonscrite, dans un espace restreint et dans une temporalité longue face au monde arabe qui est caractérisé par un espace sensiblement plus vaste et une temporalité relativement et nécessairement plus brève. D’un côté, on a un espace très vaste ou qui a été très vaste et de l’autre, des revendications locales, l’échelle n’est donc absolument pas la même.

   On a dit que les choses étaient cycliques, faute de quoi tout finirait pas se décomposer. C’est ainsi que la Russie n’a pas lâché la Tchétchénie et que la Turquie n’a pas émancipé ses Druzes. Il y a toujours des bornes à ce qui peut être cédé et cela tient au fait que le processus impérial, tel le phénix, renaît toujours de ses cendres. Heureusement, il y a un temps limité pour tout processus ; on est sauvé par le gong. Hora est finita ! Mais ce n’est jamais qu’un sursis. Si l’on a échappé une fois à une menace, à la prochaine occasion, on ne s’en sortira peut-être pas si facilement. Cela n’arrive pas toujours qu’aux autres.

   La notion d’empire est en effet avant tout une utopie, l’image d’un monde qui dépasserait ses différences ; il s’agit donc quelque part d’une mystification, d’un mirage, voire d’une contrefaçon, d’une escroquerie intellectuelle, affectant bien d’autres domaines que le politique. On attribue ainsi à un seul auteur ce qui est le fait de plusieurs.12 Comment détecter de tels procédés ? Lorsque des phénomènes a priori très différents, dans le temps et dans l’espace, se retrouvent affectés d’un même label. Quand on attribue à une seule et même source ce qui, en réalité, ne peut qu’être le fait de plusieurs ; l’empire a vocation à simplifier le réel, à l’unifier. Le cas palestinien ne serait d’ailleurs que le symptôme d’une mystification, d’une imposture - littéralement prendre la place de l’autre - et c’est pour cela qu’il est emblématique pour l’ensemble du monde arabe. Si, en effet, on peut montrer à quel point en Palestine, les Arabes se sont approprié - ont squatté - de toute évidence un pays qui avaient une histoire qui lui était propre, se pose un problème de légitimité à une toute autre échelle. Raison de plus pour que le monde arabe fasse son deuil de cette Palestine, qui est un fort mauvais dossier, en vérité indéfendable, non point tant sur le plan militaire que sur le plan intellectuel. Le cas de Jérusalem avec ses mosquées plaquées ou posées par dessus ou au milieu des monuments juifs et chrétiens est tout à fait révélateur. Il est clair que ce n’est pas en bâtissant, en convertissant, en recouvrant de quelque vernis, une réalité qu’on la fait disparaître et oublier. L’Islam des premiers siècles a certainement cru en une certaine fin des temps mais aussi à une conquête universelle, ce qui justifiait la façon qu’il eut de se présenter comme légataire des autres religions monothéistes. Malheureusement pour lui, le Christianisme et le Judaïsme ne disparurent point et le fait que l’Islam accorde une importance certaine à la Palestine, à ses lieux saints, est évidemment du à son appropriation de l’Histoire Juive, légitimée par la croyance en une clôture de l’Histoire. La Palestine est donc le lieu d’espérances islamiques déçues, fondées sur la conviction que personne ne viendrait plus réclamer ce que l’Islam avait décidé d’assimiler. Les croisades ont été un rappel frappant de ce que l’Histoire n’était pas close et que le passé remontait à la surface et que les exilés réaffirmaient leurs droits sur leur berceau.

   Les empires disposent - pour imposer la thèse d’une homogénéité - de procédés, de recettes, qui sont autant de leurres (cf. infra) si bien que tout empire est fonction d’un mensonge, d’une (dé)négation et c’est précisément à cause de cela qu’une telle situation ne doit pas perdurer à l'excès car vivre dans la langue de bois, dans le refoulement des vérités, n’est pas sain, à terme.

   De nombreuses puissances ont d’ailleurs connu plusieurs expériences impériales; le cas de la France est exemplaire qui s’est orientée successivement vers l’Amérique, l’Asie, l’Océanie, l’Afrique sans compter l’Europe avec les campagnes napoléoniennes. Domination successive sur des pays bien différents et non pas maintien indéfiniment d’une mainmise sur une région donnée, comme c’est le cas du monde arabe, qui n’a pas su se renouveler dans ses objectifs.

   Pour notre part, nous pensons que l’Histoire obéit à des cycles permettant aux sociétés de se situer alternativement dans l’espace et dans le temps, ce qui signifie une alternance de phases impériales et de phases pré ou postimpériales. En ce qui concerne l’Union Européenne, en tout état de cause, elle constitue en soi un processus impérial de par sa volonté même d’expansion et d’extension. Il faut aussi qu’elle soit capable périodiquement de ne pas contraindre tous les Etats qui la composent à suivre le même rythme, on l’a vu pour l’adoption de l’euro. Ce qui frappe pour la mise en place de l’euro ce n’est pas tant que cette monnaie ait été acceptée par certains membres de l’Union Européenne mais qu’elle ne l’ait pas été par tous, en même temps, ce qui implique une phase postimpériale. Il faudra attendre la nouvelle phase impériale pour que le processus s’étende à tous. En ce qui nous concerne, nous pensons que chaque phase dure sept ans environ. Il s’agit là d’une durée que les sociétés traditionnelles se sont assignée arbitrairement et qui se perpétue dans ce que l’on peut appeler l’Inconscient Collectif.

   Il nous semble en tout cas utile de rappeler que les sociétés obéissent à des processus cycliques et que ce qui est pertinent à un certain moment ne l’est guère à un autre. Il y a un certain sens de l’Histoire mais celui-ci n’est nullement linéaire et passe par une dialectique thèse-antithèse-synthèse qui n’a jamais de cesse. Nous sommes donc entraînés dans une sorte de course contre la montre qui nous empêche de nous figer. Il est un temps pour les empires, c’est à dire pour la négation de l’autre, il en est un contre les empires, dans la revendication d’une identité qui ne se dissout point. Ainsi, notre rapport à l’autre est-il susceptible de varier et une action menée à contretemps peut être acceptée un peu plus tard et inversement ce qui convient aujourd’hui ne conviendra peut-être pas demain. Il est vrai que la lecture, le déchiffrage des événements ne sont pas toujours aisés et que l’on ne sait plus toujours qui est qui, l’envahisseur se présentant comme envahi, c’est le cas de l’immigré, notamment, dont on ne sait pas toujours s’il est victime de la gravitation exercée par un empire ou s’il est la tête de pont d’un empire. C’est dire que la notion de fait historique est très relative et relève nécessairement d’une certaine construction, d’une certaine grille.

   L’impérialisme est un processus aliénant tant pour celui qui l’exerce que pour celui qui le subit et c’est cette aliénation qui tend à empêcher le retour vers soi, vers ses racines. Nous avons abordé ici la question de l’impérialisme territorial mais il ne diffère guère des utopies sociales. C’est ainsi que la femme serait, selon nous, victime d’une idéologie égalitaire dont elle peine à se dégager pour se recentrer sur ce qu’elle est vraiment. Au lieu d’affirmer sa féminité et de remettre en question le carcan d’une modernité unidimensionnelle, elle s’accroche frénétiquement au dit carcan. Nous pensons que ces utopies politiques et sociales constituent des couches superficielles qui recouvrent des réalités extrêmement diverses, profondément enfouies. Ces utopies revendiquent bien entendu d’incarner le progrès, ce qui à un certain moment est juste mais leurs vertus ne tardent pas à s’épuiser et il est bon d’en changer ou d’en adopter d’autres. C’est ainsi que les femmes ont su profiter, durant un certain temps, d’un processus de dépassement mais il importe désormais qu’elles se ressourcent et qu’elles s’émancipent du dit processus. De la même façon, les grands empires ont certainement beaucoup apporté au monde mais leur maintien au-delà d’une certaine durée ne fait pas sens et le progrès ainsi généré s’épuise. Il faut être attentif aux résurgences refoulées et dont l’émergence est libératrice tout comme avait pu l’être, à un autre moment, leur refoulement au nom d’un idéal d’abolition des clivages. Pour en revenir à la Palestine, et au sionisme, il nous apparaît dès lors évident que l’abandon par le monde arabe de ses ambitions sur cette région ne pourrait que lui être bénéfique. Il est certes tentant pour un empire de refuser de se retirer en prenant prétexte du fait que la population qui revendique trouve une aide auprès d’autres puissances, comment, en effet, pourrait-elle lutter contre un empire sans quelque secours extérieur ? Est-ce que l’empire ottoman n’a pas “libéré” les arabes de son joug du fait de l’alliance de ces derniers avec les Anglais et les Français ? Il est également assez évident que tout retrait implique peu ou prou un processus de rapatriement - terme qui veut bien dire ce qu’il veut dire même lorsque des générations se sont implanté - comme ce fut le cas lorsque la France se retira d’Algérie, avec ses “pieds noirs”. Le sort des minorités dues à la présence impériale doit être réglé d’une façon ou d’une autre, c’est notamment le cas de l’importante minorité russe en Lettonie, actuellement. Parfois, existe une situation paradoxale : l’indépendance reconquise provoque un phénomène d’immigration, de retour alors que la population installée du fait de la conquête apparaîtra faussement comme indigène.

   En fait, il faut, avant tout, que le monde/empire arabe découvre les vertus de l’alternance, du flux et du reflux. Le problème, c’est que le monde arabe ne sait pas refluer pour pouvoir rebondir vers d’autres horizons, il reste une prison des peuples et ces peuples enfermés en son sein sont aliénés. Ce n’est nullement l’exemple palestinien qui libérera ces peuples du joug arabe mais bien l’exemple israélien ! L’arabisme et le féminisme tels qu’ils sont vécus de nos jours sont des exemples frappants d’une double aliénation, laquelle concerne aussi bien ceux qui prônent un modèle unique, le leur, pour le bien de tous que ceux qui sont aliénés par ce modèle qui ne leur correspond pas mais dont ils ne parviennent pas ou plus à se démarquer.

   La logique des empires passe par le recours imposé à une même langue, à une même religion, à un même système politique, juridique. Chaque empire a ses spécificités et passer pour une nation d’un empire à l’autre, c’est ipso facto changer de références. Quand le Maghreb est passé sous le contrôle français, la langue française a concurrencé l’arabe et on a assisté à une francisation des populations maghrébines qui, ce faisant, se démarquaient de l’empire arabe, même si c’était en basculant, dans une certaine mesure et pour un certain temps, au sein de l’empire français. Or, le départ des Français semble avoir réintégré le Maghreb au sein du monde arabe, encore que l’immigration du Maghreb vers la France soit de nos jours loin d’être négligeable. En Palestine, une partie de la population arabe s’est mise à la pratique de l’hébreu, ce qui correspond à une certaine désarabisation. En Espagne, les Musulmans ont du se convertir, ce qui vaut mieux que de devoir s’exiler. En effet, la religion est une marque d’appartenance à un certain empire. Tant que cette présence religieuse se maintient, le lien avec l’Empire en question perdure. La question qui se pose est celle du surinvestissement du religieux : peut-on envisager l’abandon de l’Islam chez les Arabes Palestiniens et leur christianisation qui serait probablement la meilleure formule puisque le christianisme est devenu un judaïsme pour les non Juifs. Israël a vocation à devenir un Etat judéo-chrétien. On sait en tout cas que nombreux sont les arabes chrétiens tout comme nombreux furent les chrétiens convertis à l’Islam (les mozarabes). Le changement de langue et de religion est la preuve la plus nette qu’une population s’est émancipée d’un empire ou que l’empire s’est dégagé d’une certaine région. L’Histoire est truffée de ces changements de religion - conversions forcées - voire de langue imposés successivement aux populations. On sait que la langue française ne s’est imposée sur toute la France que par un processus à la fois de fascination, de prestige et de contrainte. Nous conclurons que les langues, les religions mais aussi les lois sont des moyens de contrainte et d’expansion et qu’à ce titre, on ne saurait accepter le fait accompli qu’elles représentent, il importe donc d’en relativiser sensiblement l’importance au niveau individuel et d’accepter la nécessité de conversions périodiques à de nouvelles pratiques sociales. Il ne s’agit donc pas tant d’avoir à quitter un pays mais simplement de changer de code. En Allemagne, au XVIe siècle, les populations devaient adopter la religion de leur prince (cujus religio...).

   Il convient donc de percevoir la dimension instrumentale du religieux, en tant que signe d’appartenance mais surtout d’allégeance. On sait à quel point les questions religieuses, en Europe, ont posé problème aux Etats en ce qu’ils impliquaient un rapport à une dimension internationale, c’est le cas du Vatican comme celui de Moscou, d’où des formes spécifiques comme l’anglicanisme, le gallicisme, l’eurocommunisme. Le monde actuel n’est-il pas entrée dans une ère post-religieuse ? L’Islam n’a pas réussi en quatorze siècles à effacer le souvenir de ce qui n’était pas lui; il doit passer d’une conception diachronique du religieux à une approche synchronique, c’est-à-dire qu’il n’est pas la religion ultime qui abolit ses prédécesseurs mais une religion parmi d’autres. La Palestine symbolise pour l’Islam cet autre que l’on n’a pas su éliminer et qui le nargue toujours à ses frontières. Un Islam somme toute largement minoritaire à l’échelle de la planète et c’est cela son drame mais un Islam qui espère encore qu’un jour il restera seul sur le terrain et qu’il n’y aura plus d’autre. En bref, le monde arabe se trouverait selon nous confronté à une ère à la fois post impériale et post religieuse - marxisme compris - où les notions d’empire et de religion ne sont plus perçues que comme des expédients pour opprimer et asservir les peuples au nom d’un dépassement des racines et des structures inconscientes. L’Islam est marqué par une représentation désormais caduque et éphémère du progrès, les hommes comprenant désormais que l’on n’abolit jamais le passé : chassez le naturel, il revient au galop. Et au sein du passé, le passé le plus ancien l’emporte sur le passé le plus récent. Il serait temps de redécouvrir sous le voile islamique les réalités complexes, diverses et profondes qui perdurent; il est bon pour les peuples de passer d’un empire à l’autre car cela leur permet de relativiser certaines superstructures et il est souhaitable que les empires se divisent et que les régions qu’ils englobent relèvent d’influences diverses, ce ne fut malheureusement pas le cas pour le monde arabe qui se retrouva tel quel sous la férule ottomane. Par la suite, les Français et les Anglais permirent au monde arabe de ne plus se considérer comme d’un seul tenant en créant diverses zones d’influence. La décolonisation semble être intervenue trop vite pour le monde arabe lequel ne put profiter pleinement des effets émancipateurs et diversifiants dus à la rivalité des empires occidentaux, lesquels s’écroulèrent prématurément. Un siècle de plus de présence étrangère multiple aurait probablement été nécessaire pour faire disparaître l’hydre du monde arabe.

Jacques Halbronn
Paris, le 23 juillet 2004

Notes

1 Cf. nos études, rubrique Hypnologica, in Encyclopaedia Hermetica. Retour

2 Cf. Georges Crom, Le Liban contemporain. Histoire et Société, Paris, La Découverte, 2003, p. 60. Retour

3 Cf. nos travaux à la rubrique Astrologica, in Encyclopaedia Hermetica. Retour

4 Cf. Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

5 Cf. notre étude “Histoire de l’intégration des Arabes”, rubrique Palestinica, Encyclopaedia Hermetica. Retour

6 Cf. nos textes sur CERIJ.org. Retour

7 Cf. Stephen Kinzer, La Turquie. Une étoile montante ?, Paris, Ed. Altvik, 2002. Retour

8 Cf. les précédents volets de la présente étude. Retour

9 Cf. nos études à la rubrique Judaica, sur Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

10 Cf. G. Corm, Le Liban contemporain, Paris, La Découverte, 2003. Retour

11 Cf. rubrique Astrologica, sur Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

12 Cf. nos recherches sur Nostradamus, sur Espace Nostradamus, Site Ramkat.free.fr. Retour



 

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