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PALESTINICA

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Le mimétisme sioniste des Arabes

par Jacques Halbronn

    La Palestine occupe une place importante dans l’imaginaire des arabes du XXe siècle et de ce début du XXIe siècle. Il n’en fut pas toujours ainsi, loin de là. En fait, c’est lorsqu’une présence politique étrangère occupe cette région que les arabes se mobilisent, comme ce fut le cas lors des Croisades, dont un film A Kingdom in Heaven qui sort en ce moment rappelle toute la portée. Mais dès que la Palestine fut libérée, elle perdit de son intérêt si ce n’est en raison des constantes revendications chrétiennes quant à l’accès aux lieux saints et notamment à Jérusalem/Sion, cette cité n’ayant pas la même importance pour l’Islam que pour les Chrétiens ou pour les Juifs, qui tous les ans à Pessah (Pâques) annoncent “l’année prochaine à Jérusalem”. A notre connaissance, quand Jérusalem fut totalement sous le contrôle des Jordaniens de 1949 à 1967, il n’y eut pas un afflux particulier de pèlerins musulmans comme il y en eut à La Mecque.

   Nous avons déjà dans de précédents textes souligné que le problème du monde arabe était de ne pas avoir fait le deuil de son empire, à la différence des autres nations, de la France à la Turquie, de l’Espagne à l’Angleterre, de la Russie à l’Autriche. La question est de savoir si le monde arabe a un centre, sur lequel il peut se replier. On a parlé de La Mecque. Mais est-ce que les arabes sont disposés à reconnaître que hors des limites de l’Arabie Saoudite, ils ne sont pas chez eux ? Qui douterait en effet que les Arabes ont envahi l’Egypte ou le Maghreb ou l’Espagne ? Dans le premier cas, la population chrétienne copte en témoigne, dans le second cas, le maintien de la langue kabyle est suffisamment éloquent. Quant au troisième cas, avec la Reconquista, il démontre que les Arabes ont bien été amenés à connaître le reflux après le flux et qu’un tel processus peut fort bien exister comme d’ailleurs ce fut le cas en Palestine, où les Croisés reconquirent ce dont les Arabes s’étaient emparé et que ceux-ci reprirent à leur tour par la suite : à nouveau, flux et reflux.

   Les pays qui ont été colonisés par l’Occident, tant en Afrique qu’en Asie ou en Amérique, tendent à se présenter comme des peuples qui n’ont jamais envahi le territoire des autres, ce qui est une totale contre-vérité. Tous les pays ont été envahis et ont été en position d’envahisseurs à un moment ou à un autre de leur Histoire. C’est le lot de tous ne serait-ce que parce qu’ils sont passés par des phases d’unification interne ou/et d’annexion de pays voisins. Or, on a souvent tendance à considérer que lorsque ces conquêtes ou annexions se font loin de la métropole de la puissance conquérante - au delà des mers notamment - la légitimité de la conquête serait plus faible. En ce sens, l’Angleterre, qui est une île, n’a pu garder, sauf dans le cas de Gibraltar, ses conquêtes en Europe continentale à la différence des autres Etats européens, sans parler du cas de sa présence dans l’île voisine, l’Irlande. A contrario, l’invasion du Tibet par la Chine ferait moins problème que toute annexion japonaise - le Japon étant une autre île - sur le continent asiatique (en Corée, par exemple). La mer servirait donc de frontière naturelle tout comme d’ailleurs certains fleuves comme le Rhin voire comme le Jourdain. Tout se passe comme s’il s’attachait à l’eau une fonction géopolitique. De ce point de vue, d’ailleurs, la Turquie ferait exception, elle qui s’étend sur deux continents, séparés par un détroit, et qui a conservé Constantinople/ Istamboul en dépit de son reflux à la suite de la Première Guerre Mondiale. En revanche, à l’autre extrémité de la Méditerranée, entre l’Europe et l’Afrique, le détroit de Gibraltar sert, lui, bel et bien de frontière politique et il n’y a pas là d’empiétement significatif. Mais qu’en est-il de la présence arabe à cheval sur deux continents ? N’est-il pas évident que le monde arabe à l’origine est asiatique et non pas africain, la frontière étant déterminée par la Mer Rouge, prolongée par le Canal de Suez, creusé au XIXe siècle. Mer Rouge dont la Bible célèbre le miraculeux franchissement par Moïse.

   Dans le cas de la Palestine, sa séparation n’est fondée sur aucun critère fluvial sauf à considérer une partition de celle-ci de part et d’autre du Jourdain, ce qui eut précisément lieu dans les années 1920. Quant à la nouvelle partition décidée par l’ONU en 1947, elle ne s’appuie quant à elle que sur la répartition des populations juives et arabes dans la Palestine cisjordanienne, le terme Cisjordanie désignant au départ tout ce qui allait du Jourdain jusqu’à la mer, de même pour le terme Palestine d’ailleurs avant la création de l’Etat d’Israël en 1948. Or, le critère de répartition des populations est assez peu valable, a priori, car si les montagnes ne se rencontrent pas, les populations, elles, sont, quant à elles, mobiles.

   La thèse que nous développerons dans cette brève étude est la suivante : de la même façon que la Palestine a servi de moyen de recentrage pour les populations juives dispersées de par le monde, de même servirait-elle pour le monde arabe en quête d’un pôle identitaire central.

   En effet, comme nous le soulignions plus haut, le monde arabe s’est étendu au point de ne plus savoir où est son axe et de ne plus pouvoir refluer vers celui-ci, comme le firent notamment, les Turcs lesquels avaient été longtemps les maîtres du dit monde arabe.

   Le parallèle vaut avec les Juifs, en ce qu’eux aussi, à un certain moment, du fait de leur extrême dispersion, de leur intégration au sein de cultures fort diverses, n’étaient guère en mesure de se recentrer sinon sur des valeurs religieuses, solution également adopté par le monde arabe. Mais cet axe religieux ne devait-il pas, sur un plan politique, être complété par un noyau géographique ?

   Le sionisme ne pourrait-il, au demeurant, être défini comme la quête d’un tel noyau sur lequel pouvoir éventuellement refluer si tant est que l’on admette l’idée d’une dialectique du flux et du reflux exposée plus haut ? Et dès lors, est-ce que le monde arabe, par mimétisme, n’aurait pas été tenté de développer son propre sionisme ? On sait que l’on peut parler d’un sionisme chrétien - marqué notamment par des spéculations théologiques voire apocalyptiques - pourquoi pas d’un sionisme arabe sinon musulman ?

   Selon cette thèse, le monde arabe aurait adopté le modèle sioniste comme il adoptera par ailleurs - ainsi que le monde africain ou le monde sud-américain - le modèle de l’Etat Nation, emprunté aux Occidentaux ? On aurait donc autour de la Palestine deux modelés qui viendraient s’articuler : non seulement celui de l’Etat Nation mais celui de noyau central servant de référence pour une diaspora, si tant est que l’on puisse parler d’une diaspora arabe, même dans des pays où elle est non pas minoritaire, comme en France, mais majoritaire. On ne voit pas en effet pourquoi une diaspora n’existerait qu’en situation minoritaire, une telle représentation constituant un obstacle épistémologique empêchant de fécondes comparaisons. Autrement dit, par sionisme, nous entendrons désormais toute tentative de déterminer un centre pour une population dans un certain état de dispersion. Le concept de sionisme, au sens où nous l’entendons, vient en dialectique avec celui de nationalisme.

   Si l’on admet que la notion de diaspora puisse concerner aussi bien des situations minoritaires que majoritaires, le parallèle entre monde juif et monde arabe nous semble tout à fait recevable. Ce qui ne signifie aucunement que par rapport à la Palestine, un tel parallèle puisse conférer la même légitimité vu que les Juifs peuvent beaucoup plus aisément justifier la fixation de la Palestine comme centre de leur diaspora que ne pourraient le faire les Arabes avec leur propre “diaspora”, si, du moins, ils étaient pleinement conscients du processus et l’assumaient clairement.

   Nous parlons de “mimétisme sioniste” avec tout ce que le terme de mimétisme sous tend de construction artificielle. Car si le sionisme juif peut faire l’objet de certaines contestations, a fortiori le “sionisme” arabe.

   Et d’abord, parce que ce sionisme arabe est postérieur au sionisme juif et en est en quelque sorte comme le corollaire ou la séquelle. Bien sûr, si la Palestine n’était pas située aux confins du monde arabe, si le sionisme s’était polarisé sur l’Argentine, par exemple1, le problème ne se poserait pas dans ces termes. Mais les choses étant ce qu’elles sont, la Palestine étant devenue, dans le cadre de la Société des Nations, le lieu du Foyer Juif, au lendemain de la Première Guerre Mondiale, le sionisme arabe pouvait alors se développer et prospérer, en jouant d’ailleurs sur une certaine ambivalence conduisant à percevoir, avec plus ou moins de bonne foi, le sionisme comme un nationalisme, tant il est vrai qu’il n’est pas toujours aisé de décoder certaines situations, du fait d’inévitables interférences. Or, ce serait un contresens que de présenter le sionisme comme l’expression d’un nationalisme juif, confusion que la plupart des historiens du sionisme commettent, ce qui n’est évidemment pas sans conséquence sur la façon dont le sionisme est perçu.

   Que la question du sionisme arabe soit une vraie question ne signifie pas que la réponse se situe ipso facto en Palestine. Car historiquement, la Palestine ne constitue aucunement le berceau du monde arabe alors qu’elle l’est beaucoup plus vraisemblablement pour le monde juif qui a essaimé à partir de cette région, du moins selon une représentation généralement admises par les historiens.

   On serait donc bel et bien en face d’un processus mimétique de la part du monde arabe face au monde juif, d’une sorte de calque. Un processus qui en arrive à revendiquer carrément la même terre marquée par les références bibliques, la même ville de Jérusalem.

   Bien entendu, on cherche à occulter la question des processus sionistes pour ne traiter que de phénomènes liés au principe des nationalités, hérité du XIXe siècle. Il y aurait donc un nationalisme palestinien qui serait le fait des populations locales, vivant sur place ou en ayant été expulsées, et dans ce cas vivant, pour une certaine part, dans des camps dits de réfugiés, ou dans des lieux très fortement peuplés comme Gaza, dont il est tant question actuellement.

   Parler du nationalisme palestinien est une vision des choses bien différente de celle dont nous venons de traiter, à savoir du sionisme arabe. Quelle est la grille la plus adéquate des deux pour appréhender la situation ? Le fait que le monde arabe soit si concerné par ce qui se passe en Palestine, et c’est notamment le cas dans la minorité arabe en France. Tout se passe comme si ces diasporas arabes trouvaient quelque motivation à se centrer sur la Palestine, copiant en cela les Juifs, tout en étant décalés par rapport à la réalité historique. Autrement dit, le sionisme arabe est infiniment plus mythique que le sionisme juif et il est significatif de noter que le seul lien entre Mahomet et Jérusalem tienne à un voyage mystique, en rêve.

   En réalité, ce n’est évidemment pas d’hier que les arabes imitent les juifs et la célébration annuelle lors de l’Aid El Qebir du sacrifice du fils d’Abraham, en cette même Palestine, qu’ils disent être Ismaël, le fils d’Agar et non Isaac, le fils de Sarah, comme il est dit dans la Bible que sur ce point le Coran récuse, en témoigne. Il n’y aurait pas eu une telle importance accordée à Jérusalem lorsque la Cité tomba, en 638, aux mains des Arabes si celle-ci n’avait été juive, en raison de l’affirmation d’une descendance spirituelle, nourrie par la parenté sémitique entre l’arabe et l’hébreu et qui fait, un peu vite, des Arabes comme des Juifs des Sémites.

   En vérité, la thèse du sionisme arabe se polarisant sur Jérusalem et plus globalement sur la Palestine nous semble, somme toute, plus crédible, plus vraisemblable, que celle du nationalisme palestinien qui n’est qu’une posture, un masque. Encore faut-il faire la part du panarabisme, à l’instar du pangermanisme - notamment avec l’affaire des Sudètes mais aussi avec ses constantes revendications sur l’Alsace, finalement annexée en 1870, pour près d’un demi-siècle - revendiquant tout territoire où une population, géographiquement à peu près localisée, parle arabe.

   Sionisme arabe, panarabisme, nationalisme palestinien, nous avons là trois grilles de lecture. La seule admise par le monde arabe étant la dernière parce qu’elle correspond à un modèle simple : il y a une population relativement homogène, qui veut être indépendante ; il faut qu’elle devienne indépendante. CQFD. Nous avons dit plus haut que ce critère de présence d’une population dans un lieu donné était quelque chose d’assez discutable et qui d’ailleurs encourage les génocides et les transferts de population puisqu’il suffit que la dite population s’en aille pour qu’elle perde ses droits sur le pays en question. C’est d’ailleurs, au nom de ce principe, que les Palestiniens et les Arabes en général contestent le droit des Juifs à s’installer en Palestine puisqu’ils ont eu le tort d’en partir. Qui va à la chasse perd sa place. Il suffirait qu’une population s’installe dans un pays pour que ce pays lui appartint. Or, tel n’est pas le cas des Juifs qui sont venus s’installer dans un pays où leurs aïeux avaient vécu précédemment. On voit donc que l’on revient à l’impérialisme arabe qui présuppose que là où des Arabes se sont mis, il n’est plus jamais question qu’ils en partent. Et nous revenons au coeur du problème, à savoir qu’à force de se disperser et de s’identifier tant géographiquement que culturellement avec les pays auxquels ils ont pu avoir accès, les arabes ne savent plus que est leur centre géographique. Cette identification est aussi un trait caractéristique des Juifs qui se sentent français, allemands, russes etc. Et c’est bien pour cela, que montrant les mêmes tendances, le sionisme de Herzl fait écho pour les uns et les autres à savoir que les arabes comme les Juifs, en dépit de leurs diversités internes, forment un seul et unique peuple ayant besoin d’un seul et unique centre.

   Et de la même façon que c’est un peu par hasard que la Palestine est devenue le Foyer Juif puis l’Etat Hébreu que l’on sait, du fait de l’entrée de l’empire ottoman aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche Hongrie, lors de la Première Guerre Mondiale, alors que le mouvement sioniste commençait à désespérer, optant ainsi en 1905 pour l’Ouganda, c’est aussi assez fortuitement que la Palestine est devenue centrale pour le monde arabe, du fait précisément de l’installation des Juifs en cette région. Il est à parier que s’il n’y avait pas eu de Foyer Juif en Palestine, la Palestine n’aurait absolument pas l’importance qu’elle a dans les circonstances actuelles pour le monde arabe.

   Il est bien évident que cette Palestine ne saurait être le lieu de rassemblement d’une partie significative du monde arabe, lequel n’envisage d’ailleurs aucunement un tel repli des pays qu’il occupe, ce qui le distingue tout de même assez nettement du sionisme juif. Au vrai, cette Palestine ne fait sens, à l’échelle du monde arabe, que parce que les Juifs y sont impliqués, et ce par un souci récurrent de mimétisme. On peut d’ailleurs imaginer qu’elle devienne, à terme, un lieu de pèlerinage pour les “diasporas” arabes bien que celles-ci ne se reconnaissent pas comme telles.

   Cependant, le sionisme arabe porte en lui-même des germes de désagrégation du monde arabe puisqu’il implique qu’il y ait une centralité vers laquelle on puisse avoir à revenir, ce qui revient à délégitimer les diasporas arabes ou plutôt à ne considérer celles-ci que comme un aménagement provisoire au sein de populations antérieurement présentes non arabes.

   Or, il semble que l’on veuille ici le beurre et l’argent du beurre : accorder quelque importance à la Palestine pour le monde arabe ne fait sens que soit au nom d’un sionisme arabe dont on a vu les implications problématiques soit, au contraire d’un panarabisme qui serait l’expression et le rappel d’un impérialisme arabe dont on sait que comme tout impérialisme il a son flux mais aussi son reflux, ce qui revient également à placer le monde arabe dans le provisoire, dans le fluctuant. La Palestine aura été le révélateur de l’existence d’un tel empire arabe et des diasporas qui le constituent, et la Palestine elle-même, c’est là où le bât blesse, n’est jamais que l’une de ces diasporas arabes. Il serait bon, tout compte fait, pour le monde arabe de se recentrer sur La Mecque, berceau tant de l’Islam que de l’arabisme au lieu de se polariser plusieurs milliers de kilométres au nord, sur Jérusalem, Al Kouds, aux confins de l’Europe, conquise sur l’Empire Byzantin, perdue en 1099, puis reconquise, puis encore reperdue en 1967, lors de la Guerre des Six Jours.

   Mais un tel glissement de La Mecque vers Jérusalem et sa mosquée Al Aqsa, bâtie par dessus le Deuxième Temple des Hébreux, détruit en l’an 70, par l’envahisseur romain, nous apparaît comme le symptôme d’un malaise profond du monde arabe qui est celui de ces peuples qui ont oublié qu’ils ont été conquérants et ne se perçoivent plus que comme décolonisés. Paradoxe de voir ces Arabes auteurs d’une des entreprises de conquéte les spectaculaires de tous les temps ne plus vouloir se voir que comme des populations victimes de l’envahisseur ! C’est bien pourquoi les Arabes palestiniens ont bien du mal à reconnaître qu’ils sont arrivés en Cisjordanie avec l’expansion arabe et qu’ils n’en sont jamais repartis vers leur base de départ et nous avons vu qu’en fait ils tendent quasiment à apparaître, dans l’imaginaire politique arabe, comme le pôle central, dont tout le monde arabe serait le prolongement, l’émanatiion. Un des effets les plus pervers de la colonisation d’une partie du monde par l’Occident aura été, en effet, d’amener les peuples ainsi colonisés à ne plus assumer pleinement leur propre Histoire et à occulter les problèmes inhérents à leurs propres conquêtes. C’est ainsi que l’Afrique a connu une forme de colonisation antérieure à l’arrivée des Européens.2

   Un tel refus d’assumer le fait que le monde arabe est né d’un certain type de colonialisme religieux, à savoir l’Islam, est flagrant notamment chez les Algériens qui ne veulent pas prendre en compte la question kabyle en tirant prétexte de l’occupation française. Contrairement à ce que pensent tant d’Etats décolonisés, il n’existe pas de dualité entre colonisés et colonisateurs, tous les peuples ont eu leurs périodes d’oppression d’autres peuples et il serait bon que les dits peuples anciennement colonisés acceptent de libérer les peuples qu’ils ont eux-mêmes soumis, les condamnant souvent, en Afrique, à l’esclavage, dans le cadre de la Traite vers l’Amérique. L’antisionisme irakien ne servit-il pas à occulter les conflits au sein de la société irakienne entre Kurdes, Chiites et Sunnites ? En fait, nous dirons que les Juifs, notamment par la personne de Herzl, auront fourni aux Arabes, avec le sionisme, une nouvelle grille de lecture et en ce sens ils n’auront pas peu contribué à modeler les mentalités arabes contemporaines. Mais ce sionisme implique un retour à un point origine et force est de constater que ce qui correspond à une certaine réalité historique chez les Juifs nous apparaît, décliné sur le mode arabe, comme un artefact absolu car quand bien même les Palestiniens seraient-ils, en effet, installés depuis des siècles, ils ne sont eux-mêmes qu’un élément de la diaspora arabe, un des fleurons les plus remarquables au demeurant de l’expansionnisme arabe. C’est comme si les Sionistes avaient décidé de faire de la France une nouvelle Sion, un axe central, arguant d’une longue présence juive dans ce pays. Comment demanderons-nous prétendre bâtir une centralité arabe sur une province, la Palestine; dont les lieux principaux - Jéricho, Hébron, Bethlehem etc - transpirent une autre présence plus ancienne ? Le retour des Juifs en Palestine comporte la même évidence que celui des Coptes en Egypte, pays des pyramides, s’il existait une telle diaspora. Rien n’est pire, pour un empire que de se croire légitime car un empire se construit nécessairement dans la mauvaise conscience - bien mal acquis ne profite jamais. Ce qui fait problème, c’est précisément la bonne conscience arabe, incapable de s’assumer comme héritière d’un des plus anciens empires à avoir survécu jusqu’à nos jours. Au point de traiter les Israéliens d’impérialistes alors qu’ils ne font que récupérer leur berceau historique. Comment dès lors oser encore opposer la cause israélienne à la cause palestinienne si ce n’est au nom d’un sionisme arabe mimétique ? Au lieu de faire de la Palestine, l’objet d’un deuil salutaire pour un monde arabe en quête de repères, on est passé à une surenchère qui exige que cette Palestine revête strictement la même importance pour le monde juif et pour le monde arabe. Il ne faudrait peut-être pas oublié que le mot hégire qui marque le début de l’ère islamique (en 622) vient de hijra, le repli.3 Le prophète Mahomet ne donna-t-il pas l’exemple de la nécessité de “fuir”, de La Mecque vers la ville qui s’appelerait par la suite Médine, et de renforcer un noyau dur avant de repartir à la conquête du monde ? Dans le cas palestinien, le centre vers lequel la population serait aménée à se replier est évidemment le lieu d’où elle tient sa force. De deux choses l’une, ou bien les Palestiniens sont isolés dans le monde arabe et ne peuvent donc résister ou bien ils sont soutenus par quelque puissance arabe et celle-ci doit être à même soit de leur permettre de tenir soit de les accueillir en son sein, comme la France le fit lorsqu’elle dut quitter l’Algérie, avec ses “rapatriés”. Le centre d’un empire a donc une double mission et un double engagement : ou bien aider ses ressortissants là où ils sont ou bien les récupérer et si un empire n’a pas de centre, au sens où nous l’entendons, il est malade et, à terme, condamné. C’est précisément ce qui fait probléme dans le cas palestinien : au lieu de rapatrier les populations en fuite ou se retirant, notamment au lendemain de l’indépendance d’Israël puis après la Guerre des Six Jours, le monde arabe les a maintenues dans un état de précarité, refusant de les intégrer, ce qui est en contradiction avec un certain devoir de solidarité et d’entraide au sein d’un même ensemble politique. Le nationalisme palestinien n’est guère conciliable, en fin de compte, avec la problématique du monde arabo-musulman. Le propre d’un empire, c’est, comme nous le disions, de savoir avancer mais aussi reculer. Apparemment, les Palestiniens n’ont plus conscience d’être le fer de lance de l’expansion arabe, avec ses hauts et ses bas et se comportent comme s’ils étaient des populations locales, ayant demeuré dans la région de tout temps. Or si c’était le cas, leur appartenance au monde arabe ne devrait être que ponctuelle et révisable, puisque résultat d’une conquête arabe à leurs dépens. Or, dans la résolution de l’ONU du 29 novembre 1947, la population palestinienne est désignée comme “arabe”, terme employé bien au delà de la Palestine et qui l’apparente à l’évidence au monde arabe en général, et c’est à ce titre qu’un territoire lui fut, virtuellement, accordé, sous la pression arabe, la preuve en est que ce territoire sera intégré dans le futur ensemble qui prendra le nom de Royaume de Jordanie et qui incluait la Transjordanie, du moins jusqu’en 1967. La faiblesse du sionisme juif a toujours été une certaine forme de racisme mal placé et qui l’a empêché d’intégrer les populations locales que ce soit après la Déclaration Balfour ou après l’occupation de la Cisjordanie, enclenchant ainsi un processus communautariste voué à déboucher, trente ans après 1917, sur une scission, celle de 1947 puis qui trente ans après 1967, avec la Seconde Intifada, a mis en branle un processus conduisant à la création d’un Etat “palestinien”. L’occupation de 1967 fut une seconde chance qui fut gâchée.

   Or, il n’y a pas d’intégration de l’autre; au sein d’un même espace, sans un certain brassage qui passe par les intermarriages et l’exogamie.4 A quoi bon disposer d’une culture puissante si elle n’est pas en mesure de contrebalancer une réalité diverse, en l’occurrence l’accueil de femmes arabes au sein du monde juif, par le mariage et vice versa ? Ce n’est pas en effet la culture qui est la manifestation d’un peuple mais, bien au contraire, c’est elle qui lui permet de trouver une unité toujours remise en question par de nouvelles arrivées. Un peuple qui n’a pas de défis d’intégration à relever voit sa culture dépérir puisque la dite culture ne remplit plus sa fonction intégratrice. Cette incapacité israélienne au mixage juifs-non juifs prend une telle ampleur que même entre juifs, les intermarriages sont devenus trop rares, d’où un communautarisme linguistique croissant.

   Il est vrai que selon la Loi, la judéité se transmet par la femme, ce qui selon nous est une totale aberration qui ne correspond d’ailleurs aucunement à la place accordée à la femme par la religion judaïque, laquelle facilite au contraire l’intégration de femmes étrangères au sein de la société juive, en limitant les exigences à l’égard des femmes. Une société a le choix entre l’égalité hommes-femmes aux dépends de sa capacité d’intégration ou l’inégalité entre hommes et femmes, ce qui facilite la venue d’une population féminine étrangère pour laquelle la barre est moins haut. La plupart des échecs intégratifs et la cause des dérives communautaristes, tant en Algérie, sous la présence française, qu’aux Etats Unis, sont dus à une fausse conception du statut de la femme - dû à un féminisme mal venu - ou si l’on préfère à une volonté irresponsable d’en changer, qui conduit la femme à se vouloir, à l’instar de l’homme, enracinée dans sa culture d’origine plutôt que de se préparer à une adaptation à un autre milieu. Tel est le terreau qui a conduit à la situation présente avec l’étrange existence d’un double sionisme.

   C’est au nom d’un égalitarisme mal venu que l’on a voulu mettre l’Etat Juif en parallèle à l’Etat Palestinien. La France qui s’est prêtée à ce jeu se retrouve aujourd’hui dans une situation assez semblable, quand, au sein de l’Union Européenne, elle se retrouve sur le même pied que tel ou tel Etat qui ne saurait prétendre à la même importance culturelle, linguistique, historique qu’elle. Les arabes palestiniens ne sont, au bout du compte, qu’une excroissance provinciale et marginale du monde arabe, ce qu’on appelle une marche. Israël est, quant à lui, la partie immergée de l’iceberg juif. Il faut que la science politique soit devenue prisonnière de modèles ô combien inopérants pour ne pas dénoncer dans l’idée même d’Etat palestinien, une telle imposture de l’Histoire. Il ne s’agit même pas ici de débattre de la question de savoir qui était là le premier. Il y a parfois des situations insolites qui se créent, des contingences qui obstruent l’horizon, dont il importe de ne pas être victime, Que la dite science politique soit à la merci de certains hasards aux effets grossissants et ne sache s’en démarquer, au nom d’une doxa stérile, d’un nominalisme dérisoire - ce qui a même qualificatif (peuple, Etat) aurait même réalité - révèle son délabrement épistémologique.

   Le cas palestinien est un cas d’école pour l’anthropologie du mimétisme. Déjà, en soi, le terme palestinien était initialement dédié à la présence juive dans la région. Avant la création de l’Etat d’Israël, on parlait d’une Agence Juive pour la Palestine et tout habitant sous le mandat britannique était qualifié de palestinien, juif comme arabe. Ce fantasme identitaire, au sens d’être identique à l’autre ou de partager la même identité que lui, s’est manifesté par la volonté d’avoir aussi un Etat “comme les Juifs” palestiniens, de se donner la même capitale, Jérusalem, d’avoir également un siège à l’ONU. Un tel phénomène n’est pas nouveau puisque déjà du temps de Jésus, les Samaritains - dont les Palestiniens revendiquent parfois la filiation - avaient des revendications de judéité, ce qui conduisit à ouvrir le christianisme aux non-juifs.

   Le problème, c’est que la création d’un foyer juif avait, à l’origine, une toute autre portée qu’une simple division de la Palestine entre deux Etats, position qui ne date que de 1947. C’était là une sorte de privilège accordé en 1920 par la communauté des Nations (la SDN) aux Juifs de par leur condition et leur Histoire particulière - et notamment leur lien à cette terre qui n’était pas n’importe laquelle - tout comme leur théologie leur accordait un statut religieux particulier, un lien spécial avec Dieu, dans l’Antiquité. En fait, ce que revendiquent les jaloux d’Israël, au cours des âges, c’est de bénéficier des mêmes droits que les Juifs en oubliant que ces droits sont extraordinaires, exceptionnels et comme l’a dit le nouveau pape Benoît XVI, irrévocables. C’est cette exceptionnalité qui est en réalité en cause. Ce ne sont quand même pas les Juifs qui se sont dit : “Tiens et si nous avions un Etat comme les arabes de Palestine” ! Il ne faudrait pas renverser les rôles.

   Il ne s’agit nullement pour les arabes palestiniens de demander le respect d’un droit commun mais bien plutôt d’obtenir ce qui avait été accordé de façon tout à fait spécifique et unique aux Juifs sur ces Lieux Saints en raison de la reconnaissance d’un certain droit d’ancienneté au regard du monothéisme que d’ailleurs les musulmans ne contestent pas. On songe, à propos des Palestiniens, à la fable de La Fontaine, avec cette grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf et qui finit par éclater. On peut regretter que l’Islam n’ait pas vu dans la création de cet Etat Juif, laquelle fut programmée bien avant la Shoah - la Déclaration Balfour est de 1917 - une sorte de retour à un certain ordre primordial du monde, à la remise en place d’une géographie politico-religieuse faisant sens aussi bien pour le Christianisme que pour l’Islam. Le démon de la tentation mimétique l’aura finalement emporté, ce qui correspond d’ailleurs à un recul flagrant de la grille religieuse, ce qui confère à l’antisémitisme et à l’antisionisme arabes une expression faussement laïque. On est bien ici dans un rapport de fascination et de rejet dont les enjeux sont bien au delà des Palestiniens. Quelque part, c’est le monde arabe, derrière un Nasser; qui veut ainsi se mesurer avec le monde juif tout comme le monde germanique; et ses nazis, se présentaient, du côté chrétien, comme ceux qui l’emporteraient définitivement sur Israël. C’est dire à quel point les Juifs ont été menacés dans leur existence au XXe siècle si l’on ajoute le déracinement provoqué par la décolonisation des années 1950-1960, notamment au Maghreb. Alors que lors de l’expulsion des Juifs d’Espagne, le monde ottoman les avait accueillis, à la fin du XVe siècle, il n’a pas, bien que sollicité par Herzl, eut l’intelligence de le faire quatre cents ans plus tard, par trop contaminé déjà par les idéologies européennes de nationalisme, de territorialisme et de racisme. Le caractère apparemment totalement disproportionné des forces en présence donne une idée de la véritable dimension de cette confrontation qui touche aux fondamentaux de l’Histoire de l’Humanité.

   L’analyse de la conflictualité est d’ailleurs tout à fait révélatrice : que Hitler ait consacré autant d’énergie et de moyens à un projet d’anéantissement systématique d’une population extraite de son écosystéme européen, à la façon dont on extrait le sel de la mer, ne suffit-il pas à montrer que le peuple juif n’est pas un peuple comme les autres ? Mais on peut aussi avoir du mal à comprendre cette “guerre” entre arabes palestiniens et juifs palestiniens, qui a pour nom Intifada et qui relève d’une démesure inverse mais tout aussi étonnantre. Comme si les Palestiniens voulaient avoir eu le privilége d’avoir eu à lutter, ne serait-ce que symboliquement, avec des méthodes bien artisanales, où l’être humain devient lui-même une machine à tuer en se tuant, contre l’armée de l’Etat Hébreu. Deux guerres bien particulières à caractère apocalyptique, antéchristique - contre les Juifs - absurdes, l’une et l’autre, au regard de l’art militaire et qui ne prennent leur signification que dans un registre fantasmatique voire psychotique. Deux guerres où l’adversaire des Juifs s’attaque en réalité à la population civile et non à des soldats, où il assassine femmes et enfants indistinctement car elles visent à littéralement éradiquer l’autre.5 Aussi scandaleux que puisse apparaître notre jugement, nous ne pouvons pas ne pas voir chez les Arabes palestiniens les stigmates d’un double mimétisme, assez dérisoire dans ses manifestations, il est vrai, à la fois, dans la fascination, par rapport au projet sioniste et à la fois, dans le rejet, par rapport au délire nazi. Sans ces deux clefs, il est impossible de comprendre ce qui meut depuis bientôt un siècle les arabes de Palestine.

   L’analyse que nous proposons ici n’émane pas d’un quelconque positionnement judéo-sioniste. Nous préférerions à la limite aborder cette question d’un point de vue neutre en tant que phénomène sociopolitique. Pour nous, l’être humain n’est lié, a priori, à aucune terre, à aucune langue, à aucune culture, qu’il soit juif ou non juif. Chaque être humain, avec le potentiel qui est le sien, chosit ou assume de manifester le dit potentiel au travers d’une terre, d’une langue, d’une culture. En tant que juif français, nous nous exprimons dans le champ français et nous jugeons autrui, juif comme non juif, au travers des intérêts du dit champ, ce qui n’exclue aucunement une position xénophobique face aux immigrés en France, tant juifs que non juifs qui correspond à une réaction immunitaire. Car nous pensons que l’Humanité est riche d’un extraordinaire patrimoine culturel et qu’il convient de le préserver contre diverses formes de syncrétismes et de mimétismes. Insistons sur le point suivant : les structures que nous avons mentionnées - Etat, Langue, Culture, Société etc - n’appartiennent qu’à ceux qui en ont la maîtrise et qui peuvent faire la preuve de leur maîtrise. Les Juifs ne sont ni plus ni moins pénétrés des dites structures que les non Juifs. En ce sens, ,nous n’apprécions guère que l’ambassadeur d’Israël à Paris, Nissim Zvil6 dise : “Les Juifs de France aiment la France et Israël. Ils aiment la France, c’est leur pays d’accueil. Un pays dans lequel une très grande majorité s’est très bien intégrée”. C’est à tout le monde de s’intégrer en France ou d’intégrer la France comme un enfant intègre le monde dans lequel il naît. Maintenant qu’il y ait une proportion importante de Juifs de France qui soient des immigrés n’autorise pas pour autant à parler ainsi des Juifs de France. D’ailleurs, dans le même numéro du magazine, on parle (pp 56-57) de Rashi, un Juif de Troyes du XIe siècle. Chaque être humain épouse une certaine culture car autrement il ne peut s’exprimer. En ce sens, les Juifs différent considérablement de par le monde et peuvent tout à fait s’opposer entre eux.

   Assimiler les Juifs à des étrangers est selon nous une forme aiguë de judéophobie, c’est à dire une tentative de déstabilisation de la présence juive au monde. Il y a certes des Juifs en situation d’étrangers mais le propre du Juif n’est aucunement d’être étranger. La condition d’étranger est toujours problématique, elle est un grave facteur de dysfonctionnement des sociétés, sauf si l’étranger reste à sa place et occupe une place particulière. En aucun cas, n’est-il souhaitable de mettre sur un même pied dans une société étrangers et natifs car cela peut être la cause de graves interférences non seulement entre ces deux ensembles mais même entre natifs qui peuvent voir leurs relations perturbées, faussées. C’est pourquoi nous ne saurions en aucun cas accepter que l’on assimile le fait d’être juif au fait d’être étranger. Bien au contraire, les Juifs natifs sont les meilleurs anticorps, la meilleure garantie de défense contre les intrusions de l’extérieur. Pour un pays comme la France qui a un capital de cohésion culturelle à préserver, à la différence d’autres pays beaucoup plus hétérogènes dans leur mode de fonctionnement, les Juifs ne sauraient se faire les avocats d’un quelconque communautarisme, dû à un certain mimétisme par rapport à la population islamo-maghrébine, laquelle, il faut le dire, reste, en revanche, fortement étrangère au consensus culturel française environnant. Cela dit, nous ne sommes pas hostiles à la présence d’étrangers - et cela concerne aussi une partie de la population juive issue de l’immigration - à condition toutefois qu’elle ait un statut à part. Ce qui est grave, ce n’est pas la différence, c’est la dénégation de la différence en dépit des évidences. Or, l’étranger est souvent tenté de refuser d’assumer ou de minimiser les conséquences de son étrangeté.

   Pour nous, le véritable sionisme consiste à établir une société où les Juifs soient respectés, où on leur reconnaît un certain mérite, une contribution remarquable, et nous pensons qu’en France et certainement aux Etats Unis, il en est ainsi. Quant à l’idée de créer un Etat Juif; stricto sensu, où il n’y aurait quasiment que des Juifs, où la population arabe environnante, dans les frontières ou au delà des frontières d’Israël, pour diverses raisons, ne serait pas prête à accorder aux Juifs une certaine prééminence, qui ne serait pas due à une quelconque contrainte physique, ni à une supériorité numérique, cela ne nous semble pas particulièrement enthousiasmant. Or, le mimétisme palestinien n’est-il pas justement fondé, comme tout mimétisme d’ailleurs, sur une négation de la différence entre Juifs et non Juifs, attitude qui nourrit paradoxalement un antisémitisme de mauvais aloi visant à prendre à terme la place des Juifs, ce qui revient à peu près au même, en pratique, que de vouloir les expulser ou les marginaliser.7

   Il n’empêche, par ailleurs, que le sionisme juif n’en constitue pas moins un enjeu fondamental, à l’échelle anthropologique en ce qu’il affirme que les êtres humains ne se réduisent pas à ces Léviathans qui asservissent leurs sujets que sont les grandes entités étatiques, culturelles, linguistiques mais qu’ils ont une réalité intrinsèque à préserver et parmi les clivages essentiels qui transcendent les découpages et les clivages culturels, il y a les Juifs. C’est dire, une fois de plus, que la question du peuple juif et celle du peuple palestinien ne se situent absolument pas sur le même plan, si ce n’est au prix d’une perversion du langage. Le peuple juif - d’où son extrême hétérogénéité - est une réalité qui se situe au delà de tous ces monstres culturels, religieux, il en est dans sa manifestation sioniste le dépassement sinon l’effacement alors que le peuple palestinien se situe au niveau de la contingence historique la plus précaire, la plus aléatoire. S’il y avait des Juifs palestiniens ou plus largement des Juifs dans le monde arabe, nous leur dirions la même chose qu’aux arabes palestiniens, à savoir qu’ils sont engagés dans un processus mimétique assez dérisoire par rapport à l’expérience sioniste instaurée dans cette région. Et nous pensons qu’ils seraient peut être assez intelligents pour s’en rendre compte. Tout comme nous ne suivrons certainement pas quand des Israéliens se mettent à parler comme des Palestiniens et entrer eux mêmes dans une sorte de mimétisme par rapport à eux. Le mimétisme est toujours lié à l’insuffisance des modèles qui font entrer dans un même moule, recourir à une même formulation, pour décrire des réalités foncièrement distinctes. Au vrai, la diversité même de la réalité israélienne nous semble éminemment souhaitable. Il n’est aucunement souhaitable qu’il existe un creuset israélien et c’est ce qui doit en faire un Etat différent des autres, où l’on parle de nombreuses langues, où les cultures se juxtaposent, bref, qui reflète la richesse de la diaspora. C’est précisément la tendance qu’une étude objective de la société israélienne fait désormais ressortir.

   Le départ des Juifs du sein du monde arabe a également contribué à fausser les perspectives. Le monde arabe, il faut le souligner, peut parfaitement accueillir des Juifs et ceux-ci intégrer la culture et la langue des pays arabes comme ils le firent dans le passé. Ainsi, opposer le monde juif et le monde arabe nous apparaît comme une aberration. On joue encore une fois sur les mots : les juifs peuvent faire partie du monde arabe mais les arabes ne peuvent pas faire partie du monde juif. En revanche, les arabes peuvent faire partie du monde israélien, qui a vocation à intégrer des réalités humaines fort diverses.

   Comment ne pas voir que l’on continue à vouloir appréhender le phénomène juif avec des outils non pertinents ? Le philosophe Paul Ricoeur (1913-2005) lui même n’acceptait pas que l’on accorda trop d’importance à la Shoah : il fallait selon lui “démentir la mémoire d’une communauté déterminée, lorsqu’elle se replie et se referme sur ses souffrances propres au point de se rendre aveugle et sourde aux souffrances des autres communautés”. Etrange idée de l’altérité que d’employer le mot “autres” dans le sens de “comme les autres”. Toute la question est précisément de savoir si les Juifs sont un peuple “de plus”, une religion “de plus”, une communauté “de plus׏, puisque ici le mot “autre” signifie simplement “qui vient s’ajouter” au sein d’une certaine catégorie. Pour notre part, il faut savoir reconnaitre qu’il existe synchroniquement et diachroniquement des concepts manquants et que la réalité est plus complexe que la grille utilisée. Cessons de vouloir faire entrer le phénoméne juif dans un lit de Procuste !

Jacques Halbronn
Paris, le 21 mai 2005

Bibliographie

         - Denis Sieffert, Israël Palestine. Une passion française, Paris, Ed. De la Découverte, 2004.
         - Maurice Vaïsse, La Paix au XXe siècle, Paris, Belin, 2004.
         - Patrick J. Geary, Quand les nations refont l’Histoire. L’invention des origines médiévales de l’Europe, Paris, Aubier, 2004.
         - A. et Ph. Zwang, De la Russie de Catherine II à la Russie d’aujourd’hui, Paris, Ed. Ellipses, 2004.
         - C. Coquery - Vidrovitch, L’Afrique et les Africains au XIXe siècle. Mutations, révolutions, crises, Paris, Armand Colin, 1999.
         - Le Grand Atlas de l’Histoire Mondiale, dir. G. Barraclough, Paris, Albin Michel- Universalis, 1979.
         - A. Fontaine, La Tache rouge. Le roman de la guerre froide, Paris, La Martinière, 2004.

Notes

1 Cf. le sionisme et ses avatars au tournant du Xxe siècle, Feyzin, Ramkat, 2002. Retour

2 Cf. C. Coquery - Vidrovitch, L’Afrique et les Africains au XIXe siècle. Mutations, révolutions, crises, Paris, Armand Colin, 1999, p. 71. Retour

3 Cf. C. Coquery - Vidrovitch, L’Afrique et les Africains au XIXe siècle. Mutations, révolutions, crises, op. cit. p. 69. Retour

4 Cf. notre étude sur le statut social de la femme juive, sur Encyclopaedia Hermetica, rubrique Judaica. Retour

5 Cf. sur ce point toutefois, notre étude sur le statut de la femme dans le judaisme, sur Encyclopaedia Hermetica, rubrique Judaica. Retour

6 Cf. Tribune Juive, mai 2005, p. 21. Retour

7 Cf. notre étude sur la conversion, sur le site Encyclopaedia Hermetica, rubrique Judaica. Retour



 

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