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PALESTINICA

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L’amalgame juif et immigré et le concept de diaspora

par Jacques Halbronn

    Beaucoup de juifs, de nos jours, partagent un trait commun sans rapport direct avec la condition juive, ce sont des immigrés ou marqués par une récente culture familiale forgée au travers de l’immigration 1. Bien des positions et des débats sont marqués par une telle spécificité et il est urgent d’éviter certains amalgames qui viennent brouiller la réflexivité juive.

   Nous pensons, en effet, que les deux conditions tendent à interférer dans la stratégie identitaire de nombreux juifs et cela fait problème et ce d’autant plus que la coexistence de ces deux conditions est devenue chose commune parmi les juifs et singulièrement en France, ce qui conduit à de fausses évidences, à un consensus trompeur. Albert Memmi, juif d’origine tunisienne, fait partie de ceux qui ont écrit sur ces deux facettes de tant de juifs actuels.

   Quand, en effet, on nous parle de l’universalité de l’être juif, n’est-on pas en train de transposer l’idée d’une universalité de la condition humaine, qui est un leitmotiv du discours de l’étranger ? Or, on conçoit que désormais, notamment du fait de la présence musulmane massive en France qui interpelle les juifs, quant à leur identité particulière, cette façon de procéder soit pour le moins insuffisante.

   Il importe en effet, pour les juifs, de se démarquer de cette communauté musulmane et tout spécialement cela concerne les juifs issus du monde arabe francophone et marqués existentiellement par la décolonisation.

   Bien des analyses qui se voulaient / voudraient “juives” se retrouvent fragilisées et dépassées face aux revendications franco-musulmanes. La comparaison, en effet, entre les discours franco-juifs et franco-musulmans met en évidence un certain amalgame judéo-immigré.

   Nous avons montré, dans d’autres textes, que le juif était un étranger structurel, de l’intérieur, dont la différence était nécessaire au système tandis que l’immigré était un étranger conjoncturel, de l’extérieur, qui ne faisait pas sens pour le système. Ce qui n’empêche pas que superficiellement on puisse les confondre et qu’on ne s’en prive pas, bien que leurs logiques soient diamétralement opposés. En s’assimilant en apparence le juif de souche, d’autant plus s’il refusait les signes extérieurs de sa religion, a laissé une place qu’occupe symboliquement l’immigré, juif ou non juif. On peut se demander d’ailleurs si le juif d’Afrique du Nord n’a pas préparé la voie de l’immigration en métropole au musulman d’Afrique du Nord. Il porte en cela une certaine responsabilité. On donnera un exemple, pris dans l’immigration en Israël : une première vague de juifs issus de l’URSS est arrivée dans les années Soixante-dix et qui a préparé la voie à une seconde dans les années Quatre Vingt-Dix, beaucoup moins disposée à s’intégrer.

   Ce personnage du juif immigré est extrêmement complexe et, selon nous, il n’incarne nullement les valeurs juives qui ne sont pas, quoi qu’on dise, marquées, sinon incidemment, par l’immigration. Sa judéité est en réalité fortement influencée par son étrangeté à la France, c’est à dire par une appartenance à une culture qui n’est pas juive en soi mais qui remplit complaisamment un certain vide identitaire. Tout comme d’ailleurs, un juif français se sent singulièrement français quand il vit en Israël.

   Nous vivons une époque de carence ontologique que l’on croit pouvoir compenser par une approche phénoménologique, existentielle, ce qui ne résout pas grand chose.

   L’approche phénoménologique semble plus accessible, au premier abord alors qu’elle nous semble des plus naïves. Elle croit pouvoir faire l’économie de modèles transcendantaux. Elle confond l’existence et l’essence. Elle suppose que les choses se manifestent nécessairement telles qu’elles sont.

   L’approche ontologique exige d’effectuer un tri, d’opérer une décantation, de séparer la réalité des apparences, de prendre en compte les mirages du mimétisme, les tentations de la substitution. Selon nous, il n’y a pas de quête ontologique sans diagnostic de certaines pathologies qui viennent déformer, boursoufler, le modèle initial. Nous dirons que l’altérité mimétique fait écran avec l’altérité fonctionnelle et structurelle. Il importe donc préalablement de débrouiller l'écheveau des comportements mimétiques.

   On peut, en effet, dénombrer un certain nombre de pathologies sociales sans la connaissance desquelles on ne peut passer du plan phénoménologique au plan ontologique. Cela vaut pour toutes sortes de cas et de situations et pas seulement, on s’en doute, en ce qui concerne les Juifs. Le comparatisme est une clef dont on ne saurait se priver. L’idée d’un péché originel, d’une tentation à commettre le “mal” ne nous semblent pas déplacée, en la circonstance. Ce qui distingue l’ontologie de la phénoménologie, c’est précisément la présence du mal qui a accompli son oeuvre corruptrice.

   Cette tentation qui brouille les pistes, c’est celle qui nous conduit à vouloir devenir l’autre, ce qui est ipso facto le symptôme d’un malaise ontologique car l’autre, je ne le perçois que de l’extérieur, je n’accède pas à son essence. On n’imite jamais que l’image, l’ombre de l’autre. On quitte la proie ontologique pour cette ombre fantomatique.

   Le maître est celui qui a gardé le cordon ombilical avec son essence, l’esclave est celui qui l’a rompu et qui n’existe plus que par l’autre. Ce qui peut signifier qu’il sera tenté de prendre sa place, de s’emparer de certains de ses traits, en en ayant une connaissance souvent appauvrissante, caricaturale. Le maître a vocation, fatalement, à être objet d’imitation et de substitution, à devenir minoritaire.

   Il y a là un étrange paradoxe : celui qui est imité devient minoritaire par rapport à ce que lui-même incarne et qui a été approprié par diverses populations à la dérive. L’approche phénoménologique vise, selon nous, consciemment ou non, à masquer une telle réalité et débouche sur une représentation qui ne vise nullement à faire ressortir la réalité ontologique.

   Le cas des Chrétiens est exemplaire : nous avons écrit ailleurs qu’il s’agissait de populations côtoyant les Juifs et désireuses de s’en approprier les marques, ce qui a abouti à faire synchroniquement sinon diachroniquement des Juifs une minorité au sein du monde monothéistique.

   Le cas des juifs en Palestine montre à l’inverse des juifs se présentant comme une diaspora par rapport à un pays dont ils ne sont pas issus sinon dans un passé extrêmement lointain, et beaucoup moins prégnant que les dernières générations vécues dans une culture, une langue, données. Il suffit à ce propos de comparer la diaspora musulmane avec la “diaspora” juive pour comprendre que le terme “diaspora”, s’il a fait sens, pour les juifs, il y a de très nombreux siècles, lorsque ceux-ci avaient récemment quitté la Palestine, est désormais d’un usage abusif. Certes, de nos jours, beaucoup de juifs ont de la famille en Israël, mais il n’empêche que le processus est inverse: ces juifs qui vivent en Israël y ont trouvé une finalité bien plus que des origines, ce qui est le propre de l’immigrant.

   La notion de diaspora juive ne se conçoit plus que par rapport à ceux qui ont du quitter le pays de leurs familles. Il y a en France, entre autres, une diaspora des juifs de Tunisie, des juifs de Pologne, de Turquie, de Roumanie, et probablement même des juifs d’Israël, les yoredim (ceux qui descendent par opposition aux olim, ceux qui immigrent, littéralement ceux qui montent). Les juifs immigrés en France constituent un certain nombre de diasporas. En revanche, on ne saurait parler de la situation diasporique des juifs de France en y incluant les juifs de souche française, à moins de parler d’une diaspora des juifs d’Alsace à Paris mais réservons le terme diaspora à ceux qui ont du quitter un pays pour un autre.

   Parler de la situation diasporique des juifs de France pour l’opposer à celle des Israéliens nous parait dès lors surréaliste. Les juifs israéliens ne sont-ils pas eux-mêmes constitués en quasiment autant de diasporas que les membres de la communauté juive de France ?

   On nous objectera que le fait d’aller en Israël mettrait fin, ipso facto, à la condition diasporique. Les réalités sociologiques ont la vie plus dure que cela et l’on sait bien à quel point la société israélienne est hétérogène sinon hétéroclite. C’est un peu la Tour de Babel !

   On voit donc que ceux qui ne sont pas en situation de diaspora se voient imposer un tel vocable de la part des sionistes qui veulent à tout prix que les juifs de la Gola / Galouth (de l’exil), entretiennent le même type de lien avec Israël que les exilés palestiniens avec la Palestine ou que les immigrés maghrébins par rapport aux pays du Maghreb. Il suffit d’écouter la fréquence juive et de comparer avec une radio franco-musulmane pour saisir toute la différence. Pour les immigrés musulmans en France, qui constituent une vraie diaspora, le rapport au “bled” est d’une nature affective, linguistique, d’une autre nature.

   Affirmer qu’il y a une diaspora juive en France, c’est bien évidemment mettre tous les juifs de France dans le même sac, c’est relativiser les différences et ce n’est pas indifférent le moins du monde ! Car le véritable enjeu n’est finalement pas en Israël, il consiste, pour les juifs immigrés, pour les juifs diasporiques en France, à s’approprier le statut de juif de souche française, comme cela se passe quand deux communautés, car il s’agit bien de deux communautés coexistent. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : ne conviendrait-il pas d’accepter la dualité et de parler de la double communauté juive de France ?

   Il existe en effet tant et tant de situations qui ne se comprennent qu’au regard d’une gémellité, symbolisée par les deux fils d’Isaac, Esaü et Jacob. Nous prônerons une psychanalyse sociale de la gémellité. Car c’est dans cette gémellité, cette géméllisation, que naît la tentation mimétique, parasitaire, que se joue le vrai drame de l’altérité. Mon prochain, celui qui compte avant tout autre, c’est celui auquel je veux ressembler et cela ne va pas, on s’en doute, sans quelque ambiguïté car cela peut aussi impliquer que je m’efforce aussi qu’il me ressemble.

   En conclusion, nous proposons de distinguer, en France, les juifs diasporiques et les sabras, terme né dans la société israélienne, ce qui n’est pas sans enseignement. Voilà donc une société conçue pour accueillir des juifs immigrés du monde entier et qui forge un mot pour désigner, pour distinguer, ceux qui ne le sont pas, dénonçant ou en tout cas signalant ainsi une géméllisation dont il conviendrait de contrôler les manifestations.

   Oui, il y a des juifs diasporiques en Israël, quoi qu’on dise et il y a des sabras en France. Le clivage ne passe pas par l’opposition entre Israël et la France, mais entre juifs ayant pris souche et ceux qui ont été déracinés du fait des persécutions, du sionisme ou de la décolonisation. La chance de la communauté juive de France tient précisément à son caractère duel, à sa gémellité. Elle ne se différenciera de la communauté musulmane que si elle cesse de se dire diasporique par rapport à Israël, tout comme en affirmant la présence historique des sabras juifs de France, dont la dimension minoritaire ne saurait aucunement réduire la portée.

   Nous proposerons de désigner, désormais, la population juive comme un partenariat. Selon nous, en effet, les juifs sont des partenaires privilégiés, au sein de chaque culture. On parlera donc du partenariat juif plutôt que de diaspora ou de peuple.

   Ce partenariat ne concerne pas l’immigré qui lui est avant tout dans un rapport mimétique voire servile, mais le juif de souche qui assume une altérité fonctionnelle et non mimétique. Ce juif de souche sait apporter une véritable valeur ajoutée à la culture dont il est partie prenante, on pourrait dire qu’il contribue à son évolution, à sa transformation, qu’il ne cherche nullement à la figer pour mieux l’imiter. Le juif du partenariat repère ce qui est obsolète, teste la résistance des matériaux, détecte à force les failles, touche là où ça fait mal. Il permet ainsi à la société dans laquelle il se trouve de ne pas craindre un manque de vigilance. En revanche, le juif immigré est trop étranger au système pour être en mesure de le mettre à l’épreuve, il respecte trop la cible qu’il s’est choisie et dont il ne perçoit souvent que les apparences. Les grands juifs germaniques dont tout le monde parle étaient-ils des immigrés ? A notre connaissance, leurs familles étaient de longue date installées dans les régions où ils sont nés. Et rappelons, pour terminer, que ces juifs immigrés sont souvent responsables de poussées d’antisémitisme en ce qu’ils ne sont pas en phase avec la culture environnante, qu’ils croient pouvoir transposer des attitudes qui ne sont plus de mise. Quand, de surcroît, leur rapport au religieux est précaire, qu’ils se situent dans une mouvance laïque, ils sont tentés de parler de culture juive, ce qui est encore une source de confusion en ce que cela laisse entendre qu’ils sont originaires d’on ne sait quelle métropole commune, ce qui est un leurre, alors que la seule chose qui les unisse, c’est, dans les cas des juifs immigrés en France, la France. Parler de culture et non de religion juive, c’est ne pas comprendre que le juif n’assume son altérité fonctionnelle qu’au sein d’une culture qu’il partage avec le non-juif.

Jacques Halbronn
Paris, le 16 février 2003

Note

1 Cf. les Cahiers du CERIJ, numéro sur la “condition migratoire“. Retour



 

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